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Date : 20010831

Dossier : IMM-5989-00

Référence neutre : 2001 CFPI 978

ENTRE :

ZHEN GAO

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 16 octobre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'elle n'est pas une réfugiée du sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse, qui est née le 26 juillet 1977, est citoyenne chinoise. Elle prétend qu'elle craint avec raison d'être persécutée par le gouvernement chinois du fait des opinions politiques qui lui sont attribuées.


[3]                 Plus particulièrement, la demanderesse est une enseignante suppléante qui prétend avoir quitté la Chine avec l'une de ses collègues parce qu'elle aurait appuyé cette collègue qui, dans une lettre, avait dénoncé l'administration scolaire pour corruption. La demanderesse est arrivée au Canada le 7 octobre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié ce même jour.

[4]                 Dans sa courte décision, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et a par conséquent rejeté sa revendication. L'analyse de la Commission est brève et c'est pourquoi je la reproduirai en entier. Aux pages 1, 2 et 3 de ses motifs, la Commission :

[Traduction] La jurisprudence montre qu'un tribunal peut rejeter un témoignage irréfuté s'il ne concorde pas avec la prépondérance des probabilités qui caractérise une affaire dans son ensemble. À ce sujet, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit dans l'affaire Faryna c. Chorny :

Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une telle affaire doit être l'accord avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles conditions[1].

La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Orelien, a aussi fait remarquer ce qui suit :

On ne peut pas être convaincu de la crédibilité ou de la fiabilité d'une preuve à moins d'être convaincu qu'elle l'est selon toute probabilité plutôt qu'hypothétiquement[2].


Je crois que ce qui précède s'applique dans la présente revendication. Avant de faire l'évaluation de la crédibilité qui caractérise la présente affaire, j'ai tenu compte des facteurs suivants : le jeune âge de la revendicatrice, son degré de scolarisation (elle a onze ans de scolarité, en tenant compte de sa formation d'institutrice), le fait qu'on ne puisse communiquer avec elle qu'à l'aide d'un interprète, les différences culturelles. J'en arrive toutefois à la conclusion, pour les raisons qui suivent, que la revendicatrice a inventé toute cette histoire afin d'asseoir sa revendication du statut de réfugié.

Je n'aurais certes pas tiré une conclusion défavorable de ce seul fait, à savoir que l'amie, de qui est à origine chez la revendicatrice la crainte d'être persécutée, a laissé tombé sa revendication, mais je dois dire que le geste posé par l'amie en question, ajouté à d'autres raisons de ne pas tout croire, a un impact sur la présente revendication. Je tire une conclusion défavorable de ce que l'amie, qui, avec la revendicatrice, avait demandé la protection du gouvernement canadien, ait abandonné sa revendication pour cause de persécution par le gouvernement chinois après avoir quitté le centre de détention de l'Immigration.

La conseil a fait valoir la sincérité de la revendicatrice, étant donné qu'elle n'a pas craint de regarder le tribunal. Même si cet argument peut être recevable dans certains cas, je crois qu'en l'espèce le contact visuel n'a pas été le signe naturel d'une communication entre les deux parties, mais plutôt le résultat d'un regard auquel on s'est entraîné. En effet, ce contact ne s'est pas fait avec l'agent chargé de la revendication (ACR) lorsqu'il posait des questions ni même avec la conseil quand elle s'adressait à la revendicatrice, mais plutôt avec le tribunal quand la revendicatrice répondait à l'ACR ou à sa conseil. Je ne crois pas qu'en l'espèce le contact visuel ait été un signe convaincant de la vérité. J'ajoute que les réponses de la revendicatrice m'ont semblé manquer de naturel, comme s'il s'était agi de réponses apprises d'avance, surtout si on les compare avec ma prochaine raison d'avoir des réserves.

Les tenants et aboutissants qui concernent les études secondaires et le permis d'enseigner de la revendicatrice soulèvent des questions. J'accepte qu'elle ait été une institutrice suppléante : c'est ce qu'elle a affirmé dans les notes au point d'entrée; cela signifie que ce qui concerne en propre son permis d'enseigner n'est pas ici la question. La façon de témoigner de la revendicatrice a été telle qu'elle m'amène àcroire qu'elle n'a pas dit la vérité. Elle est devenue physiquement tendue, troublée, a montré des signes de réticence face aux questions portant sur le sujet abordé. Quand elle répondait à ces questions, elle s'embrouillait et parvenait tant bien que mal à fournir une explication.

La dernière partie de son témoignage, celle qui a trait à la lettre écrite par son amie lettre contenant des commentaires critiques à l'égard du système politique à parti unique en Chine, soulève également un problème de crédibilité. Ce n'est qu'après lui avoir fait valoir que la documentation de source chinoise montre que le fait de dénoncer la corruption n'est pas un acte contre les politiques du gouvernement et ne révèle pas automatiquement quelqu'un comme étant anti-gouvernement, qu'elle a ajouté que la lettre de son amie abordait aussi la question du multipartisme en politique.

[5]              Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.


[6]        Je commence tout d'abord avec les commentaires de la Commission concernant le fait que la demanderesse a déclaré tardivement que la lettre rédigée par sa collègue en Chine comportait des critiques du système de parti unique en Chine. À mon avis, le dossier corrobore amplement la conclusion de la Commission à cet égard. Après avoir déclaré à de nombreuses reprises que la lettre de sa collègue traitait de corruption et d'abus dans le système scolaire, la revendicatrice a, contre toute attente, ajouté que la lettre incluait des critiques à l'encontre du système de parti unique en Chine. Aux pages 396 et 397, nous trouvons les questions et réponses suivantes :

[TRADUCTION]

Homsi : [commissaire]            Dans l'intervalle, lorsqu'elle a écrit cet article ou cette lettre qui a été affiché, selon ce que je comprends de votre témoignage, elle n'a pas mentionné d'incidents spécifiques, elle a simplement dit de façon générale que la corruption existait à cette école. Ai-je bien compris?

La revendicatrice : Oui.

Homsi :                                     Et seriez-vous d'accord pour dire qu'en écrivant cette lettre et en portant ces accusations, elle a vraiment détruit la réputation de l'école et de l'enseignant ainsi que des autorités scolaires qui étaient en cause?

La revendicatrice : Oui.

Homsi :                                     Mais dans l'intervalle, elle n'a donné aucun exemple précis, alors que voulait-elle faire au juste en écrivant ce qui me semble être une lettre anonyme venimeuse?


La revendicatrice : Dans son article, elle a non seulement parlé de la corruption générale à l'école et en particulier du fait que les autorités détournent les fonds, mais elle a également soulevé la question du système pluraliste, disant que le système de parti unique n'est pas une structure politique saine pour le pays.

Homsi :                                     On vous a posé de nombreuses questions au sujet de cette lettre aujourd'hui. Je pense que votre conseil et M. Sukul vous ont interrogée sur ce fait je ne sais combien de fois et que vous avez eu l'occasion de nous parler au sujet de cette lettre qui, si je comprends bien votre témoignage, a même été lue lors de la réunion. Ce n'est que maintenant que vous nous signalez qu'il n'était pas seulement question de corruption dans la lettre mais aussi d'un système pluraliste; pourquoi le faites-vous aussi tardivement?

La revendicatrice : Parce qu'au début de l'audience, on ne parlait que de la situation qui s'était produite à l'école. La question du système à parti unique ne fait partie que de l'article qui tire une conclusion et analyse ce qui s'est passé, ce qui allait de travers avec le système à parti unique.

[7]        Par conséquent, on ne peut pas, à mon avis, reprocher à la Commission d'avoir des doutes quant à la crédibilité de ce témoignage.

[8]        Examinons maintenant les doutes de la Commission en ce qui concerne le certificat d'enseignement de la demanderesse. Même si, comme elles ont été rédigées, les remarques de la Commission ne sauraient gagner un prix de rédaction, elles font toutefois bien comprendre que la Commission n'était pas impressionnée par le témoignage de la revendicatrice. Je ne peux qu'être d'accord avec la Commission pour dire que le témoignage de la revendicatrice sur ce point n'est selon toute vraisemblance absolument pas sincère.


[9]        La demanderesse a déclaré que ses parents lui avaient envoyé son attestation d'études secondaires par messager. Selon elle, le messager a été détenu par les autorités de l'Immigration et son attestation a été saisie. Elle affirme ensuite que le messager l'a informée de ce qui s'est passé. La demanderesse prétend ensuite qu'elle est allée à l'aéroport pour prendre livraison de son attestation, mais que quelqu'un lui a dit que le document ne serait communiqué qu'à la demande de la Section du statut de réfugié. La demanderesse affirme ensuite qu'elle a informé son conseil de ce qui s'était produit. Chose étonnante, la demanderesse déclare ensuite qu'elle ignore ce que lui a dit son conseil au sujet de l'attestation. Plus loin dans son témoignage, la demanderesse affirme qu'elle n'en a été informée que plus tard par un ami de Chine en visite au Canada.

[10]     À mon avis, le témoignage de la revendicatrice est tout simplement incroyable. Par conséquent, je ne peux que souscrire aux commentaires de la Commission selon laquelle la demanderesse ne disait pas la vérité.

[11]      Je devrais peut-être souligner que dans son mémoire des arguments, la demanderesse ne conteste pas les conclusions de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité, sauf celle qu'elle a tirée relativement à son comportement et à l'omission de sa collègue de faire valoir sa revendication du statut de réfugié.


[12]      Même si je n'étais pas présent à l'audience du 12 octobre 2000 et que, par conséquent, je n'ai pas eu l'occasion d'observer la demanderesse comme a pu le faire la Commission, je n'ai aucune hésitation à conclure, après avoir lu la transcription, que la demanderesse n'a pas témoigné de manière franche et directe. Par conséquent, les remarques de la Commission selon laquelle les réponses de la demanderesse semblaient gauches et apprises par coeur ne m'étonnent pas. La demanderesse a été incapable de me convaincre que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en tirant une telle conclusion.

[13]      Pour ce qui est de la conclusion défavorable tirée par la Commission, du fait que la collègue de la demanderesse n'a pas fait valoir sa revendication du statut de réfugié, je suis tout à fait d'accord avec l'observation de l'avocat du défendeur qui figure au paragraphe 16 de son mémoire des arguments. L'avocat dit ce qui suit :

[Traduction] De plus, la Section du statut de réfugié a pris bien soin de souligner qu'elle n'avait pas tiré la conclusion défavorable sur ce seul fait, mais qu'elle s'était appuyée sur ce fait et d'autres doutes quant à la crédibilité. À cet égard, la demanderesse n'a absolument pas réfuté la conclusion défavorable de la Section du statut de réfugié en ce qui concerne le fait qu'elle a semblé inventer de nouveaux éléments de son récit tout au long de son témoignage.

[14]      Par souci de précision, voici, en totalité, la réponse de la demanderesse à la question 37 de son Formulaire de renseignements personnels

[Traduction] Je m'appelle Gao Zhen. Je suis citoyenne chinoise. Je crains d'être persécutée du fait de mes opinions politiques.


En Chine, j'étais enseignante. J'enseignais à la même école que ma bonne amie, Zou Qiu Yan, qui était elle aussi enseignante à l'élémentaire. En août 1999, les enseignants de notre école ont eu des sessions de formation politique pendant les vacances d'été. Mon amie était très mécontente des politiques et de la corruption du gouvernement et, par conséquent, a décidé d'écrire un article critiquant le gouvernement.

Après que les autorités eurent appris qu'elle avait affiché l'article, Zou Qiu Yan s'est cachée. Après son départ, les autorités de notre école l'ont ouvertement critiquée. D'autres enseignants l'ont également critiquée. J'ai pensé que c'était très injuste parce que j'étais d'accord avec elle.

Un jour, pendant que des enseignants parlaient d'elle et disaient de mauvaises choses à son sujet, je l'ai défendue et j'ai affirmé que ce qu'elle avait dit dans son article était vrai.

Après cette discussion, l'une des enseignantes, qui était bien disposée à notre égard, est venue me parler et m'a dit que les autorités de l'école faisaient enquête sur moi parce qu'elles pensaient que je devais être la complice de Zou Qiu Yan.

Après avoir reçu cette information, je me suis cachée. Après mon départ, j'ai appris que le BSP voulait m'arrêter en tant que complice de Zou Qiu Yan et pour avoir propagé des rumeurs antigouvernementales. Je n'avais d'autre choix que de quitter la Chine pour demander une protection.

Le BSP est venu souvent chez moi àma recherche.

[15] Tout comme la Commission, je ne considère pas que le témoignage de la demanderesse est très convaincant. En fait, on pourrait peut-être soutenir que le motif pour lequel la Commission a rejetéla revendication du statut de réfugié de la demanderesse était que celle-ci ne s'était tout simplement pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait et ce, indépendamment des questions de crédibilité. La demanderesse a fait un récit très simple, sans fournir de détails. À mon avis, son récit est si simple qu'il n'est tout simplement pas crédible.


[16] Pour ces motifs, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[17] Le défendeur a soulevé la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse était appuyée d'un affidavit adéquat. Selon le défendeur, l'affidavit produit était celui de Rhonda Marquis, une avocate du cabinet Lewis and Associates, qui représente la demanderesse dans la présente instance et que, par conséquent, Mme Marquis ne pouvait pas être contre-interrogée sur son affidavit parce qu'elle n'avait pas une connaissance personnelle des faits allégués. En d'autres mots, le défendeur prétend que l'affidavit produit au soutien de la demande comme j'ai conclu que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle, je n'ai pas besoin d'examiner cette question.

[18] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Marc Nadon

                                                    JUGE

O T T A W A (Ontario)

31 août 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                        IMM-5989-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Zhen Gao c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  28 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :              31 août 2001

ONT COMPARU

Carla Sturdy                                POUR LA DEMANDERESSE

Stephen H. Gold                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Carla Sturdy                                POUR LA DEMANDERESSE

Lewis and Associates                                    

Morris Rosenberg                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]           [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.), p. 357.

[2]           Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.), p. 605.

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