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Date : 20010112

IMM-3141-99

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

E n t r e :

GAO WEN JIE

demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 11 mai 1999 par laquelle un agent des visas a refusé la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir un visa d'immigrant dans la catégorie des parents aidés.

FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE


[2]                Le demandeur, Gao Wen Jie (le demandeur), a présenté une demande de visa d'immigrant et a demandé d'être évalué en fonction de la profession de programmeur (CNP 2163). Le demandeur avait terminé un programme universitaire de trois ans avec une majeure en physique. Ce programme comportait une concentration en électricité et en électronique. Le demandeur travaille comme professeur de langages de programmation et est à la tête d'un laboratoire d'informatique qui compte 55 ordinateurs.

[3]                Voici les fonctions du programmeur prévues par la CNP :

Les programmeurs remplissent une partie ou l'ensemble des fonctions suivantes :

- rédiger des programmes ou des logiciels constitués d'instructions ou d'algorithmes assimilables par la machine ;

- essayer, mettre au point, documenter et appliquer des programmes ou des logiciels ;

- assurer la maintenance de logiciels existants en y apportant les changements mineurs requis ;

              

- jouer le rôle de personne-ressource en informatique auprès des utilisateurs.

[4]                Le demandeur s'est présenté le 11 mai 1999 au consulat du Canada à Hong-Kong pour une entrevue personnelle. Lors de l'entrevue, l'agent des visas a évalué la compétence linguistique du demandeur et l'a interrogé au sujet de son niveau de scolarité et de ses antécédents professionnels.


[5]                Le demandeur a répondu qu'il avait suivi des cours en informatique à l'université. L'agent des visas a toutefois estimé que le demandeur ne possédait pas le niveau de scolarité exigé pour pouvoir être évalué comme programmeur, étant donné qu'il n'était pas titulaire d'un diplôme en informatique et qu'il ne semblait pas avoir suivi un programme d'études universitaires « comportant une concentration en programmation » comme l'exige habituellement la classification de la CNP :

Conditions d'accès à la profession

Un baccalauréat en informatique ou dans une autre discipline comportant une concentration en programmation, telle que les mathématiques, le commerce ou la gestion des affaires ou un programme d'études collégiales en informatique sont habituellement exigés.

[6]                En raison de la conclusion tirée par l'agent des visas, le demandeur a plutôt été évalué en fonction de la classification 1421 de la CNP, celle d'opérateur d'ordinateurs. Pour cette profession, le demandeur a obtenu quatre points pour l'expérience, mais n'a pas recueilli globalement un nombre suffisant de points d'appréciation :

Âge                                                           10

Demande dans la profession    01

Études / Formation                  05

Expérience                                                04

Emploi réservé                                         00

Facteur démographique                            08

Niveau de scolarité                   13

Anglais                                                     02

Français                                                    00

Personnalité                                             04

                TOTAL                                                   47

[7]                L'agent des visas a informé le demandeur par lettre datée du 11 mai 1999 que, comme il n'avait pas obtenu un nombre suffisant de points d'appréciation, le demandeur faisait partie d'une catégorie de personnes non admissibles et que sa demande de visa d'immigrant était par conséquent refusée.


[8]                Le demandeur a par la suite introduit la présente action en contrôle judiciaire dans laquelle il sollicite un bref de certiorari et un bref de mandamus ordonnant que sa demande soit réexaminée conformément à la loi par un autre agent des visas.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DEMANDEUR

[9]                Le demandeur affirme que l'agent des visas a commis une erreur de droit en se méprenant sur les conditions à remplir pour pouvoir être évalué comme programmeur. Plus précisément, comme la CNP précise qu'un certain niveau de scolarité est « habituellement exigé » , il peut exister, dans le cas précis du demandeur, des circonstances qui lui permettraient d'être évalué même s'il ne satisfait pas à ces exigences. Or, suivant le demandeur, l'agent des visas n'a pas envisagé cette possibilité. Le demandeur fait par ailleurs valoir que le programme d'études auquel il s'est inscrit comportait effectivement une concentration en programmation.

[10]            Le demandeur soutient également que l'agent des visas n'a pas tenu compte de l'expérience qu'il avait acquise comme professeur en informatique et directeur de laboratoire pour la transposer à la profession 2163 CNP, celle de programmeur, aux fins du calcul des points à attribuer pour l'expérience. L'agent des visas qui ne tient pas compte d'une expérience pertinente commet, selon le demandeur, une erreur de droit.


PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DÉFENDEUR

[11]            Le défendeur soutient que l'agent des visas n'a commis aucune erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions relatives au niveau de scolarité pour pouvoir être évalué comme programmeur. La question de savoir si une personne remplit les conditions requises pour pouvoir exercer une profession déterminée est une pure question de fait.

[12]            Le défendeur soutient que le niveau de scolarité « habituellement exigé » est en fait toujours exigé, à moins que la situation d'un candidat déterminé (c.-à-d. une expérience ou des antécédents considérables) ne justifie d'écarter l'exigence habituelle. Le défendeur soutient qu'il n'y a rien dans le dossier qui permette de penser que la situation ou les antécédents du demandeur justifient d'écarter l'obligation habituelle d'avoir suivi un programme post-secondaire comportant une concentration en programmation. Le défendeur soutient que le demandeur ne possède pas ces titres et qualités.


[13]            Selon le défendeur, la seconde question, celle de la transposition de l'expérience que le demandeur a acquise dans la profession qu'il exerce présentement à la profession qu'il entend exercer (programmeur) n'est pas pertinente, étant donné que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour pouvoir être évalué comme programmeur, compte tenu de sa scolarité insuffisante. Rien ne permet de conclure que le demandeur est titulaire d'un diplôme d'études post-secondaire comportant une concentration en programmation.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]            1.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en interprétant mal les exigences relatives à l'emploi et a-t-il tiré une conclusion de fait déraisonnable en ce qui concerne le niveau de scolarité du demandeur ?

2.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit, après avoir conclu que le demandeur avait de l'expérience en informatique, en ne vérifiant pas ensuite jusqu'à quel point les fonctions ainsi exercées pouvaient être transposées à sa profession envisagée de programmeur CNP 2163 ?

ANALYSE ET DÉCISION

[15]            Première question

L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en interprétant mal les exigences relatives à l'emploi et a-t-il tiré une conclusion de fait déraisonnable en ce qui concerne le niveau de scolarité du demandeur ?


La scolarité habituellement requise pour un programmeur (CNP 2163) est la

suivante :          

Collège, école technique (certificat, diplôme)

Un programme d'études collégiales ou techniques conduisant à un diplôme ou à un certificat est exigé.

Diplôme de premier cycle

Un diplôme universitaire au niveau du baccalauréat est exigé.

[16]            Le demandeur a raison de dire que l'agent des visas ne peut se contenter d'affirmer que, parce que le demandeur ne possède pas les diplômes expressément exigés pour la profession de programmeur, il ne possède par conséquent pas la scolarité requise pour la profession qu'il entend exercer. L'agent des visas doit aller plus loin et décider si l'expérience de travail du requérant compense l'absence de diplôme exigé. Ainsi, dans le jugement Magdalini Karathanos c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 176 F.T.R. 296 (C.F. 1re inst.), le juge Sharlow déclare ce qui suit, aux pages 5 et 6 :

La CNP utilise des critères d'admissibilité pour ce qui a trait aux exigences relatives aux études. Leur usage pour les fins d'immigration est le suivant :

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité est EXIGÉ, la personne DOIT avoir ce niveau de scolarité pour être jugée comme ayant les compétences pour exercer cette profession au Canada.

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité est HABITUELLEMENT EXIGÉ, cela signifie que le requérant DOIT SATISFAIRE à cette exigence, à moins qu'il n'existe des facteurs importants et substantiels qui, de l'avis de l'agent des visas, font en sorte que le requérant surmontera probablement une telle exigence.

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité est QUELQUEFOIS exigé, pour les fins de l'immigration, cela signifie qu'un requérant n'est généralement pas tenu d'avoir atteint ce niveau de scolarité.

On s'attend à ce que les étrangers qui souhaitent exercer une profession respectent la norme de base au niveau des études indiquées par l'indicateur des études et de la formation ET les conditions d'accès à la formation.


[23]          Cette note de service a également été citée dans la décision Hara c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (26 août 1999), IMM-6307-98. J'adopte les observations de Madame le juge Reed tirées du paragraphe 6 de cette décision :

[. . .] il est peut-être erroné de dire que l'expression « est habituellement exigé » signifie que l'exigence en matière d'éducation doit être remplie, sauf lorsque des facteurs importants convainquent l'agent des visas que les exigences professionnelles peuvent être surmontées. Il se peut qu'une telle interprétation soit trop stricte. Néanmoins, il doit y avoir une quelconque raison convaincante qui permette de penser que le demandeur sera capable de se trouver un emploi dans le domaine qu'il entend intégrer, malgré le fait qu'il ne possède pas les compétences « habituelles » en matière d'éducation.

[. . .]

[25]          En l'espèce, l'agent des visas se trouvait être en face d'une requérante qui n'avait pas le niveau de scolarité qui est « habituellement exigé » pour la profession choisie. Il aurait dû tenir compte de ses études, de sa formation et de son expérience en entier pour déterminer si cela correspondait approximativement à l'équivalent d'une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire. Après avoir examiné le dossier, je suis loin d'être convaincue que l'agent des visas a fait une évaluation raisonnable de l'expérience de travail de Mme Karathanos à l'égard de cette question.

[17]            La question qui se pose est donc celle de savoir si l'agent des visas a tenu compte de l'expérience de travail du demandeur pour déterminer si cette expérience l'aidait à surmonter l'obstacle de ne pas avoir satisfait à l'exigence relative au diplôme. L'agent des visas s'est de toute évidence penché sur la question des diplômes exigés dans ses notes de SITCI, dont voici un extrait :


[TRADUCTION] Le requérant est seulement titulaire d'un diplôme en physique qu'il a obtenu à la suite des études qu'il a suivies entre 1991 et 1994. Je lui accorde 13 points pour ses études. Le requérant a confirmé qu'il n'avait pas suivi d'autres cours et qu'il ne s'était pas recyclé. Le requérant ne possède donc pas la formation de base exigée et ne remplit pas les conditions d'accès à la profession de programmeur. Bien qu'il se qualifie lui-même de programmeur et de professeur, le requérant n'est pas un programmeur au sens de la CNP (indépendamment du fait qu'il ne possède pas la formation de base et ne remplit pas les conditions d'accès à la profession). L'expérience du requérant et les fonctions qu'il a exercées ont été discutées à fond avec lui pour lui permettre de s'expliquer. Le requérant travaille à l'école intermédiaire de Xinhui où il enseigne aux étudiants les rudiments du fonctionnement d'un ordinateur. Le requérant enseigne Foxpro (langage d'accès à des bases de donnes), C language (langage de programmatino de base) et Windows (systèmes d'opération). Le requérant s'occupe aussi de la base de données du personnel de l'école. Compte tenu de ce qui précède, le requérant n'est pas un programmeur, mais l'expérience qu'il a acquise recoupe jusqu'à un certain point celle d'un opérateur d'ordinateurs et d'enseignant. Toutefois, dans le premier cas, le requérant obtient 70 points et, dans le second, il ne satisfait pas aux exigences en ce qui concerne la formation et les conditions d'accès à la profession (et la demande dans la profession est nulle).

[18]            J'ai examiné les notes en question et je suis convaincu que l'agent des visas n'a pas tenu compte de l'expérience de travail du demandeur avant de décider qu'il ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études dans le cas d'un programmeur. Après avoir analysé l'expérience de travail du demandeur, l'agent des visas a conclu : « Compte tenu de ce qui précède, le requérant n'est pas un programmeur [...] » ! J'en déduis que l'agent des visas a effectivement tenu compte du degré de scolarité du demandeur et de son expérience professionnelle pour conclure qu'il ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études dans le cas de la profession envisagée. L'agent des visas n'a pas commis d'erreur de droit donnant ouverture à un contrôle judiciaire. J'ai examiné sa décision en fonction de la norme de contrôle du caractère raisonnable simpliciter.

[19]            Seconde question

L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit, après avoir conclu que le demandeur avait de l'expérience en informatique, en ne vérifiant pas ensuite jusqu'à quel point les fonctions ainsi exercées pouvaient être transposées à sa profession envisagée de programmeur CNP 2163 ?


Mon examen des notes du STICT précitées me convainc que l'agent des visas en est arrivé à la conclusion que l'expérience du demandeur en informatique ne constituait pas une expérience dont on pouvait tenir compte pour la profession envisagée de programmeur. Comme il en venait à une telle conclusion, il n'y avait aucune expérience qui pouvait être transposée à la profession envisagée de programmeur.

[20]            L'agent des visas a conclu que l'expérience du demandeur « recoupe jusqu'à un certain point celle d'un opérateur d'ordinateurs et d'enseignant » . À la lumière de la norme de contrôle du caractère raisonnable simpliciter, je conclus que la décision que l'agent des visas a rendue à cet égard est raisonnable. Il n'appartient pas à notre Cour de substituer son opinion à celle de l'agent des visas, dès lors que la décision de l'agent des visas est raisonnable. Et, ainsi que la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :

[...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[21]            Le demandeur m'a prié de certifier l'existence de la question grave de portée générale suivante :


Lorsque la Classification nationale des professions précise qu'une certaine condition d'accès à la profession est « habituellement exigée » , l'agent des visas commet-il une erreur s'il considère que cette condition est « toujours exigée » pour décider s'il y a lieu d'attribuer des points à un requérant au titre de son expérience sous le régime de l'annexe I du Règlement sur l'immigration ?

Je ne suis pas disposé à certifier cette question car je suis d'avis que la présente décision y répond.

[22]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

DISPOSITIF

[23]            LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

                                                                           « John A. O'Keefe » "              

                                                                                               J.F.C.C.                     

Ottawa (Ontario)

Le 12 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-3141-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : Gao Wen Jie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 11 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge O'Keefe le 12 janvier 2001

ONT COMPARU :

Me M. Max Chaudhary                                                  pour le demandeur

Me Ian Hicks                                                                             pour le défendeur

ONT COMPARU :

Me M. Max Chaudhary                                                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                   pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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