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Date : 20051109

Dossier : IMM-10058-04

Référence : 2005 CF 1527

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

NIKOLAY HARALAM TOMOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le Dr Tomov, un médecin bulgare âgé de trente ans, a allégué éprouver une crainte fondée de persécution du fait du lien de parenté qui l'unit à Mariya, sa conjointe de fait. Le couple vit ensemble à Sofia depuis novembre 2001. Plusieurs incidents survenus en raison de l'origine ethnique rom de Mariya ont incité le couple à quitter la Bulgarie et à réclamer l'asile au Canada en mai 2002. La mère de Mariya est arrivée au Canada et a réclamé l'asile en octobre 2002. Tous trois ont eu une audience conjointe devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue à Mariya et à sa mère en raison de la persécution qu'elles ont vécue à titre de Roma. La demande d'asile du Dr Tomov a été rejetée au motif qu'il ne fait pas partie d'un groupe persécuté et qu'il n'est pas personnellement menacé.

[2]                Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consistent à déterminer si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le Dr Tomov n'a pas lui-même été persécuté, en exigeant qu'une personne soit personnellement ciblée et en ne procédant pas à une analyse distincte de la demande aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[3]                La Commission a accepté dans l'ensemble la preuve des demandeurs. Une question incidente a été soulevée au sujet de l'acceptation de la relation des conjoints par les parents, mais le demandeur n'a pas insisté sur ce point devant la Cour et, quoi qu'il en soit, je suis d'avis que cet élément n'a pas eu une influence déterminante sur le résultat de la demande d'asile. Par conséquent, aucune conclusion de fait ne justifie une intervention fondée sur la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[4]                L'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas exclusivement une question de fait, mais bien une question mixte de droit et de fait. L'intervention de la Cour sur cette question ne sera pas justifiée, à moins que la conclusion de la Commission à cet égard ne semble déraisonnable. (Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398, [1993] A.C.F. no 796 (QL) (C.A.F.); Al-Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 315, 2003 CFPI 521; Tolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 218 F.T.R. 205, 2002 CFPI 334; Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 581, [2001] A.C.F. no 92 (QL).)

[5]                L'exposé circonstancié que l'on retrouve dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur reprend le récit consigné par sa conjointe. Celle-ci y fait état de toute une vie marquée par la discrimination. L'incident le plus sérieux dont le Dr Tomov a lui-même été victime est survenu en septembre 2001. Le demandeur et Maryia prenaient un repas dans un bistro lorsque quatre skinheads, à une table voisine, ont commencé à proférer des insultes contre les Roma à l'intention du demandeur et de Maryia. Le Dr Tomov a été battu par ces hommes et a requis des soins médicaux. Il a dénoncé cette agression à la police, mais celle-ci n'a rien fait d'autre que de recevoir sa plainte.

[6]                En 2002, Mariya a été détenue par la police qui la soupçonnait de faire le commerce de biens volés. Durant la nuit, deux policiers l'ont violée. Lorsque le Dr Tomov a tenté de porter plainte à la police, qui a refusé de la recevoir, il a été [Traduction] « brutalement expulsé » du poste de police et aucune mesure n'a été entreprise. Un avocat leur a conseillé de ne pas donner suite à cette affaire de crainte qu'ils ne subissent des représailles. Cet incident a provoqué leur départ pour le Canada.

[7]                À eux seuls, ces deux incidents, aussi déplorables soient-ils, ne suffiraient pas à établir la persécution pour ce qui est du demandeur. L'agression physique des skinheads a été un incident isolé qui est survenu alors que le demandeur se trouvait en compagnie de Mariya. Aucun élément de preuve ne donne à penser que le demandeur ait déjà subi des attaques semblables dans le passé ou que de telles attaques soient fréquentes ou systémiques. Le fait qu'il n'a pu porter plainte à la police, s'il est certes frustrant, ne suffit pas non plus à en faire de la persécution.

[8]                La Commission a remarqué avec justesse que l'incapacité du demandeur à protéger sa conjointe de la persécution ne fait pas de lui un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Comme l'a récemment déclaré la Cour dans la décision Sivamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 199, au paragraphe 10 :

Une demande d'asile ou de statut de personne protégée ne peut pas être fondée sur la persécution ou la menace de persécution de membres de la famille. La persécution indirecte ne constitue pas une persécution selon la définition de « réfugié au sens de la Convention » et une demande fondée sur cela n'est pas admissible [...].

[9]                Le demandeur soutient, toutefois, qu'il est désormais directement menacé de persécution ou de blessures corporelles du fait qu'il appartient à une famille rom. Il ne s'agit pas d'un cas de persécution indirecte. Le Dr Tomov n'assiste pas seulement contre son gré à des actes de violence dirigés contre d'autres membres de sa famille, pour reprendre les termes du juge Martineau dans la décision Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CFC 1766, [2004] A.C.F. no 2164 (QL), au paragraphe 15. Il est lui-même menacé, tant et aussi longtemps qu'il poursuit sa relation conjugale avec sa conjointe.

[10]            La reconnaissance de la famille comme un groupe social aux fins d'une demande d'asile est bien établie dans la jurisprudence : Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 767, [1994] A.C.F. no 1928 (C.F. 1re inst.) (QL); conf. par [1997] A.C.F. no 810 (C.A.F.) (QL).

[11]            Dans les cas où la demande d'asile est fondée sur l'appartenance à un groupe familial, la Cour d'appel a exigé, dans l'arrêt Pour-Shariati, que soit démontrée l'existence d'un lien personnel entre le demandeur et la persécution alléguée pour un motif prévu à la Convention. Il n'est pas suffisant de faire valoir la persécution subie par des membres de la famille s'il est peu probable que le demandeur soit directement touché. En l'espèce, je suis convaincu qu'il existe un lien suffisant entre la demande d'asile du demandeur et la persécution subie par sa conjointe. En autant qu'ils continuent de vivre ensemble, il serait directement menacé.

[12]            J'estime par conséquent que la Commission a commis une erreur en exigeant que le demandeur établisse qu'il serait personnellement ciblé, indépendamment de sa relation avec sa conjointe. La Commission a omis d'examiner si le demandeur a une crainte fondée de persécution du fait de son appartenance à la famille de sa conjointe. En conséquence, je conclus que la décision est déraisonnable; la demande sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

[13]            Il n'est pas nécessaire, dès lors, que j'examine la question de savoir si une analyse distincte de la demande d'asile du demandeur aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi était requise. En l'espèce, cette analyse n'a pas été faite. D'ailleurs, les motifs de la Commission ne traitent pas en profondeur de la situation du demandeur. On n'y retrouve que deux phrases qui traitent du bien-fondé de sa demande d'asile. Comme je l'ai souligné dans la décision Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),2004 CF 1660, il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse distincte si aucun élément de preuve autre que ceux examinés dans l'analyse relative à l'article 96 n'est susceptible d'établir que le demandeur est une personne à protéger. Le tribunal qui examinera à nouveau la demande d'asile devra se pencher sur cette question.

[14]            Aucune question de portée générale n'a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10058-04

INTITULÉ :                                        NIKOLAY HARALAM TOMOV

demandeur

                                                            et

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Robert E. Moores                               POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel Yan                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert E. Moores                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

du Canada                                             POUR LE DÉFENDEUR

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