Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20040917

                                                                                                                    Dossier : IMM-6549-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1279

ENTRE :

                                                               FARIBA RASSAN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté la demande d'asile de Mme Fariba Rassan en mentionnant un certain nombre d'invraisemblances, d'incohérences et d'omissions dans la preuve de cette dernière. Mme Rassan demande maintenant l'annulation de la décision du tribunal, en faisant valoir que les conclusions du tribunal en matière de crédibilité et d'invraisemblance n'étaient pas étayées par la preuve dont il disposait.


Contexte

[2]         Mme Rassan est une citoyenne iranienne âgée de 29 ans. Elle allègue craindre avec raison d'être persécutée en Iran du fait des deux motifs suivants : 1) son refus de transmettre au ministère iranien du Renseignement et de la Sécurité les informations auxquelles elle avait accès alors qu'elle travaillait comme interprète aux ambassades d'Oman et de Bahreïn à Téhéran; 2)    sa bisexualité.

[3]         Les difficultés de Mme Rassan ont commencé par une série d'appels téléphoniques anonymes en avril 2000. La personne qui lui téléphonait, prétendument membre du ministère du Renseignement, a exigé de Mme Rassan qu'elle lui fournisse des renseignements au sujet des employés des ambassades où elle travaillait et des événements qui s'y produisaient. Les appels téléphoniques ont continué sans relâche jusqu'au mois d'août 2002, moment où, selon Mme Rassan, la personne qui lui téléphonait et un autre homme se seraient introduits chez elle par effraction, l'auraient maltraitée et lui auraient de nouveau demandé des renseignements concernant les ambassades. Mme Rassan déclare que ces hommes sont revenus chez elle environ une semaine plus tard en exigeant de nouveau des renseignements; Mme Rassan allègue que lors de ce dernier incident, les intrus l'ont insultée, agressée et violée.

[4]         Suite à cet incident, Mme Rassan a précipité sa fuite de l'Iran. De plus, dans le récit que contient le FRP, Mme Rassan déclare qu'elle [traduction] « ne pouvai[t] jamais exprimer librement sa [bi]sexualité en Iran » .

[5]         Les conclusions relatives à l'invraisemblance et au manque de crédibilité ont été déterminantes dans la décision du tribunal. En particulier, en concluant que Mme Rassan n'était pas un réfugié au sens de la Convention, le tribunal a relevé les faits suivants :


a)          les lettres d'emploi des ambassades d'Oman et de Bahreïn mentionnaient que Mme Rassan était une secrétaire et non une interprète comme elle le prétendait;

b)          aucune preuve documentaire n'a été fournie au sujet d'études en interprétation et en traduction faites par Mme Rassan;

c)          dans les notes que Mme Rassan a rédigées à la main en anglais au point d'entrée, elle n'a pas mentionné le prétendu viol;

d)          bien que Mme Rassan ait prétendu ne pas pouvoir vivre au vu de tous en tant que bisexuelle en Iran, elle est arrivée au Canada avec un homme qu'elle a décrit comme son petit ami; ensuite, elle a épousé un autre homme;

e)          lorsqu'elle a identifié les agents de persécution, Mme Rassan a parlé sans distinction de « ministère de l'Information » et de « ministère du Renseignement » .

Analyse

[6]         La question principale en l'espèce est la crédibilité ou le manque de crédibilité de Mme Rassan. Il est bien établi que, en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité, la décision du tribunal doit faire l'objet d'un degré élevé de retenue et que la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable. La Cour ne peut pas et ne devrait pas substituer ses propres opinions à celles du tribunal et elle devrait analyser toute contestation des conclusions relatives à la crédibilité avec une prudence extrême. Voir l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL).


[7]         En l'espèce, les incohérences et les omissions relevées par le tribunal sont pertinentes en matière d'évaluation de la crédibilité. Concernant le poste occupé par Mme Rassan aux ambassades, même si la demanderesse a soutenu qu'elle aurait pu avoir accès à des renseignements confidentiels en occupant un poste de secrétaire, le tribunal pouvait conclure qu'un poste de traductrice aurait permis à Mme Rassan d'être plus près des hauts fonctionnaires et d'assister à leurs réunions diplomatiques.

[8]         En ce qui concerne la bisexualité de Mme Rassan, le tribunal a relevé qu'elle était arrivée au Canada avec un homme qu'elle avait décrit comme son petit ami. Bien que Mme Rassan ait dit qu'il s'agissait d'une erreur de traduction et que son compagnon n'était qu'un ami, la réponse qu'elle a donnée aux questions de suivi au sujet de leurs projets de mariage contredit cette explication.

[9]         Le tribunal a également relevé que Mme Rassan avait épousé un autre homme depuis son arrivée au Canada. Il convient de noter que Mme Rassan n'a fourni aucune preuve de la prétendue liaison qu'elle aurait eue avec une femme en Iran.

[10]       En regard de ce contexte, le tribunal a conclu que le comportement de Mme Rassan était celui d'une femme hétérosexuelle qui ne craignait pas d'être persécutée du fait de sa bisexualité. Cette conclusion est tout à fait raisonnable. Le tribunal peut apprécier la preuve de la demanderesse en se fondant sur des critères comme la raison et le bon sens. Voir l'arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL). C'est exactement ce qu'a fait le tribunal en l'espèce.


[11]       Le tribunal a conclu que l'explication de Mme Rassan au sujet des raisons pour lesquelles elle avait omis de mentionner l'incident allégué de viol, dans les notes au point d'entrée, savoir qu'on ne lui avait demandé qu'un résumé des motifs pour lesquels elle demandait l'asile, n'était pas convaincante si l'on tient compte de la longueur de sa déclaration et des détails qu'elle contient. Certes, l'incident de viol avait précipité le départ de l'Iran de Mme Rassan et le tribunal pouvait raisonnablement conclure que l'omission, dans les notes au point d'entrée, d'un incident aussi important était significative. Étant donné les explications indéfendables et l'importance de l'omission, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que le viol allégué n'avait pas eu lieu. Mme Rassan a fait valoir que si l'on avait appliqué correctement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, on aurait compris sa réticence à divulguer le viol. Cependant, puisque le tribunal n'était saisi d'aucune preuve lui permettant de conclure que Mme Rassan avait hésité à témoigner ou qu'elle aurait eu besoin que l'on prenne des dispositions différentes à son endroit, le tribunal pouvait conclure que l'application des Directives n'aurait pas entraîné la divulgation de l'incident allégué.

[12]       La demanderesse aussi bien que le défendeur ont relevé l'emploi indifférencié de l'une ou de l'autre des expressions « ministère du Renseignement » et « ministère de l'Information » pour décrire l'agent de persécution. La demanderesse prétend, et je suis d'accord, que tirer des conclusions défavorables en se fondant sur ces prétendues contractions revient à couper les cheveux en quatre. Mme Rassan a été informée par un interprète farsi que « ministère de l'Information » était la meilleure traduction et c'est pour cette raison qu'elle a utilisé ce terme dans son FRP. Si le tribunal avait fondé sa décision sur ce point, on pourrait conclure que la décision était manifestement déraisonnable. Cependant, une décision concernant la crédibilité d'un défendeur est fondée sur l'effet cumulatif des incohérences et des omissions (voir Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 604 (C.A.) (QL)) et la conclusion défavorable tirée ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle compte tenu des nombreuses autres conclusions défavorables régulièrement tirées en matière de crédibilité.


[13]       La demanderesse prétend que les observations du tribunal dans ses motifs donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité. En effet, dans ses observations, le tribunal a qualifié la déclaration de Mme Rassan de long exposé, par opposition à un résumé, dans lequel on trouvait également une description détaillée de ses caractéristiques personnelles, de sa nature indépendante et même de sa perte de poids depuis son arrivée au Canada.

[14]       Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369. Selon ce critère, il faut se demander ce qu'une personne informée, qui examinerait la question de façon réaliste et pratique, conclurait après mûre réflexion. Conclurait-elle qu'il est probable que l'autorité décisionnelle ait, inconsciemment ou sciemment, rendu une décision injuste?

[15]       En l'espèce, les observations sur la longueur et les détails de la déclaration de la demanderesse sont peut-être gratuites, cependant, elles ne révèlent aucune partialité ou crainte raisonnable de partialité.

[16]       Les deux parties ont également relevé la question de savoir si le passeport de Mme Rassan avait été intentionnellement détruit. Le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que Mme Rassan détruise son passeport iranien alors qu'il était valide et qu'elle n'était pas recherchée par les autorités iraniennes. Cette conclusion secondaire du tribunal relative à la vraisemblance est sans conséquence sur le résultat général de la demande et ne peut en justifier l'annulation. Il est reconnu que la Cour ne doit pas, en règle générale, remplacer l'opinion du tribunal concernant les faits par la sienne; le tribunal a non seulement l'avantage de voir et d'entendre les témoins, mais il peut également faire appel à l'expertise de ses membres pour évaluer la preuve relative à des faits qui relèvent de leur domaine.


[17]       Après avoir étudié toute la preuve soumise au tribunal, j'estime qu'il a tiré des conclusions raisonnables et qu'il a pris en compte toutes les questions substantielles. La décision du tribunal n'est pas déraisonnable et encore moins manifestement déraisonnable.

[18]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]       Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6549-03

INTITULÉ :                                                    FARIBA RASSAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Alp Debreli                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Robert Bafaro                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alp Debreli                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.