Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 11-12-2000



Dossier : IMM-932-00




ENTRE :

Entrer l’intitulé de la cause immédiatement après le code [commentaire]

-

  SHU PING LI, CHUN XIANG CHEN, SHI QIU XIE,

  JIAN AN ZHANG, YI WANG, JIA CHUN KE,

  XIU HUI CHEN et QI LIN



  demandeurs

  et



  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

  ET DE L’IMMIGRATION



  défendeur



 MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

 

INTRODUCTION

 

[1]   Les présents motifs découlent d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section du statut de réfugié (la « SSR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SSR a statué que les demandeurs ne constituent pas des réfugiés au sens de la Convention comme l’entend le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration1. L’audience des demandeurs devant la SSR s’est tenue à Vancouver les 15 et 16 décembre 1999. Les motifs de la décision de la SSR portent la date du 4 février 2000.

RÉSUMÉ DES FAITS

[2]   Dans ses motifs, la SSR a résumé le contexte de la demande dans les termes suivants :

Tous les demandeurs prétendent avoir quitté la Chine illégalement en s’embarquant à bord de l’un de quatre navires de passage de clandestins de la Chine pour arriver au large des côtes de la Colombie-Britannique à l’été 1999.

 

Au moment de leur départ, tous [les demandeurs] avaient 18 ans ou moins et se rendaient au Canada sans parent ni tuteur. Ils sont à présent sous les soins et la garde du ministère de la Famille et de l’Enfance de la Colombie-Britannique.

 

Bien que chaque demandeur ait témoigné individuellement, toutes les demandes reposent en définitive sur les mêmes faits et prétentions.

 

[…]

 

En début d’audience, le tribunal a accepté la suggestion de l’avocat des demandeurs d’adopter un exposé des faits commun à tous les demandeurs. Cet exposé est ici reproduit textuellement.

 

Exposé des faits non contentieux

Aux fins des demandes d’asile en l’espèce, les faits suivants ont été établis par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la SSR et les demandeurs :

1. Les demandeurs sont tous âgés de 18 ans ou moins et étaient âgés de 18 ans ou moins lorsqu’ils ont quitté la République populaire de Chine (la « Chine »).

 

2. Les demandeurs sont tous citoyens chinois.

 

3. Les demandeurs sont tous originaires de la province du Fujian, en Chine.

 

4. Des arrangements ont été pris pour faire sortir clandestinement les demandeurs de Chine.

 

5. Les demandeurs ont quitté illégalement la Chine en juillet 1999 environ. Ils ont été transportés jusqu’à bord d’un bateau qui les attendait au large des côtes chinoises. Les demandeurs sont restés à bord du bateau pendant environ deux mois, jusqu’à son arrivée en eaux canadiennes à la fin d’août 1999.

 

6. Les demandeurs sont tous arrivés au Canada non accompagnés de membres de leurs familles adultes ou d’autres tuteurs légaux. Par conséquent, le Directeur des services à l’enfant et à la famille, désigné conformément à l’article 91 de la Child, Family and Community Service Act (la « CFCSA »), est le tuteur de ces mineurs non accompagnés, conformément au paragraphe 29(3) de la Family Relations Act (la « FRA »).

 

7. S’ils sont renvoyés en Chine, les demandeurs pourraient subir des sanctions pour sortie illégale du territoire chinois, être exposés à un risque accru d’être renvoyés afin de payer des dépôts que leurs familles pourraient devoir aux passeurs et se voir imposer des amendes par le gouvernement chinois.

 

8. Les demandeurs craignent d’être emprisonnés et battus par les autorités s’ils sont forcés de rentrer en Chine. Ils craignent également que leur incarcération soit prolongée ou d’une durée indéfinie si les amendes imposées excèdent la capacité de payer de leurs familles.

 

Rien n’indique que les demandeurs ont quitté la Chine avec l’intention de demander le statut de réfugié à leur arrivée au Canada. Rien ne permet également de croire que les demandeurs avaient l’intention de se présenter devant des agents d’immigration canadiens à leur arrivée au Canada. Ils ont tous déclaré qu’ils sont venus en Amérique du Nord pour travailler, à tout le moins en partie.

 

Ils ont également les points communs d’avoir reçu un niveau d’instruction relativement faible, d’avoir été sous-employés, de provenir de familles pauvres et d’avoir des perspectives limitées en Chine. [Certains renvois ont été omis.]

[3]   Dans le dernier paragraphe des motifs détaillés, la SSR écrit :

Avant de conclure, le tribunal aimerait souligner que, dans l’ensemble, les demandeurs sont de jeunes hommes francs et charmants qui font tous face à une sombre réalité en Chine. Ils ont connu des difficultés extrêmes et font face à des dangers bien réels en venant en Amérique du Nord dans l’espoir d’améliorer leur situation économique. Toutefois, les circonstances entourant leur demande ne s’inscrivent pas dans la portée du secours qu’autorise la définition de la Convention [la définition de « réfugié au sens de la Convention » citée plus haut dans les présents motifs].

[4]   Bien que la SSR ait résumé de manière exhaustive la preuve qui lui a été présentée relativement à chacun des huit demandeurs, je suis convaincu que les faits qui précèdent suffisent aux fins des présents motifs.

LE RÉSUMÉ DE LA SSR DES ÉLÉMENTS DE PREUVE GÉNÉRAUX QUI LUI ONT ÉTÉ PRÉSENTÉS, SON ANALYSE ET SA CONCLUSION

[5]   Dans la section [traduction] « ÉLÉMENTS DE PREUVE GÉNÉRAUX », la SSR examinait un rapport du professeur J. Don Read, professeur de psychologie, et la transcription de la preuve que le professeur Graham Johnson, professeur de sociologie, a présentée lors d’une audience antérieure devant la SSR.

[6]   En ce qui concerne le rapport du professeur Read, la SSR a écrit :
[traduction]

Malheureusement, le rapport du professeur Read s’ouvre sur une fausse prémisse. Celui-ci déclare :
[traduction]

 

[...] je suis d’avis que les comptes rendus de recherche sur les enfants réfugiés, légaux et illégaux, chassés par la guerre, la persécution ethnique ou religieuse ou par la pauvreté pourraient, si l’on procède avec prudence, s’étendre au contexte du rapatriement et s’avérer profitable.

 

La définition de réfugié au sens de la Convention ne comprend pas la migration économique ou l’éventuel rapatriement y faisant suite à titre de fondement d’une demande valide. [Souligné dans l’original.]

[7]   La SSR conclut que le rapport du professeur Read n’assiste pas les demandeurs en ce qui concerne la définition au sens de la Convention.

[8]   La SSR a noté deux éléments du témoignage du professeur Johnson, le premier indiquant que les migrations à l’extérieur de la province du Fujian ont lieu depuis « quelques siècles », et le second présentant le concept de « piété filiale » au sujet duquel la SSR retient que le professeur Johnson ne dit pas qu’il dépend de l’âge des membres de la famille.

[9]   La SSR s’est ensuite penchée sur des réponses à des demandes de renseignements qui lui ont été présentées portant en particulier sur le traitement des migrants illégaux de la province du Fujian par les autorités chinoises à leur retour en Chine. La SSR conclut ainsi :
[traduction]

J’arrive à la conclusion que les demandeurs, à l’exception de l’un d’entre eux, seraient à leur retour assujettis à une courte période d’incarcération et se verraient imposer des amendes d’un montant variable et négociable. Je ne suis pas d’avis qu’ils feront face à de longues périodes d’internement administratif ou criminel.

 

Le demandeur dont l’histoire est différente des autres est Xiu Hui Chen [...] qui a échoué une première fois dans sa tentative de quitter la Chine. Nous constations que son témoignage confirme les rapports des professeurs Chin et Kwong concernant le traitement au retour.

[10]   La SSR a alors brièvement abordé la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant2, de laquelle 177 nations étaient États-membres en date du 15 février 1996 et que le Canada a signée le 28 mai 1990 et ratifiée le 13 décembre 1991, ainsi que deux dispositions du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. En ce qui concerne la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, la SSR a noté ce qui suit :
[traduction]

Lorsqu’ils ont quitté la Chine, les demandeurs étaient âgés de 15 à 18 ans. Aucun de ces enfants ne se trouvait en « bas âge ». Bien qu’en raison de l’âge des demandeurs, cette affaire doive faire l’objet d’un examen minutieux et d’une grande attention, rien n’exige que les demandeurs doivent nécessairement être considérés comme les participants involontaires d’une tentative d’entrer en Amérique du Nord par des moyens extrajudiciaires.

En ce qui concerne le Guide de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, la SSR a cité les articles 61 à 64 en ce qui concerne la question des départs illégaux et la distinction entre des migrants purement économiques et ceux qui émigrent pour un certain nombre de raisons se chevauchant. La SSR n’a pas semblé tirer de conclusions des articles cités.

[11]   Après avoir brièvement résumé les observations faites devant elle par l’agent de protection des réfugiés, la SSR s’est alors penchée sur les arguments de l’avocat des demandeurs. C’est sur les arguments de ce dernier que repose la majeure partie de l’analyse de la SSR. Cette analyse résume les arguments de l’avocat concernant les huit demandeurs dans les termes suivants :

·   le gouvernement de la Chine exerce une discrimination systématique envers les gens de la province du Fujian;

 

·   les demandeurs étaient tous enfants lorsqu’ils ont quitté la Chine;

 

·   les demandeurs n’auraient pas pu donner leur consentement valable à leur départ de Chine comme ils l’ont fait en raison de leur âge et du phénomène culturel de la « piété filiale »;

 

·   des enfants ne peuvent consentir à faire l’objet de traite.

[12]   La SSR a noté ce qui suit :
[traduction]

Pour l’avocat, la question en litige est le caractère involontaire des actions des demandeurs. Il est clair que tous les demandeurs voulaient quitter la Chine. Il semble que tous, sauf un, ont amorcé des discussions à ce sujet avec leurs familles. Aucun d’entre eux n’a indiqué, dans son témoignage, qu’ils ont résisté à leur migration ou qu’ils y ont été contraints. Presque tous ont déclaré sans hésitation qu’ils essaieraient à nouveau de partir s’ils devaient retourner en Chine.

 

Toutefois, l’avocat des demandeurs affirme que leur « consentement » à partir n’était pas valable. Il y avait un manque de volonté de la part de chacun des demandeurs en raison de leur âge et du concept de « piété filiale », un phénomène culturel. À mon avis, la piété filiale est culturellement neutre – ni bonne, ni mauvaise. La piété filiale ne semble pas dépendre de l’âge, mais plutôt de la position relative d’une personne au sein d’une famille.

 

L’avocat des demandeurs a poursuivi en soutenant que les enfants ont le droit d’être protégés contre la traite humaine et qu’ils ne peuvent y consentir. La traite d’êtres humains est bien entendu un acte criminel, mais être la victime d’un crime ne constitue pas de la persécution telle que la définit la Convention.

 

La décision de partir doit être envisagée dans le contexte culturel dans lequel elle a lieu. Le fait de quitter le Fujian pour des raisons économiques constitue une tradition de longue date. Il s’agit d’une décision distincte du choix des moyens utilisés.

 

Je suis d’avis que les demandeurs sont partis en ayant recours à ce moyen parce qu’il s’agissait du seul moyen possible pour eux. Il n’est pas exagérément spéculatif de supposer que des adolescents pauvres non accompagnés éprouveraient de la difficulté à quitter la Chine par des moyens « légaux ». De la même manière, on peut supposer qu’il leur serait très difficile d’entrer au Canada « légalement ». Aucune de ces deux réalités ne constitue une discrimination équivalant à de la persécution.

[13]   La SSR a ensuite brièvement abordé l’embarras potentiel du gouvernement chinois que causerait la publicité entourant l’arrivée de navires pleins de ressortissants du pays sur les côtes de la Colombie-Britannique à l’été 1999 et l’a rejeté à titre de facteur pouvant influer sur le traitement des demandeurs s’ils retournaient en Chine.

[14]   Dans la section [traduction] « PÉNALITÉ POUR DÉPART ILLÉGAL », la SSR a tenu compte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Valentin c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration)3 et a cité à la page 392 des extraits des motifs justifiant cette décision et dont se dégagent les éléments suivants :
[traduction]

De manière générale, le problème est l’importance, lorsqu’il s’agit de déterminer si le statut de réfugié doit être accordé, du fait que le demandeur pourrait faire face à des sanctions criminelles dans son pays pour avoir quitté le territoire sans autorisation ou pour rester à l’étranger au-delà des délais autorisés par son visa de sortie.

Plus loin, à la page 395 :

Ni la Convention internationale ni notre Loi, qui est fondée sur celle-ci, selon mon interprétation, ne visaient à protéger les personnes qui, n’ayant été soumises à aucune persécution jusqu’à présent, ont elles-mêmes créé une raison de craindre la persécution en se rendant librement, de leur plein gré et sans raison, passibles de sanctions pour avoir violé une loi criminelle d’application générale. J’ajouterais, avec tout le respect dû à l’opinion contraire, largement répandue, que l’idée ne me semble même pas soutenue par le fait que la transgression était motivée par une quelconque insatisfaction de nature politique [...] car il me semble, d’abord, qu’une sentence isolée ne peut que dans des cas très exceptionnels correspondre à l’élément de répétition et d’acharnement au cœur de la persécution, mais en particulier parce que la relation directe requise contre la peine encourue et imposée et l’opinion politique du contrevenant n’existe pas. [Non souligné dans l’original, italiques de la SSR.]

[15]   La SSR conclut alors :
[traduction]

Les prétentions de l’avocat selon lesquelles Valentin ne devrait pas s’appliquer en l’espèce ne sont pas convaincantes. L’âge des demandeurs, le caractère volontaire de leurs actions et la relative sévérité des sanctions pour départ illégal peuvent tous être pris en compte lors de l’application des principes énoncés dans Valentin. Les demandes devant moi ne sont pas assez différentes de celles présentées dans Valentin pour que les principes définis dans cette décision ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

Je suis d’avis que ce serait altérer la définition des réfugiés au sens de la Convention de conclure que les personnes qui quittent leur pays d’origine illégalement principalement pour des raisons économiques pourraient ensuite obtenir le statut de réfugié parce qu’elles font alors face à des sanctions en raison de leur départ. Si tel était le cas, il serait difficile de trouver un seul citoyen chinois qui n’aurait pas droit à une protection internationale, quelle qu’en soit la raison, tant qu’il a pris des arrangements nécessaires pour quitter la Chine illégalement.

[16]   La SSR s’est alors très brièvement penchée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)4, dans laquelle la juge L’Heureux-Dubé écrit au paragraphe 70, page 861 :

Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne [telle que la Convention relative aux droits des enfants] peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.

[17]   La SSR semble rejeter d’emblée la pertinence de l’arrêt Baker dans les termes suivants :
[traduction]

La question en litige dans l’arrêt Baker était la méthode avec laquelle un agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire dans son évaluation d’une demande d’un permis ministériel. La compétence de la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est confinée à l’interprétation d’une règle de droit et ne comprend pas de pouvoir discrétionnaire. Bien que le tribunal doive s’assurer que les droits des demandeurs et leur intérêt supérieur dans le processus soient respectés, le recours discrétionnaire pour motif d’ordre humanitaire relève de la compétence d’autres tribunaux.

[18]   En toute déférence, la SSR semble se méprendre quant à l’importance de la brève citation ci-dessus provenant de l’arrêt Baker en ce qui concerne son mandat. Je développerai ces points plus loin dans les présents motifs.

[19]   Par conséquent, et sans analyse ultérieure, la SSR a rejeté les demandes des demandeurs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]   Dans leur mémoire des faits et du droit et dans leur argumentation, les demandeurs présentent le seul point en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire dans les termes suivants :

[traduction] La question en litige à trancher dans la présente demande [...] de contrôle judiciaire est de savoir si la Cour a erré en droit en interprétant de manière erronée les termes « groupe social particulier » et « persécution », niant ainsi l’équité procédurale aux demandeurs en omettant d’aborder en bonne et due forme leur principal argument d’admissibilité au statut de réfugié au sens de la Convention.

DISCUSSION

[21]   Par souci de commodité, les parties pertinentes de la définition de « réfugié au sens de la Convention » dans le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration sont reproduites ci-dessous :


2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays don’t elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

...

2. (1) In this Act,

“Convention refugee” means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person’s nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

...


[22]   Devant la SSR, l’avocat des demandeurs a fait valoir que les demandeurs étaient membres d’un groupe social particulier, c’est-à-dire des enfants de la province du Fujian, une province de Chine dont les éléments de preuve présentés devant la SSR indiquent qu’elle a été économiquement sous-développée et qu’elle a constitué une source d’émigration pendant de nombreuses années. L’avocat aurait pu ajouter, mais il ne l’a pas fait, que les demandeurs possédaient d’autres points communs, soit de tous êtres issus de familles pauvres, de n’avoir reçu que peu d’éducation et d’être tous confrontés à la perspective déprimante de n’avoir que peu d’espoir de se hisser au-dessus du seuil de la pauvreté dans la province du Fujian. Contrairement aux orientations fournies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (procureur général) c Ward5, je conclus que la prétention de l’avocat selon laquelle les demandeurs appartenaient à un « groupe social particulier » méritait un examen et une analyse plus poussés de la part de la SSR, au motif que les demandeurs pourraient être considérés comme membres d’un groupe défini par une caractéristique innée ou immuable, c’est-à-dire leur âge au moment où ils ont quitté la Chine, soit moins de 18 ans, ce qui en fait des « enfants » au sens de l’article 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant.6

[23]   À titre de membres d’un groupe social particulier ainsi défini, l’avocat a fait valoir que les demandeurs ont été persécutés par le fait de leur traite, celle-ci ayant eu lieu sur la base d’arrangements entre leurs parents et des passeurs de clandestins. L’avocat a également prétendu que les demandeurs ne pouvaient « consentir » à faire l’objet de « traite », qu’ils soient en « bas âge » ou non, lorsque les instruments internationaux portant sur les droits de la personne relatifs aux enfants et à la suppression de la traite des personnes sont considérés ensemble et interprétés de façon large, comme je conclus qu’ils doivent l’être.

[24]   Pour contrer de tels arguments, et en tenant compte des instruments internationaux portant sur les droits de la personne dont le Canada est signataire, dans l’interprétation de la définition de « réfugié au sens de la Convention », l’avocat a fait valoir devant la SSR que les demandeurs ont été persécutés sur la base d’un motif prévu par la Convention et, qu’en raison des dettes contractées par leurs familles à l’endroit des passeurs et des dettes additionnelles que leurs familles vont probablement encourir à la suite des amendes imposées aux demandeurs et à leurs familles en raison de leur départ illégal de Chine, les demandeurs ont une peur légitime, subjectivement comme objectivement, qu’ils feraient encore l’objet de traite s’ils étaient renvoyés en Chine, et sont par conséquent « réfugiés au sens de la Convention ».

[25]   Devant notre Cour, l’avocat des demandeurs a fait valoir que la SSR a simplement échoué à faire l’examen de cet argument, et ce faisant, a privé les demandeurs de l’équité procédurale à laquelle ils avaient droit.

[26]   J’accepte sans réserve l’argument de l’avocat des demandeurs. Précédemment dans les présents motifs, j’ai examiné en détail les motifs de la décision de la SSR et, à la lumière de cet examen, je conclus que la SSR n’a soit pas compris le principal fondement des demandeurs pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention soit, si la SSR a saisi l’argument, elle l’a simplement ignoré dans sa décision. Quel que soit le cas, je conclus que la SSR a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’aborder le fondement principal de la revendication des demandeurs du statut de réfugié au sens de la Convention. Il ne s’agit pas d’affirmer que la SSR, dans sa décision de refuser le statut de réfugié au sens de la Convention aux demandeurs, n’aurait pas été raisonnablement ouverte à le faire. Il s’agit plutôt d’affirmer que, en fonction de l’analyse à laquelle elle s’est livrée, sa décision était tout simplement injustifiable, car le fondement principal de la demande des demandeurs a été ignoré.

CONCLUSION

[27]   En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR faisant l’objet d’un contrôle sera renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un tribunal différemment constitué en soit saisi à nouveau, en tenant compte des valeurs inhérentes au droit international en matière de droits de la personne à titre d’aides contribuant à éclairer l’approche contextuelle de l’interprétation de la définition de « réfugié au sens de la Convention » au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration par rapport aux faits propres à l’espèce.7

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[28]   À la fin de l’audience de la présente affaire, j’ai reporté le prononcé de ma décision, ai distribué les motifs et fourni à l’avocat l’occasion de faire des observations sur la certification d’une question. Ces motifs seront maintenant distribués. L’avocat aura jusqu’à l’heure de fermeture des bureaux le 29 décembre 2000 pour échanger et déposer des observations sur la certification d’une question.

 

  ___________________________

  Juge de la Cour fédérale du Canada

Ottawa (Ontario)

Le 11 décembre 2000

__________________

1  LRC (1985), ch. I-2.

2  Adoptée par les résolutions no 44/25 de l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989.

3 [1991] 3 CF 390.

4  [1999] 2 RCS 817.

5  [1993] 2 RCS 689.

6  Voir la décision Ward, précitée, à la page 739 dans laquelle la Cour identifie les « groupes définis par une caractéristique innée ou immuable comme une catégorie potentielle de “groupe social particulier” ».

7  Voir l’arrêt Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, note de bas de page 4 et note 8 en fin de texte des directives du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié relatives aux enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :  IMM-932-00

 

INTITULÉ :  SHU PING LI ET AUTRES

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 21 NOVEMBRE 2000

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :  Le 11 décembre 2000

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

WARREN PUDDICOMBE  POUR LES DEMANDEURS

ALISTAIR BOULTON

 

SANDRA WEAFER  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larson Poulton Sohn Stockholder  POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

M. Morris Rosenberg  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.