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Date : 19990330


Dossier : T-1247-98

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

appelant,


-et-


KUAN MIN WU,

intimé.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s"agit d"un appel présenté au nom du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration relativement à la décision du juge de la citoyenneté Ford, en date du 20 mai 1998, dans laquelle la demande d"attribution de la citoyenneté du demandeur a été approuvée en vertu de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi).

[2]      La seule question en litige dans le présent appel est de savoir si l"intimé satisfaisait aux exigences relatives à la résidence de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi quand il a fait sa demande de citoyenneté canadienne le 22 mai 1997. L"alinéa 5(1)c ) prévoit qu'"une personne, dans les quatre années précédant sa demande de citoyenneté au Canada, doit avoir accumulé au moins trois années de résidence au Canada.

[3]      L"intimé, un citoyen de Taïwan, a acquis le statut de résident permanent au Canada le 15 juin 1993, dans la catégorie des investisseurs, quand il est arrivé au Canada avec sa femme et leurs deux enfants. Au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté, l"intimé était fréquemment à l"extérieur du Canada pendant de longues périodes et il a résidé au Canada pendant seulement 432 jours en tout. Il lui manquait alors 635 jours de résidence pour remplir l"exigence minimale de trois ans de résidence au Canada pendant les quatre années précédant immédiatement sa demande de citoyenneté au Canada. La plupart de ses absences sont dues à 21 voyages d"affaires à Taïwan, en Chine, en Malaisie et dans d"autres pays asiatiques.

[4]      Les juges de la Cour ont longtemps été divisés quant à l"interprétation à donner à l"exigence de résidence de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi. En 1978, le juge Thurlow (c"était son titre à l"époque) a statué dans Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208, que la présence physique au Canada n"était pas toujours requise pour établir la résidence au Canada au sens de la Loi. Cependant, ayant reconnu l"exigence de la présence réelle au Canada, la Cour a clairement relevé qu'"avant d"aller à l"université aux États-Unis, l"étudiant en question avait préalablement établi sa résidence chez des amis en Nouvelle-Écosse et y avait centralisé son mode de vie.

[5]      Plus récemment, certains juges ont adopté une approche beaucoup plus stricte en ce qui a trait à la notion de résidence, insistant sur l"obligation imposée par le Parlement à un requérant de résider " [...] au Canada pendant au moins trois ans [...] " pendant les quatre années précédant immédiatement la date de sa demande. Le juge Muldoon affirme, dans Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), que le but de l"alinéa 5(1)c ) est de faire en sorte qu'"un demandeur s"est " canadianisé " " [...] en "côtoyant" des Canadiens [...] ".

[6]      Depuis l"entrée en vigueur des nouvelles Règles de la Cour fédérale (1998) , le 25 avril 1998, un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, qui devait être entendu par voie d"un procès de novo en vertu de l"ancienne règle 912, est maintenant entendu par voie de demande en vertu de la règle 300c ). Ce changement dans la procédure a amené les avocats à soulever une nouvelle question, à savoir quelle est la norme de contrôle applicable. À la fin de l"audience, les avocats ont demandé et ont été autorisés à présenter des observations écrites quant à cette question particulière.

[7]      Invoquant l"article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale , l"appelant allègue que le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté prévoit un droit d"appel clair et distinct, et que, par conséquent, la décision ne peut faire l"objet d"un contrôle judiciaire prévu à l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Malgré cela, appliquant les principes exposés dans l"arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers)1, l"avocat de l"appelant allègue qu'"une décision d"un juge de la citoyenneté est soumise à la moins exigeante des normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte. En l"espèce, le juge de la citoyenneté était invité à appliquer le critère établi par le juge Muldoon dans la décision Re Pourghasemi . L"avocat allègue qu'"en déterminant si le demandeur avait oui ou non satisfait au critère de résidence, le juge de la citoyenneté a mal appliqué le critère, commettant ainsi une erreur de droit.

[8]      L"avocat du défendeur, pour sa part, s"appuie fortement sur une décision récente de la Cour dans l"affaire Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (Canada) c. Hung2, dans laquelle le juge Rouleau a statué que la norme de contrôle à appliquer était comparable à celle d"un contrôle judiciaire effectué en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale et a conclu que dans les circonstances de l"affaire en question, l"intervention de la Cour n"était pas justifiée puisque le juge de la citoyenneté n"avait pas totalement mal interprété les faits.

[9]      Pour rendre décision dans le présent appel, il n"est ni nécessaire de choisir entre l"interprétation stricte et l"interprétation libérale de la notion de résidence, ni approprié à ce moment, alors que le Parlement s"apprête à apporter des changements considérables à la Loi sur la citoyenneté par l"entremise du projet de loi 63, " [...] de s"écarter radicalement de la norme de contrôle actuelle " (voir la plus récente décision du juge Lufty dans l"affaire Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration3). Si j"appliquais la première approche, je devrais conclure, sans hésitation, qu'"à la lumière des faits de l"affaire, le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en accordant la citoyenneté au défendeur dans la mesure où il n"avait pas résidé au Canada pendant au moins trois ans au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté canadienne. Si j"adoptais l"approche libérale préconisée dans l"affaire Papadogiorgakis , j"arriverais encore à la même conclusion. À mon avis, le juge de la citoyenneté a manifestement mal appliqué le critère exposé dans cet arrêt en omettant de tenir compte du fait qu'"aussitôt que l"intimé est arrivé au Canada, notamment à Taïwan, il a entrepris de nombreux voyages à l"étranger, sans avoir préalablement établi sa propre résidence au Canada et sans avoir essayé de s"y " canadianiser ".

[10]      La Cour n"a pas le bénéfice de connaître les motifs qui expliquent pourquoi le juge de la citoyenneté est arrivé à la conclusion que l"intimé satisfait à l"exigence de résidence, sauf pour ce qui est de brèves notes annexées à sa décision. Dans ces notes, ayant d"abord reconnu que l"intimé " était à court de 635 jours [...] qui ont été passés en grande partie pour affaires à Taïwan et dans divers pays ", le juge de la citoyenneté a tenu compte des faits que l"intimé s"occupait de l"exportation de produits canadiens, qu'"il était entré au Canada en tant qu'"investisseur, que sa femme et ses enfants sont des citoyens canadiens, et il s"est appuyé sur des documents qui fournissaient des preuves de résidence permanente au Canada. Ces faits, à mon avis, n"étaient pas suffisants pour satisfaire à l"exigence indiquée à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi, et le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en appliquant mal le critère.

[11]      Pour ces motifs, l"appel du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration est accueilli.

                             (Signature) " Pierre Denault "

                                  Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 30 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1247-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L"IMMIGRATION

                         c.

                         KUAN MIN WU

LIEU DE L"AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 23 MARS 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE DENAULT EN DATE DU 30 MARS 1999

ONT COMPARU :

Mme Kim Shane                      pour l"appelant

M. Andrew Wlodyka                  pour l"intimé

AVOCATS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                  pour l"appelant

Sous-procureur général du Canada

Lawrence, Wong & Associates              pour l"intimé

Vancouver (Colombie-Britannique)

__________________

1      [1994] 2 R.C.S. 557.

2      Dossier de la Cour no T-1345-98, 21 décembre 1998.

3      Dossier de la Cour no T-1310-98, 26 mars 1999.

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