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     IMM-2044-96

     OTTAWA, LE VENDREDI 11 JUILLET 1997

     EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

Entre :

     DERAR KIDANE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

     SUR PRÉSENTATION d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre en date du 12 juin 1996, après avoir lu les pièces déposées, avoir entendu les avocats de toutes les parties à Toronto (Ontario), le 23 avril 1997, et par les motifs de l'ordonnance rendus ce jour,

     LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

                             "James A. Jerome"

                        

                         Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme         

                         F. Blais, LL.L.

     IMM-2044-96

Entre :

     DERAR KIDANE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

     La présente demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre en date du 12 juin 1996, dans laquelle il a été décidé que le requérant devait demeurer sous garde aux termes de l'article 103 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en attendant son expulsion, a été entendue à Toronto (Ontario) le 23 avril 1997. À la fin des plaidoiries, j'ai réservé mon jugement et indiqué que des motifs écrits suivraient.

     Le requérant est un réfugié du H.C.N.U.R. originaire de l'Éthiopie qui est arrivé au Canada le 27 juin 1986. Depuis le 9 août 1989, le requérant a été reconnu coupable de 15 infractions, dont huit reliées à la Loi sur les stupéfiants et sept visées au Code criminel. Par suite de ces condamnations, il a été statué que le requérant était visé à l'alinéa 27(1)(ii) de la Loi sur l'immigration. Le 22 février 1995, un avis d'expulsion a été émis contre lui. Le 7 mars 1995, après avoir purgé toute la peine qui lui avait été imposée par la Cour, le requérant a été placé sous garde en attendant son expulsion.


     Les motifs de la détention prévue à l'alinéa 103(3) de la Loi sur l'immigration ont été régulièrement examinés depuis le 9 mars 1995. Bien que le requérant soit frappé par une mesure d'expulsion qui a décidé de son sort, les agents d'immigration ont eu de la difficulté à trouver un pays disposé à l'accepter. Cette difficulté a été aggravée par le fait que le requérant a affirmé sa nationalité érythréenne et déclaré qu'il ne veut pas être expulsé vers l'Éthiopie, bien que ce pays soit son pays d'origine. À ce jour, le requérant est toujours en détention.

     Un certain nombre d'incidents ont contribué directement et indirectement au maintien en détention du requérant. Il s'agit du retard du requérant à déposer ses observations et sa demande subséquente visant à obtenir une prolongation de délai pour déposer ses observations concernant l'avis du ministre selon lequel il constitue un danger pour la sécurité publique; la décision du requérant de ne pas porter la mesure d'expulsion en appel et sa demande subséquente en vue d'obtenir une prolongation de délai pour effectuer, tardivement, le dépôt de cet appel; l'audition de l'appel devant la section d'appel de l'immigration (SAI) et le prononcé de la décision de la SAI; la reprise du processus de révision de la détention aux termes de l'article 103; et finalement, la présente demande de contrôle judiciaire concernant la décision de l'arbitre prise en juin 1996. Bien que le requérant fasse valoir que les retards ont été causés par le manque de diligence du ministre, le dossier indique clairement que les retards et le maintien prolongé en détention qui en a résulté sont essentiellement attribuables aux mesures prises par le requérant lui-même.

     Le requérant fait valoir que l'arbitre a commis une erreur en décidant, en juin 1996 d'ordonner sa mise sous garde. Les principaux motifs de la demande du requérant font valoir que l'arbitre a mal compris la définition de l'expression "détention indéterminée" et a ignoré les arguments de nature constitutionnelle. Ces motifs, s'ils sont établis, équivalent à des erreurs de droit, ce qui signifie que la décision de l'arbitre pourrait faire l'objet d'un examen.

     Tout d'abord, le requérant déclare que l'arbitre a mal compris la définition de l'expression "détention indéterminée" décrite par le juge Rothstein dans Sahin c. M.C.I. , [1995] 1 C.F. 214, p. 229, (1994) 85 F.T.R. 99, 30 Imm. L.R. (2d) 33 (C.F. 1re inst.). Le requérant cite le passage suivant de la décision Sahin, précitée, à l'appui de sa position :

     Je pense qu'une détention indéterminée pendant une longue période peut, dans certains cas, constituer une privation de liberté qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. J'ai utilisé l'expression "détention indéterminée". On pourrait soutenir que la détention visée à l'article 103 n'est pas indéterminée du fait qu'elle est soumise à un examen au moins une fois tous les 30 jours et qu'elle ne peut être maintenue qu'en cas de mesure de renvoi conditionnel pendante, laquelle sous-entend qu'il y a eu observation des démarches prescrites par la Loi sur l'immigration . Par contre, si un nombre indéfini de procédures peuvent être engagées par l'une ou l'autre partie et si on ne sait pas combien de temps va prendre chacune de ces procédures, je pense qu'on peut dire qu'une détention de longue durée, du moins sur le plan pratique, est bien proche de ce qu'on peut raisonnablement qualifier de détention de durée "indéterminée".         

S'appuyant sur ce raisonnement, le requérant fait valoir que sa détention, qui dure maintenant depuis vingt-huit mois, est une détention indéterminée. Malheureusement, je ne peux accepter les arguments du requérant. En outre, ces arguments se fondent sur une cause qui peut facilement être distinguée de l'espèce. M. Sahin est arrivé au Canada sans être muni des documents adéquats et a été placé immédiatement en détention aux termes de l'article 103 après qu'une mesure de renvoi conditionnel eut été prise contre lui. Il n'était pas un criminel, et ne représentait pas un danger pour la sécurité publique. M. Kidane, au contraire, est un nacro-trafiquant qui a été reconnu coupable d'au moins 15 infractions. Le ministre a émis l'avis que M. Kidane représente "un danger pour la sécurité publique". La mesure d'expulsion prise contre le requérant est finale et exécutoire. Une fois que les agents d'immigration auront réussi à trouver un pays disposé à accepter le requérant, celui-ci quittera le Canada. Dans Sahin , le juge Rothstein traitait du cas d'un homme qui n'avait rien fait de mal, sauf pour le fait d'être entré au Canada sans être muni de documents adéquats. Au vu de ces différences, les conclusions du juge Rothstein sont loin de s'appliquer en tous points à la situation du requérant.

     Toutefois, dans Sahin, précité, à la page 231, le juge Rothstein a fait des observations sur des questions pertinentes à l'article 7 de la Charte dans le contexte de l'examen de la détention visée à l'article 103. Ces observations aident les arbitres à déterminer quand le maintien en détention peut se prolonger pour une durée indéterminée et quand les droits garantis par la Charte sont compromis. Il déclare ceci :

     La liste suivante, qui n'est bien entendu pas exhaustive, réunit au moins les facteurs les plus évidents, il me semble. Il est inutile de rappeler que les facteurs applicables à un cas d'espèce et leur importance relative dépendent des faits de la cause.         
     (1)      Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d'autant justifiable que l'intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.         
     (2)      La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l'individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l'espèce et s'il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.         
     (3)      Le requérant ou l'intimé a-t-il causé un retard ou ne s'est-il pas montré aussi diligent qu'il est raisonnablement possible de l'être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.         
     (4)      La disponibilité, l'efficacité et l'opportunité d'autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique, la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l'obligation de signaler les changements d'adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc.         

     La longue détention du requérant est le seul facteur qui puisse favoriser sa mise en liberté. Les trois autres facteurs ne peuvent en toute justice pencher en faveur du requérant. Tout d'abord, non seulement le requérant a-t-il été considéré comme un danger pour la sécurité publique par l'arbitre, mais le ministre a confirmé cet avis. Deuxièmement, le dossier indique que le requérant est largement responsable des retards qui se sont accumulés dans la procédure et qui ont fait prolonger indûment sa détention. Enfin, il n'y a pas de véritable solution de remplacement à la détention. Le requérant est un criminel qui est frappé par une mesure d'expulsion. Il sait qu'il sera expulsé. Il n'y a pas de possibilité d'appel et il a épuisé tous ses recours. Il est dans "l'intérêt du public que des personnes soient détenues lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'elles ne se présenteront pas à leur enquête ou qu'elles se déroberont aux autorités chargées de les expulser. Il faut évaluer cet intérêt public par rapport au droit à la liberté de l'individu concerné" (Halm c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1996] 1 C.F. 547, page 574, (1995) 104 F.T.R. 81, 32 Imm. L.R. (2d) 220 (C.F. 1re inst.)).

     La deuxième question soulevée par le requérant consiste à déterminer si l'arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte des arguments de nature constitutionnelle qu'il a présentés. Il n'y a rien, ni dans le dossier, ni dans la décision de l'arbitre qui indique qu'elle n'a pas tenu compte de ces arguments de nature constitutionnelle. Au contraire, dans sa décision, l'arbitre a tenu compte de tous les facteurs énumérés par le juge Rothstein dans la décision Sahin, précitée, quand elle a conclu qu'une détention prolongée ne porterait pas atteinte aux droits garantis par la Charte. Son raisonnement était logique et exempt de toute erreur pouvant donner lieu à examen.

     Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

O T T A W A

le 11 juillet 1997                      "James A. Jerome"

                        

                         Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme         

                         F. Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-2044-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Derar Kidane c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 23 avril 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR le juge en chef adjoint

DATE :                  le 11 juillet 1997

ONT COMPARU :

Munyonzwe Hamalengwa                      pour le requérant

Kathryn Hucal                          pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Munyonzwe Hamalengwa                      pour le requérant

North York (Ontario)

George Thomson                          pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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