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Date : 19990519

Dossier : T-1586-98

ENTRE :

JOHN R. LAVOIE,

demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION ET

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER,

défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.         Introduction

[1]         Il s'agit d'une requête en radiation de l'avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur. Bien que les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, ne prévoient pas expressément ce type de requête, il est reconnu que la Cour a le pouvoir de l'accueillir : David Bull Laboratories (Canada Inc.) c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.); Agawa c. Hewson, (C.F. 1re inst., dossier no T-764-98, 18 juin 1998).


[2]         Il est aussi clair, cependant, qu'une requête en radiation d'un avis de demande de contrôle judiciaire ne sera accueillie seulement « qu'en de très rares circonstances » (décision Agawa c. Hewson, précitée), ou dans des cas « très exceptionnels » où l'avis introductif d'instance « est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » (arrêt David Bull Laboratories, précité, p. 600). Cela s'explique par la nature sommaire de la demande de contrôle judiciaire et les délais stricts qui lui sont applicables, et aussi par le souci que le temps et les ressources, aussi bien publiques que privées, ne soient pas gaspillés pour des audiences largement superflues. Normalement, comme l'expose le juge Strayer aux pages 596 et 597 de l'arrêt David Bull Laboratories (précité),

[...] le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même.

[3]         Même s'ils admettent que le fardeau dont ils doivent s'acquitter est lourd, les intimés maintiennent que la présente affaire est un de ces cas « très exceptionnels » où la requête en radiation devrait être accordée. Leur argument principal est que même si le demandeur démontrait le bien-fondé de tous les motifs à l'appui de sa demande, la Cour n'aurait d'autre choix que de rejeter la demande puisque aucune des réparations demandées n'aurait d'effet réel. Des ordonnances de réparation qui ne constituent qu'un exercice futile et qui n'ont aucune utilité pratique ne seront pas accordées.


[4]        L'avocate du demandeur insiste cependant sur les complexités légales et factuelles des questions soulevées par la demande de contrôle judiciaire et presse la Cour de ne pas entrer dans des considérations qui ne peuvent être appropriées que sur la base du dossier complet, et non uniquement sur la base du dossier relativement limité préparé pour la présente requête. L'avocate soutient que la Cour, sur la base de la preuve dont elle dispose, ne peut arriver à la conclusion que la demande serait inévitablement rejetée en raison de la futilité d'accorder la réparation recherchée par le demandeur.

B.         Les faits

[5]         John R. Lavoie est un trappeur et un environnementaliste qui vit dans le nord de l'Ontario à proximité d'une centrale hydro-électrique qui a été construite sur la rivière Kagiano à la crête de Twin Falls par la Kagiano Power Corporation. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire parce qu'il craint les répercussions qu'engendreraient la construction et l'exploitation de cette centrale sur les poissons et leur habitat.

[6]         Dans la demande, il allègue que la décision prise par le ministre des Pêches et des Océans d'autoriser Kagiano Power Corporation à construire et que la décision prise par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de financer la participation de la Première nation de Pic River au projet, étaient illégales au motif que les documents pertinents n'avaient pas tous été rendus publics conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, et que d'autres exigences procédurales de la loi n'avaient pas été respectées.


[7]         Des permis ministériels ont été délivrés en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, au mois de juillet 1998, et la demande de contrôle judiciaire a été déposée au début du mois d'août 1998. Une requête en injonction interlocutoire, présentée par le demandeur en vue de faire empêcher la construction de la centrale, a été rejetée par le juge Hugessen le 25 août (T-1586-98), au motif qu'aucun dommage irréparable n'avait été prouvé et que la prépondérance des inconvénients n'était pas en faveur du demandeur.

[8]         Suite à cela, les choses n'ont pas avancé très vite : le demandeur a tenté d'obtenir la divulgation d'un grand nombre de documents de la part du ministre et cela a donné lieu à des différends portant sur la pertinence et le caractère confidentiel de certains documents. La Première nation de Pic River a reçu ses fonds en avril 1999.

[9]         Pendant ce temps, la construction du barrage et de la centrale avançait rapidement, conformément aux autorisations et aux conditions qu'elles contenaient, ce qui a fait qu'au moment où la présente requête a été déposée, la construction de la centrale était pour ainsi dire terminée et les turbines ainsi que les générateurs avaient été achetés et étaient prêts à être installés. Lorsque la demande de contrôle judiciaire dont l'audience aura été portée au rôle du mois d'août de cette année, il est permis de penser que la centrale sera pleinement opérationnelle et qu'elle produira de l'électricité.


[10]       La réparation principale demandée par M. Lavoie est que les décisions des ministres soient annulées parce qu'elles ne respectent pas les dispositions procédurales de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (précitée), qui ont pour but de garantir au public la possibilité de participer au processus d'évaluation.

C.         La loi

[11]       Les dispositions de la Loi sur les pêches pertinentes dans la présente affaire sont :


32. No person shall destroy fish by any means other than fishing except as authorized by the Minister or under regulations made by the Governor in Council under this Act.

32. Sauf autorisation émanant du ministre ou prévue par les règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi, il est interdit de causer la mort de poissons par d'autres moyens que la pêche.

35. (1) No person shall carry on any work or undertaking that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.

35. (1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.

(2) No person contravenes subsection (1) by causing the alteration, disruption or destruction of fish habitat by any means or under any conditions authorized by the Minister or under regulations made by the Governor in Council under this Act.

35 (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l'habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.


37. (2) If, after reviewing any material or information provided under subsection (1) and affording the persons who provided it a reasonable opportunity to make representations, the Minister or a person designated by the Minister is of the opinion that an offence under subsection 40(1) or (2) is being or is likely to be committed, the Minister or a person designated by the Minister may, by order, subject to regulations made pursuant to paragraph (3)(b), or, if there are no such regulations in force, with the approval of the Governor in Council,

(a) require such modifications or additions to the work or undertaking or such modifications to any plans, specifications, procedures or schedules relating thereto as the Minister or a person designated by the Minister considers necessary in the circumstances, or

(b) restrict the operation of the work or undertaking, and, with the approval of the Governor in Council in any case, direct the closing of the work or undertaking for such period as the Minister or a person designated by the Minister considers necessary in the circumstances.

37. (2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au paragraphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouverneur en conseil :

a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les circonstances;

b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entreprise.


[12]          De plus, l'avocat de la Première nation des Ojibways de Pic River, qui est aussi défenderesse à la demande de contrôle judiciaire, se fonde sur les dispositions suivantes de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale :


2.(1)

"project" means

(a) in relation to a physical work, any proposed construction, operation,

modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work, or

                                             [...]

2.(1)

« projet » Réalisation - y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture - d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une

activité concrète,

                                               

      [...]

"proponent", in respect of a project, means the person, body, federal authority or government that proposes the project;

« promoteur » Autorité fédérale ou gouvernement, personne physique ou morale ou tout organisme qui propose un projet.

5(1) An environmental assessment of a project is required before a federal

authority exercises one of the following powers or performs one of the following duties or functions in respect of a project, namely, where a federal authority

[...]

(d) under a provision prescribed pursuant to paragraph 59(f), issues a permit or licence, grants an approval or takes any other action for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part.

5(1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes :

[...]

d) une autorité fédérale, aux termes d'une disposition prévue par règlement pris en vertu de l'alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie.


D.         Analyse

1.          La futilité

[13]       Mise à part la question soulevée par la Nation de Pic River, il ne se pose en fait qu'une seule question dans la présente requête : est-ce que l'annulation des autorisations accordées à la Kagiano Power Corporation en vertu de l'article 32 et du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches aurait un effet réel? L'avocat de Kagiano Power Corporation soutient que non, et ce pour deux raisons.


[14]       Premièrement, étant donné que la construction est presque terminée et que l'exploitation de la centrale est imminente, la mort du poisson ou la perturbation de son habitat imputables au projet ont déjà été causées ou sont actuellement minimisées. À cet égard, l'avocat des intimés se fonde sur un affidavit déposé à l'appui de la requête, par David de Montmorency, un directeur de la Kagiano Power Corporation qui est aussi un ingénieur professionnel.

[15]       Il a donc été plaidé que si les autorisations étaient annulées, le ministre n'aurait pas légalement le pouvoir d'émettre de nouvelles autorisations qui incluraient éventuellement les mesures de protection de l'environnement plus strictes qui seraient incluses, selon le demandeur, s'il y avait eu divulgation complète des documents préalablement à l'évaluation exigée par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Et ce parce que les articles 32 et 35 sont de nature prospective : ils donnent le pouvoir au ministre d'autoriser que l'on procède à des travaux ou à des entreprises qui auront pour effet de tuer des poissons ou de détruire ou de perturber leur habitat. En d'autres termes, le ministre n'a pas le pouvoir d'émettre une autorisation assortie de conditions relativement à des travaux ou à une entreprise déjà terminés et qui ont déjà causé tous les dommages qu'ils étaient susceptibles de causer.


[16]       Deuxièmement, si les décisions étaient annulées, cela pourrait bien vouloir dire que l'on pourrait conclure que la construction de la centrale a perturbé l'habitat des poissons, en contravention du paragraphe 35(1), exposant ainsi la Kagiano Power Corporation à des poursuites en vertu du paragraphe 40(1). De plus, le paragraphe 41(4) accorde au procureur général du Canada d'engager des procédures en vue d'empêcher la perpétration d'une infraction à l'article 40.

[17]       Mais, comme l'allègue l'avocat, puisque Kagiano Power Corporation a construit la centrale avec une autorisation (bien que subséquemment annulée), elle aurait une défense basée sur la diligence raisonnable advenant une poursuite intentée en vertu de l'article 41, ce qui empêcherait aussi le procureur général d'obtenir une injonction.

[18]       L'avocat du ministre a aussi fait valoir que le fait que Kagiano Power Corporation avait une autorisation en apparence en bonne et due forme quand elle a tué des poissons ou causé un dommage à leur habitat constituerait une défense valable.

[19]       Il a été plaidé qu'en conséquence, annuler l'autorisation au motif du non-respect des dispositions légales concernant la divulgation des documents préalablement à l'évaluation environnementale du projet n'exposerait pas Kagiano Power Corporation à des poursuites en vertu de la Loi sur les pêches ou à quelque autre pression qui pourrait être exercée à son endroit dans le but de lui faire modifier ses opérations.


[20]       L'argumentation de l'avocat repose principalement sur le libellé des articles 32 et 35 de la Loi sur les pêches et sur la preuve déposée par M. de Montmorency voulant que tout dommage qui pouvait être causé aux poissons et à leur habitat attribuable à la construction de la centrale avait déjà été causé. Il a aussi attiré mon attention sur des passages de l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, où le juge La Forest a étudié l'applicabilité du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement aux pouvoirs que le ministre possède en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-2, et en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pêches.

[21]       Le juge La Forest a soutenu que la construction du barrage de la rivière Oldman était un « projet » pour lequel le ministère des Transports était un « ministère responsable » aux fins de l'application du Décret sur les lignes directrices parce que les pouvoirs d'accorder des autorisations conférés par la Loi sur la protection des eaux navigables faisaient partie d'un « mécanisme de réglementation » (à la page 48). À l'opposé, a-t-il statué, il n'y a pas dans la Loi sur les pêches de « disposition de réglementation équivalente » puisque les interdictions qui y sont édictées ne peuvent être appliquées que par le processus criminel, et les pouvoirs du ministre des Pêches et des Océans conférés par la Loi viennent seulement appuyer son pouvoir de soustraire certains travaux ou entreprises à l'interdiction générale, et ne visent pas « la mise en oeuvre d'une procédure de réglementation » (à la page 49). Par conséquent, le Décret sur les lignes directrices n'était pas applicable à l'exercice des pouvoirs conférés par la Loi sur les pêches.


[22]       Cet argument peut appuyer la position des défendeurs, en ce qu'il donne à penser qu'étant donné que la Loi sur les pêches ne crée pas de mécanisme de réglementation, le ministre n'a pas la responsabilité de continuellement surveiller et réglementer, par des moyens administratifs, les activités de la centrale. Cependant, les questions en litige dans Oldman River et dans la présente affaire sont tellement différentes que les motifs du juge La Forest ne m'ont apporté que peu d'aide.

[23]       L'avocate du demandeur a fait valoir deux points pertinents. Premièrement, elle dit que le fait que la construction soit presque terminée n'est pas un motif en soi pour considérer que la demande de contrôle judiciaire est sans objet. Comme l'avocate le fait remarquer, dans Oldman River, la Cour suprême a accordé la réparation même si la construction du barrage était presque terminée. Cependant, le recours a été accueilli en raison de la conclusion du juge La Forest voulant que le fait d'accorder le redressement par voie de bref de prérogative pouvait encore avoir un effet réel. Ainsi, il dit (à la page 80) :

[...] il n'est pas du tout évident que l'application du Décret sur les lignes directrices, même à cette étape tardive, n'aura pas un effet sur les mesures susceptibles d'être prises pour atténuer toute incidence environnementale néfaste que pourrait avoir le barrage sur un domaine de compétence fédérale.

[24]       Bien que je sois d'accord pour dire que le stade avancé du projet n'est pas en soi un motif pour refuser la réparation demandée, et de là pour accueillir la présente requête en radiation, cela ne répond pas à la question fondamentale qui se pose devant moi, qui est de savoir si dans les contextes factuels et légaux de la présente affaire, l'annulation des autorisations aurait quelque effet réel.


[25]       Le deuxième point de l'avocate me semble plus à propos. La preuve présentée à l'appui de la requête de la défenderesse ne démontre pas, selon la prépondérance des probabilités, qu'avec l'achèvement imminent de la construction de la centrale, la mort des poissons ou les dommages causés à leur habitat se sont déjà tous produits ou sont minimisés. L'avocate plaide que sous deux aspects, l'affidavit de M. de Montmorency ne satisfait pas au degré de preuve nécessaire pour que la requête soit accordée.

[26]       Premièrement, l'affirmation que les générateurs et les turbines n'ont pas encore été installés équivaut à admettre que la centrale n'est toujours pas opérationnelle. Lorsque la centrale fonctionnera, l'eau qui passe présentement des deux côtés de la centrale avant de se rendre aux chutes sera détournée pour qu'elle passe par la centrale, ce qui aura pour conséquence de faire baisser le niveau de l'eau de chaque côté de la centrale. L'avocate demande : comment peut-on dire aujourd'hui que cela ne causera pas plus de dommage à l'habitat des poissons, plus particulièrement lors des variations saisonnières du niveau de l'eau?

[27]       Deuxièmement, l'affidavit ne donne pas de réponse satisfaisante à cette question. M. de Montmorency, qui n'est pas un expert de l'écologie du poisson, déclare seulement que la construction de la centrale, qui est presque terminée, ne causera pas dans l'avenir de dommages aux poissons et à leur habitat; il ne fait pas état de l'impact négatif possible de l'exploitation de la centrale.


[28]       Il me semble clair que les interdictions des articles 32 et 35 de la Loi sur les pêches s'appliquent aussi bien à la construction qu'à l'exploitation des ouvrages : « exploiter des ouvrages ou entreprises » ne doit sûrement pas faire référence qu'à la construction, comme je pense que l'avocat des défendeurs l'a reconnu. Il a répondu qu'il était prévu que la date du début de l'exploitation précéderait la date de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, et que si l'exploitation de la centrale devait causer des dommages à l'habitat des poissons, ces dommages se seront déjà produits à cette date, ce qui fait que la demande sera sans aucun doute rejetée parce qu'il n'y aurait aucune raison pratique d'accorder la réparation demandée.

[29]       À mon avis, le dossier de la requête ne contient pas de preuve sur laquelle je pourrais me baser pour conclure que selon la prépondérance des probabilités, l'exploitation de la centrale ne causera pas de dommages à l'habitat des poissons. Et même si elle était opérationnelle au moment d'entendre la demande au mois d'août, ce qui n'est pas du tout certain, il n'y a pas de preuve quant aux impacts environnementaux possibles à long terme sur les poissons et leur habitat que pourrait avoir le détournement de l'eau qui passera par la centrale. Ce sont des questions qu'il sera plus approprié de traiter à l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[30]       En conséquence, si les autorisations données par le ministre étaient annulées, le ministre aurait encore la possibilité d'émettre une nouvelle autorisation qui offrirait à Kagiano Power Corporation une défense à l'encontre de poursuites criminelles intentées pour avoir causé le genre de dommages prévus aux articles 32 et 35. Sans une telle autorisation, Kagiano Power Corporation pourrait être poursuivie et faire l'objet d'une injonction si l'exploitation de la centrale avait pour effet la mort des poissons ou la détérioration de leur habitat.


[31]       Ainsi, les défendeurs n'ont pas démontré que la demande de contrôle judiciaire n'avait aucune chance d'être accueillie au motif que la réparation demandée n'aurait aucun effet réel. Je ne crois pas que la présente affaire est un de ces « rares cas où [la] délivrance [d'un bref de prérogative] serait vraiment inefficace » , pour utiliser les termes du juge La Forest dans Oldman River (à la page 80).

[32]       J'ajouterai seulement que si une cour doit être aussi prudente après avoir entendu une demande de contrôle judiciaire au fond que le dit le juge La Forest, elle devrait l'être encore plus lorsqu'il s'agit d'une requête interlocutoire en radiation.

2.          La décision se rapportant au financement : qui est le « promoteur » ?

[33]       La Première nation de Pic River est défenderesse dans la demande de contrôle judiciaire en raison de la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de financer leur participation au projet : la Première nation de Pic River est un actionnaire de la Kagiano Power Corporation. Les fonds lui ont été avancés par le ministre.

[34]       En plus d'être en accord avec les arguments avancés par Kagiano Power Corporation dans la présente requête, l'avocat de la Première nation de la rivière Pic a aussi demandé que je radie la demande à l'égard de ses clients au motif supplémentaire que la décision d'un ministre fédéral d'accorder un financement n'entraîne l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, en vertu de l'alinéa 5(1)b), que si le financement est accordé au « promoteur » du projet. L'avocat allègue que Kagiano est le promoteur et que la Première nation de Pic River ne participe qu'en tant qu'actionnaire de Kagiano.


[35]       L'avocat n'a déposé aucun document écrit à l'appui de cet argument, et l'avocate du demandeur n'a pas été avisée que cet argument serait présenté. L'avocat du ministre ne s'est pas prononcé. Dans ces circonstances, je n'accueillerai pas une requête en radiation en me fondant sur un argument juridique que le demandeur n'a pas pu étudier et auquel il n'a pu répliquer. Aucune autre preuve que l'affirmation de l'avocat de la Première nation qu'elle n'est pas un « promoteur » au sens de la Loi ne m'a été présentée au sujet de son rôle dans le projet.

E.         Conclusion

[36]       Pour ces motifs, la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire est rejettée.

[37]       L'avocate du demandeur a présenté une demande d'adjudication des dépens, appuyée d'un mémoire de frais, réclamant un montant forfaitaire de 3 000 $. L'avocat de la Première nation de Pic River a avancé que puisque qu'il n'avait déposé aucun document, elle n'avait pas passé de temps à lui répondre. Néanmoins, l'avocat a appuyé Kagiano, instigatrice de la requête, et je ne vois aucune raison pourquoi les défendeurs ne devraient pas tous être conjointement et solidairement tenus aux dépens de cette requête.


[38]       Ayant tenu compte des observations faites par les parties et des facteurs de la règle 403(3), j'adjuge les dépens au demandeur pour une somme de 2 500 $.

« John M. Evans »           

__________________________

J.C.F.C.                   

Toronto (Ontario)

Le 19 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                             T-1586-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                             JOHN R. LAVOIE,

demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES           ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION ET

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE         PIC RIVER,

défendeurs.

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 14 MAI 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                                                 20 MAI 1999

ONT COMPARU :                                         Mme Juli Abouchar

pour le demandeur

M. Ian Dick

pour les défendeurs (ministres)

M. John McGowan

pour la défenderesse (Kagiano Power               Corporation)

M. Robert Edwards

pour la défenderesse (la Première nation des                  Ojibways de Pic River)


AVOCATS AU DOSSIER :                           Mme Juli Abouchar

Birchall Nortey

Avocats

36, rue Wellington Est

Toronto (Ontario)

M5E 1C7

pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour les défendeurs (ministres)

Cassels Brock & Blackwell

Avocats

Scotia Plaza

2100-40, rue King Ouest

Toronto (Ontario)

M5H 3C2

pour la défenderesse (Kagiano Power               Corporation)

Edwards & Carfagnini

Avocats

C.P. 2237

69, rue North Court

Thunder Bay (Ontario)

T7B 5E8

pour la défenderesse (la Première nation des                  Ojibways de Pic River)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 19990519

Dossier : T-1586-98

Entre :

JOHN R. LAVOIE,

                                            

   demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

KAGIANO POWER CORPORATION ET

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER,

défendeurs.

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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