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Date : 19980731


Dossier : IMM-5186-97

ENTRE :

     BAGAWATHY KANAPATHIPILLAI,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Sri lankaise tamoule de 68 ans, née à Jaffna et ayant habité dans le Nord du Sri Lanka, la demanderesse affirme avoir été persécutée tant par les LTTE que par les autorités sri lankaises. Il ressort de la preuve qu'elle et ses proches ont fait l'objet des persécutions et violences suivantes :

"      en septembre 1990, la fille de la demanderesse est tuée au cours d'un barrage d'artillerie de l'armée sri lankaise;
"      le 2 avril 1992, son mari est tué lorsque le temple auquel il s'était rendu est bombardé par l'armée sri lankaise;
"      le petit-fils de la demanderesse est arrêté en septembre 1998 et détenu pendant une semaine par l'IPKF car on le soupçonne, en raison de son âge, d'appartenir aux LTTE;
"      au cours des cinq années précédant sa fuite, la demanderesse a été forcée par les LTTE de travailler dans leur camp. Elle était obligée de faire la cuisine et de s'occuper des blessés et des malades;
"      en juin 1995, les LTTE ont détenu pendant deux semaines le fils de la demanderesse parce qu'il avait refusé de contribuer 50 000 R au trésor de guerre des LTTE. En échange de la libération de son fils, la demanderesse a dû donner ses bijoux en or. Craignant pour sa vie, son fils s'est procuré un faux laissez-passer des LTTE et s'est enfui en août 1995;
"      alors qu'un autre fils de la demanderesse se rendait à Colombo, il est arrêté par des membres de la PLOT qui le soupçonne d'appartenir aux LTTE. Depuis, il n'y a plus eu de nouvelles de lui;
"      en septembre 1995, la demanderesse s'enfuit d'où elle vivait, et se rend à Kilinochchi avec son gendre et son petit-fils. En juillet 1996, l'armée sri lankaise attaque la région et la demanderesse s'enfuit pour se rendre à Mankulam dans un camp de réfugiés;
"      alors qu'elle se trouve dans ce camp de réfugiés, les LTTE exigent qu'elle verse à leur trésor de guerre la somme de 200 000 R. On menace de l'enfermer si elle ne verse pas l'argent dans les trois mois qui suivent;
"      avant l'expiration de ce délai de trois mois, la demanderesse attrape la fièvre et une infection de l'oreille. Elle parvient à obtenir un laissez-passer des LTTE afin de se rendre à Colombo pour se faire soigner, à condition toutefois de s'arranger pour que l'argent soit versé aux LTTE;
"      le 26 octobre 1996, la demanderesse arrive à Colombo où elle passe trois jours dans une clinique privée, dont elle sort le 29 octobre 1996 pour se rendre dans un nouveau logement;
"      le 29 octobre 1996, la demanderesse est arrêtée par la police de Colombo qui l'accuse d'avoir contribué de l'argent aux LTTE. Selon le témoignage qu'elle a livré, elle est détenue pendant deux semaines, étant battue et interrogée à deux reprises. Elle est remise en liberté après avoir versé un pot-de-vin, recevant l'avertissement de quitter Colombo sous peine d'être à nouveau arrêtée et interrogée en raison de l'argent qu'elle aurait fourni aux LTTE;
"      après sa remise en liberté, la demanderesse vit cachée en attendant de pouvoir s'enfuir du Sri Lanka et aller au Canada.

[2]      Dans une décision orale exposée après un très bref délibéré, et ultérieurement confirmée par écrit, la Section du statut expose en ces termes les questions soulevées en cette affaire :

             [Traduction]             
             Le tribunal a dès le début de l'audience considéré que les questions à trancher étaient celles de la crédibilité et de l'existence d'une possibilité de refuge interne à Colombo.             

[3]      J'estime qu'en l'espèce l'élément décisif de la décision a trait à la crédibilité puisque la conclusion défavorable à laquelle la Commission est parvenue sur ce point embrasse l'ensemble des questions de crainte subjective et objective d'être persécuté. La SSR a estimé que, pour les motifs suivants, la demanderesse n'était pas crédible :

             [Traduction]             
             ...le tribunal a relevé l'invraisemblance de certaines parties du témoignage de la demanderesse, estimant que son témoignage n'est pas crédible. D'abord, le tribunal estime peu vraisemblable que la demanderesse ait été détenue pendant deux semaines, puis relâchée alors que pesait sur elle le soupçon grave d'avoir été complice des LTTE.             
             Le tribunal relève que les notes prises au point d'entrée ont été traduites, à l'intention de la demanderesse, en sa langue d'origine et que la question posée à la demanderesse, dans le cadre de ces notes, au sujet de sa crainte de rentrer au Sri Lanka, est parfaitement claire. L'explication fournie par la demanderesse à l'audience n'explique pas de manière satisfaisante pourquoi, dans les notes prises au point d'entrée, elle n'avait rien dit de son passage aux mains de la police de Colombo étant donné la longue détention à laquelle elle avait été soumise et les mauvais traitements qu'elle prétend avoir subis à Colombo.             
             Selon les notes prises au point d'entrée, la demanderesse a déclaré [traduction] " je n'ai jamais été agressée physiquement ou menacée de violences ". Dans le cadre de cette déclaration, la demanderesse n'a précisément cité ni les LTTE ni l'armée sri lankaise. Le tribunal estime que le fait d'avoir passé sous silence les détails de son arrestation, de sa détention et du mauvais traitement qui lui aurait été infligé constitue une omission importante.             

[4]      En ce qui concerne le premier élément de la conclusion défavorable de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse, l'avocat du défendeur n'a pu trouver, dans le dossier, aucun élément pouvant étayer l'avis de la SSR lorsque celle-ci estime qu'il était " peu vraisemblable que la demanderesse ait été détenue pendant deux semaines, puis relâchée alors que pesait sur elle le soupçon grave d'avoir été complice des LTTE ".

[5]      L'avocat du défendeur fait valoir que la SSR est un tribunal spécialisé et que son jugement se forme donc sur l'expérience accumulée d'un grand nombre d'affaires dans ce domaine précis du droit. J'estime, cependant, qu'une conclusion aussi importante doit nécessairement préciser les preuves sur lesquelles elle se fonde. Les propos de la SSR sur ce point me semblent dénués de fondement et donc purement conjecturaux. Ainsi s'agit-il d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire.

[6]      Les notes prises au point d'entrée, et citées dans le deuxième partie de la conclusion concernant la crédibilité de la demanderesse, rédigées par un agent d'immigration par l'intermédiaire d'une interprète lorsque la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié, seront citées dans leur intégralité :

             [Traduction]             
             Ma fille et mon mari ont été tués lors des bombardements. Mon fils a disparu depuis août 1996. Les LTTE exerçaient des pressions sur moi pour que je leur donne de l'argent étant donné que deux de mes fils sont actuellement en Arabie Saoudite et au Bharain. Je n'ai jamais été agressée physiquement ou menacée de violences. Ma maison et mon magasin ont été confisqués par les LTTE.             

[7]      J'estime que la seconde partie de la conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse est parfaitement injuste et ne tient pas compte du témoignage que la demanderesse a livré devant la SSR. Voici un extrait de la transcription de l'audience devant la SSR (dossier du tribunal, page 574) alors qu'on interroge la demanderesse au sujet des notes en question :

             [Traduction]             
             L'AVOCAT :      Si donc le tribunal n'a pas, ah, excusez-moi (inaudible). Vous souvenez-vous d'avoir été interviewée lors de votre arrivée au Canada?             
             LA DEMANDERESSE :      Oui.             
             L'AVOCAT :      Était-ce en présence d'un interprète?             
             LA DEMANDERESSE :      Oui.             
             L'AVOCAT :      Vous souvenez-vous du genre de questions qui vous ont été posées?             
             LA DEMANDERESSE :      Une des questions portait sur la question de savoir si j'avais été battue par les Tigres? J'ai répondu (inaudible) qu'ils ne m'avaient pas battu, que les Tigres ne m'avaient pas battue, mais qu'ils m'avaient menacée que je devrais (inaudible) de l'argent pour eux (inaudible) apporter de l'argent.             
             L'AVOCAT :      Vous souvenez-vous de manière précise des questions qui vous ont été posées?             
             LA DEMANDERESSE :      Pas de toutes.             
             L'AVOCAT :      Dans les notes, nous avons trouvé un résumé fait par l'agent d'immigration.             
             LA DEMANDERESSE :      Oui.             
             L'AVOCAT :      Je ne trouve dans le résumé aucune mention des problèmes que vous avez éprouvés à Colombo.             
             LA DEMANDERESSE :      Ils ne m'ont pas posé de question à ce sujet et je ne leur en ai pas parlé.             
             ROWSELL :      Permettez-moi, madame, de préciser qu'on vous demande de décrire les fondements de votre revendication du statut de réfugié. Cela comprendrait bien toutes les raisons qui vous ont portée à quitter le Sri Lanka.             
             L'AVOCAT :      Vous souvenez-vous de la durée de cette entrevue?             
             LA DEMANDERESSE :      Environ 10 minutes.             
             L'AVOCAT :      Et, selon vos souvenirs, comment cela s'est-il passé?             
             LA DEMANDERESSE :      Lors de cette entrevue, on m'a demandé le nom de l'agent. Et comment, à quoi il ressemblait, quelle sorte de personne c'était. Puis, où êtes-vous allée, quels sont les lieux où vous vous êtes rendue avant de venir. Puis on m'a expliqué comment remplir ces formulaires et ce que je devrais faire après cela.             
             GOLDMAN :      (inaudible) pris en présence de la demanderesse puis transmis au bureau d'immigration ou (inaudible).             
             L'AVOCAT :      Non, je crois que, non, j'estime que vous parlez là du (inaudible) et non pas (inaudible).             
             ROWSELL :      Non, ce n'est pas cela.             
             L'AVOCAT :      Les notes prises par l'agent d'immigration vous ont-elles été traduites?             
             LA DEMANDERESSE :      Non, elle me posait des questions en tamoul, et lui donnait à lui les réponses en anglais.             
             L'AVOCAT :      Bon, ça c'est l'interprète.             
             LA DEMANDERESSE :      Oui.             
             L'AVOCAT :      Et, selon vous, on ne vous a pas posé de question au sujet de Colombo.             
             LA DEMANDERESSE :      C'est exact.             
             L'AVOCAT :      Pouvez-vous me dire ce que vous entendez par cela?             
             LA DEMANDERESSE :      Je n'ai fait que répondre aux questions qu'on me posait, et ils m'ont demandé où j'étais allé à partir de Colombo et d'où je venais.             
             L'AVOCAT :      Bon. Pourquoi alors leur avez-vous parlé des problèmes que vous avez eus dans le Nord?             
             LA DEMANDERESSE :      Ils m'ont demandé (inaudible) cela, et pourquoi, pourquoi êtes-vous venue de là? J'ai immédiatement répondu que mon fils (inaudible). J'ai répondu que j'avais éprouvé des problèmes avec les Tigres alors que je me trouvais là-bas. J'ai dit qu'ils me causaient des problèmes, qu'ils me demandaient de l'argent. C'est alors qu'on m'a demandé s'ils m'avaient battue. J'ai répondu qu'ils ne m'avaient pas battue mais qu'ils m'avaient menacée verbalement. Ils ne m'ont rien demandé d'autre, et je n'ai rien dit d'autre, et je ne leur en ai rien dit.             

[8]      Dans ces déclarations, la demanderesse explique clairement pourquoi les quelques mots transcrits au cours d'une entrevue de vingt minutes ne permettent pas de rendre compte intégralement de ce qui s'est passé. Toute personne tenue de s'expliquer devant un fonctionnaire d'autorité, et cela est particulièrement vrai de cette dame de 68 ans qui s'exprime par l'intermédiaire d'une interprète après être arrivée dans un pays étranger, pourrait très bien ne répondre qu'aux questions qui lui sont posées.

[9]      Par conséquent, le fait d'affirmer, sans dire pourquoi, que l'explication de la demanderesse " n'est pas satisfaisante " constitue, ce me semble, une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire et sans tenir compte des éléments de la preuve.

[10]      Vu les erreurs relevées au titre de l'alinéa 18.1 (4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, j'infirme la décision de la SSR et je renvoie l'affaire pour réexamen devant un tribunal autrement constitué.

                         " Douglas R. Campbell "

                         juge

Toronto (Ontario)

Le 31 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

No DE GREFFE :                      IMM-5186-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :

                             BAGAWATHY KANAPATHIPILLAI

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE JEUDI 30 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIF DE L'ORDONNANCE DE :          LE JUGE CAMPBELL

DATE :                          LE VENDREDI LE 31 JUILLET 1998

ONT COMPARU :                     

                             M e Jacqueline Lewis

                                 pour la demanderesse

                             M e Neeta Logsetty

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :             

                             Lewis & Associates
                             175, rue Harbord

                             Toronto (Ontario)

                             M5S 1H3

                                 pour la demanderesse

                              George Thomson

                             Sous-procureur général du

                             du Canada

                                 pour le défendeur

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19980731

                        

         Dossier : IMM-5186-97

                             Entre :

                             BAGAWATHY KANAPATHIPILLAI,

     demanderesse,

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                 ET ORDONNANCE

                            


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