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Date : 20000609


Dossier : IMM-2653-00

Entre :

     ZOFIA CIBOROWSKA

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER:


[1]      La demanderesse a demandé un sursis à l"exécution d"une mesure d"expulsion prise contre elle le 18 mai 2000. L"agent d"immigration avisait la demanderesse que sa demande de résidence permanente ne serait pas évaluée avant son départ du Canada compte tenu de la politique du ministre de ne pas examiner en priorité les demandes en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration1 (la Loi) reçues moins de 6 mois avant la date de renvoi.

[2]      La demanderesse est arrivée au Canada il y a plus de 11 ans, le 28 mai 1989, avec un visa de visiteur. Elle est citoyenne de la Pologne. Elle est une mère monoparentale et son fils est de nationalité canadienne par naissance.

[3]      En date du 5 décembre 1990, la demanderesse a présenté une demande à titre de réfugiée, demande n"ayant jamais été retracée.

[4]      En date de janvier 1994, la demanderesse a présenté une nouvelle demande du fait que sa première demande a été égarée par Immigration Canada. Cette demande a été entendue le 14 février 1996 et une décision négative fut prise à son égard.

[5]      En date du 29 février 2000, la demanderesse a reçu une décision d"évaluation de risque, soit presque dix ans après sa demande initiale. Vers le début du mois de mai 2000, la demanderesse a soumis une demande d"établissement présentée au Canada à titre de conjoint d"un résident permanent ainsi que pour des cas comportant des considérations humanitaires. Cette demande fut reçue en date du 8 mai 2000 par Immigration Canada à Vegreville.

[6]      La demanderesse a épousé son conjoint de fait vers le 28 mai 2000 après que celui-ci ait reçu un jugement final de divorce.

[7]      La requête en sursis de la demanderesse sera bien-fondée si elle convainc cette Cour qu"elle satisfait aux critères établis dans l"arrêt Toth c. Canada (M.E.I.)2.

[8]      Tout d"abord, existe-il une question sérieuse? La jurisprudence de cette Cour a reconnu maintes fois3 qu"il n"existe pas d"obligation pour le ministre de procéder à l"examen d"une demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire avant d"exécuter une mesure de renvoi. Ce motif en soi ne peut donc constituer une question sérieuse.

[9]      La demanderesse soutient également que la défenderesse a omis d"évaluer les risques de renvoi de la demanderesse dans son pays d"origine. Je n"accepte pas une telle affirmation. Le 29 février 2000 un agent de révision des revendications refusées ("ARRR") a avisé la demanderesse que son cas a fait l"objet d"une révision et qu"il fut conclu que celle-ci ne serait exposée à aucun des risques énumérés à la définition de membre de la catégorie DNRSRC. La demanderesse n"a pas soumis de demande de contrôle judiciaire à l"encontre de cette décision. Je ne vois pas comment elle peut reprocher à la défenderesse aujourd"hui de ne pas avoir fait l"évaluation du risque avant d"exécuter la mesure de renvoi.

[10]      Elle soulève également une erreur de la part de l"agent d"immigration qui a statué que la demande d"établissement selon le paragraphe 114(2) de la Loi devait être soumise 6 mois avant la date de renvoi.

[11]      À cet égard, le procureur de la défenderesse, Me Pépin, confirme qu"il existe une directive4 du ministère à l"effet qu"à partir d"octobre 1999, sauf pour les catégories de personnes à risque, et les demandes déposées au-delà de 6 mois, les demandes en vertu du paragraphe 114(2) de "dernière minute" ne seront plus traitées avant le renvoi.

[12]      Bien que la défenderesse doit considérer toute demande en vertu du paragraphe 114(2), je reconnais qu"elle n"a aucune obligation en vertu de la Loi de la faire dans un temps prescrit. De plus, il n"y a en l"espèce aucune allégation que la défenderesse est agit avec mauvaise foi. Non plus peut-on prétendre que le délai à traiter la demande humanitaire est injustifiable puisqu"elle fut déposée au début du mois de mai.

[13]      Cependant, la décision attaquée en l"espèce par la demanderesse est celle de l"agent chargé du renvoi.

[14]      L"article 48 de la Loi prévoit qu"une mesure de renvoi doit être mise en exécution dès que les circonstances le permettent. La jurisprudence de cette Cour a reconnu que les agents chargés du renvoi disposent d"un certain pouvoir discrétionnaire, notamment, quant à la rapidité avec laquelle ils peuvent procéder au renvoi5.

[15]      Pour ma collègue, la juge Simpson, ce pouvoir discrétionnaire peut inclure "[TRADUCTION] une situation dans laquelle on pourrait se demander s"il est raisonnable d"attendre une décision imminente concernant une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire avant de procéder au renvoi"6. Quoi qu"il en soit, bien qu"elle soit restreinte, cette discrétion existe et l"agent doit l"exercer.

[16]      Compte tenu de la récente directive du ministère de ne plus prioriser les demandes humanitaires selon le paragraphe 114(2) de la Loi de "dernière minute", l"exercice d"une telle discrétion revet une importance particulière.

[17]      En l"espèce, la défenderesse n"a soumis aucun affidavit de l"officier de renvoi qui pourrait confirmer si celui-ci a exercé sa discrétion, et si tel est le cas, s"il l"a fait équitablement.

[18]      Je conclus donc que l"absence de preuve que l"officier a exercé équitablement sa discrétion avant d"exécuter la mesure de renvoi constitue une question sérieuse.

[19]      Quant au second volet, soit le préjudice irréparable, je suis satisfaite qu"il est rencontré. Bien que plusieurs décisions de cette Cour ont conclu que la division d"une famille de façon temporaire ne constituait pas en soi un préjudice irréparable, chaque décision repose essentiellement sur les faits particuliers du dossier. En plusieurs instances la Cour a reconnu que lorsqu"il y a une preuve digne de foi que la déportation peut entraîner des conséquences graves sur la famille il peut y avoir un préjudice irréparable7.

[20]      Dans le présent dossier le procureur de la défenderesse a admis qu"il peut s"écouler un an avant que la demande humanitaire soit considérée. À mon avis, plus le délai sera long à traiter des demandes humanitaires impliquant la séparation de conjoints ou la dislocation d"une famille, plus le traumatisme sera grand. Ce qui aurait pu n"être qu"un malheureux inconvénient lorsqu"il s"agit d"une séparation de quelques mois, constituera, à mon avis, un préjudice irréparable s"il s"étend sur une période étendue.

[21]      Je suis donc satisfaite que la preuve dans ce dossier appuie l"existence d"un préjudice irréparable.

[22]      Quant à la balance des inconvénients, je reconnais qu"il incombe au défendeur de veiller au respect de l"intérêt public. Cependant, Immigration Canada a pris onze ans pour traiter du dossier de la demanderesse. Pendant ce temps, celle-ci a donné naissance à un fils au Canada, elle a refait sa vie avec un résident permanent, qu"elle a marié dès qu"il a obtenu son jugement final de divorce. Son mari a déposé une demande de parrainage et si le mariage s"avère authentique, la demanderesse a de fortes chances d"avoir gain de cause dans sa demande humanitaire. Compte tenu de ce qui précède, je suis d"avis que la balance des inconvénients penche en faveur de la demanderesse.

[23]      La requête en sursis est accordée jusqu"à ce que la demande de contrôle judiciaire soit décidée.





     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 juin 2000

__________________

1      L.R.C. 1985, c. I-2.

2      (1988) 86 N.R. 302 (C.A.F.).

3      Lewis c. Canada (M.C.I.), (1996) 37 Imm L.R. (2d) 85 (C.F. 1ère inst.); Francis c. Canada (M.C.I.) (14 janvier 1997), IMM-156-97 (C.F. 1ère inst.); Okoawoh c. Canada (M.C.I.) (9 janvier 1996), IMM-3481-95 (C.F. 1ère inst.); Moktari c. Canada (M.C.I.) (1 décembre 1997), IMM-4923-97 (C.F. 1ère inst.); Levy c. Canada (M.C.I.) (3 décembre 1997), IMM-4848-97 (C.F. 1ère inst.); Banwait c. Canada (M.C.I.) (7 avril 1998), IMM-1259-98 (C.F. 1ère inst.).

4      Annexe A.

5      Poyanipur c. Canada (M.C.I.) (1995) 116 F.T.R. 4 (C.F. 1ère inst.); Pavalaki c. Canada (M.C.I.) (le 10 mars 1998), IMM-914-98 (C.F. 1ère inst.); Saini c. Canada (M.C.I.) [1998] 4 C.F. 325 (C.F. 1ère inst.); Wiltshire c. Canada (M.C.I.) (le 27 avril 2000), IMM-1512-00 (C.F. 1ère inst.).

6      Poyanipur, Ibid. à la p. 6.

7      Garcia c. Canada (M.E.I.) (1993) 65 F.T.R. 177 (C.F. 1ère inst.); Smith c. Canada (M.E.I.) (1992) 58 F.T.R. 292 (C.F. 1ère inst.); Ribeiro c. Canada (M.E.I.) 55 F.T.R. 318 (C.F. 1ère inst.); J.E.P. c. Canada (MCI) (6 octobre 1998), IMM-3460-98 (C.F. 1ère inst.).

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