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Date : 20000628


Dossier : IMM-5449-99

Entre :


     STANISLAV PACHKOV,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la "section du statut"), rendue par les commissaires Yves Boisrond et Anna-Maria Silvestri le 20 octobre 1999, selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention. Dans cette demande, le demandeur conteste également une décision interlocutoire de la section du statut, rendue par le commissaire coordonnateur Georges Gustave le 21 avril 1999, concernant une objection à la constitution du dossier en vue de l"audience de novo .

[2]      Le demandeur était citoyen de l"ancienne Union Soviétique. Il est né en Lettonie où il a toujours vécu. Suite à l"effondrement de l"union Soviétique et la déclaration d"indépendance de la Lettonie, le demandeur est devenu apatride.

[3]      Dû à son origine russe, le demandeur a été victime des nationalistes lettons. En avril 1995, il commença à recevoir des notes imprimées en russe dans sa boîte aux lettres, notes dans lesquelles on menaça de le tuer et de violer sa femme, tout en lui indiquant de quitter le pays. Il en avisa les autorités policières, qui lui dirent de ne pas s"inquiéter et qu"elles s"en occuperaient.

[4]      Quelque temps plus tard, alors qu"il devait se rendre à vingt kilomètres de Riga, il fut arrêté en route par un policier qui lui a demandé de sortir de sa voiture et d"entrer dans la sienne. À l"intérieur du véhicule du policier, le demandeur s"est retrouvé face à trois individus dont l"un tenait un pistolet. On l"a amené dans une forêt où il fut battu, avant d"être abandonné inconscient sur les lieux. Lorsqu"il reprit conscience, le demandeur est allé se faire soigner, tout en se gardant de contacter la police vu les menaces qui avaient été faites par ses agresseurs.

[5]      Le demandeur eut peur et quitta son travail de mécanicien pour voyager aux États-Unis avec un groupe de touristes en décembre 1995. De retour en Lettonie en janvier 1996, le demandeur reçut un appel téléphonique de l"un de ses agresseurs. Craignant pour sa vie, le demandeur repartit pour les États-Unis en août 1996 pour y séjourner jusqu"en août 1997. C"est alors qu"il est venu au Canada et y a revendiqué le statut de réfugié.

[6]      Le 8 janvier 1999, le juge Teitelbaum a accueilli une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de la section du statut ayant rejeté la revendication du demandeur, et ordonné une nouvelle audition devant une autre formation.

[7]      Le 8 avril 1999, le procureur du demandeur a formulé une objection à ce que soient joints au dossier pour audition de novo la transcription, l"avis de décision, les motifs de la décision de la section du statut, et tout autre élément de preuve contenu au dossier de la première audience. Cette objection a été rejetée par le commissaire coordonnateur Georges Gustave, dans une décision datée du 21 avril 1999.

[8]      L"audition sur la revendication a eu lieu les 29 avril et 31 mai 1999 devant les commissaires Yves Boisrond et Anna-Maria Silvestri sur la base du dossier tel que constitué suite à la décision sur l"objection. La revendication du demandeur a été rejetée en date du 20 octobre 1999.

[9]      Lors de l"audition de cette demande de contrôle judiciaire, j"ai fait droit à la requête de l"avocat du demandeur d"ajourner l"audition sur la question qu"il avait soulevé dans ses mémoires quant à la compétence du commissaire coordonnateur Gustave pour décider de la constitution du dossier de novo , puisque l"avocat a déclaré n"avoir jamais reçu une politique de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié intitulée "tenue de nouvelles audiences sur ordonnance de la Cour"1 lors du dépôt de son mémoire en réplique, le 4 février 2000. Les parties ont cependant convenu de débattre et ont débattu in extenso leurs arguments respectifs au regard de la décision des commissaires Boisrond et Silvestri datée du 27 octobre 1999.

[10]      Dans cette dernière décision, la section du statut a jugé que le demandeur n"était pas crédible et que son comportement après avoir quitté la Lettonie dénotait qu"il n"avait aucune crainte de persécution. Il appert cependant que durant l"enquête, vu que le demandeur prétendait qu"il ne lui était plus possible de retourner en Lettonie, la question s"est posée à savoir si, depuis que des assouplissements ont été apportés à la Loi sur la citoyenneté , le demandeur avait fait des démarches, depuis le 1er janvier 1999, en vue de retourner dans son pays.

[11]      Cette preuve, bien sûr, c"est le demandeur qui aurait dû normalement la faire. Mais tel qu"il appert des notes sténographiques de l"audience du 31 mai 1999, ce sont les membres du tribunal qui se sont engagés à ce que l"agent chargé de la revendication, Madame Céline Paradis, envoie une demande d"informations à l"ambassade lettone au Canada2. Cette demande contenait une directive de recherche formulée en ces termes:

Situation des apatrides qui possèdent un passeport de l"ancienne URSS et qui ne l"ont pas échangé pour un nouveau passeport lettonien pour apatrides. Peuvent-ils en obtenir un autre? Peuvent-ils retourner comme résident permanent en Lettonie (a quitté en 1996 la Lettonie)

le tout tel qu"il appert de formulaires d"obtention de renseignements autorisés par le président de l"audience, Monsieur Yves Boisrond, et signés par le demandeur en présence des membres du tribunal le 31 mai 1999.3

[12]      En l"espèce, c"est Madame Judith Malka, qui n"avait pas assisté aux audiences du tribunal, qui a envoyé la demande d"informations, non pas à l"ambassade lettone mais au Centre de documentation de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié. Contrairement à l"engagement pris par le tribunal, aucune demande ne fut envoyée à l"ambassade lettone. De plus, la Commission de l"immigration et du statut de réfugié n"a jamais informé le demandeur de son intention de ne pas demander les informations recherchées à l"ambassade lettone.

[13]      C"est pourtant sur cette preuve émanant de la Direction des recherches de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié en date du 16 juillet 19994 que la section du statut s"est fondée pour conclure que le demandeur n"avait pas démontré avoir fait des démarches depuis le 1er janvier 1999 pour obtenir un certificat de retour alors qu"il pouvait obtenir celui-ci sans restriction. Voici comment la section du statut s"est exprimée:5

Mais, outre la crainte de persécution qu"il a invoquée pour ne pas retourner dans son pays, le demandeur soulève aussi une question importante, soit l"impossibilité qu"il y a pour lui aujourd"hui de retourner en Lettonie même si des mesures ont été adoptées afin de faciliter la vie aux non-citoyens particulièrement ceux de nationalité russe (pièce A-12). Sur ce point, il y a eu des assouplissements apportés à la loi sur la citoyenneté par le parlement à la suite du référendum d"octobre 1998 favorisant les non-citoyens (pièce A-10). Le demandeur déclare qu"il ne peut bénéficier de ces nouvelles mesures étant donné qu"il n"a plus le droit de retourner en Lettonie
À l"appui de sa revendication, il a soumis la pièce P-16 qui semble indiquer qu"il aurait en avril 1998 soumis à l"ambassade de la Lettonie à Ottawa une demande de renseignements au sujet de la possibilité d"un renouvellement de visa d"entrée. Selon son témoignage, il n"aurait pas reçu de réponse à cette demande. Cependant, sur ce point, une demande d"informations reçues par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (CISR) datée du 16 juillet 1999, indique que les personnes, qui comme le demandeur, ont utilisé le passeport de l"ancienne Union Soviétique délivré par la Lettonie pour se rendre à l"étranger, avaient jusqu"au 31 décembre 1998 pour retourner en Lettonie et ceux qui ne l"auraient pas fait, pouvaient à partir du 1er janvier 1999 s"adresser aux missions diplomatiques et consulaires lettones à l"étranger pour demander un certificat de retour.
Ce document a été obtenu après l"audience du 31 mai 1999. À l"issu de cette audience, il avait été convenu que ce document serait expédié à l"avocat du demandeur qui aurait alors un délai de 15 jours pour présenter les commentaires ou arguments qu"il jugerait nécessaires de soumettre. C"est ce qu"il a fait en date du 31 août 1999. Et, il semble maintenir l"argument du demandeur selon lequel il n"a pas le droit de retourner en Lettonie. Le tribunal ne peut retenir un tel argument puisqu"il n"y a pas de preuve au dossier que le demandeur ait fait depuis le 1er janvier 1999, quelque démarche que se soit afin d"obtenir le certificat de retour mentionné dans le document du 16 juillet 1999 et qui ne soumet son obtention à aucune sorte de restriction.




[14]      En vertu de la théorie de l"expectative légitime, qui repose sur les principes d"équité et de justice naturelle, une autorité administrative doit respecter les engagements de procédure qu"elle a pris librement, en autant que cette autorité n"agit pas contrairement à ses obligations légales.6

[15]      Dans ces circonstances, il ne fait selon moi aucun doute qu"il était raisonnable pour le demandeur de s"attendre à ce que la demande d"informations soit transmise à l"ambassade lettone, et je suis d"avis que le défaut d"avoir envoyé la demande à l"ambassade a occasionné un préjudice important au demandeur. Si le tribunal avait respecté sa promesse, le demandeur aurait pu bénéficier d"une réponse plus complète et définitive sur son droit de retour en Lettonie, d"autant que le demandeur avait fait des démarches auprès de l"ambassade lettone au Canada par l"entremise de CIBSC Inc., une compagnie se spécialisant dans les services d"immigration, sans recevoir de réponse7 et que, contrairement à la conclusion tirée par le tribunal, rien au dossier n"indiquait que l"obtention d"un certificat de retour était soumis à "aucune sorte de restriction".

[16]      Après avoir entendu l"argumentation des parties relativement à la décision sur le fond de l"affaire, et vu la conclusion à laquelle j"en arrive, le litige devant cette Cour est clos et il s"avérerait inutile d"entendre à nouveau les parties sur la décision du commissaire coordonnateur Gustave sur la constitution du dossier de novo .

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée et le dossier est retourné devant un tribunal différemment constitué. Le dossier ne devra pas inclure les notes sténographiques des audiences précédentes.


                             _____________________________

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 28 juin 2000

__________________

1 Note de procédure No. 1999-001.

2 Dossier du tribunal (D.T.), pages 840, 859-860, 875, 883-884, 886, 891-892.

3 D.T. p. 48 et p. 51.

4 D.T. p. 49.

5 Décision de la section du statut, D.T. p. 7-8.

6 Old St. Boniface Residents Association Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170 (C.S.C.); Renvoi relatif au régime d"assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525 (C.S.C.); Canada c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.F.).

7 D.T. p. 58.

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