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IMM-705-96

Ottawa (Ontario), le lundi 21 juillet 1997.

En présence de :      monsieur le juge Gibson

E N T R E :

     ROLSTON RICARDO MOFFATT,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.

     ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée :

     L"avis du ministre selon lequel une personne constitue un danger pour le public est-il entaché d"erreur et donc annulable s"il se fonde en partie sur le fait que la personne visée ne reconnaît pas avoir commis l"infraction pour laquelle elle a été condamnée et continue à exercer son droit, prévu au Code criminel, d"en appeler de sa condamnation et de la peine qui lui a été imposée et à maintenir son innocence?                 

FREDERICK E. GIBSON

             Juge

Traduction certifieé conforme      ________________________

             Bernard Olivier, LL.B.


IMM-705-96

E N T R E :

     ROLSTON RICARDO MOFFATT,

     requérant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d"une décision, prise le 23 janvier 1996 pour le compte de l"intimée aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration1, (la Loi) selon laquelle cette dernière considère que le requérant constitue un danger pour le public au Canada.

     Voici un résumé des faits de l"espèce. Le requérant est né en Jamaïque en août 1972. Il est arrivé au Canada en 1988. Le 12 décembre 1992, il a été arrêté et accusé de tentative de meurtre. Il a été mis en libération, semble-t-il, et a passé la plus grande partie de son temps dans la communauté entre le moment de sa libération et le 10 janvier 1995, date où il a été reconnu coupable de tentative de meurtre. Bien qu"une accusation pesait contre lui alors qu"il était toujours en liberté, il a été reconnu coupable d"avoir en sa possession des biens obtenus de façon criminelle d"une valeur de moins de 1000 $ et, à une autre occasion, d"avoir commis des voies de fait et omis de respecter un engagement.

     Par une lettre en date du 4 décembre 1995, le requérant a été avisé que l"intimée envisageait la possibilité d"émettre un avis, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi, portant qu"il constitue un danger pour le public au Canada. Le requérant a eu l"occasion de présenter des observations à l"intimée. Il n"a pas profité de cette occasion qui lui était offerte avant qu"un représentant de l"intimée émette, pour le compte de celle-ci, le 23 janvier 1996, un avis selon lequel le requérant constituait un danger pour le public au Canada. À cette époque, aucune mesure de renvoi n"avait été prise à l"égard du requérant.

     Vu la décision de la Cour d"appel fédérale dans Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Williams2, j"ai été saisi de trois questions seulement. L"avocat du requérant a soutenu que l"intimée a commis une erreur de droit lorsqu"elle a omis de considérer si le requérant constituait un " danger présent ou futur " et de tenir compte d"éléments dont elle disposait qui lui aurait raisonnablement permis de conclure que celui-ci ne constituait pas un tel danger, qu"elle a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, et qu"elle a omis de tenir compte de l"ensemble des éléments dont elle disposait.

     Il ressort du dossier du tribunal que le représentant de l"intimée disposait d"un document intitulé " Demande d"avis ministériel " et d"un autre intitulé " Rapport relatif à l"avis du ministre quant au danger pour le public ", dans lesquels un agent du ministère de l"intimée, un gestionnaire, un agent d"examen et le directeur de l"Examen des cas et recherches, Direction générale du règlement des cas, ont tous recommandé que soit émis un avis qualifiant le requérant de dangereux. Je souscris à l"opinion de l"avocat du requérant selon laquelle ces documents constituent des présentations non suffisamment équilibrées de l"ensemble des éléments dont disposait le représentant de l"intimée, pour fins de considération, avant de former son opinion. Dans Williams , le juge Strayer a écrit :

                 Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger " selon le ministre " et non " selon le juge ". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est " établi " ou " décidé " que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public , mais celui de savoir si, " selon le ministre ", il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.                 
                          [Non souligné dans l"original.]                 
              Si j"étais en mesure de conclure que le représentant de l"intimée s"est fondé exclusivement sur les documents qui lui ont été remis par le ministère de l"intimée pour fins de considération, je conclurais que l"intimée a commis une erreur susceptible de faire l"objet d"un contrôle en émettant l"avis formé pour son compte. Cependant, je ne puis tirer une telle conclusion. Compte tenu de la dernière phrase du passage tiré de l"arrêt Williams , ci-haut, il appert que je suis saisi d"un dossier qui, selon une preuve non contestée, a été remis au représentant de la ministre. Vu l"absence de preuve contraire, je dois présumer que le représentant de la ministre a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. À mon avis, cela veut dire [TRADUCTION] " en tenant compte de l"ensemble de ce dossier ". Aucune preuve établissant que le représentant de l"intimée n"a pas tenu compte de l"ensemble des documents dont il disposait ne m"a été présentée. Je dois donc tenir pour acquis que, malgré les documents insatisfaisants qui lui ont été remis, le représentant de la ministre a tenu compte de l"ensemble des documents, dont tous les documents tendant à démontrer que le requérant ne constitue pas un danger présent ou futur pour le public au Canada. Ces documents comprenaient deux rapports présentenciels, rédigés à presqu"une année d"intervalle et fondés sur une consultation plutôt considérable menée auprès de membres de la communauté, dans lesquels les agents qui ont rédigé les rapports ont conclu que le requérant était un candidat acceptable au [TRADUCTION] " Programme de surveillance communautaire ". Les documents favorables au requérant comprenaient également une série de références provenant de membres de sa communauté et attestant de façon extrêmement positive la moralité de celui-ci. Du point de vue opposé, les documents favorables au requérant n"ont manifestement pas exercé d"influence appréciable sur le juge qui a prononcé la peine. Ce dernier a condamné le requérant à dix années d"emprisonnement.         
              Compte tenu de l"ensemble des documents dont disposait le représentant de l"intimée, même si une autre personne aurait fort bien pu former un avis différent, je conclus qu"il pouvait raisonnablement former un avis selon lequel le requérant constituait ou était susceptible de constituer un danger pour le public au Canada.         
              Encore une fois, en renvoyant au passage tiré de l"arrêt Williams , précité, je ne peux pas conclure que la décision subjective en l"espèce a été prise de mauvaise foi, suite à la commission d"une erreur, ou compte tenu de considérations non pertinentes. En outre, aucune violation de l"équité procédurale n"a été invoquée devant moi.         
              En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.         
                      L"avocat du requérant a proposé que les trois questions suivantes soient certifiées :                 
                 1)      L"avis du ministre selon lequel une personne constitue un danger pour le public est-il entaché d"erreur et donc annulable s"il se fonde en partie sur le fait que la personne visée ne reconnaît pas avoir commis l"infraction pour laquelle elle a été condamnée et continue à exercer son droit, prévu au Code criminel, d"en appeler de sa condamnation et de la peine qui lui a été imposée et à maintenir son innocence?                 
                 2)      Le fait que le ministre, sachant que la personne visée a interjeté appel de sa condamnation et de la sentence qui lui a été imposée, ait formé un avis, avant que l"appel ne soit tranché et que la Commission des libérations conditionnelles n"ait évalué la probabilité de récidive, selon lequel la personne constituait un danger pour le public en se fondant sur le fait que celle-ci a fait l"objet d"une condamnation pour avoir commis une infraction violente, condamnation portée en appel et relativement à laquelle la personne visée maintient son innocence, est-il conforme aux principes de justice fondamentale?                 
         3)      Le fait que le ministre ait déclaré dans son avis que l"accusé constituait un danger pour le public, sans avoir tenu compte des aspects favorables de la situation de celui-ci par opposition à ses aspects négatifs, et qu"il ait fait porter son avis uniquement sur ces aspects négatifs, est-il conforme aux principes de justice fondamentale?         
              L"avocate de l"intimée s"oppose à la certification de chacune de ces questions. Elle soutient que la première question n"a pas une portée générale et qu"elle est intimement liée aux faits de l"espèce. En ce qui concerne la deuxième question, elle prétend que le problème dont elle traite n"a pas été soulevé dans les documents déposés pour le compte du requérant ni abordé à l"audition et que, par conséquent, elle ne doit pas être certifiée. Quant à la troisième question, l"avocate prétend qu"elle a déjà été traitée par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Williams , précité, et que, notamment, vu qu"aucune preuve ne m"a été présentée établissant que le représentant de l"intimée a omis de tenir compte de l"ensemble de la preuve dont il disposait, cette question ne doit pas être certifiée.         
                  Je souscris aux observations de l"avocate de l"intimée en ce qui concerne la troisième question. Je souscris également à ses observations relativement à la deuxième question. Bien que les éléments de cette question aient été soulevés devant moi, aucun argument portant qu"ils constituaient une omission de respecter les principes de justice fondamentale ne m"a été présenté. Ils ont plutôt été utilisés pour démontrer que le représentant de la ministre a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Cela dit, je ne puis souscrire à l"avis de l"avocate de l"intimée, selon lequel la première question n"a pas une portée générale. En conséquence, je certifierai seulement la première question.         
                 
         FREDERICK E. GIBSON         
                                          juge         
         Ottawa (Ontario)         
         le 21 juillet 1997.         
         Traduction certifiée conforme              _____________________         
                                      Bernard Olivier, LL.B.         

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NO DE GREFFE :              IMM-705-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ROLSTON RICARDO MOFFATT

                     - c. -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L"IMMIGRATION

                    

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 15 JUILLET 1997

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              17 JUILLET 1997

ONT COMPARU :

                     M. Munyonzwe Hamalengwa

                    

                         Pour le requérant

                     M me Bridget O'Leary

                

                         Pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Munyonzwe Hamalengwa

                     avocat

                     2, avenue Sheppard est

                     North York (Ontario)

                     M2N 5Y7

                         Pour le requérant

                    

                     George Thomson

                     Sous-procureur général

                     du Canada

                         Pour l"intimée

                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     No de greffe :      IMM-705-96

                     Entre :

                     ROLSTON RICARDO MOFFATT,

                        

                 requérant,

                     et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L"IMMIGRATION,                     

     intimée.

                     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

    

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      11avril 1997, A-855-96 et IMM-3320-95 (non publiée) (C.A.F.).

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