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Date : 20000216


Dossier : T-1847-98


Ottawa (Ontario), le 16 février 2000.



EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON




ENTRE


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


appelant



et



WAI YUEN CHENG


intimé








JUGEMENT





Date : 20000216


Dossier : T-1847-98


Ottawa (Ontario), le 16 février 2000.



EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON




ENTRE


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


appelant



et



WAI YUEN CHENG


intimé








JUGEMENT





Date : 20000216


Dossier : T-1847-98


ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


appelant



et



WAI YUEN CHENG


intimé




Audition tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 janvier 2000.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 février 2000.


MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR :              LE JUGE MULDOON





Date : 20000216


Dossier : T-1847-98


ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


appelant


et



WAI YUEN CHENG


intimé



MOTIFS DE JUGEMENT


LE JUGE MULDOON


[1]      Le ministre a formé le présent appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté et de l"article 21 de la Loi sur la Cour fédérale , contre la décision, datée du 6 août 1998, dans laquelle un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté canadienne que Wai Yeun Cheng a présentée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]      L"appel est fondé sur le motif suivant : savoir que le juge de la citoyenneté a omis de tenir compte de l"exigence en matière de résidence prévue à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, qui prévoit que le demandeur de citoyenneté doit, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.

[3]      Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

         5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:
         a) en fait la demande;
         b) est âgée d'au moins dix-huit ans;
         c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:
             (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
             (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;
         ...
         (1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l'application de l'alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l'auteur d'une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l'étranger, des forces armées canadiennes ou de l'administration publique fédérale ou de celle d'une province.

[4]      Ce qu"il importe de souligner dans le texte, c"est que le demandeur doit avoir été légalement admis au Canada à titre de résident permanent; un tel demandeur doit, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout; la période de résidence au Canada se mesure en journées et en demi-journées. L"expression " au moins " trois ans ne veut pas dire moins longtemps que cela; elle veut dire pas moins de trois ans. C"est ce que signifie la résidence au Canada; elle ne suppose pas une absence du Canada, mais plutôt une présence au Canada - elle renvoie à une présence pendant des journées entières et des demi-journées. Elle n"empêche pas, bien entendu, que la personne s"absente du pays pour passer des vacances de courte durée à l"étranger. Elle exige un engagement à s"établir - c"est-à-dire à résider au Canada pendant les périodes prescrites. Il s"agit de beaucoup, beaucoup plus que le fait d"adopter le Canada à titre de simple " pavillon de complaisance ", comme l"ont dit M. le juge Joyal dans Secrétaire d"État c. Nakhjavani, [1988] 1 C.F. 84, à la p. 92, et M. le juge Denault, dans Re Ouayad, aux pages 2 et 3, T-1473-94.

[5]      En tranchant la demande de citoyenneté canadienne de l"intimé, le juge de la citoyenneté a écrit :

         [TRADUCTION] Le demandeur est un étudiant de 26 ans, diplômé en architecture, qui est arrivé au Canada en 1994. Il a fréquenté des établissements scolaires à Hong Kong pendant 11 ans, aux États-Unis pendant 8 ans, et au Canada pendant 1 an. Selon les calculs de la Cour, il lui manque 752 jours pour satisfaire à l"exigence applicable en matière de résidence. J"ai eu une entrevue avec le demandeur et j"ai examiné le dossier. Comme le demandeur a maintenu sa résidence au Canada et est revenu au pays aux vacances d"été et d"hiver, je suis convaincue qu"il a établi sa résidence au Canada. Je recommande l"approbation.

[6]      En vérité, l"intimé a répondu, à la cinquième question de sa demande de citoyenneté canadienne (dossier de l"appelant, à la p. 012), qu"il a passé 854 jours " à l"étranger ", aux États-Unis, du 94/8/18 au 97/7/1, soit davantage que les 752 jours susmentionnés. En tout, pour avoir résidé pendant trois ans au Canada, il faut y avoir résidé - y avoir été présent - pendant 1 095 jours. Dans le cas où le demandeur ne peut supporter le fait de passer trois années complètes au Canada, pays dont il cherche à obtenir la citoyenneté, il bénéficie d"une année de plus pour satisfaire à l"exigence, car la loi prévoit que le demandeur doit avoir résidé au pays pendant au moins trois ans seulement au cours de la période de quatre ans qui a précédé la date de la demande de citoyenneté canadienne.

[7]      On se demande bien quel pouvoir le juge de la citoyenneté croyait exercer lorsqu"elle a dit (à tort) [TRADUCTION] " il lui manque 752 jours pour satisfaire à l"exigence applicable en matière de résidence " et conclu par la suite : [TRADUCTION] " je suis convaincue qu"il a établi sa résidence au Canada ". Il s"agit d"une erreur insigne de fait et de droit.

[8]      L"intimé a présenté un exposé des faits qui amène à conclure qu"il est une bonne personne qui provient d"une bonne famille instruite et qui paie des impôts, [TRADUCTION] " fermement enracinée au Canada et dans sa culture et (il) parle couramment l"anglais "; cela paraît entièrement vrai, mais cela ne peut ni ne saurait compenser une période de résidence insuffisante pour satisfaire à l"exigence que le législateur a voulu imposer au demandeur de citoyenneté canadienne. La Cour a fait part de ces réflexions à l"intimé à l"audition de l"appel du ministre, qui a eu lieu à Vancouver. Dans les circonstances, c"est le législateur qui est l"instance législative qui fait autorité : ce n"est ni le juge de la citoyenneté, ni le ministre, ni notre Cour.

[9]      À ce stade-ci, il importe de souligner que l"expression, si souvent adoptée dans les décisions de notre Cour, " le demandeur a centralisé son mode de vie au Canada ", ne décrit pas une quelconque exigence légale à laquelle le demandeur doit satisfaire pour obtenir la citoyenneté. Elle découle probablement d"une jurisprudence établie de façon impérative qui ne tire pas son origine de la législation. On ne doit pas favoriser le maintien d"une telle exigence putative trompeuse. Le législateur a voulu dire ce qu"il a adopté, et il a adopté ce qu"il a voulu dire.

[10]      L"intimé n"a pas résidé pendant au moins trois ans au Canada après le 7 avril 1993, soit au cours de la période de quatre ans qui a précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté canadienne - le 7 avril 1997 - comme l"exige l"alinéa 5(1)c ) de la Loi. Le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait et de droit lorsqu"elle a approuvé la demande de l"intimé.

[11]      Les exigences en matière de résidence sont claires, et la jurisprudence de la Section de première instance regorge de décisions qui font sans équivoque l"exégèse de ces exigences :

Re Pourghasemi (1993), Imm. L.R. (2d) 259

Re Koo, [1993] 1 C.F. 286

Re Hui (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 8

Re Chan (1998) 144 F.T.R. 117

M.C.I. c. Kam Biu Ho, T-19-98, 24 nov. 1998

Wai Hong Chan c. M.C.I., T-193-98, 30 nov. 1998

[12]      L"extrait suivant, tiré des motifs que Madame le juge Reed a exposés dans la décision Koo , précitée, aux pages 292 et 293, est particulièrement intéressant :

         On a laissé entendre dans certaines décisions que les changements apportés à la Loi sur la citoyenneté en 1978 [S.C. 1976-77, ch. 52, art. 128] menaient à la conclusion que le législateur envisageait qu'il n'était pas nécessaire d'être physiquement présent au pays pendant toute la période prescrite de trois ans. Cela est lié, a-t-on dit, au fait que les restrictions fondées sur le lieu de domicile ont été supprimées. J'ai lu les débats parlementaires et les délibérations des comités de l'époque et je n'y vois rien qui justifie une telle conclusion. En fait, il semble que ce soit tout le contraire. La condition de trois ans de résidence dans une période de quatre ans semble avoir été conçue pour permettre une absence physique d'une durée d'un an pendant les quatre ans prescrits. Certes, les débats tenus à l'époque donnent à penser que l'on envisageait comme durée minimale une présence physique au Canada de 1 095 jours.
         ...
         Dans certaines décisions, il a été dit que, dans le cas d'un requérant :
         [traduction] . . . qui ferait de toute évidence un excellent citoyen, les dispositions de la Loi devraient être interprétées d'une manière large de manière à pouvoir lui accorder la citoyenneté . . .
         Voir, par exemple, l'affaire Kleifges (In re) et in re Loi sur la citoyenneté, [1978] 1 C.F. 734 (1re inst.), à la page 742.
         Voilà une recommandation qui me préoccupe quelque peu. Si cela veut dire que le juge doit interpréter différemment les exigences de la Loi selon qu'il a affaire à une personne au sujet de laquelle il s'est fait une opinion favorable (en tant que citoyen éventuel) ou à une personne au sujet de laquelle il ne s'est pas fait la même opinion, je me dois, selon moi, de rejeter la règle d'interprétation. Les requérants doivent tous satisfaire aux mêmes critères, indépendamment de l'opinion du juge quant aux qualités de chacun en tant que citoyen éventuel. La loi doit s'appliquer d'une manière égale à tous.

[13]      Aucune personne soucieuse de faire triompher la justice ne pourrait contester ces propositions exprimées par le juge Reed. Néanmoins, notre Cour estime que l"intimé pourrait un jour devenir un citoyen duquel l"ensemble du Canada serait fier.

[14]      En l"espèce, le juge de la citoyenneté a commis une erreur fondamentale, et sa décision d"accorder la citoyenneté à l"intimé doit être annulée. En conséquence, l"appel du ministre est accueilli.


" F.C. Muldoon "

                                             F.C. Muldoon

Ottawa (Ontario)

Le 16 février 2000.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              T-1847-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c.

                     Wai Yuen Cheng

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 31 janvier 2000

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              16 février 2000



ONT COMPARU :


Pauline Anthoine                              POUR L"APPELANT

Wai Yuen Cheng                              POUR L"INTIMÉ


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Morris Rosenberg                          POUR L"APPELANT

Sous-procureur général du Canada

M. Wai Yuen Cheng                              POUR L"INTIMÉ

Vancouver (C.-B.)

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