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                                                                 Date : 20020704

                                                             Dossier : IMM-3921-01

                                                Référence neutre : 2002 CFPI 737

Entre :

                         ARNALDO ACHI DELISLE,

                                                    Partie demanderesse

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

   La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 11 juin 2001 par la Section du statut de réfugiéstatuant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

   Le demandeur est citoyen de Cuba. Il allègue avoir été persécuté dans ce pays en raison de ses opinions politiques imputées et dit craindre les autorités cubaines s'il devait y retourner.

   La Section du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié, en vertu de l'alinéa 1Fb) de la Convention de 1951, concluant qu'il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil, soit aux États-Unis. Elle donne les motifs suivants àl'appui de ce refus :


-    Lors de son témoignage oral, le demandeur a fait part au tribunal qu'il a fait le trafic de cocaïne pendant plus d'un an alors qu'il se trouvait aux États-Unis. Il a mentionnéavoir commencéses activités illicites au début de 1996 et que, trois mois plus tard, il avait ses propres fournisseurs et faisait lui-même le trafic de cocaïne.

-    Le demandeur a aussi témoigné qu'il a vendu et consomméde la drogue àMiami (Floride), ainsi qu'à Las Vegas (Nevada).

-    Finalement, il a dit retirer un revenu de 200 $ par jour de ce trafic de cocaïne.

   L'alinéa 1Fb) de la Convention vise à empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié. Cette exclusion est toutefois limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans le pays d'accueil. La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanatan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, a noté ce qui suit aux pages 1033 et 1034 :

. . . De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans le pays d'accueil. Goodwin-Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci :

[TRADUCTION] En vue de favoriser l'uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu'aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l'une ou l'autre des infractions suivantes : l'homicide, l'agression sexuelle, l'attentat àla pudeur d'un enfant, les coups et blessures, le crime d'incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié.

(Je souligne.)

   L'article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. (1996), ch. 19, prévoit ce qui suit :


5.(1) No person shall traffic in a substance included in Schedule I, II, III or IV or in any substance represented or held out by that person to be such a substance.

(2) No person shall, for the purpose of trafficking, possess a substance included in Schedule I, II, III or IV.


5. (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

(2) Il est interdit d'avoir en sa possession, en vue d'en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.



(3) Every person who contravenes subsection (1) or (2)

(a) subject to subsection (4), where the subject-matter of the offence is a substance included in Schedule I or II, is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for life;

[. . .]

(4) Every person who contravenes subsection (1) or (2), where the subject-matter of the offence is a substance included in Schedule II in an amount that does not exceed the amount set out for that substance in Schedule VII, is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years less a day.


(3) Quiconque contrevient aux paragraphes (1) ou (2) commet :

a) dans le cas de substances inscrites aux annexes I ou II, mais sous réserve du paragraphe (4), un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité;

[. . .]

(4) Quiconque contrevient aux paragraphes (1) ou (2) commet, dans le cas de substances inscrites à la fois à l'annexe II et à l'annexe VII, et ce pourvu que la quantité en cause n'excède pas celle mentionnée à cette dernière annexe, un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans moins un jour.


   Il faut noter que la cocaïne est mentionnée à l'annexe I, paragraphe 2(2). Ainsi, le demandeur étant passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, je suis d'avis que le tribunal était en droit de qualifier cet acte comme étant un crime grave de droit commun.

   En effet, l'alinéa 1Fb) s'applique aux personnes dont la Section du statut de réfugiéa des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime grave de droit commun et qui n'ont pas été déclaré coupable d'un crime pour lequel elles ont purgéleur peine ailleurs qu'au Canada, avant d'arriver au pays. Monsieur le juge Robertson, au nom de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Chan c. Canada (M.C.I.), [2000] 4 C.F. 390, a énoncé :

[4]      Avec égards, je suis d'avis qu'il convient d'accueillir l'appel. Si l'on présume, sans toutefois trancher la question, que l'infraction dont l'appelant a été déclarécoupable constitue un crime grave de droit commun, il est clair selon moi que la section Fb) de l'article premier ne saurait être invoquée dans les cas où le revendicateur a été déclarécoupable d'un crime et a purgé sa peine ailleurs qu'au Canada, avant d'arriver au pays. . . .

   En l'espèce, le demandeur a déclaréà la question 37 de son Formulaire d'informations personnel ce qui suit :

. . . I met a Mexican. He sold drugs. He told that if I wanted. I said no, but eventually I was forced into it and I did it. I helped support my whole family in Cuba, my mother, brother, son and a niece. I was caught on October 15, 1996 and on December 11, 1997 for possession, I went to jail. I spent 15 months in jail. . . .

(Je souligne.)


   Dans son témoignage, il a expliqué que le 15 octobre 1996, il a été accusé de possession pour fins de trafic, ce pour quoi il a obtenu une sentence suspendue. On lui avait alors ordonné de garder la paix pour une période de trois ans. Le 11 décembre 1997, environ un an après sa première accusation, le demandeur a manqué à ses engagements en étant arrêté, cette fois-ci, pour simple possession, ce pour quoi il a dûpurger une peine de 15 mois de prison.

Toutefois, le demandeur a déclaré lors de son témoignage qu'il avait en outre consommé et vendu des stupéfiants en Floride, soit à Miami, et à Las Vegas (Nevada) (dossier du tribunal, pages 241 à245).

Le demandeur allègue qu'il a déjà été condamné pour le délit de vente de substances contrôlées et qu'il a purgé sa peine. Il se réfère aux pages 21 à 23 de son dossier pour démontrer que le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration a déposé de la preuve indiquant qu'il a été accusé de vendre une substance contrôlée, soit de la cocaïne. Il allègue que, par principe de justice naturelle, il aurait dû avoir accès à la preuve ainsi déposée.

Après avoir examiné le dossier du tribunal en entier, je ne trouve aucune preuve similaire à celle qui se trouve dans le dossier du demandeur. Je ne peux donc pas prendre en considération les pages 17 à23 de la pièce "A" au soutien de son affidavit, puisqu'elles ne faisaient pas partie du dossier lors de son audition devant la Section du statut. Qu'il suffise de rappeler ce que Monsieur le juge Muldoon réitérait récemment dans l'affaire Momcilovic c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1375 (1re inst.) (QL) :

[11]      Judicial review of a decision of a federal board, commission or other tribunal must proceed on the basis of the evidence, or other material which was before the decision-maker. Why? Because the tribunal, the parties and their respective counsel, and those members of the public, if any be admitted to witness the proceedings, are all present at the material time and place. These elements of the dynamic of a hearing cannot easily, if at all, be reconstituted and if so, at a demonstrably less propitious time than that for which notice has been given to all concerned.. . .


Considérant, en conclusion, que le trafic de drogue est un des crimes graves de droit commun faisant partie de la clause d'exclusion prévue à l'alinéa 1Fb) de la Convention; considérant que le demandeur a purgé une peine pour simple possession et considérant le témoignage du demandeur ainsi que la preuve documentaire au dossier, je suis d'avis que la Section du statut de réfugié avait suffisamment d'éléments de preuve pour avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun aux États-Unis pour lequel il n'a pas été condamné et puni.

Enfin, quant à l'argument du demandeur voulant que le Ministre ait l'obligation d'intervenir dans les cas d'exclusion de la Convention, je ne suis pas d'accord. Àcet effet, la Cour d'appel fédérale a conclu ce qui suit dans Ashari c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1703 (C.A.F.) (QL) :

[5]      L'argument est fondé sur deux prémisses qui, le plus respectueusement, à notre avis, sont illogiques.

[6]      La première est que la Commission ne peut résoudre la question de l'exclusion en l'absence du ministre. L'argument a été rejeté par cette Cour dans Arica c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995), 182 N.R. 392 (C.A.F.). En l'espèce, ni la Loi ni les Règles n'exigent la participation du ministre à l'instance devant la Commission. On ne peut pas dire de la Commission qu'elle est partiale ou qu'elle démontre une crainte raisonnable de partialité du simple fait qu'elle tient l'enquête en l'absence du ministre. En l'espèce, nous n'avons pas besoin de décider de ce que serait la sanction, le cas échéant, résultant du défaut de la part de l'agent d'audience d'avoir informé le ministre en vertu de la Règle 9(2), parce que le dossier ne contient aucune preuve que, avant le début de l'audience, l'agent d'audience ou la Section du statut était d'avis que l'exclusion de la Section E ou F pouvait être en question.

[7]      Le fait que le gouvernement ne puisse pas satisfaire aux exigences du fardeau de la preuve si le ministre ne participe pas à l'instance constitue la deuxième fausse prémisse. Le fardeau de la preuve ne doit pas être confondu avec la norme de preuve. En principe, il n'y a aucun motif pour lequel la Commission ne pourrait pas être convaincue, sur la base de la preuve déposée par l'agent d'audience et le revendicateur, que ce dernier entre dans le cadre de la clause d'exclusion.


En conclusion, étant d'avis que la Section du statut de réfugié s'est acquittée de ses obligations sans commettre d'erreur susceptible de révision, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                         

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 4 juillet 2002


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-3921-01

INTITULÉ :                           Arnaldo Achi Delisle c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 4 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    4 juillet 2002

ONT COMPARU :

Me Manuel Centurion                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Steve Bell                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Manuel Centurion                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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