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Date : 20040514

Dossiers : T-425-03 et T-426-03

Référence : 2004 CF 702

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2004

Présent :        Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                      JEAN-PIERRE LANGLOIS

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                         défendeur

                              MOTIFS AU SOUTIEN DES DEUX ORDONNANCES

[1]                M. Jean-Pierre Langlois (demandeur) est détenu depuis treize ans. Il réside présentement à l'établissement de Donnacona, au Québec. Une audience concernant deux incidents de discipline a été entendue le 20 février 2003 par le Comité de discipline du Pénitencier de Donnacona. Le président du tribunal a jugé le demandeur coupable des deux infractions reprochées, d'où la présente demande de contrôle judiciaire des deux décisions.

[2]                Les deux demandes, T-425-03 et T-426-03, seront traitées de façon consécutive.


Dossier T-425-03

FAITS

[3]                Le 5 janvier 2003, lors d'une fouille mensuelle de la cellule du demandeur, les agents chargés de la fouille ont découvert un couteau à manche de plastique noir, de marque T-Fal, d'une longueur d'environ neuf pouces et quart. Le demandeur était alors absent de sa cellule; à son retour, on lui a fait part de la découverte, mais sans jamais lui indiquer où l'on avait trouvé le couteau. Le demandeur a demandé à plusieurs reprises où le couteau avait été découvert, mais l'information n'a pas été divulguée. Le demandeur a été accusé d'avoir en sa possession un couteau.

[4]                À l'audience, l'avocat du demandeur a d'abord cherché à faire débouter l'affaire, parce que le manque de renseignements privait son client de son droit à une défense pleine et entière. Le président a décidé de poursuivre, et a finalement trouvé le demandeur coupable de l'infraction.

[5]                L'avocat du demandeur soulève plusieurs questions en litige; nous retiendrons pour les fins de l'analyse celles qui nous paraissent décider l'objet même de la demande, à savoir s'il convient de casser la décision du président du tribunal.


QUESTIONS EN LITIGE

[6]                1)         Y a-t-il eu défaut d'équité procédurale et de justice naturelle dans l'instruction de l'infraction reprochée?

2)         Le plan de fouille qui existe à l'établissement Donnaconna est-il ultra vires de la loi habilitante?

3)          Le président a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable dans l'appréciation de la preuve?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[7]                Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 :


58. Dans les cas prévus par règlement et justifiés par des raisons de sécurité, l'agent peut, selon les modalités réglementaires, procéder à la fouille de cellules et de tout ce qui s'y trouve.

                                       

58. A staff member may, in the prescribed manner, conduct searches of cells and their contents in the prescribed circumstances, which circumstances must be limited to what is reasonably required for security purposes.


[8]                Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620) :



25. (1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;

b) les date, heure et lieu de l'audition.

(2) L'agent doit établir l'avis d'accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.

[...]

51. (1) L'agent peut, sans soupçons précis, procéder périodiquement à une fouille de cellules et de tout ce qui s'y trouve lorsque celle-ci a pour but de déceler, par l'inspection systématique des secteurs du pénitencier accessibles aux détenus, les objets interdits ou autres choses pouvant compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque et qu'elle est faite conformément à un plan de fouilles qui :

a) indique :

(i) le moment des fouilles,

(ii) leur lieu,

(iii) les moyens pouvant être employés pour les effectuer;

b) est approuvé par le directeur du pénitencier parce qu'il correspond aux fins du présent paragraphe.

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

(b) state the time, date and place of the hearing.

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be issued and delivered to the inmate who is the subject of the charge, by a staff member as soon as practicable.

. . .

51. (1) A staff member may, without individualized suspicion, conduct searches of cells and their contents on a periodic basis where the searches are designed to detect, through the systematic examination of areas of the penitentiary that are accessible to inmates, contraband and other items that may jeopardize the security of the penitentiary or the safety of persons and are conducted in accordance with a search plan

(a) that sets out

(i) when the searches are to take place,

(ii) the locations of the searches, and

(iii) the means that may be used to conduct the searches; and

(b) that is approved by the institutional head as being in accordance with the purposes of this subsection.


ANALYSE


1)         Y a-t-il eu défaut d'équité procédurale et de justice naturelle dans l'instruction de l'infraction reprochée?

Défaut d'équité procédurale :

[9]                On ne peut passer sous silence les interventions répétées de l'assesseur et du président qui, selon moi, ont gravement gêné la défense. L'assesseur ne cesse d'intervenir pendant que l'avocat du demandeur interroge l'agent qui était chargé de la fouille. Par ailleurs, à plusieurs reprises, le président empêche qu'une question soit posée ou qu'une réponse soit donnée, et ce, de façon complètement arbitraire. Quelques illustrations suivent :

Transcription

pp.25-26

L'avocat du demandeur :

(...) S'il y a un plan de fouille puis que le gardien fait une fouille, puis que c'est écrit qu'il faut qu'il le fasse conformément, puis que le plan de fouille est précis, ben je veux savoir ce que le gardien sait dessus puis ce qu'il a fait. (...) je veux voir ce qu'il a fait, ce qu'il a compris du plan de fouille puis comment il a fonctionné là-dessus (...) qu'on me laisse poser des questions au gardien sur ce qu'il a fait, ça le met dans l'embarras, ça se peut (...)

L'assesseur :

Monsieur [le président], monsieur Laberge a répondu à tout ça, c'est une fouille mensuelle, le plan de fouille l'autorise à effectuer une fouille de chaque cellule au moins une fois par mois, faut que les officiers soient deux pour effectuer la fouille. Il a répondu à tout ça, il n'y a pas de raison d'avoir d'autres questions supplémentaires à ce sujet-là.

L'avocat du demandeur :

Ben voyons donc! Je pense que je peux questionner amplement sur...

L'assesseur :


Ça c'est des questions vagues, imprécises qui ont juste pour but d'embêter monsieur Laberge. (...) Si vous voulez [s'adressant au président] poser des questions sur le plan de la fouille, que ce soit par vous ou par l'avocat si vous voulez, qu'il les pose à moi. Le plan de fouille, je le connais sur le bout de mes doigts, je supervise des employés, monsieur Laberge a fait ce qu'il avait à faire...

L'avocat du demandeur :

Mais c'est pas vous qui avez fouillé, c'est pas vous qui avez fouillé.

L'assesseur :

Monsieur Laberge a fait ce qu'il avait à faire.

(...)

L'avocat du demandeur:

...le plan de fouille dit le lieu, dit les moyens pouvant être entrepris pour les effectuer. Je veux savoir c'est quoi tous les moyens, avec des gants, avec des...on peut briser des choses, je veux tout savoir, puis j'ai le droit de tout savoir.(...)

L'assesseur:

Vous posez des questions imprécises qui ont pas ... qui ont pas leur place. (...)

Monsieur [le président], je demande que toutes les questions de [l'avocat du demandeur] passe par vous...

Le président :

Ça va.

L'assesseur :

...et qu'elles soient filtrées.

Le président :

J'accepte.

(...)

L'avocat du demandeur:

(...) ce que j'aimerais poser, c'est combien de fois dans un mois, est-ce qu"il y a un maximum ou un minimum?

L'agent Laberge:


Je pense pas qu'il y a de maximum.

L'assesseur:

Excusez! Ben posez des questions précises. De quel type de fouille monsieur l'avocat parle?

L'avocat du demandeur:

Une fouille dans une cellule.

L'assesseur:

Pardon?

L'avocat du demandeur:

Dans une cellule.

L'assesseur :

Quel type de fouille précise dans une cellule?

(...)

Le président :

(...) Alors si vous avez pas d'autres questions à poser à monsieur Laberge concernant les faits, concernant l'événement, concernant le rapport, le témoignage de monsieur Laberge est terminé.

L'avocat du demandeur :

Mais j'ai d'autres questions.

Le président :

Mais qui concernent les faits sous forme de questions. Si c'est des questions d'ordre général je vais empêcher monsieur Laberge de répondre à vos questions.

(...)

L'avocat du demandeur :

En fait, puis en pratique, c'est quoi les moyens que l'agent a pris pour respecter le plan de fouille?

Le président :

Vous voulez dire quoi les moyens? (...) C'est quoi pour vous un moyen, là?


L'avocat :

C'est ça, regardez, le texte là...

Le président :

On n'est pas ici pour faire de la sémantique là, on est ici parce que...

L'avocat :

Le texte de loi prévoit... le texte de loi prévoit que ça prend tant de fouilles puis il indique les moyens pouvant être effectués pour effectuer les fouilles. Alors je veux savoir...

Le président :

Alors [l'assesseur] va nous répondre à ça.

L'avocat :

Mais c'est pas à [l'assesseur] que je pose la question. Moi je veux savoir... (...) les moyens que le gardien a utilisés pour respecter le plan de fouille. Je veux savoir ça.

(...)

Le président :

Messieurs! Maître [l'avocat du demandeur], je permettrai pas à monsieur Laberge de répondre à cette question là. Je vous l'ai mentionné tout à l'heure que je voulais m'en tenir aux faits et quant à moi, quant aux faits là, le témoignage de monsieur Laberge est complété.

(...)

L'avocat :

J'aimerais savoir, monsieur Laberge où il a fouillé exactement, puis les autres personnes où ils ont fouillé?

L'agent Laberge :

Tu veux que je te dise où j'ai fouillé dans la cellule? J'ai fouillé un petit peu...

Le président :


Je m'excuse là! Je m'excuse là, répondez pas à cette question-là. (...) Monsieur Laberge, il a signé le document et je le répète une dernière fois, parce que c'est essentiel que ça soit enregistré. Monsieur Laberge a signé l'avis de fouille, il était accompagné de Madame Mathieu et l'avis de fouille identifie la cellule J-216. Dans son témoignage, Monsieur Laberge nous a indiqué à quel endroit il avait trouvé le couteau marque T-Fal environ neuf pouces et quart. Alors c'est clair quant à moi.

[10]            L'attitude du président et surtout celle de l'assesseur m'apparaissent inacceptables dans les circonstances; bien que le président soit maître de la procédure, il y a aussi des limites à ne pas franchir; la lecture des notes sténographiques de l'audience laisse un goût amer et il est à souhaiter que, tant le président que l'assesseur, manifestent une plus grande retenue lors de futures audiences et laissent le procureur du détenu faire son travail, comme il est en droit de le faire.

Défaut de justice naturelle :

[11]            L'article 25 du Règlement prévoit les renseignements qui doivent figurer dans l'avis d'accusation d'infraction disciplinaire :

a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition; b) les dates, heure et lieu de l'audition.


[12]            Le président du tribunal a jugé suffisant qu'on indique sur l'avis qu'on avait trouvé un couteau dans la cellule du demandeur; aucun détail n'était donné. Le demandeur n'a donc été informé que de l'infraction disciplinaire reprochée; on ne lui a fourni aucun des éléments de preuve à l'appui de l'accusation. Jusqu'au jour de l'audience, ni le demandeur ni son avocat ne savaient où le couteau avait été trouvé, ni dans quelles circonstances. Pourtant, une partie importante de la preuve tourne sur le luminaire dans la cellule. En privant le demandeur des éléments de preuve, on le prive de ses moyens de défense, ce qui est tout à fait contraire au principe de justice naturelle.

[13]            Le demandeur invoque, avec raison à mon sens, la décision du juge Pinard de notre Cour dans l'affaire Savard c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 105. Je crois que l'on peut reproduire ici les propos du juge Pinard, qui s'appliquent tout aussi bien à l'espèce :

6       Comme dans le présent cas, l'avis de l'accusation ne comporte qu'une simple description de l'infraction, qu'on n'y retrouve aucun résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qu'on entendait présenter à l'audition devant le tribunal disciplinaire, je suis forcé de constater qu'on n'a pas respecté la volonté du Parlement, laquelle vise à accorder à un détenu accusé d'une infraction disciplinaire un moyen précis et particulier pouvant lui permettre de préparer une défense pleine et entière, principe reconnu de justice naturelle.

[14]            En définitive, la procédure était entachée d'un défaut d'équité procédurale et de justice naturelle. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le contrôle judiciaire et de casser la décision du tribunal disciplinaire. Le dossier sera retourné au tribunal pour décision en prenant pour acquis que le requérant ne peut être trouvé coupable de l'infraction reprochée parce que l'avis d'accusation d'infraction disciplinaire relié à la dite infraction, n'a pas été donné en pleine conformité avec l'article 25 du Règlement.

[15]            Il ne sera donc pas nécessaire d'examiner les deux autres motifs soulevés au soutien de la présente demande.

Dossier T- 426-03                  

[16]            La demande de contrôle judiciaire porte sur une décision du Comité de discipline de trouver coupable le demandeur en vertu du paragraphe 40(l) de la Loi pour avoir refusé de fournir un échantillon d'urine.

FAITS

[17]            Dans un rapport d'observation daté du 8 décembre 2002, l'agent qui surveillait la salle de loisirs a observé trois détenus qui se passaient une cigarette que l'un d'entre eux (le demandeur) avait roulée. L'agent a vu le demandeur rouler deux cigarettes, mais a noté que ce qu'il supposait être une troisième cigarette a également été partagée par les trois détenus. L'agent était séparé de la salle par une vitre qui bloquait toutes les odeurs.


[18]            Le demandeur a expliqué pour sa part que vu le prix du tabac, et vu le fait que les provisions de tabac diminuent rapidement, il est normal de partager les cigarettes qu'on roule avec les autres, et qu'il serait pour le moins surprenant de fumer de la drogue de façon aussi ouverte.

[19]            Le 30 décembre 2002, sur la base du rapport d'observation, on a demandé un échantillon d'urine au demandeur, ce qu'il a refusé de fournir. Le demandeur s'est plaint au directeur du caractère vague des allégations. La preuve montre que l'agent qui a rempli le rapport d'observation s'est trompé quant aux numéros de cellules des détenus, et quant à la couleur de la robe de chambre du demandeur. Celui-ci, par ailleurs, ne nie pas dans son témoignage les faits observés.

Le demandeur a été trouvé coupable selon l'article 40 (l) de la Loi, et condamné à six jours de détention avec radio seulement.

QUESTION EN LITIGE

[20]            La décision du président du tribunal de considérer que le Service correctionnel du Canada avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait consommé de la drogue était-elle entachée d'une erreur de droit ou d'une d'erreur manifestement déraisonnable quant aux faits?

LÉGISLATION

[21]            Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions :


54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) il a obtenu l'autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration;

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior authorization of the institutional head;


40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

a) désobéit à l'ordre légitime d'un agent;

(...)

k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

40. An inmate commits a disciplinary offence who

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

(...)

(k) takes an intoxicant into the inmate's body;

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;


ANALYSE


[22]            La Loi prévoit qu'il faut des motifs raisonnables pour que l'agent puisse obliger un détenu à fournir un échantillon d'urine. Dans l'arrêt Lapierre c. Canada (PG), [2003] A.C.F. no 700 (C.F.), le juge Blanchard a jugé que le critère « motifs raisonnables » ne s'appliquait pas de la même façon selon qu'on parlait du droit criminel et du droit pénitentiaire, il a fait la distinction avec la décision La Reine c. Bergevin (Cour municipale de Laval, 0080 134877) où les indices d'odeur de marijuana et de yeux vitreux chez le suspect ont été jugés des motifs insuffisants pour procéder à une arrestation, alors que ces mêmes indices constituaient aux yeux du juge Blanchard des motifs raisonnables au sens de l'article 54. Le contexte disciplinaire d'un pénitencier, a indiqué le juge Blanchard, justifie un contrôle différent du comportement des personnes détenues.

[23]            Il s'agit donc de déterminer si, dans le contexte pénitentiaire, le simple fait de faire circuler une cigarette (ou plusieurs) autour d'une table constitue « des motifs raisonnables » de croire que le détenu a « introduit dans son corps une substance intoxicante » . L'explication fournie par le demandeur est plausible, et il manque certes des éléments à la preuve pour la rendre convaincante. L'agent ne pouvait identifier la substance ni la sentir; sauf pour le fait de partager les cigarettes, il n'y avait aucune anomalie à signaler dans le comportement des détenus, qui ont agi au grand jour, sans se cacher. D'après le témoignage, il n'y avait pas « des » motifs raisonnables de croire, seulement un soupçon du fait que la cigarette était partagée.

[24]            Par ailleurs, il est curieux que la demande d'échantillon soit faite le 30 décembre 2002, alors que le motif raisonnable invoqué est un fait qui remonte au 8 décembre 2002. Si l'agent a véritablement des motifs de croire qu'un échantillon d'urine est nécessaire pour prouver l'infraction qui aurait été commise le 8 décembre 2002, pourquoi attendre trois semaines pour demander l'échantillon?

[25]            À mon avis, le demandeur a raison de se plaindre du caractère trop vague des allégations, compte tenu du caractère plutôt anodin de ce qui a été observé, dont le demandeur fournit une explication plausible, et compte tenu du temps écoulé entre l'infraction alléguée et la demande d'échantillon. Dans son appréciation de la preuve, le président tient compte d'allégations passées, et explique que ce qui l'amène à conclure que l'agent avait des motifs raisonnables pour demander l'échantillon, c'est que « moi-même étant ex-fumeur, je conclus que c'est une façon étrange de fumer entre individus » (transcription page 39) sans nullement tenir compte du témoignage du demandeur.


[26]            En fait, il n'était pas déraisonnable pour l'agent de mettre son observation par écrit et de la soumettre à son supérieur. Cependant, il aurait été sage de faire suivre son observation par d'autres gestes concrets comme par exemple saisir les cigarettes potentiellement incriminantes, ou encore évaluer sommairement l'odeur ou d'autres signes distinctifs chez les fumeurs suspects, dans les minutes suivant l'observation.

[27]            C'est davantage le délai de plus de trois semaines qui rend l'exercice déraisonnable. Il demeurera toujours possible pour un agent d'observer le comportement d'un ou plusieurs détenus, et d'arriver à la conclusion qu'il a « des motifs raisonnables de croire que le ou les détenus a introduit dans son corps une substance intoxicante » . L'agent devra cependant faire suivre son observation d'autres mesures, telles que discutées plus haut, qui permettent d'exercer un contrôle plus « serré » des événements, et de tirer des conclusions générales qui soient, elles, raisonnables.

[28]            Pour ces motifs, je pense que la conclusion du président était manifestement déraisonnable. Je suis d'avis de casser la décision pour renvoyer l'affaire devant un autre président indépendant. Encore une fois, il semble impossible de refaire l'exercice de façon satisfaisante et d'en arriver à trouver le requérant coupable de l'infraction reprochée, compte tenu de toutes les circonstances et particulièrement des présents motifs.


« Pierre Blais »                                  

Juge

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