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Date : 19981006


Dossier : IMM-4587-97

Entre :

     JEAN-MICHEL LUASAMBUTA TSHIMANGA

     Requérant

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY:

[1]      Le requérant, un ressortissant de l"ex-Zaïre, réclame le statut de réfugié en raison de son profil politique en tant que membre de l"Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).

[2]      La section du statut de réfugié n"a pas tiré de conclusion négative quant à la crédibilité du requérant. Plutôt, elle a identifié comme question principale le changement de circonstances suite à la prise du pouvoir le 17 mai 1997 par l"Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) sous la direction de monsieur Laurent Kabila.

[3]      L"audition devant la section du statut a eu lieu le 12 août 1997, environ trois mois après le changement de gouvernement au Zaïre, maintenant la République démocratique du Congo.

[4]      La section a conclu que le profil politique du requérant, n"étant pas celui d"un membre actif, n"attirait pas l"attention du nouveau gouvernement. En invoquant ce changement de circonstances, la section s"exprime comme suit :

     Eu égard à l"analyse de la preuve documentaire, le tribunal est d"avis qu"il n"a pas de possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le revendicateur soit persécuté par les forces de l"AFDL en raison de son affiliation au parti politique UDPS dans l"éventualité de son retour au pays. Le tribunal est d"avis qu"il n"y a pas de preuve suffisante indiquant que les autorités de l"AFDL arrêtent les membres des partis politiques pour le motif de leur adhésion ou de leur sympathie à un parti politique. Les courtes détentions qui sont survenues depuis la prise de pouvoir de l"AFDL ont été observées lors de manifestations publiques non autorisées par le nouveau gouvernement.         

[5]      Or, voici quelques extraits de la preuve documentaire du mois de juillet 1997 :

C      Le porte-parole [du chef de l"UDPS], dont les propos ont été diffusés le 3 juillet 1997 par la radio télévision belge (RTBF), a indiqué que 50 membres de l"UDPS ont [été] arrêtés et détenus pendant trois à cinq jours. (Réponse à une demande d"information, Commission de l"immigration et du statut de réfugié, Ottawa, le 15 juillet 1997)        
C      Some 50 UDPS activists, including the leaders of the party"s youth branch, have been in jail for at least three to five days. Some are being held at Kokolo camp and others at Ndolo military prison. They are being tortured and beaten. The representatives we sent to visit them came back with detailed accounts testimonies on their poor state and on the ill-treatment to which they are being subjected. (BBC Summary of World Broadcasts, July 5, 1997)        
C      Since the beginning of the armed conflict, which began in eastern Zaire in October 1996, Amnesty International has been documenting human rights abuses committed by the AFDL and their allies. These abuses have included large-scale deliberate and arbitrary killings, "disappearances", torture and arbitrary arrests. In the short time since the AFDL have taken control of the whole country and established a transitional government, many more severe violations have continued to be reported, particularly against actual and perceived supporters of former President Mobutu Sese Seko and members of opposition political parties, which have been banned. (Amnesty International, AI Index : AFR 62/20/97, July 4, 1997)        

[6]      Dans l"affaire Kalunda c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration,1 la section a rejeté la demande de statut de réfugié d"un autre membre de l"UDPS, en qualifiant de " passif " son profil politique dans ce parti. L"audition a eu lieu le 29 juillet 1997. La décision de la section était fondée sur le changement de circonstances. Les motifs de la formation dans l"affaire Kalunda sont exprimés sensiblement en les mêmes termes que ceux de la décision qui fait l"objet de cette demande de contrôle judiciaire. Pour la section, la dérogation des droits civils lors du changement de gouvernement en République démocratique du Congo n"équivaut pas à de la persécution. Monsieur le juge Hugessen a accordé la demande de contrôle judiciaire en s"exprimant ainsi :

     In my view, that finding is perverse. The Board had before it evidence of a great deal more than simple short periods of detention imposed on members of the UDPS. Even at the time of the Board"s hearing, there was evidence in the documents before it of killings of peaceful protesters on at least two occasions, of prolonged detention of peaceful protestors, of them being held incommunicado and being subjected to what can only be described as torture. No amount of chaos justifying a suspension of civil rights can be held to justify torture and killing of innocent protestors. In my view, as I say, the Board"s finding was perverse. I note in particular that while this evidence was before the Board, it at no time indicated that it rejected that evidence. It was of course entitled to do so if it wanted to, but it certainly could not do so by simply ignoring it.         

Je partage entièrement l"opinion du juge Hugessen.

[7]          Bref, la preuve documentaire ne permettait pas à la section de conclure que les membres de l"UDPS pouvaient exprimer ouvertement leurs opinions politiques contre le nouveau gouvernement sans crainte de persécution. Le changement de circonstances décrit par la section ne pouvait justifier sa décision de ne pas reconnaître le bien-fondé du risque de persécution pour ce requérant, s"il devait retourner à son pays de nationalité.

[8]          Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accordée et l"affaire renvoyée à la Commission pour une nouvelle audition. Les parties n"ont pas suggéré la certification d"une question sérieuse.

    

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 6 octobre 1998

__________________

1      (15 septembre 1998), IMM-4379-97 (C.F. 1re inst.). La Cour est aussi intervenue dansdeux autres cas impliquant des membres de l"UDPS : Okitokenge c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (15 septembre 1998), IMM-4566-97 (C.F. 1re inst.), M. le juge Hugessen, sans motifs; et Mbiya c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1998] A.C.F. no 1001 (QL) (C.F. 1re inst.), M. le juge Décary. La Cour a refusé d"accorder les demandes de contrôle judiciaire concernant deux autres membres de l"UDPS, dont les soumissions avaient été reçues par les formations de la section peu de temps après l"arrivée au pouvoir du gouvernement Kabila : Kandolo c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1998] A.C.F. no 810 (QL) (C.F. 1re inst.), M. le juge Heald; et Nkongolo-Beyea c. Canada (Le ministère de l"Immigration et de la Citoyenneté), [1998] A.C.F. no 580 (QL) (C.F. 1re inst.), M. le juge Richard.
        

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