Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date : 19990927


Dossier : IMM-382-98

         AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 82.3, telle que modifiée, et les règlements y afférents;
         ET une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section d'appel;
         ET la Charte canadienne des droits et des libertés.

ENTRE :

     JEYARAJAN RATNASABAPATHY

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section d'appel) datée du 18 décembre 1997, par laquelle la Section d'appel a conclu au rejet de l'appel pour défaut de compétence.

[2]      La Section d'appel a déclaré que la question qui lui était soumise en était une de compétence, savoir s'il s'agissait du refus d'une demande de résidence permanente pour un membre de la catégorie de la famille.

LES FAITS

[3]      Le demandeur est un citoyen canadien, qui a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de son épouse et de ses deux enfants. Le haut-commissariat du Canada à New Delhi a rejeté les demandes dans une lettre datée du 13 décembre 1995, au motif que l'épouse du demandeur ne répondait pas à la définition de conjoint que l'on trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, et que l'un de ses enfants, Mathanaraj, n'était pas un fils à charge de son épouse, selon la définition que l'on trouve dans la même disposition.

[4]      Cette décision a fait l'objet d'un appel à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal). Le 18 décembre 1997, le tribunal a décidé qu'il n'avait pas compétence pour entendre l'appel, au motif que l'épouse de l'appelant n'est pas un membre de la catégorie de la famille puisqu'elle n'est pas le conjoint de l'appelant au sens de l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978.


LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]      Le tribunal a conclu que :

         [traduction]

         Selon la prépondérance des probabilités, la preuve démontre que la requérante avait un conjoint vivant au moment de son mariage avec l'appelant.

[6]      Pour arriver à cette conclusion, le tribunal s'est appuyé sur les notes prises lors de l'entrevue de la requérante, où elle expliquait qu'elle avait déjà été mariée, que le certificat de mariage avait été perdu, et qu'elle n'avait pu obtenir un divorce de son premier mari parce qu'on ne pouvait le retrouver. Le tribunal s'est aussi appuyé sur d'autres documents corroborant ce mariage, notamment les mentions au registre des naissances des deux enfants de la requérante, le document officiel de l'Inde qui l'identifie comme une réfugiée en provenance du Sri Lanka, ainsi que son passeport.

[7]      Le tribunal a conclu :

         [traduction]

         Malgré ses efforts, le tribunal n'a pu trouver aucune façon de conclure, au vu d'une telle preuve, que la requérante et Ramachandran Kassippalli n'étaient que des conjoints de fait et qu'ils n'étaient pas vraiment mariés.
         L'appelant a témoigné qu'au Sri Lanka, les mariages doivent être enregistrés pour être valides et il a soutenu que l'absence d'une preuve de l'enregistrement d'un mariage démontrait que la requérante n'avait jamais épousé Ramachandran Kassippalli. Toutefois, comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimé, l'appelant n'a pas une connaissance spécialisée du droit matrimonial au Sri Lanka sur laquelle le tribunal pourrait s'appuyer. À défaut d'une preuve précise sur cette question, le tribunal devrait spéculer quant à la nature du droit au Sri Lanka, ce qu'il ne peut faire.


[8]      Par ailleurs, le tribunal a aussi ajouté :

[traduction]

Même si le tribunal pouvait arriver à une conclusion différente, la question se pose de savoir si le mariage de l'appelant à la requérante avait respecté le paragraphe 7(1) du HMA. Encore une fois, au vu de la preuve et de la prépondérance des probabilités, ce n'est pas le cas. Pour ce motif aussi, on ne peut donc conclure que la requérante est la " conjointe " de l'appelant.

[9]      Le tribunal conclut ainsi :

[traduction]

La requérante n'est pas membre de la catégorie de la famille car elle n'est pas la conjointe de l'appelant, selon la définition que l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 donne à ce terme, puisque compte tenu de la preuve présentée et de la prépondérance des probabilités, son mariage à l'appelant ne respectait pas le paragraphe 5(i) de l'Hindu Marriage Act, 1995, ou, subsidiairement, le paragraphe 7(1) de cette Loi. La Section d'appel de l'immigration n'a donc pas compétence pour entendre cet appel, qui est rejeté.

ANALYSE

[10]      Le tribunal s'est vu présenter une preuve contradictoire quant à savoir si la requérante pouvait se remarier avec l'appelant, selon qu'elle ait déjà été mariée ou non.

[11]      Le témoignage de la requérante, ainsi que la documentation, ont amené le tribunal à conclure que la requérante était déjà mariée nonobstant l'absence d'une preuve de l'enregistrement du mariage.

[12]      Le témoignage du demandeur déclarant que sa femme n'avait jamais été mariée n'est pas une preuve concluante, puisque ce dernier n'a pas une connaissance spécialisée du droit matrimonial en Inde.

[13]      Toutefois, son témoignage portant sur la situation de son épouse était complet et détaillé et il a présenté des explications raisonnables au sujet de la situation matrimoniale de son épouse avant leur mariage.

[14]      Il est surprenant que l'épouse de l'appelant, Bhavani Jayarajan, n'ait jamais témoigné en personne ou par voie d'affidavit afin d'expliquer le contexte entourant son premier mariage en 1972.

[15]      À mon avis, la Section d'appel s'est fondée sur une preuve très mince pour conclure que le premier mariage de 1972 était toujours valide et même qu'il avait existé, compte tenu du témoignage présenté par l'appelant à ce sujet.

[16]      Par ailleurs, la Section d'appel a évalué le second mariage avec l'appelant et décidé que la requérante n'avait pu démontrer qu'elle était mariée avec l'appelant, malgré la preuve déposée ainsi qu'un certificat attestant l'existence du mariage.

[17]      Je me demande pourquoi la Section d'appel s'est penchée sur le second mariage, ainsi que sur les événements qui l'entouraient.

[18]      En effet, comme l'avocat du défendeur l'a admis devant la Cour, même si la Section d'appel avait accepté que le deuxième mariage était valide, elle en aurait néanmoins conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel étant donné que l'appelante était déjà mariée en 1972 et qu'elle n'avait pas divorcé.

[19]      On ne peut jouer sur les deux tableaux. À mon avis, il n'était pas raisonnable de la part de la Section d'appel d'examiner les deux questions en même temps. Les deux mariages étaient des événements séparés, ayant tous deux leur importance.

[20]      Dès que le tribunal a décidé que le premier mariage de 1972 était valide, il ne lui était pas nécessaire de se pencher sur les événements entourant le deuxième mariage. Tous ces faits sont sans pertinence quant à la vraie question, qui est de savoir si le premier mariage est valide.

[21]      À mon avis, le tribunal a commis ce faisant une erreur qui justifie l'intervention de la Cour.

[22]      Je suis d'avis que la Commission devrait réévaluer la demande de la requérante au vu de la présente décision.

[23]      Pour ces motifs, la décision soumise au contrôle judiciaire est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.


[24]      Aucune des parties n'a suggéré une question à certifier.




                         Pierre Blais

                         Juge



OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 septembre 1999



Traduction certifiée conforme


Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-382-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JEYARAJAN RATNASABAPATHY c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 7 SEPTEMBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :              27 SEPTEMBRE 1999


ONT COMPARU

J.N. MOHAN                      POUR LE DEMANDEUR

K. LUNNEY                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

MOHAN ET MOHAN, TORONTO          POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.