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Date : 19990331

Dossier : IMM-1430-99

ENTRE :

FREDERICK OGHENERUMU UMUKORO,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]    Le demandeur, M. Frederick Oghenerumu Umukoro, un citoyen du Nigéria, a déposé, le 22 mars 1999, une demande fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration en vue d'obtenir l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire d'une convocation, datée du 4 mars 1999, que Carolyn Moffett, agente du défendeur chargée d'exécuter la Loi, lui a délivrée.

[2]    La convocation avisait le demandeur qu'il serait renvoyé du Canada le jeudi 1er avril 1999 et elle lui enjoignait de se présenter, à cette date, à 17 h, au Centre d'Immigration Canada à l'Aéroport international Pearson, Terminal no 2, pour prendre un vol à 19 h 45.

[3]    Dans sa demande d'autorisation, le demandeur cherche à faire annuler [TRADUCTION] « la décision de l'agente d'immigration de renvoyer le demandeur malgré le fait que sa demande du droit d'établissement était en instance, et à obtenir que l'affaire soit renvoyée pour être examinée de nouveau sur le fond conformément aux principes de l'équité administrative » . Le principal motif invoqué par le demandeur était que l'agente d'immigration a abusé de son pouvoir discrétionnaire ou agi sous la dictée de quelqu'un lorsqu'elle a pris sa décision.

[4]    Le demandeur a également demandé à la Cour, le 22 mars 1999, de rendre une ordonnance en sursis de l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui, jusqu'à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit réglée.

[5]    J'ai entendu la demande de sursis à Toronto, le lundi 29 mars 1999, et j'expose les présents motifs pour étayer ma décision de rejeter la demande.

[6]    La demandeur a fondé sa demande de sursis sur le critère en trois volets (question sérieuse à juger, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) énoncé dans les arrêts R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311 et Toth c. M.E.I., [1989] 1 C.F. 536 (C.A.F.).

Le contexte

[7]    Le demandeur est arrivé au Canada le 14 décembre 1996. Étant donné que ses documents d'identité n'étaient pas en règle (il n'avait pas de passeport ni de visa d'immigration valide) et qu'il a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée, une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise contre lui.

[8]    Le 8 novembre 1997, sa revendication du statut de réfugié a été rejetée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR). J'ajoute que ni l'avocat du demandeur, ni celui du défendeur ne m'a soumis la décision de la SSR.

[9]    Le demandeur a alors cherché à obtenir l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR. L'autorisation lui a été refusée le 15 mai 1998.

[10] Bien qu'aucun détail ne lui ait été fourni, la Cour a été avisée que le demandeur avait déposé une demande afin que soit tranchée la question de savoir s'il appartenait à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Cette demande n'a pas été acceptée, car le délai dans lequel elle pouvait être déposée était échu.

[11] Le 15 septembre 1998, le demandeur a soumis à Citoyenneté et Immigration Canada une demande de résidence permanente sans quitter le Canada, par laquelle il cherchait à obtenir une dispense, pour des motifs d'ordre humanitaire, faisant en sorte que sa demande soit traitée au pays. Sa demande de résidence permanente était parrainée par son cousin.

[12] Le demandeur a fondé sa demande de dispense sur les motifs suivants :

[TRADUCTION] J'ai un emploi et mon employeur dépend de moi. Mon absence occasionnera des difficultés pour mon employeur sur le plan du personnel. Je suis déjà au Canada et j'aimerais que toute demande soit traitée au Canada.

[13]       En ce qui concerne les difficultés excessives auxquelles il serait confronté s'il devait déposer sa demande à un bureau des visas se trouvant à l'extérieur du Canada, le demandeur a dit :

[TRADUCTION] J'aurai besoin d'un visa pour me rendre dans un autre pays afin de déposer ma demande, ce qui me pose un problème, car je n'ai aucun statut au Canada. J'ai tissé des liens étroits avec mon cousin et son épouse et mon départ vers mon pays d'origine, le Nigéria, nous occasionnera des souffrances affectives.    J'ai des amis à l'église et au travail. Mon départ imposera à mes amis et à moi-même des souffrances inutiles.

[14]       Il ressort de la demande de résidence permanente déposée par le demandeur qu'il est né au Nigéria en 1968, qu'il n'a jamais été marié, et qu'il n'a aucune personne à charge au Canada.

[15]       La demande de résidence permanente par laquelle le demandeur cherchait à obtenir que sa demande soit traitée au Canada n'a toujours pas été réglée.

[16]       Le 8 janvier 1999, Carolyn Moffett a écrit une lettre au demandeur dans laquelle elle renvoyait à la mesure de renvoi prise contre lui et l'avisait qu'il aurait une entrevue le vendredi 22 janvier 1999, afin de prendre les dispositions nécessaires en vue de son départ.

[17]       L'entrevue a effectivement eu lieu à cette date. L'avocat qui représentait le demandeur à l'époque y a assisté. Pendant l'entrevue, le demandeur a dit à Mme Moffett qu'il avait déposé une demande de passeport au Haut-commissariat du Nigéria, à Ottawa. Le dossier dont je dispose contient la correspondance que Carolyn Moffett et le Haut-commissariat du Nigéria se sont échangée concernant la demande de passeport déposée par le demandeur.

[18]       Après avoir reçu la convocation datée du 4 mars 1999, le demandeur a retenu les services d'un nouvel avocat qui a communiqué avec Carolyn Moffett le 16 mars 1999. Madame Moffett a alors inscrit la note suivante au dossier :

[TRADUCTION] J'ai reçu aujourd'hui un appel du nouvel avocat... qui demande qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prévue le 1er avril 1999. Son client a déposé une demande de parrainage de son cousin fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, en instance depuis septembre 1998. Le processus d'entrevue/de dispositions en vue du renvoi a été entamé le 22 janvier 1999. L'avocat a été avisé qu'un sursis ne sera pas accordé.

[19]       Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de sa demande de sursis, le demandeur dit que son avocat l'a avisé [TRADUCTION] « que Mme Moffett a refusé d'envisager la possibilité de repousser la date de mon renvoi, même si j'ai déposé une demande du droit d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire » .

[20]       Dans un affidavit de réponse déposé pour le compte du défendeur, Kathie Woodcock, commise administrative de la Section du droit de l'immigration du Bureau régional de l'Ontario du ministère de la Justice, dit que Carolyn Moffett l'a avisée que l'avocat du demandeur lui avait demandé de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre ce dernier. Madame Woodcock dit, dans son affidavit :

[TRADUCTION] Madame Moffett m'a également informée, et je la crois sur ce point, qu'elle a dit à l'avocat que la question de savoir si le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi devait être accordé dépendait de chaque cas, qu'elle avait entamé le processus de renvoi plus tôt en janvier, et qu'à son avis, le dossier ne justifiait aucunement qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.

[21]       L'affidavit de Kathie Woodcock a donné lieu à une réponse du demandeur, par l'entremise d'un affidavit daté du 26 mars 1999.

[22]       Dans cet affidavit, le demandeur dit que son avocat l'a informé que Mme Moffett ne lui avait jamais dit que la question de savoir si le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi était accordé dépendait de chaque cas, mais plutôt que :

[TRADUCTION] ... elle avait clairement dit qu'elle refusait de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi, même après avoir été avisée par mon avocat que j'avais déposé une demande du droit d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire il y a près de six mois.

[23]       Ni l'un ni l'autre des auteurs de ces affidavits n'a été contre-interrogé concernant son affidavit.

L'analyse

a) La question sérieuse à juger

[24]       La jurisprudence de notre Cour est claire : une agente, telle Carolyn Moffett, chargée du renvoi d'une personne a un certain pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur l'immigration concernant le renvoi, une fois qu'elle a commencé à prendre les dispositions nécessaires afin d'exécuter la mesure de renvoi. Un tel pouvoir discrétionnaire est nécessaire, car en vertu de l'article 48 de la Loi sur l'immigration, les mesures de renvois doivent être exécutées « dès que les circonstances le permettent » .

[25]       Le juge Simpson, dans la décision Poyanipur c. Canada 116 F.T.R. 4, a conclu que, dans certaines circonstances appropriées, un examen valable de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire pouvait comprendre la considération selon laquelle il serait raisonnable d'attendre que soit rendue une décision concernant une demande en instance fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[26]       Le fait qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire ne soit toujours pas réglée n'empêche pas en soi l'exécution de la mesure de renvoi (Voir Francis c. Canada, IMM-156-97, une décision du juge Noël datée du 14 janvier 1997).

[27]       La question de savoir si l'agent chargé d'un renvoi peut tenir compte du fait qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire n'a toujours pas été réglée dépendra des circonstances de chaque affaire. Voir par exemple Pavalaki c. Canada (IMM-914-98, une décision du juge Reed en date du 10 mars 1998, et Omokaro Ukponmwan c. Canada, IMM-4044-98, une décision du juge Evans en date du 13 août 1998).

[28]       À l'extrême, l'argument avancé par le demandeur est que Carolyn Moffett a carrément dit à son avocat : « nous ne sursoyons pas à l'exécution des mesures de renvoi pour des motifs d'ordre humanitaire et nous ne surseoirons pas à l'exécution de la mesure prise contre M. Umukoro » .

[29]       Si l'agente chargée du renvoi a effectivement dit cela à l'avocat du demandeur, elle a abusé de son pouvoir discrétionnaire, car elle a omis d'examiner si, dans les circonstances de l'affaire, l'existence d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en instance était une considération appropriée et pertinente.

[30]       Le défendeur nie que l'agente chargée du renvoi a dit qu'il n'était jamais tenu compte des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire en instance dans le cadre du traitement de demande visant à obtenir qu'il soit sursis à l'exécution de mesures de renvoi. Le défendeur dit que cela dépend de chaque cas.

[31]       Mon appréciation de la preuve m'amène à conclure que l'argument du demandeur concernant la question de savoir si l'agente a abusé de son pouvoir discrétionnaire est peu convaincant. Cependant, la preuve par affidavits, lesquels n'ont pas fait l'objet de contre-interrogatoires, est contradictoire et sa signification est sujette à interprétation. Les faits, qui n'ont pas été établis avec certitude, soulèvent une question sérieuse à juger, car cela étaye la conclusion selon laquelle l'agente a abusé de son pouvoir discrétionnaire.

b) Le préjudice irréparable

[32]       Le demandeur doit convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, qu'il subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé au Nigéria, alors que la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire qu'il a déposée en vue d'obtenir que sa demande de résidence permanente soit traitée sans qu'il doive quitter le Canada n'a toujours pas été réglée.

[33]       Le demandeur dit qu'il subira un préjudice irréparable parce que les revendicateurs du statut de réfugié déboutés risquent grandement d'être détenus et torturés à leur retour au Nigéria.

[34]       Le seul élément de preuve que le demandeur a produit pour étayer cette allégation est une note de service, datée du 16 janvier 1998, de la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) faisant état de renseignements obtenus le 14 janvier 1998 dans le cadre d'un entretien téléphonique avec un représentant de la Fondation Ford pour l'Afrique de l'Ouest, selon lequel les revendicateurs du statut de réfugié déboutés risquent grandement d'être détenus et torturés à leur retour au Nigéria.

[35]       Le représentant de la Fondation Ford a également dit à la CISR que le risque que court la personne visée d'être détenue et torturée est plus grand si celle-ci est une opposant connue du gouvernement et que, le gouvernement actuel (en janvier 1998) du Nigéria se préoccupant beaucoup de son image, le fait de revendiquer le statut de réfugié [TRADUCTION] « pourrait fort probablement être interprété » par le gouvernement comme une [TRADUCTION] « représentation erronée de la situation qui règne au Nigéria » .

[36]       J'ai examiné en entier le document de la Direction de la recherche de la CISR produit par le demandeur et je ne suis pas convaincu, même à première vue, qu'il étaye l'argument du demandeur concernant le préjudice irréparable.

[37]       En particulier, je fais remarquer que le document d'information, outre l'avis du représentant de la Fondation Ford, ne donne qu'un exemple d'un revendicateur du statut de réfugié débouté qui aurait été détenu. L'exemple remonte à 1995.

[38]       Le défendeur réfute le témoignage du demandeur en citant des informations diffusées par BBC News portant sur les élections qui ont récemment eu lieu au Nigéria, la transition d'un gouvernement militaire à un gouvernement civil, la libération de détenus et le retrait d'accusations relatives à une tentative de coup d'État sanglante, survenue en 1990.

[39]       Le demandeur, dans son affidavit supplémentaire du 26 mars, a tenté de réfuter les renseignements présentés par le défendeur concernant la situation qui règne présentement au Nigéria en produisant dix articles d'information récents qu'il a obtenus au Centre de documentation de la CISR à Toronto.

[40]       J'ai examiné ces documents. Aucun d'eux ne traite de revendicateurs du statut de réfugié déboutés qui auraient été détenus et torturés au Nigéria.

[41]       Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis d'avis que le demandeur n'a tout simplement pas réussi à établir qu'il subirait un préjudice irréparable. La preuve qu'il a produite est faible (il s'agit d'un seul document portant sur un entretien téléphonique qui a eu lieu en janvier 1998), elle n'est pas corroborée par d'autres éléments de preuve, et elle ne fournit qu'un seul exemple du traitement qu'aurait subi, en 1995, un revendicateur du statut de réfugié débouté.

[42]       En résumé, j'estime que la preuve du demandeur concernant le préjudice irréparable est spéculative, hypothétique et désuète. Le demandeur devait produire de bien meilleurs éléments de preuve pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu'il subirait un préjudice irréparable s'il n'était pas sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.

[43]       Vu la conclusion que j'ai tirée concernant le préjudice irréparable, il n'est pas nécessaire que je tire une conclusion en matière de prépondérance des inconvénients; il me suffit de renvoyer à ce que le juge Reed a dit dans Pavalaki sur la question des demandes de sursis de dernière minute et les conséquences de celles-ci pour le défendeur.


[44]       Demande de sursis rejetée.

           « François Lemieux »          

                                                                                                                              juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 31 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                                         IMM-1430-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            FREDERICK OGHENERUMU

                                                                                    UMUKORO

                                                                                    - c. -

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE LUNDI 29 MARS 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                                                             MERCREDI 31 MARS 1999

ONT COMPARU :                                                     Michael Brodzky

                                                                                                Pour le demandeur

                                                                                    Godwin Friday

                                                                                                Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                   Michael E. Brodzky

                                                                                    Barrister & Solicitor

                                                                                    69, rue Elm

                                                                                    Toronto (Ontario)

                                                                                    M5G 1H2

                                                                                                Pour le demandeur

                                                                                    Morris Rosenberg

                                                                                    Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 19990331

Dossier : IMM-1430-99

Entre :

FREDERICK OGHENERUMU

UMUKORO,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS D'ORDONNANCE

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