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Date : 19991230


Dossier : T-252-95



ENTRE :


J.L. DE BALL CANADA INC.,


demanderesse,


et


421254 ONTARIO LTD. ET

LA CAPINERA LIMITED,

faisant affaires sous la raison sociale Jo-Joe Fashions,


défenderesses.





MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW




[1]              La demanderesse fabrique du tissu de velours orné d"un motif appelé " Classic 763 " qui est désigné dans la présente instance par le terme " oeuvre ". La demanderesse soutient que les défenderesses ont porté atteinte au droit d"auteur qu"elle détient à l"égard de l"oeuvre en produisant, ou en faisant en sorte que soit produit, un tissu de qualité inférieure imitant le velours qui porte le motif Classic 763, et en utilisant ce tissu pour fabriquer des robes pour fillettes que les défenderesses ont ensuite vendues à des détaillants canadiens. Les présumés actes de contrefaçon ont eu lieu en 1993 et en 1994.



[2]              La pièce P6 afférente au contre-interrogatoire de M. A. Papini qui s"est déroulé le 16 décembre 1996 consiste en un certain nombre d"échantillons de tissus de velours ornés de l"oeuvre et présentés dans différentes combinaisons de couleurs. La pièce P1, afférente au même contre-interrogatoire, consiste en un vêtement produit par les défenderesses et orné d"un motif qui, à mon sens, présente essentiellement le même dessin que l"oeuvre. Par conséquent, il existe une preuve prima facie de contrefaçon si on présume qu"un droit d"auteur existe à l"égard de l"oeuvre : Preston c. 20th Century Fox Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 242 (C.F. 1re inst.), confirmé par 53 C.P.R. (3d) 407 (C.A.F.).

[3]          La demanderesse a déposé une requête en jugement sommaire par laquelle elle souhaite obtenir a) un jugement déclaratoire voulant qu"un droit d"auteur existe à l"égard du motif Classic 763, que la demanderesse soit titulaire de ce droit d"auteur et que les défenderesses aient porté atteinte à ce droit, b) une injonction permanente, c) la remise de tous les tissus, vêtements et autres objets contrefaits, d) la comptabilisation des profits ou un jugement accordant une somme d"argent calculée à titre subsidiaire. La demanderesse réclame en outre des dépens sur la base procureur client. Si je comprends bien, la demanderesse a par ailleurs sollicité des dommages-intérêts dans sa déclaration mais elle ne donnera pas suite à cette réclamation, sauf si sa requête en jugement sommaire est rejetée et si la présente affaire est instruite.

[4]          Les défenderesses soulèvent un certain nombre d"arguments, qui parfois se chevauchent, mais elles affirment principalement que la requête en jugement sommaire de la demanderesse doit être rejetée parce que la preuve ne permet pas d"établir les éléments constitutifs de l"action en contrefaçon. Elles ont en outre présenté une requête en vue d"obtenir le rejet sommaire de l"action. Elles demandent enfin des dépens sur la base procureur client ou, à titre subsidiaire, des dépens calculés selon le barème habituel.

Jugement sommaire

[5]          On m"a renvoyée à un grand nombre d"affaires récentes portant sur les jugements sommaires. Je n"ai pas l"intention d"examiner chacune d"elles. Il suffit en l"espèce de préciser qu"une partie est fondée à obtenir un jugement sommaire si la preuve établit qu"elle a droit à la réparation demandée et s"il n"existe aucune question sérieuse à instruire : NFL Enterprises L.P. c. 1019491 Ontario Ltd. (1998), 85 C.P.R. (3d) 328 (C.A.F.).

Loi sur le droit d"auteur

[6]          La demanderesse fait valoir que l"oeuvre a été créée en juillet 1992 par Marie Loris et que cette dernière lui a cédé son droit d"auteur le 31 juillet 1992.

[7]          On a laissé entendre que la demanderesse devrait être reconnue comme propriétaire de l"oeuvre dès le moment de la création de celle-ci, mais cette suggestion est à mon sens dépourvue de fondement. Nul n"a jamais invoqué que Mme Loris avait, à quelque moment que ce soit, été une employée de la demanderesse, et aucun élément de preuve ne permet d"établir que, suivant les conditions de l"entente intervenue entre Mme Loris et la demanderesse, le droit d"auteur était conféré à la demanderesse immédiatement à compter de la création de l"oeuvre. La prétention de la demanderesse en l"espèce ne peut être comparée à celle formulée par la demanderesse dans la décision Randall Homes Ltd. v. Harwood Homes Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 372 (B.R. Man.). Dans cette affaire, l"auteur lui-même a déclaré lors de sa déposition que la demanderesse, qui avait commandé l"oeuvre, était dès le début titulaire du droit d"auteur. Il n"était donc pas nécessaire de recourir à une cession dans ce cas.

[8]          Compte tenu des allégations de la demanderesse en ce qui concerne la façon dont elle a acquis le droit d"auteur afférent à l"oeuvre, les dispositions suivantes de la Loi sur le droit d"auteur sont pertinentes au regard des requêtes présentées en l"espèce :

     5(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d"auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre [...] originale si l"une des conditions suivantes est réalisée :
     a)      pour toute oeuvre [...], l"auteur était, à la date de sa création, [...] résident habituel d"un pays signataire [le Canada est un pays signataire] [...].
     13(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l"auteur d"une oeuvre est le premier titulaire du droit d"auteur sur cette oeuvre.
     13(4) Le titulaire du droit d"auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, [...] mais la cession [...] n"est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l"objet, ou par son agent dûment autorisé.
     34.1(1) Dans toute procédure pour violation du droit d"auteur, si le défendeur conteste l"existence du droit d"auteur ou la qualité du demandeur :
     a)      l"oeuvre [...] est, jusqu"à preuve contraire, présumé[e] être protégé[e] par le droit d"auteur;
     b)      l"auteur [...] est, jusqu"à preuve contraire, réputé être le titulaire de ce droit d"auteur.
     (2) Dans toute contestation de cette nature, lorsque aucun acte de cession du droit d"auteur [...] n"a été enregistré sous l"autorité de la présente loi :
     a)      si un nom paraissant être celui de l"auteur de l"oeuvre [...] y est imprimé ou autrement indiqué, de la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu"à preuve contraire, présumée être l"auteur [...];

     b)      si aucun nom n"est imprimé ou indiqué de cette façon, ou si le nom ainsi imprimé ou indiqué n"est pas le véritable nom de l"auteur [...], ou le nom sous lequel il est généralement connu, et si un nom paraissant être celui [...] du titulaire du droit d"auteur y est imprimé ou autrement indiqué de la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu"à preuve contraire, présumée être le titulaire du droit d"auteur en question [...].

[9]          Aucune cession visant le droit d"auteur revendiqué n"a été enregistrée aux termes des dispositions de la Loi.



L"oeuvre constitue-t-elle une oeuvre artistique?

[10]          Les défenderesses ne prétendent pas que l"oeuvre ne constitue pas une oeuvre artistique au sens de la Loi sur le droit d"auteur, ni que cette oeuvre ne peut faire l"objet d"un droit d"auteur. Par conséquent, le paragraphe 34.1(1) m"oblige à présumer qu"un droit d"auteur existe à l"égard de l"oeuvre et que l"auteur de l"oeuvre est titulaire de ce droit, à moins d"une preuve contraire. La demanderesse affirme qu"une preuve de cette nature existe puisque l"auteur de l"oeuvre a cédé son droit d"auteur à la demanderesse. Il n"y a aucune présomption quant à l"identité de l"auteur. Il appartient à la demanderesse de prouver ce fait.

Qui est l"auteur de l"oeuvre?

[11]          La demanderesse souhaite établir l"identité de l"auteur de l"oeuvre à l"aide des assertions suivantes qui se trouvent au paragraphe 10 de l"affidavit signé par Steven Bhereur, directeur commercial national de la demanderesse :

     [TRADUCTION] Le motif imprimé sur le tissu (l"" oeuvre ") a été créé en juillet 1992 par Marie Loris, artiste à la pige dont les services ont été retenus à cette fin et qui, au moment pertinent, était résidente du Canada. L"oeuvre constitue une oeuvre d"art originale. La demanderesse avait déjà retenu les services de Mme Loris à plusieurs occasions pour qu"elle crée des oeuvres artistiques devant être imprimées sur nos tissus.

[12]          Lors de son contre-interrogatoire, M. Bhereur a admis qu"il n"avait aucune connaissance personnelle de ces faits et qu"il n"avait jamais personnellement traité avec Mme Loris, mais qu"il fondait ces affirmations sur ce que lui avait déclaré le directeur de la création de la demanderesse dont le nom n"est pas divulgué. Aucun affidavit signé par ce directeur n"a été déposé.

[13]          Mme Loris n"est pas partie à la présente instance, et aucun affidavit d"elle n"a été déposé en l"espèce. Rien ne donne à penser qu"il aurait été impossible ou même difficile d"obtenir un affidavit de sa part.

[14]          Compte tenu de la situation, je suis autorisée à tirer une inférence défavorable à la demanderesse, et c"est ce que je fais. J"arrive donc à la conclusion que la demanderesse n"a pas réussi à prouver que Mme Loris est l"auteur de l"oeuvre.

L"auteur a-t-il cédé le droit d"auteur à la demanderesse?

[15]          Dans l"éventualité où j"aurais commis une erreur au moment de décider qui est l"auteur de l"oeuvre, je vais maintenant examiner s"il existe des éléments de preuve susceptibles de réfuter la présomption selon laquelle l"auteur est toujours titulaire du droit d"auteur. À cette fin, je présumerai que Mme Loris est l"auteur de l"oeuvre.

[16]          Au paragraphe 11 de son affidavit, M. Bhereur précise comment la demanderesse est, selon lui, devenue titulaire du droit d"auteur :

     [TRADUCTION] Au moment où les services de Mme Loris ont été retenus pour créer l"oeuvre, il était de l"intention mutuelle de la demanderesse et de Mme Loris qu"en contrepartie du paiement des services de cette dernière, la demanderesse serait titulaire de tous les droits, titres et intérêts afférents à l"oeuvre, y compris tous les droits d"auteur et autres droits de propriété intellectuelle découlant de celle-ci, et que Mme Loris renoncerait à tous les droits moraux touchant l"oeuvre en question. C"est ce qui ressort de la cession consentie par Mme Loris à la demanderesse, acte qui est joint à mon affidavit comme pièce " C ". À ce titre, la demanderesse était, à tous les moments pertinents et dans le monde entier, titulaire du droit d"auteur sur l"oeuvre.

[17]          La pièce C consiste en un document intitulé [TRADUCTION] " Cession ". La partie fondamentale de ce document est ainsi rédigée :

     [TRADUCTION] En foi de quoi, il est reconnu que Marie Loris confirme par les présentes la vente, le transfert et la cession, en faveur de J.L. de Ball, nunc pro tunc, à compter du 31 juillet 1992, de tous les droits, titres et intérêts afférents à l"oeuvre, y compris tous les droits d"auteur et autres droits de propriété intellectuelle découlant de celle-ci, ainsi que la renonciation à tous les droits moraux sur l"oeuvre en question.

[18]          Le document porte une signature qui est supposée être celle de Mme Loris et qui aurait été apposée le 9 avril 1998, à Paris, en France. Une autre signature " censée être celle d"un témoin présent au moment de la signature du document par Mme Loris " se trouve sur l"acte mais il est impossible de discerner le nom de ce témoin. Le document a été signé par M. Bhereur pour le compte de la demanderesse le 13 avril 1998, à Montréal.

[19]          Lors de son contre-interrogatoire, M. Bhereur a précisé qu"il n"était pas présent lorsque Mme Loris a signé ce document, et qu"il n"était pas en mesure de dire si la signature était bien celle de l"artiste. Le dossier ne comporte pas d"affidavit de Mme Loris, ni d"aucune autre personne affirmant avoir été témoin de la signature du document par cette dernière. Il n"y a donc aucun affidavit dans lequel on déclare reconnaître la signature de Mme Loris.

[20]          Il ressort de la preuve que ce document a été préparé en réponse à la demande de l"avocat des défenderesses qui souhaitait obtenir un document établissant la présumée cession. La demanderesse ne soutient pas que la cession du droit d"auteur lié à l"oeuvre a été constatée par écrit avant le mois d"avril 1998, et aucun élément de preuve ne permet de le croire.

[21]          La preuve présentée devant moi ne peut suffire à montrer que l"acte de cession est authentique. Par conséquent, il m"est impossible de conclure que le droit d"auteur découlant de l"oeuvre a été cédé à la demanderesse en date du 31 juillet 1992, ou à n"importe quel autre moment.

S"il y a eu cession du droit d"auteur en faveur de la demanderesse, à quand remonte-t-elle?

[22]          L"avocat des défenderesses fait valoir que, même si l"acte de cession est authentique, il ne peut servir à étayer la revendication de contrefaçon pour des actes qui auraient été commis avant le 9 avril 1998.

[23]          Cet argument a un certain poids. En effet, il est établi par la jurisprudence touchant ce qu"on appelle les documents " nunc pro tunc " que ceux-ci ne produisent l"effet énoncé que s"ils se limitent à simplement consigner un événement qui a eu ou aurait dû avoir lieu. Par exemple, dans une affaire contractuelle ordinaire, la conclusion d"une entente verbale le 31 juillet 1992 peut être mise en preuve par un contrat signé le 9 avril 1998 prévoyant que l"entente a pris effet le 31 juillet 1992.

[24]          S"il était légalement possible de conclure une entente verbale portant cession d"un droit d"auteur, un acte de cession daté du 9 avril 1998 prévoyant que celle-ci prend effet à compter du 31 juillet 1992 pourrait bien prouver que le droit d"auteur a été cédé à cette date. Or, le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d"auteur rend invalide la cession verbale d"un droit de cette nature : Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 127 D.L.R. (3d) 267 (C.F. 1re inst.), Bradale Distribution Enterprises Inc. c. Safety First Inc. (1987), 18 C.I.P.R. 71 (C.S. Qué.); [1987] A.Q. no 702 (QL). Il s"ensuit nécessairement qu"un acte de cession signé le 9 avril 1998 ne peut servir de fondement à une action en contrefaçon à moins que la violation n"ait eu lieu après cette date.




Présomption de propriété prévue au paragraphe 34.1(2)

[25]          L"avocat de la demanderesse soutient que cette dernière peut se prévaloir des avantages offerts par la présomption énoncée au sous-alinéa 34.1(2)b) (ii). Il affirme également que l"applicabilité de cette présomption est établie grâce à la pièce P6, soit les échantillons de tissus ornés de l"oeuvre, qui a été déposée dans le cadre de l"interrogatoire de M. A. Papini le 16 décembre 1996. Les échantillons sont attachés ensemble à l"aide d"agrafes et fixés sur une étiquette carton portant la mention : " DE BALL DESIGN COPYRIGHT ".

[26]          Selon l"avocat des défenderesses, la présomption prévue au sous-alinéa 34.1(2)b) (ii) n"a pas pour objet de servir à prouver le droit de propriété d"une personne à laquelle l"auteur n"a pas consenti une cession valide. J"en conviens. En l"espèce, la propriété du droit d"auteur est en litige depuis le début. La requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse nécessite la preuve du fait que cette dernière est devenue titulaire du droit d"auteur par le truchement d"une cession consentie par l"auteur de l"oeuvre. Le seul élément de preuve produit par la demanderesse ne suffit pas à établir l"existence de la cession. Compte tenu de la situation, la demanderesse ne peut être autorisée à invoquer la présomption énoncée au sous-alinéa 34.1(2)b) (ii).

[27]          Je signale en outre qu"aucune preuve n"a été présentée en vue de montrer si cette façon d"étiqueter les échantillons de tissus ornés de l"oeuvre est la " manière habituelle " d"indiquer qui est propriétaire du droit d"auteur sur le motif d"un tissu. Aucune des parties n"a abordé cette question dans son dossier de requête. Lorsque j"ai soulevé ce point à l"audience, la demanderesse a affirmé que je pouvais supposer qu"il s"agit de la " manière habituelle " ou, subsidiairement, que l"affidavit de M. Bhereur met cet élément en preuve. Rien ne me fonde à faire une telle supposition et, selon moi, l"affidavit de M. Bhereur ne traite pas de cette question. M. Bhereur explique simplement que c"est la façon dont la demanderesse présente les échantillons de l"oeuvre à ses clients.

[28]          À mon avis, les conditions permettant d"appliquer la présomption énoncée au sous-alinéa 34.1(2)b) (ii) ne sont pas remplies. Mais je dois au moins conclure qu"il existe une question litigieuse recevable à cet égard.

Réparation sous forme de comptabilisation des profits

[29]          La demanderesse fait valoir que sa revendication touchant la comptabilisation des profits est suffisamment étayée par l"opinion de son expert-comptable, M. Duret, pour justifier qu"un jugement sommaire lui accordant une somme de 60 324 $ soit rendu en sa faveur. Cette somme est considérablement moindre que celle revendiquée dans l"avis de requête. La différence s"explique par un certain nombre de concessions faites par l"avocat de la demanderesse lors de l"audience.

[30]          Les défenderesses ont produit des éléments de preuve qui émanent de leur propre expert-comptable, M. Vettesse, et qui présentent des sommes différentes. La demanderesse soutient que je ne devrais pas tenir compte d"une partie de cette preuve parce qu"elle se fonde sur des renseignements que les défenderesses n"ont que récemment divulgués et qui contredisent l"information sur laquelle elle s"appuie depuis presque le début de la présente instance.

[31]          L"avocat des défenderesses avance que les renseignements ont été communiqués tardivement en raison d"une erreur commise par les dirigeants des défenderesses quant au nombre de modèles de robes ornés du motif qui, censément, portent atteinte au droit d"auteur de la demanderesse, d"une part, et d"une méprise des défenderesses en ce qui a trait à la pertinence du vol de certains tissus aux Philippines, d"autre part. Il soutient qu"à une exception près les renseignements ne peuvent, à bon droit, être exclus puisqu"ils se trouvent dans des affidavits qui ont été signifiés à la demanderesse conformément à la règle 84(1). La seule exception concerne l"affidavit de M. Vettesse, signé le 28 septembre 1999, qui ne peut être admis en preuve sans l"autorisation prévue par la règle 84(2). L"affidavit présente les calculs modifiés qui ont été effectués relativement à la comptabilisation des profits et qui se fondent sur les faits nouvellement divulgués.

[32]          J"arrive à la conclusion que l"ensemble de la preuve produite par les défenderesses doit être admise, y compris l"affidavit de M. Vettesse signé le 28 septembre 1999. Les préoccupations soulevées par la demanderesse au sujet de la communication tardive et inopportune des renseignements sont légitimes, et ne sont pas réglées par les erreurs ou méprises invoquées par les défenderesses. Cependant, la réparation applicable eu égard au défaut des défenderesses de remplir leurs obligations en matière de communication ne consiste pas à écarter la preuve dans le cadre de la présente requête, mais bien de prévoir une provision appropriée dans l"ordonnance relative aux dépens.

[33]          La différence dans les conclusions tirées par les deux experts-comptables ne découle pas de l"application de méthodes distinctes, mais bien du fait que les experts se sont fondés sur des présomptions de fait différentes. La preuve touchant la validité de ces présomptions de fait est contradictoire, et on ne peut résoudre cette contradiction sans apprécier la crédibilité des dirigeants des défenderesses. Si j"avais estimé que la demanderesse avait prouvé qu"elle est titulaire du droit d"auteur et que les défenderesses ont commis les actes de contrefaçon allégués, j"aurais ordonné un renvoi pour qu"on procède à la comptabilisation des profits.


Ajout du produit de l"assurance

[34]          À titre de réparation, la demanderesse souhaite notamment obtenir la remise du tissu des défenderesses qui, selon ses allégations, porte des exemplaires de l"oeuvre. Certains éléments de preuve permettent de croire qu"une importante quantité de tissu a été volée aux Philippines. Il est difficile de savoir si le tissu a été récupéré ou si les défenderesses ont reçu le produit de l"assurance pour les biens volés. La demanderesse soutient que, si le tissu n"a pas été récupéré, elle devrait avoir droit au produit de l"assurance. Cet argument se fonde sur le passage suivant du paragraphe 38(2) :

     [...] le titulaire du droit d"auteur peut, comme s"il en était le propriétaire, recouvrer la possession de tous les exemplaires contrefaits d"oeuvres [...].

[35]          La demanderesse fait valoir que cette disposition confère au titulaire du droit d"auteur la propriété des biens contrefaits et qu"il s"ensuit nécessairement que tout produit de l"assurance reçu en compensation des biens contrefaits volés lui revient aussi ou, à titre subsidiaire, qu"il faut ajouter la valeur des biens volés au moment de comptabiliser le montant des profits.

[36]          Aucun précédent ni ouvrage n"a été invoqué à cet égard. À mon avis, cette disposition ne produit pas les effets invoqués par la demanderesse. L"objet visé par une ordonnance portant remise consiste à mettre le titulaire du droit d"auteur en possession des exemplaires contrefaits. La Loi sur le droit d"auteur ne permet pas expressément de substituer une somme d"argent aux biens contrefaits.

[37]          Il me semble qu"en principe le produit de l"assurance reçu par un contrefacteur pour des biens contrefaits qui ont été volés doit être pris en considération lors de la comptabilisation des profits, mais uniquement dans la mesure où il excède le coût engagé par le contrefacteur au titre des biens volés. Si le produit de l"assurance est moins élevé que le coût assumé par le contrefacteur, on ne devrait pas tenir compte du fait qu"il y a eu un vol au moment de comptabiliser les profits. On veille ainsi à ce que les pertes occasionnées par le vol des biens contrefaits soient assumées par le contrefacteur et non par le titulaire du droit d"auteur.

Restrictions touchant les réparations réclamées par la demanderesse

[38]          En ce qui concerne la question des réparations réclamées par la demanderesse, les défenderesses invoquent le paragraphe 39(1) de la Loi sur le droit d"auteur. Voici le passage pertinent de cette disposition :

     [...] dans le cas de procédures engagées pour violation du droit d"auteur, le demandeur ne peut obtenir qu"une injonction à l"égard de cette violation si le défendeur prouve que, au moment de la commettre, il ne savait pas et n"avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l"oeuvre [...] était protégé[e] par la présente loi.

[39]          Les défenderesses ont présenté une preuve visant à établir que, suivant cette disposition, les recours offerts à la demanderesse se limitent à l"injonction. Toutefois, le point de savoir si M. Papini et M. Wainstock, dirigeants des défenderesses, avaient réellement connaissance de l"existence d"un droit d"auteur à l"égard de l"oeuvre ne peut être tranché sans apprécier leur crédibilité. Je ne suis pas disposée à procéder à une telle appréciation dans le cadre de la présente instance, ni à me demander, à la lumière de la preuve dont je suis saisie, si ces dirigeants avaient ou non des motifs raisonnables de soupçonner que l"oeuvre faisait l"objet d"un droit d"auteur. Par conséquent, même si j"avais estimé que la demanderesse est titulaire du droit d"auteur découlant de l"oeuvre, j"aurais conclu qu"il existe des questions litigieuses recevables en ce qui a trait à l"application du paragraphe 39(2).

Conclusion

[40]          J"arrive à la conclusion que la demande de jugement sommaire présentée par la demanderesse doit être rejetée et que celle présentée par les défenderesses doit être accueillie.

[41]          La preuve produite en l"espèce n"établit pas que la demanderesse est titulaire du droit d"auteur qu"elle revendique. La question de savoir si la demanderesse eut ou non été en mesure de prouver ses prétentions dans le cadre d"une instruction relève de la conjecture. Pour contester la requête en jugement sommaire déposée par les défenderesses, la demanderesse avait l"obligation de produire en l"espèce la preuve la plus probante qu"elle puisse offrir quant à la propriété du droit d"auteur ou, à tout le moins, de fournir des éléments de preuve montrant l"existence d"une véritable question litigieuse. La demanderesse ne s"est pas acquittée de cette obligation.

Dépens

[42]          Les deux parties prétendent avoir droit à des dépens sur la base procureur client. Or, je ne suis pas convaincue que l"une ou l"autre des parties a mené le présent litige d"une façon à ce point répréhensible ou scandaleuse qu"il soit justifié de faire droit à cette demande.

[43]          Comme les défenderesses ont obtenu gain de cause quant à leur requête en jugement sommaire, elles auraient normalement droit aux dépens. Je conviens toutefois avec l"avocat de la demanderesse que le défaut des défenderesses de communiquer intégralement les documents au cours de l"étape de la communication préalable a fait perdre du temps, de l"argent et des efforts à la demanderesse. Je reconnais que les frais liés à l"obtention de la preuve relative à la comptabilisation des profits qu"a engagés la demanderesse comprennent une somme de 5 000 $ qui n"aurait probablement pas été dépensée si les défenderesses avaient divulgué le vol de tissu en temps opportun. J"estime en outre que, si ces faits avaient été dévoilés plus tôt, la présente instance aurait bien pu prendre une tournure différente et occasionner moins de frais.

[44]          À la lumière des conclusions formulées par les avocats, je considère approprié de n"adjuger aucuns dépens aux défenderesses et d"adjuger à la demanderesse des dépens de 5 000 $, payables immédiatement.




                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 décembre 1999




Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.




Date : 19991230


Dossier : T-252-95

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Sharlow


ENTRE :


J.L. DE BALL CANADA INC.,


demanderesse,


et


421254 ONTARIO LTD. ET

LA CAPINERA LIMITED,

faisant affaires sous la raison sociale Jo-Joe Fashions,


défenderesses.




ORDONNANCE

     La requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est rejetée. La requête en jugement sommaire présentée par les défenderesses est accueillie et l"action intentée par la demanderesse est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés aux défenderesses. La demanderesse a droit à des dépens de 5 000 $, payables immédiatement.




                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge





Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DE DOSSIER :      T-252-95


INTITULÉ DE LA CAUSE :      J.L. DE BALL CANADA INC.

     c. 421254 ONTARIO LTD. ET AL.


LIEU DE L"AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :      LE 20 DÉCEMBRE 1999


MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW EN DATE DU 30 DÉCEMBRE 1999.



ONT COMPARU :

MIRKO BIBIC      REPRÉSENTANT LA DEMANDERESSE

et

JUSTINE WHITEHEAD

BENJAMIN SALSBERG      REPRÉSENTANT LES DÉFENDERESSES



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STIKEMAN, ELLIOTT      POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

SEON, GUTSTADT, LASH      POUR LES DÉFENDERESSES

NORTH YORK (ONTARIO)


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