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Date : 20050706

Dossier : T-76-01

Référence : 2005 CF 946

ENTRE :

GARFORD PTY LTD.

demanderesse

- et -

GROUND CONTROL (SUDBURY) LIMITED et

SLING CHOKER MANUFACTURING LIMITED

défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN



[1]               La Cour est saisie d'une requête déposée par la co-défenderesse, SLING CHOKER MANUFACTURING LIMITED (Sling Choker) en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant l'action intentée contre elle par la demanderesse.

[2]               Il s'agit d'une action en contrefaçon. La demanderesse allègue être titulaire du brevet canadien n ° 2 002 806 (le brevet 806) relatif à un câble à bulbes (utilisé comme ancrage dans le roc dans l'exploitation minière souterraine) et aux appareils et méthodes de fabrication de ce câble. La première et principale défenderesse, GROUND CONTROL (SUDBURY) LIMITED (Ground Control) exploite apparemment une entreprise de fabrication, de distribution et de vente de câbles à bulbes et il existe entre elle et la demanderesse de véritables questions litigieuses en matière notamment de contrefaçon et de validité. Il n'est pas contesté que les deux défenderesses sont détenues et contrôlées par les mêmes intérêts. Les allégations contre Sling Choker ont été formulées de manière distincte et sont peu nombreuses. La demanderesse allègue ce qui suit :

- Sling Choker a fabriqué et continue de fabriquer au Canada des câbles à bulbes visés par le brevet en cause et vend ces câbles à Ground Control;

- Sling Choker a fabriqué et utilisé des câbles à bulbes et des machines à câbles à bulbes visés par le brevet depuis septembre 1994 environ et les a vendus à Ground Control;

- Sling Choker et Ground Control ont incité à la contrefaçon du brevet en cause (i) en faisant entre elles le commerce des machines à câbles à bulbes et (ii) en mandatant une tierce partie (Lessard Welding) pour construire des machines à câbles à bulbes.

[3]               Au soutien de sa requête en jugement sommaire, Sling Choker a déposé une déclaration assermentée de son président et principal actionnaire, M. Villgren, dans laquelle ce dernier nie spécifiquement chacune des allégations et affirme que Sling Choker a cessé définitivement toutes ses activités liées aux câbles à bulbes en 1994, date à laquelle elle a transféré cette partie de ses activités à sa filiale Ground Control. Sling Choker a également déposé une déclaration assermentée de M. Fifield, un employé de l'autre défenderesse, Ground Control, et non de Sling Choker, dans laquelle celui-ci explique comment il a conçu et réalisé pour le compte de son employeur, en 1994, une machine à câbles à bulbes qui a été construite par Lessard Welding à Sudbury. Ces deux témoins ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire assez approfondi; je reparlerai brièvement de ces contre-interrogatoires.

[4]               En réponse à la requête en jugement sommaire, la demanderesse s'est contentée de déposer certains extraits du témoignage de M. Villgren lors de son interrogatoire préalable. Ces extraits ne contiennent aucune preuve directe ni aucun aveu concernant les susdites prétentions contre Sling Choker. La demanderesse soutient toutefois que ces extraits, combinés aux contre-interrogatoires des témoins de la défenderesse, soulèvent des doutes suffisants quant à la crédibilité de messieurs Villgren et Fifield, pour indiquer l'existence de questions litigieuses sérieuses dans l'action contre Sling Choker et pour justifier le rejet de la requête. Je ne suis pas d'accord.

[5]               Premièrement, il est aujourd'hui bien établi que les questions relatives à la crédibilité ne doivent pas être tranchées lors de l'examen d'une requête en jugement sommaire (Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3 (C.A.F.), paragraphes 32 et 35; Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc., (2004) 31 C.P.R. (4th) 241 (C.A.F.), paragraphe 20). À mon avis, cependant, pour qu'une question liée à la crédibilité puisse justifier le rejet d'une requête en jugement sommaire et le renvoi de l'affaire à l'instruction sur le fond, il doit s'agir d'une question ayant trait au fond et à l'existence d'une contradiction dans la preuve présentée au soutien de la requête. Il n'existe pas de telle contradiction en l'espèce, puisque la demanderesse a omis de fournir quelque preuve que ce soit au soutien de ses allégations contre Sling Choker. Au mieux, la demanderesse s'est contentée de faire allusion à certaines activités que la défenderesse n'a pas été en mesure de réfuter positivement, mais dont la demanderesse elle-même n'a pas réussi à faire la preuve. La défenderesse requérante ayant nié sous serment les allégations la concernant, il incombait à la demanderesse de présenter une preuve au soutien de sa réclamation, ce qu'elle n'a pas fait, malgré des interrogatoires préalables complets et détaillés.

[6]               Deuxièmement, je crois qu'il n'y a en l'espèce aucun problème sérieux de crédibilité. Le principal témoin de la défenderesse, M. Villgren, a fait l'objet d'un contre-interrogatoire détaillé et, hormis certaines imprécisions et incertitudes compréhensibles concernant les détails d'une transaction (la vente de son entreprise de câbles à bulbes par Sling Choker au profit de Ground Control il y a environ dix ans et certains renseignements tout à fait secondaires concernant les locaux occupés par ses différentes sociétés à Sudbury), son témoignage n'est pas remis en cause. Il pourra s'avérer un témoin plus ou moins crédible lors de l'instruction sur le fond mais pour les fins de cette requête, la Cour doit présumer qu'il est un témoin crédible, en l'absence de preuve démontrant le contraire. Il ne suffit pas, pour qu'une question de crédibilité soit soulevée, que l'avocat d'une partie invite la Cour à rejeter la preuve présentée par la partie adverse.

[7]               L'attaque de la demanderesse à l'encontre de la crédibilité de l'autre témoin, M. Fifield, semble un peu mieux fondée. Au tout début de son contre-interrogatoire et avant même que la première question ne lui soit posée, ce témoin s'est rétracté à l'égard de plusieurs paragraphes de sa déclaration assermentée et il a modifié plusieurs détails de son récit. Ces faits sont toutefois insuffisants pour faire perdre toute crédibilité à M. Fifield, comme le voudrait la demanderesse; ils peuvent toutefois inciter la Cour à faire preuve d'une certaine prudence avant de s'appuyer sur ce seul témoignage. J'ai plutôt tendance, au contraire, à penser que cette faute est à mettre au compte de l'avocat qui a préparé la déclaration assermentée et non au compte du témoin qui l'a signée, avant de réaliser au moment de la relire, juste avant son contre-interrogatoire, qu'elle contenait des inexactitudes. Son témoignage tel que modifié ne contredit en rien les autres éléments de preuve et, selon moi, il n'a pas porté atteinte à sa crédibilité.

[8]               La demanderesse fait grand état de la preuve qui démontre qu'à l'occasion, Sling Choker loue les services d'un camion de livraison appartenant à Ground Control, que ce camion est conduit par un employé de cette dernière et qu'aucun des témoins de la défenderesse n'a été en mesure d'affirmer que les employés Sling Choker n'ont jamais conduit ce camion ou qu'ils n'y sont jamais montés lors d'une livraison. Selon la demanderesse, cela prouve que Sling Choker aurait participé aux activités de contrefaçon de Ground Control. Il n'est en rien, bien entendu. L'incapacité de réfuter une simple possibilité pour laquelle il n'existe aucune preuve positive ne peut prouver à elle seule la vraisemblance d'un fait non prouvé.

[9]               Enfin, la demanderesse prétend qu'en raison de l'identité du président et actionnaire principal des deux défenderesses, M. Villgren, et en l'absence d'une véritable direction des directions des deux sociétés par leurs conseils d'administration respectifs, Sling Choker engagerait sa responsabilité pour toutes les activités de contrefaçon de Ground Control. Je ne connais aucune autorité pouvant justifier une telle proposition qui, selon moi, contredit les principes les plus élémentaires du droit des sociétés.

[10]           En conclusion, la requête est accueillie et un jugement sommaire sera rendu pour rejeter la demande contre Sling Choker. La partie requérante aura droit à ses dépens, dont je fixe le montant forfaitaire à 15 000 $, payables immédiatement. Je ne vois aucune raison de rendre maintenant une ordonnance de type « Bullock » pour ajouter ces dépens aux dommages-intérêts auxquels la demanderesse aurait droit, non plus qu'une ordonnance de type « Sanderson » pour imposer ces dépens à l'autre défenderesse.



ORDONNANCE


La requête est accueillie et la demande contre Sling Choker est rejetée; cette dernière a droit à 15 000 $ de dépens payables immédiatement.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-76-01

INTITULÉ :                                        GARFORD PTY LTD.

                                                            - et -

                                                            GROUND CONTROL (SUDBURY) LIMITED et

                                                            SLING CHOKER MANUFACTURING LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 3 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HUGESSEN

DATE :                                                Le 6 juillet 2005

COMPARUTIONS:


BRADLEY LIMPERT                                                              POUR LA DEMANDERESSE

KENNETH SHARPE                                                               POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

TORONTO (ONTARIO)                                                         POUR LA DEMANDERESSE

OGILVY RENAULT

OTTAWA (ONTARIO)                                                           POUR LES DÉFENDERESSES

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