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Date : 20010724

Dossier : T-251-98

Référence neutre : 2001 CFPI 823

ENTRE :

458093 B.C. LTD.

demanderesse

- et -

BENNIE DIETTERLE, LES PROPRIÉTAIRES

DU NAVIRE « RYAN » , TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE « RYAN » ET LE NAVIRE « RYAN »

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]                 Les présents motifs écrits confirment ceux que j'ai prononcés à l'issue d'une instruction de deux jours rejetant l'action de la défenderesse avec dépens et ordonnant la mainlevée de la saisie du navire « Ryan » .


[2]                 La demanderesse intente la présente action en vue de recouvrer la somme de 24 818,55 $, majorée des intérêts et des frais qui, selon sa prétention, lui est toujours due par le défendeur Ben Dietterle (M. Dietterle) aux termes d'une entente verbale. La demanderesse allègue que la dette a été créée par les pertes engagées au cours de la saison de pêche du hareng rogué de 1997 et est calculée selon une formule de répartition des profits et pertes dont les parties ont convenu. M. Dietterle nie avoir conclu une entente comme l'allègue la déclaration et, en particulier, conteste toute obligation d'indemniser la demanderesse pour ses pertes.

La preuve de la demanderesse

[3]                 La demanderesse est une société qui fait affaire sous le nom commercial de BC Golden Roe. Ses activités consistent à pêcher, traiter et mettre en marché le hareng rogué qui est vendu sur les marchés japonais. M. Michael Rekis, qui travaille comme pêcheur commercial depuis 35 ans, est le président de la demanderesse et détient 50 % des actions.

[4]                 M. Rekis a été le premier de deux témoins appelé pour le compte de la demanderesse. Il a déclaré dans son témoignage qu'il a commencé à pêcher le hareng rogué en 1973. D'après son expérience, l'industrie du hareng rogué est reconnue comme étant très lucrative. C'est-à-dire jusqu'en 1997, année au cours de laquelle sa compagnie a pour la première fois enregistré des pertes importantes.


[5]                 M. Rekis a déclaré qu'au début de chaque saison de pêche la demanderesse engage des pêcheurs à contrat pour récolter le hareng rogué. La société a acheté des permis de pêche, dont le nombre est limité, et elle les a loués aux pêcheurs. En outre, sa société fournit certains services aux pêcheurs, par exemple, le conditionnement, le transport routier et la surveillance aérienne des conditions de pêche. En retour, les pêcheurs sont tenus de pêcher exclusivement pour la demanderesse et de lui remettre la totalité de leurs prises.

[6]                 Avant 1996, les contrats entre la demanderesse et ses pêcheurs étaient rarement par écrit. M. Rekis a expliqué que, pour éviter tout malentendu, la demanderesse a décidé d'avoir recours à des ententes écrites à partir de cette année-là et elle a retenu les services d'un avocat pour préparer un contrat type.

[7]                 Pour la saison de pêche 1997, la demanderesse a engagé sept pêcheurs, dont M. Dietterle. M. Rekis connaissait M. Dietterle depuis environ dix ans. Il lui a téléphoné à la fin de 1996 pour lui demander s'il voulait faire de la pêche pour sa société au cours de la prochaine saison de pêche. M. Rekis a expliqué à M. Dietterle, en termes généraux, comment le profit de la vente du hareng rogué serait réparti entre la société et les pêcheurs. Selon M. Rekis, M. Dietterle a accepté au cours de cette conversation téléphonique de pêcher pour la demanderesse, à la condition que les permis de pêche lui soient loués.

[8]                 M. Rekis a déclaré qu'il avait par la suite rencontré M. Dietterle vers le 10 janvier 1997 dans un bar à Nanaimo. À l'époque, M. Rekis savait que le Japon était en récession et qu'une certaine incertitude planait sur le marché du hareng rogué. Néanmoins, la demanderesse s'était déjà engagée à acheter les permis de pêche à un prix déterminé.


[9]                 Au cours de la réunion, M. Rekis a remis à M. Dietterle une copie du contrat type de la société. M. Rekis a informé M. Dietterle que sa société lui remettrait quatre permis de pêche à un coût d'environ 18 000 $ chacun et que le coût serait soustrait des profits de M. Dietterle après le traitement et la vente du hareng. Selon M. Rekis, M. Dietterle lui a dit qu'il lirait le document et lui remettrait une copie signée soit par courrier ou lors d'une prochaine rencontre.

[10]            M. Rekis a déclaré que, comme il avait déjà discuté de la plupart des conditions du contrat avec M. Dietterle au cours de leur conversation téléphonique précédente, leur discussion a surtout porté sur les coûts prévus des services que la société s'engageait à fournir et comment ces coûts seraient répartis et payés par les pêcheurs. M. Rekis se rappelle en particulier d'avoir examiné avec M. Dietterle le paragraphe 6 du contrat (Pièce 1), reproduit ci-dessous :

[TRADUCTION]

6. Il est convenu que la formule de règlement final pour l'évaluation du produit et la répartition des profits sera calculée et répartie entre B.C. Golden Roe et le pêcheur de la manière suivante :

a)      Pour les produits récoltés en vertu des permis obtenus grâce au financement de B.C. Golden Roe et lorsque le pêcheur n'a pas fourni de garantie suffisante pour le prêt, le montant net calculé comme il est indiqué à l'alinéa 9c) sera réparti également entre B.C. Golden Roe et le pêcheur (moitié-moitié) jusqu'à concurrence de la moyenne statistique.

        Si la production du pêcheur excède la moyenne statistique (le quota de tonnage régional divisé par le nombre de permis délivrés dans cette région), alors le montant net sera réparti à raison de soixante pour cent (60 %) pour le pêcheur et quarante pour cent (40 %) pour B.C. Golden Roe, sur le reste du produit excédant la moyenne statistique.

b)       Pour les produits récoltés en vertu des permis lorsque le pêcheur fournit une garantie suffisante pour le prêt, le montant net calculé selon l'alinéa 6c) sera versé intégralement au pêcheur.

c)        Le montant net est calculé de la façon suivante :

Valeur du produit                                                                                                                        $

Moins la somme :

                i)              des ventes brutes de hareng                                                                    $

                ii)              du coût des permis                                                                                            (prix moyen)                                                                                                     $

iii)             des frais conditionnement                                                                                             (la moyenne)                                                                        $

iv)            de la commission                                                             350 $ la tonne

v)             des frais de traitement                                                 1 250 $ la tonne

vi)            des frais de transport                                                                                            (s'il y a lieu)                                                                                   $

vii)           Divers (avion, éclaireur, glace,                                                              (sur une base procentuelle)                                                                         $

======================

MONTANT NET :                                                                                                  $

La part du pêcheur sur le solde restant lui sera payée dans les dix (10) jours de la vente finale ou au plus tard le 31 juillet 1997, si cette date est antérieure.

[11]            M. Rekis a reconnu qu'il n'avait pas discuté de la personne qui serait responsable des dépenses en cas de perte puisqu'il n'avait pas envisagé un tel scénario. Il a simplement présumé que les pêcheurs assumeraient leur part des pertes, comme c'est la pratique dans l'industrie.


[12]            M. Rekis a déclaré qu'il avait parlé à M. Dietterle à plusieurs reprises après leur rencontre à Nanaimo pour savoir quand il recevrait la copie signée du contrat. Dans les semaines qui ont suivi, M. Dietterle lui a offert plusieurs excuses en guise d'explication et l'a à maintes reprises assuré qu'il lui remettrait sous peu une copie signée. M. Rekis a indiqué qu'il avait autorisé à contrecoeur M. Dietterle à pêcher pour sa société sur la base des assurances fournies. Au bout du compte, la demanderesse n'a jamais reçu le contrat signé de M. Dietterle.

[13]            L'ouverture de la saison de pêche a eu lieu le 10 mars 1997. Après la fermeture ce même jour, le poisson a été chargé sur le bateau collecteur et acheminé chez le conditionneur de la demanderesse, une société portant le nom de Aero Trading. Le poisson a été vendu à la mi-juillet et il est vite devenu apparent qu'il y avait un écart important entre les dépenses engagées et le produit de la vente, soit quelque 244 000 $.

[14]            M. Rekis a consulté un certain nombre de documents pour expliquer comment la demanderesse avait calculé la part des pertes incombant aux pêcheurs. La demanderesse a déduit des prises de chaque pêcheur le coût de leurs permis de pêche. Elle a ensuite soustrait leur part des dépenses, par exemple la collecte et le traitement, en proportion du tonnage de poisson pris par les pêcheurs. M. Rekis a aussi expliqué comment le coût de l'hydravion a été réparti entre les pêcheurs. Une facture détaillée avec une ventilation des dépenses a été préparée et envoyée à chaque pêcheur.


[15]            Le montant réclamé aux pêcheurs par la demanderesse a été réduit après qu'Aero Trading eut accepté d'annuler une somme de 100 000 $, à la condition que la demanderesse lui verse les sommes dues au plus tard le 31 décembre 1997. M. Rekis a parlé à M. Dietterle à de nombreuses occasions avant la date limite fixée par Aero Trading pour savoir quand il pouvait s'attendre d'être payé. M. Rekis a déclaré dans son témoignage que M. Dietterle reconnaissait sa responsabilité à l'égard de la dette, mais soutenait qu'il était dans l'impossibilité de payer.

[16]            La saison de pêche suivante, M. Rekis n'a pas réussi à réunir les garanties suffisantes pour que sa société continue d'opérer. Il a donc accepté de travailler pour une autre société, la Capilano Pacific (Capilano). Son travail consistait à procurer et à louer des permis de pêche au nom de Capilano.

[17]            En janvier 1998, M. Dietterle, qui cherchait à obtenir un permis de pêche de Capilano, a communiqué avec M. Rekis. M. Rekis l'a informé qu'il ne pourrait obtenir de permis de Capilano à moins qu'il accepte de payer 50 % de ses bénéfices pour réduire sa dette envers la demanderesse. M. Dietterle a accepté l'arrangement de mauvaise grâce. Par suite de cet arrangement, une somme de 13 805,68 $, représentant la moitié du bénéfice de M. Dietterle pour la saison de pêche de 1998, a été remise à la demanderesse en juillet 1998, en réduction de la dette de M. Dietterle.


[18]            En contre-interrogatoire, M. Rekis reconnaît qu'en janvier 1997 il savait qu'il y aurait une baisse importante du prix du hareng rogué pour la saison. Toutefois, il n'est pas d'accord pour dire que la perte était inévitable à cette date et affirme avec force qu'il était possible de réaliser des bénéfices, quoique de beaucoup inférieurs à ceux des années précédentes.

[19]            M. Rekis a reconnu que l'entente écrite ne prévoyait pas que le risque des pertes serait assumé par le défendeur, comme le prétend la déclaration. Toutefois, il maintient que dans l'industrie, la norme était qu'en cas de perte les pêcheurs étaient responsables de rembourser les dépenses engagées en leur nom. Selon M. Rekis, M. Dietterle comprenait cette condition.

[20]            M. Herman Gruhm a été le deuxième témoin appelé par la demanderesse. À titre d'administrateur et d'actionnaire de la demanderesse, il connaissait bien le contrat type utilisé par la société. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait rencontré M. Dietterle sur son bateau à French Creek juste avant l'ouverture de la saison de pêche en 1997. Il a demandé à M. Dietterle s'il avait signé le contrat. M. Dietterle lui a répondu qu'il ne l'avait pas sur lui, mais il lui a promis que le contrat serait signé et remis à M. Rekis.

[21]            Ensuite, M. Gruhm a parlé à M. Dietterle aux environs de juin 1997, quand il est devenu évident que la saison de pêche se terminerait par des pertes. M. Gruhm a déclaré qu'au cours de plusieurs conversations téléphoniques M. Dietterle a exprimé de grandes préoccupations au sujet de sa situation financière personnelle. Selon M. Gruhm, M. Dietterle n'a jamais contesté sa responsabilité à l'égard de la société. La seule préoccupation qu'il a exprimée était son incapacité de payer et sa crainte d'être forcé de vendre sa maison pour le faire.


La preuve des défendeurs

[22]            M. Dietterle a déclaré dans son témoignage qu'il est pêcheur de métier, et qu'il compte plus de 45 ans d'expérience. Il a longtemps été propriétaire de ses propres permis de pêche, mais il a vendu la plupart d'entre eux en 1985. Il reconnaît avoir pêché en 1997, mais il déclare qu'il n'a eu de rapports qu'avec M. Rekis, et non pas avec la compagnie à numéro (la demanderesse).

[23]            M. Dietterle a déclaré qu'il se souvenait que M. Rekis avait communiqué avec lui à l'automne de 1996. Il ne se [TRADUCTION] « souvient pas vraiment » de l'avoir rencontré à Nanaimo en janvier 1997. Toutefois, il concède qu'une rencontre peut avoir eu lieu, mais il ne s'en souvient pas. Il a déclaré qu'à un moment donné M. Rekis lui a remis une enveloppe brune en lui disant qu'elle renfermait un contrat. M. Dietterle a déclaré qu'il a tout simplement jeté l'enveloppe sur le siège de sa voiture sans jamais en examiner le contenu ni même l'ouvrir.

[24]            M. Dietterle déclare avec vigueur que M. Rekis ne l'a pas informé qu'il serait responsable envers la demanderesse si la société faisait des pertes. Selon ce qu'il avait compris, il ne serait responsable que de ses propres dépenses personnelles.


[25]            M. Dietterle a déclaré qu'il a livré entre 42 et 44 tonnes de poisson à la demanderesse. Il a examiné en détail les calculs de sa part des dépenses effectués par la demanderesse. Il nie avoir jamais accepté de contribuer aux frais de l'hydravion dans le nord et conteste la manière dont d'autres dépenses lui ont été attribuées.

[26]            Pour ce qui est du témoignage de M. Gruhm, M. Dietterle nie avoir même discuté du contrat avec lui.

[27]            En contre-interrogatoire, M. Dietterle a admis qu'il n'avait pas mentionné l'enveloppe brune au cours de son interrogatoire principal. Il reconnaît avoir accepté de pêcher en échange du financement de ses permis de pêche par M. Rekis. Toutefois, il a nié avec véhémence avoir eu une quelconque discussion concernant le partage des responsabilités pour les pertes. M. Dietterle a maintenu qu'il n'avait jamais perdu d'argent en pêchant et que, par conséquent, cela ne le préoccupait pas.

[28]            M. Dietterle a déclaré dans son témoignage qu'il ne se souvenait pas très bien de la rencontre avec M. Rekis. Il ne pouvait se rappeler la teneur de la conversation, mais il prétend que s'il s'était agi d'une discussion sérieuse concernant les conditions d'une entente, il s'en serait souvenu. Quand on lui a demandé s'il se rappelait si M. Rekis avait examiné le paragraphe 6 du contrat avec lui, M. Dietterle n'a pu ni le confirmer ni le nier.


[29]            M. Dietterle a expliqué qu'il n'avait pas ouvert l'enveloppe brune parce qu'il [TRADUCTION] « ne la considérait pas comme pertinente » . Il a reconnu que M. Rekis lui a demandé quand ils se sont rencontrés de nouveau à Comox si le contrat avait été signé et qu'il lui avait répondu qu'il n'avait pas le contrat sur lui. Quand l'avocat de la demanderesse lui a demandé s'il avait dit à M. Rekis qu'il ne signerait pas le contrat, M. Dietterle a répondu [TRADUCTION] « Je n'ai jamais dit que je le signerais » .

[30]            Pour ce qui concerne l'arrangement avec Capilano en 1998, M. Dietterle a confirmé qu'il avait accepté de remettre la moitié de ses bénéfices à M. Rekis en échange des permis de pêche, mais uniquement parce qu'il n'avait pas d'autre choix s'il voulait faire de la pêche au cours de cette saison.

[31]            Le deuxième témoin appelé à la barre a été Terry Henshaw, un homme d'affaires qui travaille dans l'industrie de la pêche depuis 1964. Il a déclaré que dans l'industrie de la pêche, la pratique concernant le partage des responsabilités pour les dépenses en cas de perte est partagée. Bien que les contrats dans l'industrie de la pêche puissent être verbaux ou écrits, il ne connaît pour sa part que les ententes verbales conclues avec des particuliers.

Moyens des parties

[32]            Les parties ont convenu qu'il y avait trois questions à résoudre :

(1)    Y a-t-il eu une entente entre les parties?

(2)    Dans l'affirmative, quelles étaient les conditions de l'entente?

(3)    Le défendeur est-il responsable des pertes réclamées par la demanderesse?


[33]            M. Doran, avocat de la demanderesse, soutient que la preuve établit clairement qu'une entente verbale a été conclue entre les parties, que les conditions de l'entente sont les mêmes que celles qui figurent dans le contrat non signé et que le défendeur est responsable, soit expressément, soit implicitement, de rembourser à la demanderesse sa part des pertes.

[34]            M. Doran prétend que le défendeur est lié par le contrat écrit, malgré ses protestations. Il soutient que les conditions du contrat ont été entièrement examinées par le défendeur et que le fait qu'il ne l'ait pas signé n'a aucune importance. Par sa conduite, que l'avocat qualifie d'imprudente, le défendeur a signifié son intention d'être lié par le contrat. L'avocat souligne que M. Dietterle n'a jamais contesté sa responsabilité pour la dette avant que l'action soit intentée. Il prétend de même que le contrat devrait être interprété en tenant compte de la norme de l'industrie qui stipule que les pêcheurs sont tenus de rembourser les dépenses engagées en leur nom, même en cas de manque à gagner.

[35]            Au nom du défendeur, M. Evans prétend pour sa part qu'il n'y a tout simplement pas de preuve que son client a accepté d'indemniser la demanderesse pour les dépenses engagées en cas de perte. Il soutient que cela n'a jamais été discuté, ni même envisagé par les parties. L'avocat prétend que le défendeur a livré le poisson qu'il avait pêché et s'est acquitté de toutes les conditions de son arrangement avec M. Rekis. M. Evans soutient qu'en outre la demanderesse n'a pas établi ses dommages, malgré que le défendeur l'ait avisée qu'il exigerait la preuve la plus stricte.


Analyse

[36]            La demanderesse prétend qu'une entente valide et obligatoire a été conclue entre les parties, même si M. Dietterle n'a pas signé le contrat. La question de savoir si une entente orale obligatoire a été conclue dépend des faits particuliers de chaque cas : Mark Fishing Company Limited c. Northern Princess Seafood Limited, (1990) 38 F.T.R. 299, à la page 305.

[37]            Après avoir soigneusement examiné la preuve produite à l'instruction, je conclus qu'il y a effectivement eu une rencontre à Nanaimo le 10 janvier 1997 entre M. Rekis et M. Dietterle. Je conclus de plus qu'au cours de cette rencontre, M. Rekis a examiné les conditions du contrat écrit avec M. Dietterle et que ce dernier les a bien comprises. Je conclus enfin que M. Dietterle connaissait, ou qu'il aurait dû connaître, toutes les conditions du contrat écrit quand il a pris part à l'ouverture de la pêche en mars 1997 et que, par conséquent, par sa conduite, il les a acceptées.


[38]            En arrivant aux conclusions de fait précitées, j'ai préféré le témoignage de M. Rekis à celui de M. Dietterle. Le compte rendu de M. Rekis concernant ses rapports avec M. Dietterle a été donné d'une manière franche, sans hésitation ni exagération. En outre, M. Dietterle n'a pas sérieusement contesté le rappel clair des événements donné par M. Rekis. Ce qui est important, M. Dietterle n'a pas prétendu que les conditions contenues dans la lettre d'entente sortaient de l'ordinaire, qu'elles étaient injustes ou qu'elles s'écartaient de toute autre façon des conditions standard de l'industrie. En fait, le fait que M. Dietterle ait pêché au cours de cette saison, en utilisant les permis de la demanderesse, confirme qu'une entente mutuellement satisfaisante a été conclue entre les parties.

[39]            Pour sa part, M. Dietterle a été moins que franc dans son témoignage. Il s'est contredit à quelques reprises et n'a admis les faits qu'à contrecoeur en contre-interrogatoire. C'est sa mémoire sélective surtout qui a posé des problèmes. Elle lui a commodément fait défaut quand il était confronté à des faits pouvant être considérés comme défavorables à sa thèse (par exemple, comment et quand il a reçu une copie du contrat écrit). Il ne pouvait même pas se rappeler s'il avait rencontré M. Rekis à Nanaimo, un événement particulièrement important dont il aurait dû se souvenir.

[40]            Je suis convaincu que, d'après la prépondérance des probabilités, une entente verbale a été conclue entre les parties, à tout le moins au 10 janvier 1997, aux mêmes conditions que celles qui figurent dans le contrat (Pièce 1).

[41]            La deuxième question à décider est de savoir si, d'après les conditions de l'entente verbale, M. Dietterle doit rembourser à la demanderesse les pertes ayant trait aux dépenses engagées en son nom.


[42]            La demanderesse concède que le contrat ne prévoit pas expressément le droit de recouvrer des sommes directement du pêcheur en cas de perte. Toutefois, elle maintient que la condition est implicite et qu'il faut faire référence à la pratique habituelle de l'industrie (l'acceptation d'une responsabilité personnelle pour les dépenses d'une personne en cas de perte) pour l'interprétation du contrat.

[43]            La première étape à suivre dans l'interprétation d'un contrat consiste à déterminer si le texte en cause a un sens clair et non ambigu pour ce qui concerne la question en litige. La clarté ou l'ambiguïté du texte d'un contrat est déterminée en examinant le texte lui-même, le contexte précis dans lequel les mots sont utilisés et le contexte plus large du contrat dans son ensemble. Quand on conclut que le texte du contrat a un sens clair, il n'y a pas lieu de chercher plus avant.

[44]            À mon avis, l'entente entre les parties, prise dans son ensemble, est sans ambiguïté. La demanderesse a essentiellement accepté de trouver du financement pour louer les permis de pêche au pêcheur, de lui fournir certains services et de lui verser sa part du produit de vente après avoir déduit les dépenses conformément à l'alinéa 6c). En retour, le pêcheur s'engageait à pêcher exclusivement pour la demanderesse et à lui remettre des produits de qualité, en assumant personnellement le coût de la récolte et de la livraison et le risque des pertes jusqu'à ce que le produit soit livré à la demanderesse.


[45]            Les droits et obligations des parties sont clairement définis. Le pêcheur assume certains risques en concluant l'entente, au même titre que la demanderesse. L'entente est structurée de façon simple afin de permettre le recouvrement des dépenses par la demanderesse à même le prix final payable au pêcheur. Aucune clause n'impose de responsabilité personnelle au pêcheur en cas de perte.

[46]            Les risques assumés par le pêcheur sont énumérés aux paragraphes 7 et 9 du contrat. Au paragraphe 7, le risque a trait à la perte du hareng rogué pendant que celui-ci est en possession du pêcheur et par sa négligence jusqu'à ce que le produit soit livré à la demanderesse. Au paragraphe 9, le pêcheur s'engage à assumer ses propres frais et dépenses pour la récolte et la livraison du produit, sans qu'il soit tenu compte du prix final payable pour les prises.

[47]            Même s'il y avait une ambiguïté, le contrat devrait être interprété strictement à l'encontre de la partie qui l'a rédigé. Dans ce cas, les conséquences d'une perte n'ont clairement pas été envisagées par la demanderesse. En l'absence d'une clause rendant le pêcheur personnellement responsable, la demanderesse ne peut recouvrer les dépenses engagées que sur le prix de vente.

[48]            Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une preuve extrinsèque pour interpréter le contrat. Quoi qu'il en soit, la demanderesse n'a pas établi l'existence d'une pratique de longue date et constante. La preuve dont je suis saisi laisse entendre que l'industrie reconnaît qu'il y a une obligation morale, par opposition à une obligation légale, de la part des pêcheurs.


[49]            Je conclus que l'entente entre les parties ne prévoyait pas et n'autorise pas le recouvrement des pertes de M. Dietterle.

[50]            Au vu de la conclusion précitée, il n'est pas nécessaire d'aborder la question des dommages-intérêts. Toutefois, la question a pleinement été débattue devant moi et j'en traiterai brièvement. Le défendeur a avisé la demanderesse qu'elle devrait se soumettre à une preuve stricte concernant les dommages-intérêts. La preuve relative au montant des dommages-intérêts était quelque peu confuse, fondée en partie sur de nombreux redressements et nouveaux calculs effectués par la demanderesse. Au cours du contre-interrogatoire, M. Rekis était mal placé pour expliquer certaines anomalies dans le calcul des dommages-intérêts, en partie parce qu'il s'était appuyé sur un document préparé par un tiers. Au bout du compte, la demanderesse n'a pas établi avec suffisamment de précision le montant exact qu'elle réclame à M. Dietterle.

[51]            M. Dietterle a obtenu gain de cause à l'instruction et il a droit à ses frais. Toutefois, je suis disposé à lui accorder la moitié des frais seulement en raison de son refus d'admettre qu'une entente verbale avait été conclue entre les parties, ce qui a compliqué et allongé indûment l'instance. Je fixe donc les frais à 5 000 $, y compris les débours, que la demanderesse paiera à M. Dietterle.


JUGEMENT

[52]            L'action est rejetée et les frais sont fixés à 5 000 $, payables par la demanderesse au défendeur, Bennie Dietterle. Le navire, qui a été saisi au début de l'instance, doit être libéré immédiatement.

« Roger R. Lafrenière »

                                                                                                Protonotaire                    

Toronto (Ontario)

le 24 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-251-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             458093 B.C. LTD.

                                                                                              demanderesse

- et -

BENNIE DIETTERLE, LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « RYAN » , TOUTES LES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE « RYAN » ET LE NAVIRE « RYAN »

                                                                                                   défendeurs

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 25 OCTOBRE 2000, ET LE JEUDI 26 OCTOBRE 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MOTIFS DU JUGEMENT ETJUGEMENT :         LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE :                                                   LE MARDI 24 JUILLET 2001

COMPARUTIONS :

M. Robert Doran                                                                                         Pour la demanderesse

M. Norman B. Evans                                                                                   Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fritz Lail Shirreff & Vickers                                                                        Pour la demanderesse

Avocats

Bureau 201 - 15127 - 100e Avenue

Surrey (Colombie-Britannique)

V3R 0N9

Evans & Company                                                                                      Pour le défendeur

Avocats

C.P. 40, 148, rue Weld

Parksville (Colombie-Britannique)

V9P 2G3


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010724

                                                                      Dossier : T-251-98

Entre :

458093 B.C. LTD.

                                                                                              demanderesse

- et -

BENNIE DIETTERLE, LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « RYAN » , TOUTES LES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE « RYAN » ET LE NAVIRE « RYAN »

                                                                                                   défendeurs

                                                               

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                                 

                                                               

                                                               

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