Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050208

Dossier : IMM-1563-04

Référence : 2005 CF 199

Ottawa (Ontario), le 8 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                 SAMBASIVAM SIVAMOORTHY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 3 février 2004, qui refusait au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, selon ce que prévoient les articles 96 et 97 de la Loi.


[2]                La demande ne peut être accueillie. Le demandeur ne m'a pas persuadé que les conclusions factuelles de la Commission étaient abusives ou arbitraires, que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve ou qu'elle a d'une autre manière commis une erreur de droit en rejetant les demandes d'asile présentées par le demandeur.

[3]                La Commission est habilitée à dire qu'un demandeur n'est pas crédible en raison des invraisemblances de son témoignage, à condition que ses conclusions ne soient pas déraisonnables et que ses motifs soient exposés en « termes clairs et explicites » (voir les arrêts suivants : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL)). La Commission est habilitée par ailleurs à tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances qu'elle constate, sur le bon sens et sur la raison (voir l'arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL)). La Commission peut rejeter une preuve non contredite si elle ne s'accorde pas avec les probabilités du cas tout entier, ou lorsque des incohérences sont constatées dans la preuve (voir les décisions suivantes : Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296 (C.F. 1re inst.) (QL), et Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 850; [2002] A.C.F. no 1124 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[4]                À mon avis, la Commission a eu raison de dire que le demandeur n'est pas un témoin crédible et digne de foi. Puisque la Commission jouit d'une spécialisation reconnue dans l'appréciation de la crédibilité, et puisqu'elle a bien exposé dans la décision contestée les nombreuses incohérences et invraisemblances entachant la preuve du demandeur, la Cour n'est pas à même de modifier ses conclusions (voir les décisions Akinlolu et Kanyai, précitées, ainsi que les fondements d'un contrôle, énumérés à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales).


[5]                En l'espèce, la Commission a clairement expliqué pourquoi elle n'a pas cru le récit du demandeur. Elle a estimé que le demandeur n'avait pas produit un témoignage crédible ou digne de foi, ni une preuve subsidiaire, de nature à établir les aspects matériels de sa demande, c'est-à-dire le fait que les coupe-jarrets, les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) ou les forces de sécurité s'intéresseraient à lui s'il retournait au Sri Lanka. En fait, le demandeur n'a pas même apporté la preuve que les coupe-jarrets ou leur famille l'avaient menacé après son retour d'Oman en 1994. Le demandeur a aussi négligé d'indiquer dans son exposé circonstancié que les TLET avaient tenté de l'enlever par suite du fait qu'il n'avait pas accédé à leur demande. Par ailleurs, les explications données par le demandeur n'étaient pas convaincantes. À mon avis, un demandeur d'asile n'oubliera pas de mentionner dans son exposé circonstancié que les TLET ont tenté de l'enlever. Je ne puis imaginer non plus qu'une personne occupant la position du demandeur ne chercherait pas, à tout le moins, à avertir son employeur que les TLET voulaient les plans d'étage de leur édifice, ni à alerter le personnel de sécurité qu'il était l'objet de menaces d'enlèvement. D'un autre côté, le demandeur n'a pas apporté la preuve qu'il avait été harcelé après son retour de Bangkok en 1996 et il n'a pas non plus produit de preuve crédible pouvant appuyer sa supposée crainte des forces de sécurité en général au Sri Lanka.

[6]                Il est d'ailleurs bien établi qu'une absence générale de crédibilité peut nuire à tous les éléments de preuve pertinents produits par le demandeur et finalement entraîner le rejet de sa demande. Sur ce point, dans l'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée ainsi :

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. [...]

[7]                J'en arrive à la question de la « persécution indirecte » , qui est soulevée ici par le demandeur. Selon le demandeur, la Commission a sur ce point commis une erreur en tenant les propos suivants :

J'ai de la sympathie pour un père inquiet du sort de son fils, toutefois je ne peux m'appuyer sur cette raison pour accueillir une demande d'asile.

[Motifs, page 4; dossier de demande, page 10.]

[8]                Cela dit, le demandeur fait observer que la Commission a clairement accepté cet élément de preuve :

Les Tigres s'intéressent à son fils. Toutefois, comme il a été dit précédemment, il existe des endroits où il peut se rendre pour éviter ce problème.

[Motifs, page 7; dossier de demande, page 13.]

[9]                Dans son premier mémoire, le demandeur dit que la conclusion de la Commission est juridiquement incorrecte. Une persécution exercée sur des êtres chers peut être une persécution exercée sur soi-même, en l'occurrence le demandeur. Rien n'est plus naturel que de ressentir angoisse et douleur parce qu'un être cher est en danger. Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur soulève maintenant cette question rhétorique : [traduction] « si le demandeur est tenu de retourner au Sri Lanka, peut-on douter que les TLET exerceront une vive pression sur le chef de la famille pour forcer le fils à se joindre à eux? »


[10]            Le demandeur n'a pas prouvé qu'il a subi à ce titre une persécution et il n'a pas établi non plus qu'il existe un lien manifeste entre la persécution qui est dirigée contre son fils et celle dont il est prétendument l'objet. Une demande d'asile ou de statut de personne protégée ne peut pas être fondée sur la persécution ou la menace de persécution de membres de la famille. La persécution indirecte ne constitue pas une persécution selon la définition de « réfugié au sens de la Convention » et une demande fondée sur cela n'est pas admissible (Pour-Shariati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 810 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 3; Castellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 17, 28 et 33 à 36; Rafizade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 359 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 8 à 16; Molaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 107 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 26 et 27; Nithiyakanthan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 136 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 5 à 8, et Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 178, au paragraphe 18).

[11]            L'argument du demandeur selon lequel l'inquiétude qu'il ressent pour son fils équivaut pour lui-même à une persécution en tant que père n'est pas convaincant et n'est pas non plus appuyé par la jurisprudence de la Cour. Dans la décision Packiam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 649, aux paragraphes 8 à 10, un précédent cité par le demandeur, la Cour évoquait l'effet direct sur les demandeurs (et non leurs enfants) qui étaient victimes de coups particulièrement violents, de détentions, de menaces et d'extorsion. Au vu des circonstances de la présente affaire, le demandeur n'a pas apporté la preuve qu'il a subi ou subira un traitement semblable (par exemple corrections, détentions, menaces et extorsion) parce que les TLET voudraient enrôler son fils, lequel se trouve encore au Sri Lanka. Le demandeur n'a pas dit, dans son formulaire de renseignements personnels, devant la Commission ou dans son affidavit déposé au soutien de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, qu'il sera exposé à un risque aux mains des TLET à cause de son fils. Le demandeur n'a pas non plus établi, au moyen d'une preuve par affidavit ou d'une preuve documentaire, qu'il sera dans la mire des TLET et qu'il subira des violences de leur part parce qu'ils s'intéressent à son fils.


[12]            S'agissant de l'affirmation du demandeur selon laquelle la détention de trois jours équivaut à un « crime contre l'humanité » , je suis d'avis qu'elle n'est pas fondée. Le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a dit que la détention en cause n'avait pas eu lieu dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, et avec la connaissance de l'attaque. À mon avis, la Commission a eu raison de dire qu'il s'agissait là d'un acte isolé puisqu'aucune preuve documentaire n'établissait qu'il y avait à l'époque détention arbitraire massive ou systématique de Tamouls. Quoi qu'il en soit, cela n'est pas un aspect essentiel ici puisque le demandeur n'envisage pas de retourner dans la localité où il a été détenu, qu'il n'est plus obligatoire de s'enregistrer auprès de la police de Colombo, que les barrages routiers et les points de contrôle ont pour la plupart été levés à Colombo et que le demandeur peut manifestement vivre encore à Colombo ou se prévaloir de la protection de l'État du Sri Lanka à Colombo.


[13]            S'agissant de l'affirmation du demandeur selon laquelle aucune analyse distincte n'a été faite au titre de l'article 97 de la Loi, je crois qu'elle est clairement injustifiée. Je suis convaincu que les motifs de la Commission disposent de la question dont traite l'article 97 de la Loi. Abstraction faite de la preuve que la Commission a jugée non crédible, il n'y avait devant elle aucune autre preuve, qu'il s'agisse des documents relatifs au pays ou d'éléments autres, qui fût susceptible de conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. En tout état de cause, dans la mesure où les conclusions de la Commission se rapportant à la protection de l'État sont justes, on ne saurait dire que la Commission a commis une erreur de droit sur cet aspect et l'affirmation du demandeur n'est donc pas recevable.

[14]            D'un autre côté, la Cour d'appel fédérale écrivait le 5 janvier 2005, dans l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1; [2005] A.C.F. no 1 (C.A.F.) (QL), que la norme de preuve qui est applicable à l'article 97 de la Loi est la preuve selon la prépondérance des probabilités. Elle a aussi jugé que le niveau requis de risque selon les alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la Loi est le risque _ plus probable que le contraire _. Par conséquent, l'argument du demandeur concernant cette question n'est pas recevable puisque la Commission a validement décidé, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'était pas plus probable que le contraire que le demandeur serait personnellement exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités à son retour au Sri Lanka.

[15]            En bref, la Commission a estimé que le demandeur ne s'était pas acquitté de son obligation de prouver qu'il avait des raisons de craindre d'être persécuté à son retour au Sri Lanka. En dépit des réels efforts faits par son avocat au cours de l'audience, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[16]            Le demandeur a proposé que soit certifiée la question suivante :

[traduction]Si l'on conclut à une « persécution indirecte » , expression définie dans la décision Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 767 (C.F. 1re inst.), y a-t-il une obligation pour la Section de la protection des réfugiés de considérer la preuve sous-jacente dans le contexte des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la Loi?


[17]            Une question certifiée doit transcender les intérêts des parties au litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes et être déterminante quant à l'issue de l'appel en l'espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL)). Je suis d'avis que le texte de la question n'est pas clair et je doute qu'une réponse affirmative présenterait un intérêt pratique et serait déterminante quant à l'issue de l'appel. C'est dans la décision Bhatti c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1346 (C.F. 1re inst.) (QL) que la notion de persécution indirecte a pour la première fois été envisagée comme partie du droit canadien des réfugiés. Autrement dit, la persécution indirecte était considérée comme un fondement valide des demandes d'asile. Cependant, la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision Bhatti en disant que la notion de persécution indirecte ne constituait pas un principe de notre droit des réfugiés (arrêt Pour-Shariati, précité). Par ailleurs, la Cour d'appel fédérale a jugé que la notion de persécution indirecte allait directement à l'encontre de la décision qu'elle avait rendue dans l'affaire Rizkallah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 412 (C.A.F.) (QL). Selon ce précédent, il doit exister un lien personnel entre le demandeur d'asile et la présumée persécution selon l'un des motifs prévus par la Convention. La Cour d'appel fédérale a dit aussi que, puisque la persécution indirecte n'est pas une persécution selon la définition de « réfugié » au sens de la Convention, une demande fondée sur la persécution indirecte ne sera pas admissible. À mon avis, la Commission n'a pas l'obligation de considérer la preuve sous-jacente dans le contexte des alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la Loi du seul fait que, selon elle, le revendicateur est victime de persécution indirecte. D'ailleurs, s'agissant de l'analyse prévue par l'article 97 de la Loi, la Commission a déjà l'obligation de considérer tous les éléments de preuve pertinents et c'est ce qu'elle a fait ici. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                 « Luc Martineau »                   

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-1563-04

INTITULÉ:                                   SAMBASIVAM SIVAMOORTHY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :           TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 2 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                LE 8 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS:

Micheal Crane                              POUR LE DEMANDEUR

Anshumala Juyal                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Micheal Crane                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.