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Date : 20040325

Dossier : IMM-767-03

Référence : 2004 CF 449

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2004

En présence de monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                                                                LASZLO DOKA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 3 janvier 2003, qui a rejeté sa revendication du statut de réfugié.


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un ressortissant hongrois âgé de 30 ans. Il affirme avoir une crainte fondée de persécution aux mains de la mafia russe en Hongrie, en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, les russophones ciblés par la mafia russe en Hongrie. Il affirme aussi être une personne à protéger, selon ce que prévoient les alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[3]                Le demandeur dit qu'il est né en Ukraine en 1972, de parents de souche hongroise. Il a d'abord été Soviétique puis, plus tard, Ukrainien. Il est parti s'installer à Budapest, en Hongrie, en octobre 1994, où il a obtenu le droit d'établissement en 1995 puis la nationalité hongroise en 2000. Il n'a pu trouver du travail dans sa profession d'élection, celle d'électricien de locomotives, quand il s'est installé à l'origine en Hongrie. Il dit que c'est parce que la compagnie de chemin de fer n'embauchait que des Hongrois. Il a travaillé plutôt comme interprète du hongrois au russe, à peu près jusqu'à la date où il a quitté la Hongrie.

[4]                Au fil du temps, le demandeur a tissé des liens personnels avec plusieurs familles russes fortunées qui ont tenté de l'attirer dans le commerce illégal du mercure, des armes et des stupéfiants. Comme ces activités sont illégales en Hongrie, le demandeur dit qu'il a immédiatement refusé d'y participer.


[5]                Par la suite, le demandeur a commencé de recevoir de fréquentes menaces, en personne ou par téléphone. Il a dit, durant son témoignage de vive voix, que l'auteur de l'appel menaçait de le tuer, d'incendier sa maison ou de torturer sa famille à mort. Durant l'audience, le demandeur a aussi présenté trois notes manuscrites, en russe, dont chacune avait été déposée chez lui ou sur sa voiture.

[6]                Le demandeur a décidé de quitter la Hongrie avec son épouse et son beau-fils; il a envoyé sa fille nouveau-née chez la mère de son épouse, en Roumanie. Le demandeur, son épouse et son beau-fils ont quitté la Hongrie le 17 juin 2001. Ils sont arrivés au Canada le même jour et ont revendiqué au point d'entrée le statut de réfugié. L'épouse et le beau-fils ont retiré leurs revendications et ont quitté le Canada pour la Roumanie le 3 février 2002. Parce que sa mère était tombée malade, la présence de l'épouse du demandeur était nécessaire pour les soins de leur fille restée en Roumanie.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]                La Commission a rejeté pour deux raisons la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur. D'abord, elle a jugé que sa revendication n'était pas crédible. Deuxièmement, elle a estimé que le demandeur ne s'était pas acquitté de la charge de prouver, d'une manière claire et convaincante, qu'une protection d'État ne lui serait pas accordée en Hongrie.


POINTS LITIGIEUX

[8]                Le demandeur soulève les points suivants :

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a préféré la preuve documentaire au témoignage crédible du demandeur?

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle est arrivée à la conclusion qu'une protection d'État adéquate était à la disposition du demandeur?

ANALYSE

Norme de contrôle

Quelle est la norme de contrôle devant s'appliquer à la décision de la Commission?

[9]                Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 732, la Cour d'appel fédérale exposait la norme de contrôle devant s'appliquer aux décisions de la Section du statut de réfugié :


4. Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[10]            La Cour doit s'abstenir d'apprécier de nouveau la preuve soumise à la Commission du seul fait qu'elle serait arrivée à une conclusion autre. Tant qu'il existe des éléments de preuve autorisant la conclusion de la Commission en matière de crédibilité, et si aucune erreur rédhibitoire n'a été commise, la décision ne doit pas être modifiée.

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

[11]            Le demandeur relève que la Commission s'est exprimée ainsi dans ses motifs :

Le revendicateur a fourni un témoignage sincère. Son témoignage de vive voix ne comportait aucune contradiction ou incohérence manifeste par rapport à l'exposé de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Toutefois, son FRP omet certains faits, ce qui, à mon avis, attaque la crédibilité du revendicateur. Ce dernier a affirmé dans son témoignage de vive voix que des hommes à sa recherche se sont rendus au domicile de ses parents, à Munkacs, en Ukraine, à deux occasions, soit en décembre 2001 et en mars ou en avril 2002... Le FRP du revendicateur ne mentionne pas que ces persécuteurs allégués se sont rendus à sa recherche au domicile de sa famille en Ukraine. J'estime que ce témoignage est inventé.

[12]            Le demandeur a signé son FRP le 24 septembre 2001.

[13]            Le demandeur relève que, au cours de l'audience, il a déposé un additif à la question 55, prescrite par la LIPR, dans lequel il précisait que les hommes étaient allés le chercher au domicile de son père en décembre 2001 et en mars 2002.


[14]            Selon le demandeur, la Commission a eu tort de conclure à une omission dans le FRP du demandeur.

[15]            Le demandeur dit également que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas tiré une conclusion claire sur sa crédibilité. La Commission a d'abord déclaré que « le revendicateur a fourni un témoignage sincère » , pour affirmer ensuite que certaines omissions de son FRP entachaient sa crédibilité (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.)).

[16]            Le demandeur dit que, si la Commission ne croyait qu'une partie seulement de son témoignage, elle était tenue alors de préciser ce qu'elle acceptait du témoignage et ce qu'elle en rejetait (Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.)).

[17]            Le demandeur dit qu'il a produit la preuve qu'il craignait les membres d'un groupe du crime organisé russe, qui avaient proféré contre lui des menaces de mort. Il fait observer que la Commission a précisé dans ses motifs que le FRP ne disait rien des menaces écrites et qu'elle a conclu que le demandeur « avait produit ces notes dans le dessein d'embellir sa revendication » .


[18]            Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne lui a pas donné l'occasion d'expliquer pourquoi l'exposé circonstancié de son FRP ne faisait pas état des menaces écrites (Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.)).

[19]            Selon le demandeur, la Commission n'a pas fait la distinction entre les cas où un revendicateur omet des détails importants dans sa déclaration initiale et les cas où, dans son témoignage, il ajoute simplement de nouveaux détails à la déclaration écrite. Le demandeur dit que, dans ces derniers cas, il ne doit être tiré aucune conclusion défavorable (Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 168 F.T.R. 315 (1re inst.)).

[20]            Le demandeur a dit dans son témoignage que les notes manuscrites lui avaient été envoyées par son voisin, un ancien officier de police, en août 2002. La Commission a jugé invraisemblable qu' « un voisin ait conservé ces bouts de papier durant plus d'un an et les ait postés au revendicateur peu de temps avant son audience » .

[21]            Selon le demandeur, les décisions fondées sur des constats d'invraisemblance sont fragiles dans une procédure de contrôle judiciaire. La Cour a déjà indiqué qu'elle n'acquiescera pas automatiquement à la manière dont la Commission évalue la vraisemblance d'un témoignage, parce que de telles évaluations appellent des conclusions et sont souvent sujettes à caution, surtout lorsqu'elles sont fondées sur des critères extrinsèques tels que la « rationalité » ou le « bon sens » (Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)).


[22]            Le demandeur relève aussi que la Commission, dans ses motifs, a ensuite conclu plusieurs fois à l'invraisemblance de son témoignage :

... Le revendicateur a fourni un témoignage sincère. Son témoignage de vive voix ne comportait aucune contradiction ou incohérence manifeste par rapport à l'exposé de son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

...

Toutefois, il est une question encore plus préoccupante que les omissions du FRP. Il s'agit de la vraisemblance de la prémisse centrale de l'histoire du demandeur. J'estime invraisemblable que le refus du demandeur de prendre part aux activités illégales de personnes rencontrées de manière occasionnelle entraîne une réaction aussi brutale, soit des menaces de torture et de mort à l'endroit du revendicateur et des membres de sa famille.

...

Si ces présumés membres d'une bande criminelle russe étaient aussi impitoyables que le revendicateur le prétend et qu'ils le menaçaient sans arrêt et avec agressivité, je me demande pourquoi ils n'ont pas mis à exécution leurs menaces pendant les trois mois précédant son départ de la Hongrie.

...

[23]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne lui a pas donné l'occasion de répondre aux déductions de la Commission touchant les aspects essentiels de sa revendication. Le demandeur relève que, s'il y a un aspect qui présente un intérêt essentiel pour la revendication, et si la Commission juge le témoignage invraisemblable, alors elle est tenue de communiquer ses doutes au revendicateur et de lui donner l'occasion d'expliquer pourquoi selon lui son témoignage est vraisemblable (Nkrumah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 20 Imm. L.R. (2d) 246 (C.F. 1re inst.))


[24]            Le défendeur admet que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable pour avoir ignoré l'additif. La question est donc celle de savoir si cette erreur est déterminante pour sa décision. Voir les espèces suivantes : Owusu c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1988] A.C.F. n ° 434 (C.A.); Damen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. n ° 1165 (1re inst.) et Miranda c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 437 (1re inst.).

[25]            Le premier motif du rejet de la revendication était que la Commission avait estimé que le demandeur n'était pas crédible. La Commission n'a pas cru le demandeur pour les raisons suivantes :

1.          le FRP du demandeur, contrairement à l'additif, était semble-t-il silencieux sur le fait que le demandeur avait été recherché jusqu'à son domicile familial;

2.          les trois notes manuscrites que le demandeur avait remises à son voisin ont été jugées invraisemblables par la Commission;

3.          la prémisse centrale de l'histoire du revendicateur a été jugée invraisemblable par la Commission. Si les truands étaient aussi impitoyables que le prétendait le demandeur, alors pourquoi n'avaient-ils pas mis leurs menaces à exécution? Cette déduction était appuyée par l'avis de la Commission selon lequel le demandeur n'avait tout simplement pas un profil qui susciterait envers lui « un tel intérêt soutenu de la part de la mafia russe en Hongrie » .


[26]            Il est très difficile de dire, à la lecture de la décision contestée, la portée qu'ont pu avoir les omissions du FRP sur la conclusion générale de non-crédibilité du demandeur. Si la Commission n'avait pas trouvé d'omissions dans le FRP, aurait-elle jugé plus vraisemblables le contenu des notes manuscrites et la prémisse centrale de la revendication?

[27]            Ma conclusion, c'est que les doutes véritables de la Commission concernaient la vraisemblance globale du récit et non les silences du FRP. C'est pourquoi on peut lire dans la décision de la Commission : « Il est une question encore plus préoccupante que les omissions du FRP. Il s'agit de la vraisemblance de la prémisse centrale de l'histoire du revendicateur » . À mon avis donc, l'omission constatée à tort dans le FRP n'entache pas la conclusion générale d'absence de crédibilité. Cette conclusion subsistera ou tombera selon la manière dont la Commission aura réglé la question de la vraisemblance.

[28]            Pour commencer, je suis d'avis que les conclusions de la Commission sur la vraisemblance et la crédibilité, de même que la base de telles conclusions, sont claires. Dire que « le revendicateur a fourni un témoignage sincère » et que « son témoignage de vive voix ne comportait aucune contradiction ou incohérence manifeste par rapport à l'exposé de son FRP » n'interdit pas de tirer de telles conclusions. Cela veut simplement dire que l'exposé du revendicateur était cohérent, mais que, finalement, il n'était pas imaginable. Je ne crois pas non plus, au vu des faits en question, que la Commission fût de quelque façon tenue de signaler au demandeur ses doutes sur la vraisemblance de son récit. Voir les espèces suivantes : Ayodell c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1997] A.C.F. n ° 1833 (1re inst.); Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] A.C.F. n ° 1724 (1re inst.).


[29]            La vraie question, à mon avis, est celle de savoir dans quelle mesure la Cour doit déférer aux conclusions de la Commission relatives à la vraisemblance du témoignage du demandeur. Le demandeur a raison de dire que la Cour n'est pas tenue d'acquiescer d'emblée auxdites conclusions. Cependant, après examen du dossier, la Cour ne saurait dire que le doute de la Commission sur ce point était déraisonnable ou que la Cour devrait sur ce moyen modifier la décision.

[30]            Dans l'arrêt Aguebor, précité, la Cour d'appel fédérale avait dit que la Commission était un tribunal spécialisé qui avait compétence pour tirer les inférences qui s'imposent et pour jauger la crédibilité d'un récit. Par conséquent, la Cour n'interviendra pas à moins que les inférences tirées par la Commission ne soient déraisonnables au point de justifier une intervention :

3.       Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de « crédibilité » .

4.       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.


La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a préféré la preuve documentaire au témoignage crédible du demandeur?

[31]            Selon le demandeur, la Commission disposait d'une preuve documentaire qui confirmait clairement ses dires selon lesquels la mafia russe est en cheville avec la police hongroise et l'État hongrois n'est pas en état d'assurer la protection des victimes du crime organisé. Le demandeur signale plusieurs rapports qui révèlent l'ampleur de la corruption chez les policiers en Hongrie.

[32]            Le demandeur dit que, dans ses motifs, la Commission n'a nullement dit qu'elle ne croyait pas le témoignage du demandeur selon lequel la police hongroise et la mafia russe étaient en cheville, et pourtant la Commission a préféré certaines preuves documentaires au témoignage sous serment du demandeur.

[33]            Le demandeur dit que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas sur cet aspect conclu à une absence de crédibilité et qu'elle a préféré la preuve documentaire plutôt que certaines déclarations faites sous serment par le demandeur. Le juge Gibson s'était exprimé ainsi dans l'affaire Munkoh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 863 (1re inst.) :

19. Faute d'avoir tiré une conclusion claire d'absence de crédibilité, étayée par une analyse adéquate, en ce qui concerne le témoignage sous serment du requérant, la SSR n'était pas fondée, selon moi, à accorder la préférence à la preuve documentaire plutôt qu'à celle du requérant dans la présente espèce...


[34]            Le demandeur dit aussi que, puisque son témoignage sur ce point était crédible et non contredit, il n'était pas nécessaire qu'il soit confirmé par d'autres éléments de preuve (Ovakimoglu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1983), 52 N.R. 67 (C.A.F.)).

[35]            Le demandeur fait remarquer que, s'il y avait un conflit entre la preuve documentaire et son témoignage à propos des conditions ayant cours dans le pays, la Commission aurait dû exposer de bons motifs pour rejeter son témoignage produit sous serment, et elle a commis une erreur de droit parce qu'elle ne l'a fait pas (Okeyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.))

[36]            Le demandeur affirme aussi qu'il a apporté la preuve qu'il craignait de retourner en Hongrie parce que les mêmes hommes finiraient par le trouver et le tueraient. Selon le demandeur, le juge Cullen a estimé, dans l'affaire Parada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 353 (1re inst.), que, si un revendicateur dit qu'il craint pour sa vie et s'il existe des preuves qui confirment raisonnablement ces craintes, alors il est fautif pour la Commission de rejeter d'emblée un tel témoignage sans conclure d'abord à une absence de crédibilité.

[37]            À mon avis, le demandeur soulève sur ce point les mêmes objections que celles qui avaient été soulevées dans l'affaire Pehtereva c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1995] A.C.F. n ° 1491 (1re inst.), et dont avait disposé ainsi le juge MacKay :


13. En dernier lieu, la décision du tribunal ne précise pas pourquoi il a préféré certaine preuve documentaire à d'autres éléments de preuve, mais cela ne constitue pas une erreur. En l'espèce, la préoccupation de la requérante portait principalement sur le fait que la preuve documentaire et autre présentée par l'AA avait été invoquée sans qu'on précise pourquoi celle de la requérante ne l'avait pas été. Mais cette préférence du tribunal se rapportait à la preuve de la situation générale au sein de l'Estonie, dont l'expérience de la requérante n'était qu'un exemple. La situation générale fondée sur la preuve documentaire provenant de sources reconnues permettaient d'apprécier objectivement la crainte exprimée par la requérante. À mon avis, le tribunal n'a pas eu tort de méconnaître la preuve présentée par la requérante, ni d'omettre de donner les motifs de sa préférence pour d'autres sources de preuve, particulièrement dans la recherche d'un aperçu de la situation en Estonie. Je ne suis pas non plus persuadé que le tribunal a mal interprété ou mal exposé les preuves de la requérante d'une façon qui influe, dans une grande mesure, sur sa conclusion définitive que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, parce qu'il n'a trouvé aucune sérieuse possibilité ni aucun risque possible qu'elle soit persécutée, dans l'éventualité de son retour, pour un motif énuméré dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

[38]            Essentiellement, le demandeur voudrait que la Cour apprécie de nouveau les témoignages présentés à la Commission, puis arrive à une conclusion différente. Cependant, les propos suivants du juge Blanchard, dans l'affaire Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 520 (1re inst.), expliquent avec élégance et concision pourquoi la Cour devrait refuser de se livrer à un tel exercice :

18. La jurisprudence de cette Cour a clairement établi qu'il était de la compétence spécialisée de la SSR de décider quel poids accorder à la preuve. Il est également bien établi que la SSR a le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un revendicateur. En outre, le tribunal a également le droit d'accorder plus de poids à la preuve documentaire, même s'il considère que le demandeur est digne de foi et crédible. [Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. n ° 1087 (C.A.F.) en ligne : QL.]

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle est arrivée à la conclusion qu'une protection d'État adéquate était à la disposition du demandeur?


[39]            Le demandeur dit qu'il a fait la preuve que, s'il n'est pas allé voir la police ou d'autres instances, c'est parce qu'il avait connaissance des liens entre la police hongroise et la mafia russe. Il a apporté la preuve qu'il était inquiet pour sa famille et qu'il ne voulait prendre aucun risque. Il relève que, s'il s'était adressé à la police, la mafia l'aurait appris et l'aurait tué, ainsi que les membres de sa famille.

[40]            Le demandeur fait observer que la Commission avait jugé que « le revendicateur est tenu de solliciter la protection de son pays avant de rechercher la protection d'autres États » . Selon lui, la Commission a commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas bien appliqué le critère exposé dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La Cour suprême du Canada a jugé qu'il faut présumer qu'une protection d'État existe, mais que cette présomption est une présomption réfutable. La présomption peut être réfutée par la confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'offrir une protection.

[41]            Le demandeur admet qu'il n'a pas demandé la protection de la police. Cependant, il soutient que cela n'est pas préjudiciable au fond de sa revendication. Le demandeur, sachant que la police était en cheville avec la mafia, s'est rendu compte qu'il ne pourrait obtenir aucune protection. Un revendicateur n'est tenu de demander la protection de son État d'origine que dans les cas où une telle protection peut raisonnablement être espérée. Le demandeur dit que, vu son expérience, celle de personne dans la même situation que lui et la preuve documentaire, cette protection n'aurait pu être raisonnablement espérée ici.


[42]            Le demandeur dit aussi que la Commission a jugé qu'il obtiendrait une protection d'État adéquate en Hongrie. Mais elle n'a pas analysé l'efficacité de la protection offerte. Le demandeur prend note des propos suivants de la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (1re inst.), à la page 16 :

Ainsi donc, même si l'État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace.

[43]            Le demandeur relève que le juge Gibson, dans l'affaire Vodopianov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 964 (1re inst.), avait infirmé la décision de la Commission dans cette affaire parce qu'elle ne renfermait aucune analyse de l'authenticité, de l'efficacité et de la durabilité des changements survenus récemment dans un certain pays.

[44]            Dans l'arrêt Cuadra c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. n ° 736, la Cour d'appel fédérale avait jugé que « le changement [devait être] suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée » .

[45]            En réponse à ces affirmations, le défendeur dit que la Commission n'a commis aucune erreur du genre. Le défendeur relève que la Cour suprême du Canada avait formulé dans l'arrêt Ward, précité, à la page 724, le critère suivant en ce qui a trait à l'obligation pour les demandeurs d'asile d'obtenir protection de leurs États respectifs :

49. Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.


[46]            Le défendeur dit que, au surplus, la Cour suprême a jugé que les demandeurs d'asile doivent produire une preuve « claire et convaincante » de l'incapacité d'un État de les protéger, s'ils veulent réfuter la présomption selon laquelle les États sont en mesure de protéger leurs ressortissants. Le juge Rothstein, de la Cour d'appel fédérale, siégeant comme membre de droit de la Section de première instance, a jugé qu'il n'est pas fautif de conclure qu'une preuve « claire et convaincante » requiert un niveau de preuve qui est plus élevé que l'extrémité inférieure du vaste registre de la « prépondérance des probabilités » . Plus exactement, il écrivait ce qui suit dans l'affaire Xue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1728 (1re inst.) :

12. Compte tenu du point de vue exprimé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes, savoir que dans certaines circonstances il faut un degré plus élevé de probabilité, ainsi que de la règle énoncée dans l'arrêt Ward, qu'il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection, je suis d'avis qu'on ne peut dire que la Commission a commis une erreur en déterminant la norme de preuve applicable en l'instance. Si la Commission avait abordé la question en exigeant d'être convaincue hors de tout doute (absolument), ou même hors de tout doute raisonnable (la norme criminelle), elle aurait commis une erreur. Toutefois, il faut replacer les termes utilisés par la Commission dans le contexte de la citation de l'arrêt Ward qu'elle paraphrasait. Bien que la Commission ne renvoie aucunement aux arrêts Oakes et Baker, et même si elle aurait pu être plus précise et indiquer qu'elle devait être convaincue selon la prépondérance des probabilités, il semble clair que ce qu'elle a voulu faire c'est imposer au demandeur, aux fins de réfuter la présomption de la protection de l'État, le fardeau d'un plus grand degré de probabilité aligné sur l'exigence de clarté et de conviction énoncée dans l'arrêt Ward. Ce faisant, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur.


[47]            Le défendeur relève que, en l'espèce, la Commission a estimé que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle une protection d'État lui serait accessible en Hongrie. Selon le défendeur, cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable au vu de la preuve dont disposait la Commission. Les arguments du demandeur équivalent, encore une fois, à prier la Cour d'apprécier de nouveau la preuve, ce qui n'est pas un moyen justifiant une intervention judiciaire.

[48]            Après examen de la décision contestée ainsi que du dossier, je dois arriver à la même conclusion que le juge MacKay dans l'affaire Pehtereva, précitée, c'est-à-dire que « je ne suis pas persuadé que le tribunal ait eu tort de conclure que la requérante n'avait pas établi la preuve permettant de conclure raisonnablement que l'État ne pouvait ni ne voulait assurer la protection » .

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                  « James Russell »            

                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE OF CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-767-03

INTITULÉ :                                                  DOKA, LASZLO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 4 FÉVRIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                           TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                 LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                LE 25 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Elizabeth Jaszi                                                                            pour le demandeur

Greg George                                                                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elizabeth Jaszi                                                                            pour le demandeur

Mississauga (Ontario)

Greg George                                                                             pour le défendeur

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King ouest, bureau 3400,

Casier 36,

Toronto (Ontario)

M5X-1K6

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