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Date : 20050824

Dossier : IMM-9252-04

Référence : 2005 CF 1157

Toronto (Ontario), le 24 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

LUILA NEGA

THOMAS TEKLE par Luila Nega, sa tutrice en l'instance

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse principale, Luila Nega, est une citoyenne éthiopienne âgée de 32 ans. Son fils, Thomas Tekle, est également demandeur. Elle demande l'asile du fait de sa nationalité, à savoir qu'elle est Éthiopienne d'ascendance érythréenne, et du fait des opinions politiques qu'on lui impute, vu qu'elle est la fille et l'épouse de personnes qui se sont prononcées contre l'indépendance de l'Erythrée. Son père était Érythréen et sa mère Éthiopienne. Même si son père était Érythréen, il n'appuyait pas pour autant les fronts de libération de l'Érythrée et lorsque ses frères ont été tués, il s'est prononcé contre le Front de libération de l'Érythrée ( FLE).

[2]                La demanderesse principale a épousé un homme qui était aussi à moitié Érythréen. Vers la fin des années 1990, des affrontements à la frontière entre l'Érythrée et l'Éthiopie ont entraîné un nettoyage ethnique et des expulsions. En juin 1998, des soldats sont entrés dans le restaurant tenu par la demanderesse principale et son époux, ils ont battu ce dernier et l'ont emmené. La mère de la demanderesse principale a appris que le mari de la demanderesse avait été accusé d'être un espion à la solde de l'Érythrée. La demanderesse principale est allée au Kenya et pendant qu'elle s'y trouvait, elle a appris que son père avait également été emmené.

[3]                La demanderesse principale a pris contact avec un ami de la famille et elle est partie aux États-Unis. Elle a présenté une demande d'asile aux États-Unis mais on lui a dit qu'elle n'avait que très peu de chances de réussir. Pendant qu'elle se trouvait aux États-Unis, elle a rencontré un Érythréen et est devenue enceinte. Elle n'a pas attendu les résultats officiels de sa demande. Elle est retournée au Kenya en juillet 2001 où elle a donné naissance à son fils.

[4]                La demanderesse principale et son fils ont quitté le Kenya et sont arrivés au Canada le 25 septembre 2003 et ils y ont demandé l'asile.

[5]                Dans une décision datée du 4 octobre 2004, la Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible, que sa demande était fabriquée de toutes pièces et que la demanderesse était une Éthiopienne sans ascendance érythréenne. La Commission a conclu notamment que :


-            La demanderesse principale n'avait pas démontré son origine érythréenne, elle n'avait pas été en mesure de produire un document autre que son certificat de naissance. La Commission a conclu que les explications fournies par la demanderesse principale concernant le manque de documents n'étaient pas vraisemblables;                   

-            Elle avait séjourné deux fois au Kenya pour une période totale de quatre ans et, par conséquent, elle n'avait pas établi une crainte subjective;

-           Elle ne s'était pas inscrite auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) au Kenya;

-            Elle s'était rendue aux États-Unis mais n'avait pas poursuivi sa demande d'asile aux États-Unis avec diligence, elle ne s'était pas présentée à une audience concernant son renvoi et elle avait quitté les États-Unis enceinte de huit mois alors que si elle avait attendu un mois, son fils serait né citoyen américain;

-            Elle ne s'était pas adressée au HCNUR ou au Comité international de la Croix-Rouge (le CICR) pour qu'ils l'aident à retrouver son mari et son père.

[6]                La demanderesse soulève trois questions :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité de la demanderesse?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'évaluer la demande de la demanderesse en vertu de l'article 97?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'évaluer séparément la demande du demandeur mineur?

[7]                Il n'est pas contesté que la norme de contrôle relative à des questions de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).

[8]                1. Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?


[9]                La demanderesse prétend avoir expliqué qu'elle avait laissé sa carte d'identité dans son restaurant au moment où son mari avait été emmené et qu'elle n'était jamais retournée au restaurant, mais que la Commission n'a pas tenu compte de son explication. En outre, la Commission ne s'est pas penchée sur les raisons invoquées par la demanderesse pour lesquelles elle n'avait pu obtenir son certificat de mariage. La demanderesse avait dit que le document se trouvait chez elle et que la maison avait été reprise par les propriétaires initiaux et fermée par le gouvernement. La Commission n'a pas non plus mentionné que la mère de la demanderesse était morte en 2001 et que, par conséquent, la demanderesse n'avait plus personne à qui s'adresser pour obtenir ces documents.

[10]            De plus, la demanderesse fait valoir que la Commission aurait dû tenir compte des raisons fournies par la demanderesse pour lesquelles elle ne s'était pas adressée au HCNUR. Le cousin de sa mère, Luel, qui vivait au Kenya, le lui avait déconseillé et d'autres personnes au Kenya lui avaient dit qu'elle ne réussirait probablement pas. La demanderesse prétend que la Commission n'a pas tenu compte de son état d'esprit, à savoir qu'elle était enceinte et confuse.

[11]            La demanderesse soutient qu'il n'est pas raisonnable qu'elle connaisse le mandat des différentes organisations non-gouvernementales et qu'elle avait bien pris les mesures nécessaires pour trouver son mari et son père; elle avait notamment contacté sa mère, elle s'était adressée à Luel et elle avait essayé de retrouver les cousins de son mari en Éthyopie.

[12]            Il est bien établi en droit que la Commission n'est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs. Comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

[13]            La demanderesse n'a fourni aucun document personnel autre que son certificat de naissance. Elle n'avait ni certificat de mariage, ni certificat scolaire, ni carte kebele, qui est habituellement la carte d'identité éthiopienne et qui aurait indiqué son dernier domicile. Elle n'a jamais obtenu de passeport éthiopien.

[14]            Le tribunal de la SPR a tenu compte des diverses explications de la demanderesse concernant le fait qu'elle n'avait pas les documents suivants (par exemple, qu'elle avait laissé sa carte kebele dans son restaurant, que sa maison avait été fermée après son départ) et il a conclu que les explications de la demanderesse n'étaient pas convaincantes.

[15]            La conclusion du tribunal est raisonnable si l'on tient compte que la demanderesse a passé au moins cinq ans en dehors de son pays et qu'elle a voyagé entre le Kenya et les États-Unis, séjournant dans chaque pays sans aucune pièce d'identité.

[16]            2. La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la demande de la demanderesse en vertu de l'article 97 alors qu'elle a omis d'évaluer la demande en vertu de l'article 96?


[17]            La demanderesse prétend que la Commission doit évaluer si le renvoi d'un demandeur l'exposerait au risque d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités dans certaines situations et non évaluer s'il existe ou non une crainte subjective de la part du demandeur. Elle dit qu'un demandeur peut être jugé non crédible en ce qui concerne sa crainte d'être persécuté; cependant, elle prétend qu'à cause des conditions qui prévalent dans le pays et de sa situation personnelle, elle est une personne à protéger. Les motifs fournis par la Commission relativement à la demande en vertu de l'article 97 étaient insuffisants et les risques auxquels serait exposée la demanderesse auraient dû être correctement évalués.

[18]            Contrairement à l'argument de la demanderesse selon lequel le tribunal a commis une erreur en omettant d'évaluer séparément la demande de protection en vertu de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, il n'était pas tenu de le faire dans ce cas-ci. La conclusion selon laquelle les demandeurs n'ont pas établi un élément principal de leur demande, à savoir leur origine érythréenne, voulait dire qu'il n'existait aucun autre motif sur lequel une demande de protection aurait pu être fondée. En conséquence, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas qualité de personnes à protéger.

3. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'évaluer la demande du demandeur mineur?


[19]            La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en omettant d'évaluer la demande du demandeur mineur. Le demandeur est de père érythréen et de mère à moitié érythréenne et puisqu'il n'est pas exposé aux mêmes risques que ceux auxquels fait face sa mère, sa demande devrait être évaluée séparément.

[20]            La demande du demandeur mineur était fondée sur la preuve soumise par la demanderesse, preuve que la Commission a rejetée. Il n'y avait aucune preuve que le demandeur était d'origine érythréenne. Son formulaire de renseignements personnels (FRP) indique qu'il est Érythréen alors que d'après les documents déposés par la demanderesse, il est Éthiopien.

[21]            Il était parfaitement raisonnable pour la Commission de rejeter la demande du demandeur mineur âgé de quatre ans puisqu'elle a jugé que la demanderesse principale n'était pas crédible. Il n'est pas manifestement déraisonnable de rejeter une demande subsidiaire si la demande principale a été jugée fabriquée de toutes pièces.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

                                                                        « K. von Finckenstein »          

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9252-04

INTITULÉ :                                        LUILA NEGA,

THOMAS TEKLE par Luila Nega, sa tutrice en l'instance

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE MARDI    23 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE : LE 24 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Patrick Roche                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Kristina Dragaitis                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office                                                             POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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