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Date : 20050822

Dossier : IMM-5617-04

Référence : 2005 CF 1122

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

- et -

NOEL HARSHANA MANOHARAN

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) de reconnaître au défendeur la qualité de réfugié au sens de la Convention en application de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1]. La décision faisant l'objet du présent contrôle est datée du 19 mai 2004.

CONTEXTE

[2]                Le défendeur est un Tamoul chrétien né à Colombo, au Sri Lanka, le 14 avril 1984. Il est toujours un citoyen de ce pays.

[3]                Le défendeur a déménagé en Allemagne avec ses parents en 1985, à l'âge d'un an. Il a vécu dans ce pays jusqu'en 1999. Lui et sa mère sont allés au Sri Lanka en juin 1999 et sont retournés en Allemagne au mois de juillet 1999. Ils sont ensuite allés aux États-Unis en octobre 1999, avant d'arriver au Canada en novembre 1999 (le défendeur avait alors 15 ans) et de revendiquer le statut de réfugié.

[4]                Le récit du long séjour du défendeur et de sa mère en Allemagne est relaté dans une lettre d'un employé de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne à Ottawa, datée du 24 octobre 2000. Cette lettre indique essentiellement ce qui suit :


[traduction] Les deux personnes [le défendeur et sa mère] ont été enregistrées en Allemagne du 4 juillet 1985 au 20 octobre 1999. Elles ont demandé l'asile après leur arrivée en Allemagne en 1985. Elles ont retiré leur demande d'asile en 1994 et, le 5 décembre 1994, un titre de résidence pour des circonstances exceptionnelles [...] a été délivré à Mme Manoharan et à son fils. Mme Manoharan détenait un permis de séjour d'une durée illimitée depuis le 13 octobre 1998 et son fils Noel a reçu le sien le 14 avril 2000. Lorsqu'elle a reçu le permis de séjour d'une durée illimitée, Mme Manoharan était titulaire d'un passeport sri-lankais [...] délivré par l'ambassade du Sri Lanka à Bonn, le 10 octobre 1994, qui était valide jusqu'au 10 octobre 1999. L'enfant était inscrit dans ce passeport.

L'enregistrement de Mme Manoharan et de son fils dans le registre des habitants a été radié le 20 octobre 1999, avec la mention « déménagés à l'étranger » .

Étant donné que Mme Manoharan et son fils ont quitté l'Allemagne depuis plus de six mois maintenant sans avoir demandé un permis de retour pour résident, leur permis de séjour d'une durée illimitée est nul[2].

[Un mot en allemand et le numéro du passeport ont été omis.]

[5]                Il n'est pas contesté devant la Cour que le défendeur et sa mère ont fui l'Allemagne pour échapper à la violence du père du défendeur, le mari de sa mère.


[6]                La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a entendu la revendication du statut de réfugié du défendeur et de sa mère le 12 octobre 2000, le 10 janvier 2002 et le 30 avril 2002. L'avocat du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a comparu devant la Section du statut de réfugié pour demander que le défendeur et sa mère ne soient pas reconnus comme des réfugiés au sens de la Convention à l'époque pertinente en application de la section E de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés[3] qui, à l'époque, était annexée à la Loi sur l'immigration[4], laquelle s'appliquait alors, et en raison de l'interaction de cette disposition avec la définition de « réfugié au sens de la Convention » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. La section E de l'article premier, qui est annexée à la Loi sur l'immigration, prévoit ce qui suit :


E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.


[7]                La Section du statut de réfugié a rendu sa décision[5] le 7 août 2002. Elle a conclu ce qui suit au sujet de l'exclusion :

[traduction] ... comme les revendicateurs [le défendeur en l'espèce et sa mère] ont quitté l'Allemagne en octobre 1999 (il y a près de trois ans), la période de « plus de six mois et de moins de 12 mois » au terme de laquelle ils auraient eu la possibilité de démontrer aux autorités allemandes qu'ils n'ont pas abandonné l'Allemagne comme lieu de résidence est expirée depuis longtemps. Le tribunal ne dispose d'aucune preuve - documentaire ou orale - démontrant que les autorités allemandes redonneraient aux revendicateurs leurs droits de résidents allemands, lesquels sont maintenant nuls. Par conséquent, le tribunal conclut que la section 1E ne s'applique pas en l'espèce.

Ainsi, la Section du statut de réfugié a établi que la « date pertinente » devant servir à déterminer si le défendeur et sa mère étaient exclus était la date de sa décision. Une grande partie des présents motifs portera sur cette conclusion.

[8]                Ayant conclu que le défendeur et sa mère n'étaient pas exclus, la Section du statut de réfugié a entrepris de déterminer s'ils étaient « inclus » , c'est-à-dire si, suivant le droit canadien, ils étaient des réfugiés au sens de la Convention. Elle a conclu son analyse de la manière suivante :


[traduction] ... après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal juge que la revendicatrice [la mère du défendeur] ne craint pas avec raison d'être persécutée et qu'il n'existe pas plus qu'une simple possibilité que les revendicateurs soient persécutés s'ils devaient retourner au Sri Lanka aujourd'hui.

Ayant considéré que les revendicateurs ont produit peu d'éléments de preuve crédibles de leur situation personnelle récente au Sri Lanka et ayant conclu que la revendicatrice ne craint pas avec raison d'être persécutée à Colombo, au Sri Lanka, aujourd'hui, la Section du statut de réfugié décide qu'Indraini Thabita Manoharan [la mère du défendeur] et Noel Harshana Manoharan ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[9]                Le défendeur et sa mère ont présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision. L'autorisation leur a été accordée et l'audience concernant le contrôle judiciaire a eu lieu devant ma collègue Mme la juge Simpson le 3 juillet 2003. La question de l' « exclusion » n'a pas été soulevée devant la juge Simpson, malgré le fait que l'avocate qui a comparu devant elle pour le compte du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration était convaincue que la SPR avait commis une erreur en fixant la [traduction] « date pertinente » pour l'application de la règle d'exclusion. L'avocat du demandeur a soutenu devant moi qu'il était totalement inutile que le ministre soulève la question de la date pertinente aux fins de l'exclusion puisque la décision faisant l'objet du contrôle avait le même effet que l'exclusion, à savoir le renvoi éventuel du défendeur et de sa mère au Sri Lanka.

[10]            La juge Simpson a cependant parlé très brièvement de la question de l'exclusion dans ses motifs[6]. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 2 :


Les demandeurs sont des citoyens du Sri Lanka qui ont vécu en Allemagne de juillet 1985 à octobre 1999. Cependant, ils n'ont plus de statut juridique en Allemagne.

Ainsi, la juge Simpson a, à tout le moins implicitement, souscrit à la conclusion tirée par la Section du statut de réfugié au regard de la question de l'exclusion, sans faire référence à la conclusion de la Section concernant la date devant être utilisée pour déterminer si la règle d'exclusion de la section 1E s'appliquait.

[11]            La juge Simpson a traité séparément du cas du revendicateur mineur - le défendeur en l'espèce - et l'a décrit dans les termes suivants :

Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de traiter la revendication présentée séparément par le revendicateur mineur en tant que jeune Tamoul qui serait exposé à de la persécution par les TLET et par l'armée sri-lankaise. Le défendeur prétend qu'étant donné que le revendicateur mineur n'a pas déposé son propre exposé des faits et qu'étant donné que sa revendication est liée à la présence des demandeurs au Sri Lanka en 1999, les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à l'endroit de la revendicatrice adulte entraînent le rejet des deux revendications.

À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de trancher séparément la question des risques auxquels le revendicateur mineur serait exposé. La Commission a clairement reconnu que le revendicateur mineur avait des motifs distincts pour présenter une revendication, mais elle n'a pas traité séparément sa revendication. Il s'agit d'une erreur susceptible de contrôle à l'égard de la revendication présentée par le revendicateur mineur.

En conséquence, la juge Simpson a conclu ce qui suit :

Bien que la Commission ait effectivement commis une erreur susceptible de contrôle à l'égard de la revendication du revendicateur mineur, elle n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation du témoignage de la revendicatrice adulte. Par conséquent, la demande présentée à l'égard de la revendication de la revendicatrice adulte sera rejetée et la revendication présentée par le revendicateur mineur sera renvoyée à la Commission afin qu'elle soit tranchée à nouveau.


[12]            Ainsi, les conditions requises étaient réunies pour que la demande d'asile du défendeur en l'espèce fasse l'objet d'une nouvelle décision.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE


[13]            Le demandeur en l'espèce - le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration - souhaitait soulever de nouveau la question de l'exclusion et, plus particulièrement, la question de la date à laquelle celle-ci doit être déterminée aux fins de l'application de la section 1E avant que la demande d'asile du défendeur soit réexaminée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. L'avocat du demandeur a déposé des observations écrites. La nouvelle audience a eu lieu devant la Section de la protection des réfugiés le 8 avril 2004. L'avocat du ministre n'a pas comparu, mais l'avocat du revendicateur - le défendeur en l'espèce - a soulevé la question des observations écrites du ministre sur l'exclusion. La présidente de l'audience maintenait catégoriquement que la question de l'exclusion était réglée et que les seules questions sur lesquelles elle devait se prononcer avaient trait à l' « inclusion » , c'est-à-dire à la question de savoir si le revendicateur était un réfugié au sens de la Convention ou avait au Canada la qualité de personne à protéger[7]. Comme il a été mentionné précédemment, la SPR a conclu, dans des motifs datés du 19 mai 2004, que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention au regard du Sri Lanka. L'âge du défendeur, son manque total de connaissance des réalités de la vie au Sri Lanka - en d'autres termes, sa vulnérabilité -, son origine ethnique et l'absence de famille ou d'autres soutiens au Sri Lanka ont constitué des facteurs déterminants.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]            Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration conteste la décision rendue par la Section du statut de réfugié lors de la première audition de la revendication du statut de réfugié du défendeur et de sa mère en ce qui concerne la date à laquelle la question de l'exclusion visée à la section 1E doit être tranchée. Plus particulièrement, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration conteste le fait qu'on ne lui a pas permis de soulever de nouveau la question de l'exclusion visée à la section 15 de la Convention lors de la deuxième audition, par la Section de la protection des réfugiés, de la revendication du statut de réfugié du défendeur.

[15]            L'avocate du défendeur - le revendicateur du statut de réfugié - répond que la question de la date pertinente a déjà été tranchée entre le ministre et le défendeur avant la deuxième audience et que, par conséquent, la Section de la protection des réfugiés n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en refusant catégoriquement d'examiner les observations écrites déposées devant elle pour le compte du ministre.

[16]            Il est significatif que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur la question de l'inclusion - selon laquelle, si le défendeur n'est pas exclu, c'est qu'il est un réfugié au sens de la Convention au regard du Sri Lanka - ne soit pas sérieusement en cause. C'est en tout cas la conclusion à laquelle j'arrive après avoir entendu la présente affaire.

ANALYSE

a)          Les principes généraux régissant la préclusion découlant d'une question déjà tranchée

[17]            Dans l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc.[8], M. le juge Binnie a écrit ce qui suit au nom de la Cour suprême au paragraphe 33 :

Les règles régissant la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L'objectif fondamental est d'établir l'équilibre entre l'intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l'autre intérêt public qui est d'assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. (Il existe des intérêts privés correspondants.) Il s'agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant [...] a établi l'existence des conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l'arrêt Angle [...]. Dans l'affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée : [...]

[Citations omises, en italique dans l'original.]

[18]            Les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée sont les suivantes :

(1)         que la même question ait été décidée;


(2)         que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale;

(3)         que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit[9].

[19]       L'avocate du défendeur soutient fermement que ces conditions ont été remplies. En premier lieu, la question de la date à laquelle l'exclusion doit être tranchée avait été décidée par la Section du statut de réfugié. Cette décision a été déférée à la Cour. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ayant choisi de ne pas demander le contrôle judiciaire de la question de la date pertinente, la décision de la Section du statut de réfugié sur cette question et sur les faits est devenue, selon l'avocate du défendeur, une décision finale. Il ne peut certainement pas y avoir divergence de vues sur la proposition selon laquelle les parties à cette décision finale étaient les mêmes que celle à l'audience devant la Section de la protection des réfugiés, qui devait entendre et trancher à nouveau la question de l' « inclusion » .

[20]            Je souscris sans réserve à l'opinion de l'avocate du défendeur sur cette question.


[21]            L'affaire n'est pas réglée pour autant cependant. Même si les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée sont remplies, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre à nouveau la question « pour assurer le respect de l'équité selon les circonstances propres à chaque espèce » [10]. J'ai indiqué précédemment que la commissaire de la Section de la protection des réfugiés qui a entendu à nouveau la prétention du défendeur selon laquelle il était un réfugié au sens de la Convention a refusé catégoriquement de réexaminer la question de l'exclusion et, en particulier, la date à laquelle celle-ci doit être déterminée. Je suis convaincu que la commissaire avait le droit de le faire en se fondant sur la préclusion découlant d'une question déjà tranchée, mais elle a commis une erreur de principe en ne précisant pas qu'elle s'appuyait sur ce principe, en n'examinant pas les conditions d'application de celui-ci aux faits de l'espèce et en ne déterminant pas ensuite si elle devait tout de même exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'affaire[11].

[22]            Cela dit, l'intérêt public dans la finalité d'un litige est en cause en l'espèce. Le défendeur a comparu devant la Section du statut de réfugié et devant la Cour. Il a comparu de nouveau devant le tribunal qui a remplacé la Section du statut de réfugié et il comparaît maintenant à nouveau devant la Cour. Je suis convaincu qu'il n'est pas dans l'intérêt public d'annuler la décision faisant l'objet du présent contrôle, de renvoyer une fois de plus à la Section de la protection des réfugiés la revendication du statut de réfugié du défendeur et d'obliger celle-ci à décider en outre si la question de la date devant servir à déterminer l'exclusion a déjà été tranchée et, le cas échéant, s'il est néanmoins approprié de la réexaminer.

[23]            La Cour n'a pas examiné expressément la question de la date pertinente jusqu'à maintenant. Peu importe qu'il y ait ou non préclusion découlant d'une question déjà tranchée en raison du défaut de l'avocat du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de soulever la question à la première occasion devant la Cour, je pense qu'il convient maintenant que cette question soit réglée en l'espèce et j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire à cette fin.

b)          L'exclusion visée à la section 1E

[24]            Dans l'arrêt Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[12], la Cour d'appel fédérale a examiné la question de la date à laquelle l'exclusion visée à la section 1E de la Convention doit être déterminée. Tenant compte des faits de l'affaire, M. le juge Pratte a écrit ce qui suit, au nom de la Cour, au paragraphe 12 :

[...] la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l'intimée était-elle, lorsqu'elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États-Unis comme un résident permanent de ce pays.

[Non souligné dans l'original.]

[25]            Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Choovak[13], mon collègue M. le juge Rouleau a repris à son compte la question formulée dans l'arrêt Mahdi, dans les termes suivants, au paragraphe 37 de ses motifs :


Je dois avouer que cet argument de la défenderesse me paraît difficile à accepter car il mène à un résultat absurde suivant lequel un avocat peut reporter indéfiniment l'audience d'une revendication de statut de réfugié de façon à laisser devenir périmé le statut de résident du revendicateur, rendant par là inapplicable la clause d'exclusion de la section 1E. Il faut donner à cette disposition une interprétation plus conforme à son objet, qui est de fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin et non d'ouvrir un raccourci commode vers le droit d'établissement aux immigrants qui ne peuvent pas l'obtenir de la manière usuelle ou qui ne le veulent pas.

                                                                                     [Non souligné dans l'original.]

[26]            Par souci de commodité, je rappelle brièvement les faits de la présente affaire. Le défendeur est né à Colombo, au Sri Lanka, à la mi-avril 1984. Il a déménagé en Allemagne avec ses parents à l'âge d'un an. Il est resté dans ce pays jusqu'à l'été 1999, alors qu'il avait 15 ans. À ce moment, il est retourné à Colombo avec sa mère. Il a indiqué dans son témoignage que lui et sa mère vivaient dans la peur dans cette ville. Moins d'un mois après leur arrivée à Colombo, ils sont retournés en Allemagne. En octobre 1999 (il avait toujours 15 ans), il a quitté l'Allemagne pour les États-Unis avec sa mère. Au mois de novembre de la même année, lui et sa mère ont quitté les États-Unis pour le Canada et ont revendiqué le statut de réfugié. Ils avaient subi tous deux des agressions de la part du père du défendeur, l'époux de sa mère, en Allemagne.

[27]            En résumé, lorsque la mère du défendeur a décidé de fuir son mari violent, le défendeur n'a pas eu le choix. Lui et sa mère estimaient que le Sri Lanka n'était pas un refuge sûr. L'Allemagne ne l'était pas non plus pour le défendeur étant donné qu'il avait le choix entre compter sur son père qui l'avait agressé ou voler de ses propres ailes à l'âge de 15 ans. Le défendeur a accompagné sa mère, laquelle a choisi le Canada.


[28]            Selon la preuve présentée à la Cour, lorsque le défendeur a demandé l'admission au Canada, il était, pour paraphraser le libellé de la section 1E de la Convention, une personne considérée par les autorités compétentes de l'Allemagne comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. Cela dit, les termes de l'arrêt Mahdi ne sont pas absolus à mon avis. Je préfère interpréter ces termes d'une manière conforme au raisonnement suivi par le juge Rouleau dans la décision Choovak. Il faut interpréter la section 1E non seulement de manière à empêcher la recherche abusive du pays le plus favorable, mais également, selon les termes du juge Rouleau, d'une façon « plus conforme à son objet, qui est de fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin » . Une telle interprétation est conforme au premier élément de l'objet de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui est décrit comme suit au paragraphe 3(2) : « de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution » . Cet élément n'était pas un objet du droit canadien des réfugiés à l'époque de l'arrêt Mahdi et de la décision Choovak, ni du droit du Canada à l'époque de la décision sur l'exclusion qui a été rendue en faveur du défendeur et de sa mère et qui fait l'objet du présent contrôle. Cela dit, je suis convaincu, compte tenu des faits très particuliers de l'espèce, que cette décision était correcte et qu'une distinction peut être établie avec l'arrêt Mahdi en raison des faits différents et du nouvel élément de l'objet de la Loi mentionné ci-dessus.


(c)         La décision concernant l'inclusion

[29]            Dans les documents écrits déposés pour le compte du demandeur, il est allégué que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a reconnu le statut de réfugié au défendeur en concluant de façon abusive et arbitraire qu'il serait en danger au Sri Lanka et en énonçant erronément le critère servant à déterminer si une personne est un réfugié au sens de la Convention. J'ai indiqué précédemment dans les présents motifs qu'aucune de ces questions n'a été clairement soulevée lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire.

[30]            Appliquant la norme de la décision manifestement déraisonnable aux conclusions tirées prétendument de façon abusive et arbitraire par la Section de la protection des réfugiés, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle. En outre, je suis convaincu que la Section de la protection des réfugiés n'a pas énoncé erronément le critère servant à déterminer si une personne est un réfugié au sens de la Convention.

CONCLUSION

[31]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[32]            Les avocats disposeront de dix (10) jours à compter du prononcé des présents motifs pour déterminer si la présente décision soulève une question grave de portée générale pouvant être certifiée. Ils devront consulter la Cour et l'aviser par écrit de leur décision à cet égard. Une ordonnance sera rendue par la suite.

                                                                        « Frederick E. Gibson »          

                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 22 août 2005

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-5617-04

INTITULÉ :                                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

NOEL HARSHANA MANOHARAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE MERCREDI 8 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                            LE 22 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Lorne McClenaghan                                                   POUR LE DEMANDEUR

Barbara Jackman                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Barbara Jackman                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)



[1]         L.C. 201, ch. 27.

[2]         Dossier du tribunal, volume 1, à la page 214.

[3]         Signée à Genève le 28 juillet 1951 et son protocole, à New York, le 31 janvier 1967.

[4]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[5]    Pièce A de l'affidavit de Patricia Vettraino déposé le 17 août 2004, aux pages 3 à 15.

[6]         Manoharan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1125 (QL).

[7]         Voir le dossier du tribunal, volume 3, aux pages 880 à 882.

[8]         [2001] 2 R.C.S. 460.

[9]         Voir Danyluk, précité, au paragraphe 25, citant les propos formulés par le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248.

[10]       Voir Bugbusters Pest Management Inc. (1998), 50 B.C.L.R. (3d) 1, cité avec approbation au paragraphe 63 de Danyluk, précité, note 8.

[11]       Voir les paragraphes 66 et 67 de Danyluk,précité, note 8.

[12]       (1995), 191 N.R. 170 (C.A.F.).

[13]       [2002] A.C.F. no 767 (QL).


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