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Date : 20040630

Dossier : IMM-4908-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 944

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                              MARLENE SIRIAS CARRILLO                                              

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                La demanderesse, Marlene Sirias Carrillo (la demanderesse), est une citoyenne du Costa Rica âgée de 31 ans qui prétend être une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle craindrait avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir les lesbiennes. Elle demande également à être protégée parce qu'elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Costa Rica. Sa demande découle d'une prétendue crainte d'être persécuté par certains membres des forces policières.

[2]         La Section de la protection des réfugiés (la Commission), dans sa décision datée du 15 mai 2003, a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a jugé que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État au Costa Rica. La Commission a noté que la demanderesse n'avait pas porté plainte à la police ni au bureau de l'ombudsman. En outre, tout en reconnaissant que les lesbiennes avaient toujours des problèmes au Costa Rica, la Commission a conclu qu'il y avait des éléments de preuve documentaire sur le rôle que jouaient le bureau de l'ombudsman et les tribunaux dans la protection des droits des gais et lesbiennes

[3]         La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[4]         La présente demande soulève les questions suivantes :


1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en exigeant de la demanderesse qu'elle cherche à obtenir la protection de l'État lorsque les agents de persécution étaient des représentants de l'État?

2.          La Commission a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve lorsqu'elle a conclu que la demanderesse bénéficiait d'une protection adéquate de l'État au Costa Rica?

Analyse

Question #1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en exigeant de la demanderesse qu'elle cherche à obtenir la protection de l'État lorsque les agents de persécution étaient des représentants de l'État?

[1]         Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, la Cour suprême du Canada a jugé que, pour revendiquer avec succès le statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur devait fournir une preuve claire et convaincante de l'absence de protection étatique. Les éléments de preuve que le demandeur peut soumettre pour réfuter cette présomption peuvent se rapporter à des incidents personnels antérieurs, comme par exemple une demande de protection, ou même à des expériences de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne (Ward, précité).


[2]         En l'espèce, la demanderesse soutient qu'étant donné que les agents de persécution sont des représentants de l'État, elle n'est pas tenue en droit de démontrer à la Commission qu'elle a cherché à obtenir la protection de l'État. Je ne suis pas d'accord.

[3]         Dans l'arrêt Ward, précité, à la page 724, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsque la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » , la Commission est autorisée à tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur ne s'est pas adressé aux autorités de l'État pour obtenir leur protection :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.


[4]         À mon avis, la question de savoir s'il est objectivement déraisonnable pour le demandeur de ne pas avoir sollicité la protection de son pays d'origine invite la Commission à apprécier la preuve dont elle est saisie et à tirer une conclusion de fait. À titre d'exemple, bien que les agents de persécution puissent être des représentants de l'État, les faits de l'espèce peuvent indiquer que des éléments purement locaux ou indésirables sont en cause et que l'État en question est un État démocratique qui offre une protection aux personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur. Il pourrait donc être objectivement raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de l'État dans un tel cas. Dans d'autres cas, l'identité des représentants de l'État et la preuve documentaire quant à la situation dans le pays pourraient indiquer que la protection de l'État ne peut raisonnablement être assurée. On ne s'attend donc pas à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de l'État dans de tels cas. Vu que l'analyse qu'a faite la Commission des institutions politiques et judiciaires du Costa Rica n'était pas manifestement déraisonnable (autrement dit, qu'elle s'appuyait sur la preuve dont était saisie la Commission), l'obligation imposée par la Commission, en se fondant sur cette preuve, de chercher à obtenir la protection de l'État, ne constitue pas, à mon avis, une erreur susceptible de contrôle.

Question #2 : La Commission a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve lorsqu'elle a conclu que la demanderesse bénéficiait d'une protection adéquate de l'État au Costa Rica?

[5]         La demanderesse avance les arguments suivants :

·           La Commission a omis de tenir compte de certains éléments de preuve en concluant que la demanderesse disposait de recours judiciaires et que le bureau de l'ombudsman pouvait également fournir une protection aux personnes qui étaient dans une situation semblable à la sienne.


·           La preuve documentaire indique que le système judiciaire a des préjugés contre les gais et lesbiennes et que les décisions judiciaires dans lesquelles les gais ont eu gain de cause concernent essentiellement des personnes séropositives qui voulaient avoir accès aux traitements offerts par l'État.

·            L'ombudsman ne peut fournir une protection adéquate, parce que ses décisions sont des recommandations n'ayant pas force exécutoire.

[5]         Pour ce qui est des deux premiers arguments soulevés par la demanderesse, un examen attentif du dossier dont était saisie la Commission montre la présence d'éléments de preuve relatifs à l'efficacité croissante des tribunaux et du bureau de l'ombudsman dans la protection des droits des gains et lesbiennes. Il était loisible à la Commission en l'espèce de préférer ces éléments de preuve documentaire. Sur le vu de ces éléments de preuve, il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse disposait de recours judiciaires efficaces. Il est vrai, comme le prétend la demanderesse, que le système judiciaire au Costa Rica n'est pas parfait et que l'homophobie est toujours présente. Toutefois, la Commission n'a pas omis de tenir compte de ce fait. Elle a tout simplement conclu que l'État offrait malgré tout une protection adéquate. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.


[6]         Je suis d'accord avec la demanderesse pour dire que le bureau de l'ombudsman n'a pas le pouvoir de faire respecter ses recommandations. Toutefois, cela n'amène pas inévitablement à conclure que le bureau de l'ombudsman est inefficace. La preuve documentaire décrit le bureau de l'ombudsman comme constituant [traduction] « un mécanisme efficace pour le dépôt et l'enregistrement de plaintes relatives à des inconduites policières » , et elle ajoute que cette institution [traduction] « fait enquête sur les plaintes et, le cas échéant, intente des poursuites contre des agents publics » (États-Unis, 2000, Country Reports on Human Rights Practices (Bureau of Democracy, Human Rights and Labour U.S. Department of State, février 2001)). Cette efficacité, jointe à un État démocratique qui respecte le principe de la primauté du droit et à des tribunaux qui ont montré qu'ils étaient capables de traiter de situations mettant en cause des droits individuels, est suffisante pour permettre à la Commission de conclure, comme elle l'a fait, que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État.

[7]         Par conséquent, je conclus qu'il était loisible à la Commission de rendre la décision qu'elle a rendue sur le vu de la preuve dont elle était saisie, et qu'elle n'a pas commis d'erreur.


Conclusion

[8]         En conclusion, je suis convaincue que la présente demande devrait être rejetée.

[9]         La demanderesse a proposé deux questions à certifier :

1.         Le fait d'établir que l'État a mis en place des institutions censées protéger les droits de ses citoyens est-il suffisant ou faut-il en plus démontrer l'efficacité de ces institutions?

2.         La Commission doit-elle se pencher expressément sur la mentalité des autorités responsables des institutions censées protéger les droits des citoyens?

[10]       Je ne suis pas convaincue qu'il y a lieu de certifier ces questions. La réponse à la première question est clairement « oui » ; il n'est donc pas nécessaire de la certifier. Dans les circonstances de l'espèce, il y avait une preuve abondante au dossier quant à l'efficacité des institutions en question (le bureau de l'ombudsman et les tribunaux). La deuxième question n'est pas pertinente quant à la présente demande.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée;

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4908-03

INTITULÉ :                                                    MARLENE SIRIAS CARRILLO

c.         

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 30 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Marvin Moses                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moses and Associates                                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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