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Date : 20040120

Dossier : T-1987-03

Référence : 2004 CF 80

ENTRE :

                                                                RAMTIN BASHI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

HISTORIQUE


[1]                La défenderesse sollicite la radiation ou l'annulation de la revendication du demandeur, lequel a comparu en personne. Le demandeur a déposé une déclaration de 10 pages, à simple interligne, qui, à certains égards, ressemble à une narration épisodique de sa vie au Canada et aux États-Unis pendant les 20 dernières années. Le récit n'est pas facile à suivre, mais ce qui en ressort est que pendant toutes ces années, le demandeur aurait été sous la surveillance et le contrôle d'organismes de renseignement de sécurité canadiens et américains et qu'il aurait été influencé, contrôlé et contraint par ces organismes, au point où il ne pouvait exercer sa propre volonté. Il y est question d'un programme systématique monté par des organismes de renseignement, dont le nom ne figure pas dans sa déclaration, qui auraient régi et gouverné ses moindres gestes au moyen _traduction_ _ d'actes, de coups montés, de complots et de messages symboliques _, incluant notamment de mystérieuses pannes d'automobile, le décès de membres de sa famille, des ingérences dans sa vie amoureuse, sa vie professionnelle et son travail, des problèmes de santé et l'interruption des prestations de bien-être social. Cependant, la déclaration ne contient pratiquement aucun fait précis.

[2]                Dans un effort pour préciser sa déclaration, le demandeur a fourni certains faits épars en réponse à la présente requête de la défenderesse en radiation de la déclaration. Par exemple, le demandeur a mentionné _traduction_ _ une étrange affaire concernant le chien d'un voisin _ qui l'aurait attaqué et mordu à plusieurs reprises, affaire que le demandeur perçoit comme un complot savamment orchestré par ses voisins, le personnel de la S.P.C.A, son locateur et le gouvernement, ce dernier ayant prévu toute cette machination dans le but de lui transmettre un certain message.

EXAMEN


[3]                La défenderesse demande la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable, qu'elle n'est pas pertinente, qu'elle est redondante, frivole et vexatoire et qu'elle constitue un abus de procédure, tous motifs énoncés au paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles). La défenderesse a réussi à prouver son point en établissant qu'il est évident et manifeste et qu'il ne fait aucun doute que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable : voir, à titre d'exemple, un arrêt auquel on fait souvent référence, l'arrêt Hunt c. Careys Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980. Pour appliquer le critère approprié, je dois tenir pour acquis que les faits énoncés dans la déclaration peuvent être prouvés. À moins qu'il soit évident et manifeste et qu'il ne fasse aucun doute que la revendication ne révèle aucune cause d'action raisonnable, l'acte de procédure ne peut pas être radié. Le même critère sera appliqué aux autres motifs énoncés au paragraphe 221(1) des Règles.

UNE CAUSE D'ACTION VALABLE

[4]                Comme point de départ, la Couronne renvoie à la décision Kiely c. Canada (1987) 10 F.T.R. 10, dans le cadre duquel le protonotaire adjoint Giles a énoncé ce qui suit à la page 11 :

Selon moi, pour révéler une cause d'action, une déclaration doit : 1) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d'action, 2) indiquer la nature de l'action qui doit se fonder sur ces faits et 3) préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l'action et que la cour doit être compétente pour accorder. La déclaration en l'espèce est si confuse qu'il n'est pas possible pour la cour ou la défenderesse de déterminer la revendication formulée. La déclaration devrait donc être radiée. Toutefois, la Couronne, la défenderesse, demande également qu'elle soit radiée sans permis d'amendement. Pour que la déclaration soit radiée sans permis d'amendement, il ne doit exister aucun soupçon de cause d'action dans la plaidoirie.


La décision Kiely établit donc que la déclaration doit énoncer des faits susceptibles de révéler la cause de l'action, prouver la nature de l'action en se fondant sur ces faits et indiquer le redressement sollicité, lequel doit relever de la compétence de la Cour. M. Giles a précisé que pour radier une déclaration sans permis d'amendement, il ne doit exister _ aucun soupçon de cause d'action _. À cet égard, prise dans son ensemble, la présente déclaration est fondamentalement viciée, parce qu'aucun énoncé complet ou cohérent des faits ne donne lieu à une cause d'action, encore moins à une cause d'action raisonnable.

[5]                J'ajoute sur ce point que le demandeur poursuit la Couronne, mais qu'il ne précise pas dans sa déclaration quels ministères fédéraux auraient commis des actes ou des omissions. Il se contente de dire au paragraphe 2 de sa déclaration qu'il allègue _traduction_ _ avoir été surveillé par des organismes de renseignement de sécurité de la défenderesse depuis son arrivée au Canada _. Je tiens à préciser que la Couronne n'est responsable du fait d'autrui que si un de ses fonctionnaires est personnellement responsable, or aucun fonctionnaire n'a été identifié. Dans les observations qu'il a présentées en réponse à la présente requête, le demandeur a fait valoir qu'il était probable que plusieurs ministères gouvernementaux aient été impliqués. Il a mentionné le SCRS et la GRC, ce qui ne suffit pas à rendre la déclaration apte à révéler une cause d'action valable ou à faire en sorte qu'elle soit plus susceptible d'être modifiée. Ces précisions confirment plutôt une absence totale de faits substantiels.

[6]                Je vais maintenant examiner la nature des faits substantiels. Il est prescrit à l'article 174 des Règles de la Cour fédérale (1998) que :

Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.


En vertu de l'article 174, il est d'une importance cruciale d'établir les faits substantiels. Selon la définition à la quelle sont arrivés M. Peter Fraser, c.r., et le protonotaire John Horn, un fait substantiel est équivalent à un fait essentiel (The Conduct of Civil Litigation in British Columbia, Butterworth, vol. 1, Toronto, 1978, aux pages 224 et 225). Les auteurs estiment qu'il n'est pas toujours facile de cerner un fait substantiel, parce que cela revient à prédire ce qu'il faudra prouver à l'instruction. Un fait substantiel est certainement un fait que la partie est tenue de plaider et que, si elle doute de sa pertinence, elle devrait quand même plaider, mais il faut se rendre à l'évidence et le reconnaître quand une déclaration est dépourvue de faits substantiels, dans le sens de faits substantiels précis, comme c'est le cas dans la présente affaire. Il convient ici de citer un passage de la décision Homalco Indian Band v. British Columbia, une décision rendue le 13 novembre 1998 par le juge Smith, siégeant alors à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans le dossier C944747 :

_traduction_

[5]      Le rôle ultime des actes de procédure consiste à définir clairement les questions de fait et de droit que le tribunal doit trancher. Les questions en litige doivent être définies relativement à chaque cause d'action invoquée par le demandeur. Ce processus commence par l'énoncé, de la part du demandeur, pour chacune des causes d'action, des faits substantiels, c'est-à-dire des faits nécessaires afin de formuler une cause d'action complète : Troup v. McPherson (1965), 53 W.W.R. 37 (C.S.C.-B.) à la page 39. En constatant la preuve à réfuter, le défendeur doit ensuite répondre aux allégations du demandeur de façon que le tribunal comprenne, à l'aide des actes de procédure, les questions de fait et de droit qu'il devra régler.


Le point important que fait ressortir le juge Smith est qu'en lisant la déclaration, le défendeur doit pouvoir répondre de façon que la cour comprenne de quoi il est question. J'ajouterais qu'il serait virtuellement impossible pour la Cour de mener l'instruction d'une affaire sans disposer de faits suffisamment précis. Dans la présente affaire, la Cour serait dans l'impossibilité de mener l'instruction ou de transformer les allégations, quelles qu'elles soient, en mesures de réparation. Comme je le faisais observer dans l'arrêt Détenus de la Prison Mountain c. Canada (1998) 146 F.T.R., aux pages 265 à 267, une telle situation constitue un abus du système suffisant pour que la radiation de la déclaration soit justifiée.

[7]                En ce qui concerne le fondement factuel sur lequel une cause d'action raisonnable doit s'appuyer, le juge MacKay a donné les directives suivantes dans l'arrêt Nation Crie de Kelly Lake c. Canada (1997) F.T.R. 9, à la page 18 :

[19]      Néanmoins, le tribunal a conclu qu'une demande ne révélait pas une cause raisonnable d'action dans un cas où de simples conclusions étaient énoncées sans fondement factuel à l'appui : Vojic (L.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 203 (C.A.F). À cet égard, je note la décision Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du gouvernement du Canada et al. (1987) 15 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.) à la page 11, dans laquelle le juge Rouleau pose les règles fondamentales concernant les plaidoiries :

_ Les règles relatives aux plaidoiries établissent le principe fondamental selon lequel la demanderesse est obligée de plaider des faits substantiels qui révèlent une cause d'action raisonnable. Cette règle très importante des plaidoiries comprend quatre éléments différents : 1) chaque plaidoirie doit énoncer les faits et pas seulement les conclusions de droit; 2) elle doit comprendre des faits substantiels; 3) elle doit énoncer des faits et non les éléments de preuve qui doivent servir à les prouver; et 4) elle doit énoncer les faits succinctement de façon concise : voir Odgers' Principles of Pleading and Practice, 21e éd., p. 94. _

Le juge MacKay a ajouté, dans l'affaire Kelly Lake, que les actes de procédure n'établissaient pas vraiment les faits substantiels nécessaires au soutien de l'action, mais qu'une déclaration modifiée pourrait peut-être sauver l'action. Je crois comprendre que, autrement, elle aurait été radiée.

[8]                En l'espèce, non seulement il n'y a pas suffisamment de faits substantiels pour établir une cause d'action raisonnable, mais l'acte de procédure est vexatoire en ce sens qu'il est tellement vague que le juge d'instruction ne serait pas capable de mener l'instruction ou de transformer les allégations en mesures de réparation appropriées.

UNE DÉCLARATION PROLIXE

[9]                La Couronne fait également valoir que la déclaration doit être radiée pour cause de prolixité parce qu'elle est sans conséquence et redondante. Ici, la Couronne renvoie particulièrement au paragraphe 26 de la déclaration, soit deux pages et demie à simple interligne de faits non pertinents. Presque toute la déclaration est du même acabit, prolixe et redondante, et elle doit être radiée en vertu de l'alinéa 221(1)b) des Règles.

L'ABUS DE PROCÉDURE

[10]            La Couronne soutient également que la déclaration constitue un abus de procédure, un motif de radiation en vertu de l'alinéa 221(1)f) des Règles. Ici, la Couronne renvoie à la décision Merck & Co. et al. c. Nu-Pharm Inc. et al. (1999) 179 F.T.R. 87. À la page 95, la protonotaire Aronovitch affirme que :


[29]       Une partie peut plaider des conclusions de droit. Toutefois, la conclusion de droit qui n'est pas appuyée par des faits substantiels est viciée et peut être radiée au motif qu'elle constitue un abus de procédure. Le fait de se contenter d'avancer une conclusion de droit sans fournir au tribunal et à la partie adverse les faits qui la justifient constitue un abus de procédure. Le président Jackett s'est penché sur la nécessité d'articuler des faits substantiels dans une affaire de contrefaçon de brevet dans l'affaire Dow Chemical co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd. (1966) 47 C.P.R. 1 (C. de l'Éch.).

                            _ Si, toutefois le demandeur n'invoque aucun motif pour justifier son affirmation que le défendeur a accompli un acte déterminé qui, selon lui, porte atteinte à ses droits, j'estime qu'il est irrecevable en sa demande. Si le demandeur n'est pas en mesure de préciser la nature de sa demande, [TRADUCTION] _ il n'a aucun droit de présenter une déclaration _ [renvois omis]. La simple affirmation que le défendeur a porté atteinte aux droits du demandeur ne peut être assimilée à une articulation de faits constituant un droit de poursuite en justice et la déclaration qui ne renferme qu'une simple affirmation de contrefaçon peut être radiée au motif qu'elle constitue un abus de procédure _. [À la page 5.]

Ce qu'il faut retenir ici est qu'il est abusif de se contenter de tirer des conclusions sans fournir à la partie opposée et à la Cour les faits de base nécessaires, sinon, cela laisse supposer que le demandeur ne connaît pas la nature de la déclaration et qu'il n'a pas le droit, soit de la faire, soit de soumettre l'autre partie ou la cour à ce genre de déclaration. Un tel acte de procédure doit être radié pour raison d'abus de procédure.

[11]            Le cas où il est impossible pour la Cour de veiller au déroulement ordonné de l'instance parce que la déclaration contient une multitude d'allégations sans donner de précisions doit être considéré comme étant un abus de procédure. C'est ce que j'ai dit dans l'arrêt Yearsley c. Canada (2001) 208 F.T.R. 38, aux pages 42 et 43:


[15]      Lorsqu'un acte de procédure est rédigé de telle façon qu'un tribunal ne sera pas en mesure de veiller au déroulement ordonné du procès, il peut radier cet acte de procédure pour cause d'abus de procédure, étant donné que le tribunal a la compétence nécessaire pour se protéger contre de tels abus. Quand les actes de procédure sont vagues ou confus, ou qu'ils renferment plusieurs allégations différentes, de sorte qu'il serait impossible pour le tribunal d'assurer le déroulement ordonné du procès, il s'agit d'un abus du système qui mènera à la radiation de la déclaration : en l'espèce, je ferai référence à un passage tout à fait approprié de la décision Détenus de la prison Mountain c. Canada, (1998) 146 F.T.R. 265, à la page 267 :

_ La déclaration en l'espèce est entachée d'un autre vice dirimant. Elle est embrouillée à la première lecture. Je l'ai relue attentivement afin de voir si je peux accorder aux demandeurs le bénéfice du doute. Elle contient tellement d'allégations différentes, sans aucun détail, et conclut à tellement de réparations différentes, dont beaucoup ne présentent guère de rapport avec elle, qu'il serait quasiment impossible pour la Cour de veiller au déroulement ordonné du procès ou de transmuter les allégations en mesures de redressement. À ce titre, elle constitue un abus du système. La déclaration est donc radiée. _

Ce qu'il faut retenir en l'espèce est que les actes de procédure servent principalement à définir clairement les points en litige et à donner à l'autre partie une idée raisonnable de la preuve à réfuter. Ils doivent donc contenir suffisamment de faits précis et d'indications pour que la Cour puisse veiller au déroulement ordonné du procès et arriver aux réparations appropriées.

[12]            En l'instance, la déclaration contient de nombreuses en allégations, mais elle est dépourvue de faits précis. Elle constitue clairement un abus de procédure et elle est de ce fait radiée.

LA POSSIBILITÉ D'APPORTER DES MODIFICATIONS


[13]            Finalement, je dois m'interroger à savoir si des modifications pourraient aider la cause du demandeur. Ici, je renvoie au principe établi dans la décision Kiely c. Canada, précitée, à la page 11, où il est énoncé que _ [p]our que la déclaration soit radiée sans permis d'amendement, il ne doit exister aucun soupçon de cause d'action dans la plaidoirie _. Cet énoncé correspond exactement à la déclaration que M. Bashi a déposée en l'espèce et les circonstances sont les mêmes. Il n'y a aucun soupçon de cause d'action, de déclaration appropriée ou de mesure de réparation possible découlant de la déclaration qui soit susceptible d'étoffement ou d'élaboration ou qui puisse produire une cause d'action.

CONCLUSION

[14]            En me fondant sur la déclaration de M. Bashi, et même en tenant compte des observations et affirmations qu'il a faites dans ses observations en réponse à la présente requête, je conclus que les lacunes dans la déclaration sont à la fois fatales et qu'elles ne peuvent être corrigées par voie de modification. Il est évident et manifeste et il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'action est vouée à l'échec. La déclaration est radiée et rejetée, sans autorisation de modification.

        _ John A. Hargrave _         

    Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-1987-03

INTITULÉ :                                  RAMTIN BASHI

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE :                                          LE 20 JANVIER 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Ramtin Bashi

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

Glenn Rosenfeld

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ramtin Bashi

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau de Vancouver

POUR LA DÉFENDERESSE


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