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Date : 20050906

Dossier : IMM-8912-04

Référence : 2005 CF 1211

ENTRE :

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 4 octobre 2004 par laquelle un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déclaré que le demandeur Jothiravi Sittampalam était interdit de territoire en vertu des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]                Le demandeur est né au Sri Lanka en 1970. Il est arrivé au Canada en 1990 et a demandé avec succès l'asile à titre de réfugié au sens de la Convention. En 1992, il a obtenu le statut de résident permanent du Canada. Le demandeur a fait l'objet d'un signalement en vertu du paragraphe 27(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration à la suite de ses déclarations de culpabilité pour trafic de stupéfiants. Il a par la suite de nouveau fait l'objet d'un signalement, cette fois aux termes de l'alinéa 27(1)a) de l'ancienne loi, indiquant qu'il était interdit de séjour en vertu de l'alinéa 19(1)c.2) en tant que personne dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'infractions.

[3]                Une enquête a été ouverte en juin 2002. Elle s'est poursuivie jusqu'en août 2004. Après l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) en juin 2002, l'enquête s'est poursuivie en vertu des articles 36 et 37 de la LIPR. Il a été admis au nom du demandeur que, comme celui-ci avait été déclaré coupable de trafic de stupéfiants en 1996 et qu'il avait été condamné à une peine d'emprisonnement de plus de six mois, en l'occurrence une peine de deux ans moins un jour, il était une personne visée à l'alinéa 36(1)a) de la LIPR. L'enquête a donc uniquement porté sur la question de savoir si le demandeur était également une personne visée à l'alinéa 37(1)a). Il était important que l'enquête se poursuive de cette manière étant donné que, comme le demandeur avait été condamné à une peine de plus de six mois mais de moins de deux ans, les paragraphes 64(1) et 64(2) de la LIPR l'empêchaient de se pourvoir en appel devant la Section d'appel de l'immigration à moins de conclure qu'il n'était pas une personne visée à l'alinéa 37(1)a) de la LIPR. Sinon, la seule voie de recours qui lui serait ouverte serait le contrôle judiciaire.

[4]                Au terme d'une longue audience, le commissaire a rédigé des motifs fouillés qui comptent 55 pages. Il conclut ce qui suit à la page 55 :

Le critère en droit cité à l'alinéa 37(1)a) de la loi demande qu'il y ait des motifs raisonnables de croire qu'une organisation se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. J'ai la conviction que la preuve citée ici va bien au-delà de motifs raisonnables de croire.

En fonction de tous ces raisonnements, j'en conclus que M. Sittambalam n'est pas admissible aux termes de l'alinéa 37(1)a) de la loi, du fait qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[5]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                Le demandeur soulève cinq questions dans son mémoire :

a)                   Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en n'appliquant pas la bonne norme de preuve en ce qui concerne les articles 33 et 37 de la LIPR?

b)                   Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit dans son appréciation de la preuve et en tirant des conclusions qui étaient manifestement déraisonnables?

c)                   Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en accordant de l'importance aux rapports de police et aux témoignages des policiers concernant des incidents qui ne s'étaient pas soldés par des accusations au criminel ou qui, si des accusations avaient été portées au criminel, ne s'étaient pas soldés par une déclaration de culpabilité mais par un retrait ou un rejet desdites accusations?

d)                   Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en définissant le terme « organisation » que l'on trouve à l'alinéa 37(1)a) de la LIPR en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en retenant une définition inexacte?

e)                   Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du groupe A.K. Kannan?

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]                La Cour d'appel fédérale a récemment donné des directives succinctes sur la façon d'aborder un contrôle judiciaire de ce genre, surtout lorsqu'il porte sur l'alinéa 37(1)a) de la LIPR. Dans l'arrêt Thanaratnam c. Canada (MCI), 2005 CAF 122, la Cour d'appel déclare, sous la plume du juge Evans, au paragraphe 26 :

26             En ce qui a trait aux questions de fait et aux inférences reposant sur des faits, les décisions de la Commission sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d). Par contre, il n'y a pas lieu de faire preuve de déférence à l'égard de l'interprétation donnée par la Commission aux dispositions particulières de ses lois habilitantes : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3.

Et au paragraphe 33 :

33             Il est important de rappeler que la Cour n'occupe pas les mêmes fonctions que la Commission. Notre fonction n'est pas de décider si, selon la preuve présentée à la Commission, il existait des « motifs raisonnables de croire » mais seulement de décider s'il était irrationnel de toute évidence pour la Commission de tirer cette conclusion. En l'absence d'une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il est difficile d'établir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire » , était manifestement déraisonnable.

[8]                QUESTION no 1 : Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en n'appliquant pas la bonne norme de preuve en ce qui concerne les articles 33 et 37 de la LIPR?

L'article 33 et l'alinéa 37(1)a) de la LIPR sont rédigés comme suit :

Interprétation

      33. Les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Rules of Interpretation

      33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

...

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a)     être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d'un tel plan;

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

(a)    being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

[9]                L'avocate du demandeur soutient que le commissaire n'a pas appliqué le bon critère juridique lorsqu'il a examiné l'alinéa 37(1)a). Le commissaire, aux pages 24 et 25 de ses motifs, expose les arguments de l'avocate :

Elle a présenté trois arguments en droit concernant la norme de preuve applicable.

Tout d'abord, les dispositions de l'article 33 de la loi ne sauraient être interprétées comme signifiant qu'une décision d'admission défavorable peut être rendue en fonction de motifs raisonnables de croire. Les termes de l'article signifieraient plutôt que les faits invoqués pour preuve sont assujettis à la norme légale permettant à la décision actuelle basée sur cette preuve et sur ces faits, concernant l'interdiction de séjour, d'être rendue selon la norme habituelle et plus stricte réservées aux affaires civiles, la prépondérance des probabilités.

Deuxièmement, l'alinéa 37(1)a) de la loi ne s'applique que dans le cas d'une appartenance présente à une organisation criminelle. La loi omet tout renvoi au passé ou à l'avenir d'une telle appartenance pour motif d'interdiction de territoire.

Troisièmement, après avoir décrit la nature du critère en droit de motifs raisonnables, elle argue que ce critère varierait selon les conséquences. Lorsque la question examinée est très sérieuse et qu'une décision entraînerait de graves conséquences, un critère plus strict est approprié - c'est-à-dire « ... une norme de preuve légèrement plus élevée concernant la notion de 'raisonnable' devrait être applicable lorsque la liberté est en jeu » (Smith c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1991), 42 F.T.R. 81 (C.F.S.P.I.).

[10]            En ce qui concerne le premier de ces arguments, rien ne permet d'interpréter les dispositions de l'article 33 de la LIPR de manière à imposer une charge de preuve plus lourde que celle des « motifs raisonnables » lorsqu'il est question de faits.

[11]            La norme que le ministre doit appliquer lorsqu'il apprécie les faits est celle des « motifs raisonnables » . La Cour d'appel fédérale a expliqué ce critère dans l'arrêt Charkaoui, 2004 CAF 421 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada accordée le 25 août 2005). Les juges Décary et Létourneau, avec l'appui du juge en chef Richard, affirment aux paragraphes 102 à 105 :

102           Le critère des « motifs raisonnables » est généralement la norme retenue pour l'introduction de poursuites pour des gestes répréhensibles ainsi que pour l'exercice de pouvoirs préventifs ou d'enquête. Ainsi, à titre d'exemples, le pouvoir d'arrestation d'un individu par un policier, la demande d'obtention d'un mandat de perquisition et la délivrance du mandat par le juge de paix ont pour fondement les motifs raisonnables (voir les articles 487, 495, 507(4), 512, 524(1), 525(5) et 679(6) du Code criminel). Pour ce qui est de l'aspect préventif, le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une personne est sur le point de commettre un acte criminel ou de violer sa promesse de comparaître de sorte qu'il est dans l'intérêt public de procéder à son arrestation. Il en va de même pour la dénonciation qui reproche à un individu la commission d'un acte criminel ou d'une infraction (articles 506 et 778 du Code criminel).

103           La norme des « motifs raisonnables » requiert plus que des soupçons. Elle exige aussi plus qu'une simple croyance subjective de la part de celui qui les invoque. L'existence des motifs raisonnables doit être établie objectivement, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait cru à l'existence de motifs raisonnables, dans le cas d'une arrestation, de procéder à l'arrestation : R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, à la page 250.

104           Cette norme des « motifs raisonnables » a été qualifiée « d'importante mesure protectrice » en l'absence de laquelle « même la société la plus démocratique ne pourrait que trop facilement devenir la proie des abus et des excès d'un État policier » : ibidem, à la page 249. Mais, écrit la Cour suprême du Canada, « la société a besoin également de protection contre le crime. Ce besoin commande l'établissement d'un équilibre raisonnable entre le droit des particuliers à la liberté et la nécessité de protéger la société contre le crime. C'est pourquoi il suffit que la police établisse l'existence de motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation » : ibidem, aux pages 249 et 250.

105           En l'espèce, pour fonder l'interdiction de territoire, le ministre doit, au terme de l'article 33 de la LIPR, avoir des motifs raisonnables de croire que les actes ou omissions mentionnés aux articles 34 à 37 sont survenus, sont en train de survenir ou, et il s'agit là de l'aspect préventif, peuvent survenir. Il faut donc qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances et avec les mêmes faits en arrive à la même croyance. La norme « des motifs raisonnables » appliquée aux faits délictuels passés ou en cours de réalisation n'est donc pas, selon la jurisprudence, une norme trop minimale ou trop faible. Elle est suffisante.

[12]            Comme la Cour d'appel fédérale l'a bien précisé dans l'arrêt Moreno c. Canada (MEI), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.F.), cette norme des « motifs raisonnables » vaut pour les conclusions de fait, mais elle ne s'applique pas si la question à trancher est essentiellement une question de droit. Le juge Robertson a écrit aux paragraphes 22 et 23 :

22             À mon avis, la norme de preuve requise n'est pertinente en droit que lorsque le tribunal est appelé à rendre des décisions qui peuvent être qualifiées de questions de fait. La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil n'est pas pertinente lorsque la question examinée est essentiellement une question de droit. Pour les fins de l'application de la disposition d'exclusion, il suffit que j'expose brièvement le fondement sur lequel j'établis une distinction entre les deux formes de questions et mes raisons pour le faire.

23             On a défini la conclusion de fait comme la conclusion qu'un phénomène s'est produit, se produit ou se produira indépendamment de toute décision concernant ses effets juridiques ou antérieurement à celle-ci; voir L. L. Jaffe, Judicial Control of Administrative Action, Boston : Little, Brown and Company, 1965, à la page 548. La question de droit a, quant à elle, été définie de nombreuses façons; voir par exemple P. J. Fitzgerald, Salmond on Jurisprudence, 12e éd., London : Sweet & Maxwell, 1966, à la page 10. C'est peut-être le professeur Wade qui définit le mieux le fondement sur lequel les questions de droit se distinguent nettement des questions de fait :

[TRADUCTION] Les questions de droit doivent être différenciées des questions de fait, mais il s'agit d'un cas où les règles ont pris différentes formes en raison de la manipulation judiciaire.

[13]            Ce qui nous amène au deuxième point, à savoir si l'alinéa 37(1)a) ne s'applique que si l'intéressé est présentement membre d'une organisation criminelle et non pas à une personne qui dans le passé a déjà appartenu à une telle organisation.

[14]            La Cour d'appel fédérale s'est récemment penchée sur l'interprétation juridique de l'alinéa 37(1)a) dans l'arrêt Thanaratnam, précité. Elle a toutefois abordé la question d'un point de vue différent de celui sous lequel il est envisagé en l'espèce. La cour explique, aux paragraphes 29 et 30 de ses motifs :

29             Ayant conclu que la Commission avait fait erreur en concluant que M. Thanaratnam était « membre » du V.V.T., le juge saisi de la demande n'a pas considéré si la preuve selon laquelle il « participait à des activités liées à un gang » (le premier critère utilisé par la police pour identifier les membres d'un gang) suffisait pour conclure qu'il était interdit de territoire du fait qu'il se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles du gang V.V.T., même s'il n'était pas « membre » du gang.

30             Selon moi, cela constitue une erreur de droit. L'alinéa 37(1)a) précise bien que « l'appartenance » à un gang et le fait de participer à des activités liées à un gang sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant de tenir une personne pour interdite de territoire au titre de la « criminalité organisée » . Le motif consistant à « se livrer à des activités liées à un gang » dans le cadre de la « criminalité organisée » a été ajouté par la LIPR et ne figurait pas à l'alinéa 19(1)c.2) de la loi antérieure, la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Afin de donner un sens à la modification apportée à la disposition précédente par la LIPR, il faut présumer que le législateur avait prévu d'étendre cette loi aux types de participation à des gangs qui ne sont pas visés (ou qui ne sont pas clairement visés) par le terme « membre » .

[15]            La Cour d'appel fédérale n'a pas formulé d'observations précises sur la conclusion tirée par le juge O'Reilly de la Cour fédérale dans cette affaire (Thanaratnam c. Canada (MCI), [2004] 3 R.C.F. 301) sur le sens du mot « organisation » à l'alinéa 37(1)a). Le juge O'Reilly dit ce qui suit aux paragraphes 29 à 31 :

29             Ni la Loi sur l'immigration ni la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne donne d'indication sur ce qu'est une « organisation » . Par ailleurs, le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, au paragraphe 467.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27] définit l'expression « organisation criminelle » en détail. Ce paragraphe stipule que l'organisation criminelle est un groupe, « quel qu'en soit le mode d'organisation » , composé d'au moins trois personnes « dont un des objets principaux ou une des activités principales » est de commettre des infractions graves susceptibles de procurer certains avantages aux membres du groupe. Plus particulièrement, une organisation criminelle au sens du Code n'inclut pas « un groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction » .

30             La définition du Code criminel ne s'applique pas directement à une situation en matière d'immigration. Toutefois, j'estime qu'il est utile de noter que le Code n'exige pas de formalités particulières ou de formalités ayant trait à la prise des décisions. Pour répondre à cette définition, il faut présumer qu'un groupe doit avoir une certaine forme de structure organisationnelle. Les mots « quel qu'en soit le mode d'organisation » laissent entendre qu'elle doit être organisée d'une manière quelconque, mais sans la nécessité de se doter d'un attribut minimum ou obligatoire.

31             En l'espèce, les deux groupes tamouls décrits par la police ont certaines caractéristiques d'une organisation, par exemple, l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base -- et je ne peux trouver aucune erreur dans la conclusion de la Commission selon laquelle ces groupes tombent sous le coup de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[16]            Je reviendrai plus loin, lors de mon analyse de la question no 4, sur cette interprétation du sens du mot « organisation » .

[17]            L'avocate du demandeur affirme que le verbe « être » que l'on trouve dans l'expression « être membre d'une organisation » à l'alinéa 37(1)a) signifie qu'au moment des faits, l'intéressé doit être membre de l'organisation en question et non en « avoir été membre » dans le passé. Il doit « être » effectivement membre au moment des faits. Lorsque la Cour lui a demandé ce qu'il fallait entendre par « au moment des faits » , l'avocate a répondu qu'il s'agit du moment de son signalement. Elle a expliqué que lorsque l'article 33 parle des faits qui sont « survenus, surviennent ou peuvent survenir » , il ne vise que les questions de fait et qu'en droit, l'alinéa 37(1)a) exige que l'intéressé soit membre de l'organisation à l'égard de laquelle les conclusions de fait en question peuvent être tirées au moment du signalement.

[18]            La décision Zündel, 2005 CF 295, portait en partie sur l'interprétation de l'article 37. Le paragraphe 18 de cette décision est rédigé comme suit :

18             Contrairement aux arguments de l'avocat de M. Zündel, pour qui les ministres doivent prouver les méfaits actuels ou futurs de M. Zündel, les ministres peuvent, en application de l'article 33 de la Loi, apporter les preuves d'événements passés, présents ou anticipés justifiant l'interdiction de territoire de M. Zündel pour des raisons de sécurité. Dans l'arrêt Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 482, [2003] A.C.F. no 1931, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée le 26 août 2004, [2004] C.S.C.R. no 62, la Cour d'appel fédérale a admis que la conduite passée de personnes, en particulier de celles qui se sont livrées à des activités constituant une menace pour la sécurité du Canada, doit être prise en compte dans la décision touchant l'interdiction de territoire :

Avec égards, je crois qu'il est difficile d'imaginer des allégations plus sérieuses que celle qui se rapporte au terrorisme ou à l'appartenance, présente ou passée, à une organisation terroriste. Les organisations terroristes sont par leur nature imprévisibles. L'existence de cellules dormantes est largement reconnue et le simple fait que quelqu'un vit d'une façon paisible au Canada depuis bien des années ne l'empêche pas de menacer la sécurité des Canadiens. Contrairement aux arguments de l'appelant, l'allégation selon laquelle une personne est un ancien membre d'une organisation terroriste est donc fort sérieuse. Par conséquent, la gravité des allégations milite en faveur de la continuation des procédures. (...) (Al Yamani c. Canada (M.C.I.), précité, au paragraphe 38)

[19]            Les avocats des deux parties sont d'accord pour dire qu'il n'existe aucune décision qui porte directement sur la question de savoir comment, en droit, il faut interpréter le verbe « être » (en anglais, « being » ) à l'alinéa 37(1)a). Certes, en anglais, le mot « being » exprime manifestement le temps présent, mais il a également été interprété comme englobant aussi le passé. On trouve à cet égard ce qui suit dans l'ouvrage Stroud's Judicial Dictionary of Words and Phrases, 6e éd. Londres, Sweet & Maxwell, 2000, vol. 1, à la page 254, à la rubrique « Being » :

[TRADUCTION]

BEING( « être » ou « étant » ). Lorsqu'il est employé en un sens qui s'apparente à celui de l'ablatif absolu, le mot « being » ( « étant » ) est parfois traduit par « ayant été » ( « having been » ), mais il dénote en tout état de cause un état ou une situation qui existait au moment où la conclusion de fait ou de droit doit être tirée.

Ainsi l'expression « being a trader » ( « étant un commerçant » ), dans la Bankruptcy Act 1869 (ch. 71), signifie : « qui exploite un commerce au moment où l'acte en question est commis » (le maître des rôles Jessel, Exp. McGeorge, 20 Ch. D. 697; mais voir « Carry On » , vers la fin). Ainsi, il a été jugé que le commerçant ayant totalement cessé d'exploiter un commerce n'était pas responsable des conséquences de l'assignation signifiée au commerçant débiteur en vertu de l'alinéa 6b) de la Loi (Exp. Schomberg, 10 Ch. 172), et qu'il ne pouvait être déclaré en faillite pour avoir quitté son domicile au sens du paragraphe 6(3) (Exp. McGeorge, précité); mais s'il avait l'intention de reprendre ses activités de commerçant, il était toujours considéré comme un commerçant (Exp. Salaman, 21 Ch. D. 394).

Mais l'expression « Les personnes étant des associés » (peuvent ester en justice au nom de la société en nom collectif) que l'on trouve dans la Bankruptcy Act 1883 (ch. 52), art. 115) - voir l'article 2.119 actuel de la Bankruptcy Act 1914 (ch. 59) - ne signifie pas que ces personnes doivent être des associés au moment de la poursuite mais plutôt qu'elles « doivent avoir entretenu entre elles des rapports d'associés pour ce qui est de l'obligation dont on cherche à obtenir l'exécution » (le maître des rôles Alvertsone, Re Wenham [1990] 2 Q.B. 698).

[20]            Dans l'affaire Township of Bruce and Thornburn (1987), 61 O.R. (2nd) 321, le juge Montgomery explique que le mot « being » ( « étant » ou « être » ) qui figurait dans un texte de loi pouvait englober « having been » ( « ayant été » ) lorsque [TRADUCTION] « le sens de la loi l'exige ou lorsque le législateur a commis une erreur évidente » . Il a dit, à la page 351 :

[TRADUCTION] Alinéa 1i) -- « being » ou « having been » ( « étant » ou « ayant été » )

Si on l'interprète littéralement, la seconde partie de la définition actuelle du mot « subscriber » ( « abonné » ) est superflue, vu la présence du mot « being » ( « étant » ) dans la partie suivante de la définition : « Ce terme s'entend également de la personne qui, étant un abonné selon la description ci-dessus [...] » . L'emploi de ce mot constitue-t-il une erreur manifeste qu'aurait commise le législateur au moment de la nouvelle édiction de la Telephone Act en 1954 qu'il faudrait corriger par l'emploi des mots « ayant été » (qui avaient été employés de 1924 à 1954)?

La partie de la définition du terme « abonné » qui se trouve après les mots « Ce terme s'entend également de la personne qui » , semblerait totalement superflue en raison du mot « étant » . En d'autres termes, la personne qui répond à la définition d' « abonné » selon la première partie de cette définition n'a pas à satisfaire à d'autres critères. Le fait de satisfaire à d'autres critères alors que l'on ne répond pas à ceux prévus dans la première partie de la définition ne mène nulle part. L'emploi du mot « également » confirme et aggrave l'erreur dont est entaché l'emploi du mot « étant » .

Il ne faut pas interpréter une loi de manière à en rendre certaines parties « superfétatoires ou vides de sens » . Lorsque le sens de la loi l'exige ou qu'une erreur évidente a été commise lors de sa rédaction, le tribunal a le pouvoir de remplacer ce qui figure dans le texte de la loi par un autre mot ou une autre expression.

[21]            Dans l'arrêt récent Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2005) 39 C.P.R. (4th) 449, 2005 CSC 26, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont souligné qu'une loi ne doit pas être interprétée littéralement mais qu'il faut en découvrir l'esprit dans son contexte global. Le juge Binnie a écrit, pour le compte de la majorité, aux paragraphes 37 et 38 :

37    BMS soutient que, dès qu'il est établi que le paclitaxel est présent dans le produit de Biolyse, le par. 5(1.1) interdit la délivrance d'un ADC. Biolyse répond que la position de BMS est trop simpliste. Biolyse invoque la méthode moderne d'interprétation des lois laquelle, affirme-t-elle, s'applique également aux règlements, comme l'indique l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. Dans cette affaire, la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario prévoyait le versement aux employés d'indemnités de licenciement et de cessation d'emploi en cas de licenciement par l'employeur. La société Rizzo Shoes a fait faillite. Le syndic a rejeté les réclamations des employés parce que la cessation d'emploi résultait de la faillite et non de la volonté de l'employeur. Les tribunaux ontariens ont souscrit à l'opinion du syndic. Notre Cour a infirmé ces décisions et le juge Iacobucci a fait observer ce qui suit :

Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.

. . . Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.

38    Dans la même édition, Driedger ajoute qu'il faut porter attention, dans le cas d'un règlement, au libellé de la loi habilitante :

[traduction] Il ne suffit pas de déterminer le sens d'un règlement en l'interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante. L'objet de la loi transcende et régit l'objet du règlement.

(Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (1983), p. 247)

Ce point est important. La portée du règlement est restreinte par le texte législatif qui l'habilite. Ainsi, on ne peut simplement interpréter un règlement de la même façon que l'on interprète une disposition d'une loi. En l'espèce, la distinction est cruciale puisque, lorsqu'on l'envisage sous cet angle, la disposition réglementaire attaquée ne peut avoir le sens que BMS lui attribue. En outre, alors que l'argument des intimées prend appui dans une certaine mesure sur le libellé du par. 5(1.1) isolé de son contexte, il néglige de nombreux aspects importants de la « méthode moderne » .

[22]       Ainsi, si l'on interprète l'alinéa 37(1)a) dans son contexte, on constate que, bien qu'il ne vise que les faits, l'article 33 exige que l'on tienne compte des faits passés, présents et futurs. L'alinéa 37(2)a) permet au ministre de soustraire certaines personnes aux conséquences du paragraphe 37(1), ce qui, la plupart du temps mais pas toujours, s'entend de faits survenus dans le passé. Exiger que l'alinéa 37(1)a) ne s'applique qu'aux personnes qui, dans le présent, sont membres d'une organisation compromettrait gravement toute véritable application de ces dispositions. Il suffirait alors, comme on a tenté de le faire en l'espèce, de nier à ce moment-là être membre de l'organisation ou de cesser d'en faire partie.

[23]       Je conclus donc que l'expression « être membre d'une organisation » que l'on trouve à l'alinéa 37(1)a) de la LIPR comprend non seulement la personne qui était membre au moment du signalement, mais aussi celle qui en faisait partie, à tout le moins, dans un passé relativement récent.

[24]       Le troisième moyen de droit invoqué au sujet de l'alinéa 37(1)a) porte sur la question de savoir s'il y a lieu d'appliquer une norme de preuve légèrement plus élevée en ce qui concerne la notion de raisonnable « lorsque la liberté est en jeu » . En l'espèce, la liberté qui est en jeu est le statut de résident permanent de l'intéressé qui, s'il perd ce statut, risque l'expulsion. Sa vie et sa liberté ne sont pas menacées et, même en cas de risque d'expulsion, une évaluation des risques auxquels il serait exposé sera effectuée pour évaluer les conséquences éventuelles de son renvoi du Canada. La décision relative à l'appartenance à une organisation est régie par une norme peu élevée, les « motifs raisonnables » , et elle n'a aucune incidence sur les accusations qui pourraient ou non être portées au criminel. L'arrêt Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164, que l'avocate du demandeur a cité à l'appui de sa thèse que c'est le critère de la « prépondérance des probabilités » qui devrait s'appliquer, étaye plutôt l'argument que, peu importe que des allégations de conduite moralement blâmable puissent revêtir un aspect criminel ou pénal, c'est le fardeau de preuve pertinent quant à la question en cause qui s'applique. Dans cette affaire civile, on affirmait que c'était la norme de droit criminel de « preuve hors de tout doute raisonnable » qui devait s'appliquer, eu égard aux circonstances de l'espèce. La Cour suprême s'y est refusée en répondant ce qui suit, sous la plume du juge en chef Laskin :

Le point principal soulevé en l'espèce est le troisième portant que le juge de première instance et la Cour d'appel ont mal énoncé le fardeau de la preuve et qu'ils ont en réalité appliqué un fardeau de la preuve variable plutôt qu'un fardeau de la preuve ordinaire suivant la prépondérance des probabilités. On a soulevé cette question en raison de la façon dont le juge de première instance a traité des dispositions relatives à la fraude et à la malhonnêteté dans la police de St. Paul et celles concernant la déloyauté dans la police de Continental.

...

Chaque fois qu'il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l'allégation se présente dans le cadre d'un litige civil, le fardeau de la preuve qui s'applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

...

La question dans toutes les affaires civiles est de savoir quelle preuve il faut apporter et quel poids lui accorder pour que la cour conclue qu'on a fait la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

[25]       La question de la perte de statut prévue à l'alinéa 37(1)a) doit être tranchée selon la norme des « motifs raisonnables » et ce, peu importe l'appartenance à une association de malfaiteurs.

[26]       Je conclus donc que le commissaire n'a pas commis d'erreur de droit en arrivant à la conclusion qu'il a tirée aux pages 30 et 55 de ses motifs :

(Page 30) :

Alinéa 37(1)a) de la Loi

En vertu de l'alinéa 37(1)a) de la loi, emporte interdiction de territoire pour criminalité organisée le résident permanent, membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale sanctionnée par mise en accusation.

En vertu de l'article 33 de la loi, les faits - actes ou omissions - mentionnés à l'article 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

(Page 55) :

Le critère en droit cité à l'alinéa 37(1)a) de la loi demande qu'il y ait des motifs raisonnables de croire qu'une organisation se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. J'ai la conviction que la preuve citée ici va bien au-delà de motifs raisonnables de croire.

En fonction de tous ces raisonnements, j'en conclus que M. Sittambalam n'est pas admissible aux termes de l'alinéa 37(1)a) de la loi, du fait qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[27]       QUESTION no 2 : Le commissire a-t-il commis une erreur de droit dans son appréciation de la preuve et en tirant des conclusions qui étaient manifestement déraisonnables?

[28]       L'avocate du demandeur a soutenu, aux paragraphes 23 à 30 de son mémoire ainsi que lors des débats, que le commissaire avait commis des erreurs manifestement déraisonnables en acceptant à la fois les « données brutes » recueillies en preuve par la police au sujet des présumées activités des gangs ainsi que le témoignage de policiers sans s'assurer si ces éléments de preuve étaient « fiables et dignes de foi » et sans préciser dans ses motifs qu'il avait apprécié ces éléments de preuve avant de tirer la conclusion à laquelle il en arrivait. À l'appui de cet argument, l'avocate du demandeur cite plusieurs affaires au criminel ainsi que deux décisions qui mettaient en cause la Société d'aide à l'enfance -- [2002] O.J. no 1432 et [1998] O.J. no 2530 - et qui portaient sur le caractère suffisant d'affidavits présentés dans des cas concernant la garde d'enfants.

[29]       Premièrement, même en retenant la norme élevée proposée par l'avocate du demandeur, je conclus que le commissaire a amplement satisfait au critère applicable. Sa décision est bien motivée et il cite la preuve et en fait l'analyse. Pour ce qui est du demandeur lui-même, le commissaire dit ce qui suit, à la page 41 de ses motifs :

Ma première conclusion - et sans doute la plus évidente - est que l'on ne peut accorder aucun crédit au témoignage de M. Sittambalam.

[30]       Il n'a pas tiré de conclusion semblable au sujet des autres témoins et il n'avait pas à le préciser dans ses motifs, sauf s'il estimait qu'ils manquaient de crédibilité. Il incombe au demandeur de démontrer que le commissaire ne pouvait raisonnablement en arriver aux inférences qu'il a tirées. Or, il ne l'a pas fait. Ainsi que le juge Décary l'a déclaré au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Aguebor c. Canada (MEI) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), au paragraphe 4 :

4       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron , la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron , à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[31]       Je ne décèle aucune erreur qui justifierait mon intervention pour ce qui est de cette question.

[32]       QUESTION no 3 - Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en accordant de l'importance aux rapports de police et aux témoignages des policiers concernant des incidents qui ne s'étaient pas soldés par des accusations au criminel ou qui, si des accusations avaient été portées au criminel, ne s'étaient pas soldés par une déclaration de culpabilité mais par un retrait ou un rejet desdites accusations?

[33]       Suivant l'avocate du demandeur, le fait que le ministère public avait porté des accusations ou qu'il envisageait d'en porter ne constitue pas en soi un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour décider s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une personne ou une organisation est criminelle et ce, surtout si les accusations n'ont jamais été portées ou ont été retirées. L'avocate explique que les seuls facteurs pertinents sont les éléments de preuve sur lesquels ces accusations reposent. Elle cite à l'appui de sa thèse les décisions Bakchiev c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no 1881, et La c. Canada (MCI), [2003] A.C.F. no 649.

[34]       À mon sens, dans les propos qu'il a tenus aux pages 53 et suivantes sous la rubrique « activités criminelles » , le commissaire n'accorde pas une importance indue aux accusations qui ont été effectivement portées ou qui ont été envisagées mais qui ne se sont jamais matérialisées. Ces faits sont évoqués dans sa décision, mais seulement dans le contexte de l'examen approfondi des faits à l'origine des accusations qui ont été effectivement portées ou qui ont été envisagées. Le commissaire s'est fondé sur ces faits et non sur les accusations portées ou envisagées pour conclure qu'il y avait des motifs raisonnables de conclure que l'alinéa 37(1)a) de la LIPR s'appliquait.

[35]       Cette question n'est à mon avis entachée d'aucune erreur qui justifierait mon intervention.

[36]       QUESTION no 4 - Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en définissant le terme « organisation » que l'on trouve à l'alinéa 37(1)a) de la LIPR en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve et en retenant une définition inexacte?

[37]       Saisie de l'appel du jugement Thanaratnam, précité, la Cour d'appel fédérale n'a pas modifié les conclusions tirées par le juge O'Reilly, de la Cour fédérale, dans cette affaire au sujet du sens du mot « organisation » dans le contexte de l'alinéa 37(1)a) de la LIPR, en l'occurrence « une certaine forme de structure organisationnelle » , comme par exemple, « l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base » .

[38]       Dans ses motifs et notamment aux pages 51 et 52, le commissaire signale six indices permettant de conclure à l'existence d'une organisation, à savoir l'existence d'un leader (le demandeur), une forme élémentaire de hiérarchie, le fait pour le chef de donner des instructions, l'existence d'un nom conférant au groupe une identité unique, une certaine occupation territoriale et l'existence de points de rencontre précis sur ce territoire. Tous ces éléments ont conduit le commissaire à conclure que le A.K. Kannan était organisé de façon suffisante pour répondre à la définition d'organisation.

[39]       Compte tenu de l'état du droit énoncé dans la décision Thanaratnam, précitée, le commissaire n'a commis aucune erreur justifiant mon intervention en tirant cette conclusion.

[40]       QUESTION no 5 - Le commisssaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du groupe A.K. Kannan?

[41]       Le commissaire a conclu que le demandeur était non seulement un membre, mais le chef, de la bande A.K. Kannan. Le demandeur s'est d'ailleurs au moins une fois identifié comme étant « A.K. Kannan » . Il importe peu que le demandeur ait ou n'ait pas récemment renié sa bande et son poste de chef, compte tenu de la conclusion, déjà exposée dans les présents motifs, suivant laquelle l'expression « être membre » englobe le cas de celui qui était membre de l'organisation à une date aussi récente que celle à laquelle le demandeur l'était.

[42]       En tout état de cause, le commissaire écrit à la page 49 de sa décision :

J'en conclus qu'il y a dans ce cas, bien plus que des motifs raisonnables de croire, voire qu'il est plus que probable que M. Sittambalam était, jusqu'à son arrestation par les agents d'immigration en octobre 2001, membre du A.K. Kannan.

[43]       Le commissaire n'a commis aucune erreur justifiant l'infirmation de sa décision en tirant cette conclusion.

CONCLUSION

[44]       Pour conclure, j'estime donc que le commissaire n'a commis aucune erreur qui justifierait mon intervention en concluant, comme il l'a fait, que le demandeur tombait sous le coup des dispositions de l'alinéa 37(1)a) de la LIPR en tant que membre d'une organisation criminelle.

[45]       La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés.

[46]       Les avocats des parties m'ont demandé de reporter le prononcé de ma décision jusqu'à ce que j'aie certifié une question à l'intention de la Cour d'appel fédérale. En conséquence, les avocats des parties auront cinq (5) jours ouvrables à compter de la date de la réception des présents motifs pour me soumettre leurs observations au sujet d'une ou de plusieurs questions et pour échanger leurs observations. Les avocats auront cinq (5) autres jours ouvrables pour me soumettre, avec une copie à l'autre avocat, des commentaires au sujet des observations de l'avocat de la partie adverse, sur quoi je déciderai s'il y a lieu de certifier la question ou les questions, s'il en est, qui auront été ainsi formulées.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 6 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-8912-04

INTITULÉ :                            JOTHIRAVI SITTAMPALAM

                                                c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 25 AOÛT 2005

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :              LE JUGE HUGHES

           

DATE DES MOTIFS :           LE 6 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

BARBARA JACKMAN

            POUR LE DEMANDEUR

MEILKA VISNIC

            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JACKMAN & ASSOCIATES

TORONTO (ONTARIO)

            POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉERAL DU CANADA

            POUR LES DÉFENDEURS


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