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Date : 20000601
Dossier : T-1464-99

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 1ER JUIN 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

Yan Anita Lam

demanderesse

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

défendeur

O R D O N N A N C E

L'appel est rejeté. Les motifs suivront.

" Max M. Teitelbaum "

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

Date : 20000626

Dossier : T-1464-99

ENTRE :

Yan Anita Lam

demanderesse

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

défendeur

T-1465-99

ENTRE :

Kwok Shing Chiang

demandeur

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1] Il s'agit de deux appels distincts, fondés sur le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), contre deux décisions du juge de la citoyenneté Sigmund Reiser datées du 30 juin 1999. Les deux demandeurs sont mariés l'un à l'autre et leurs appels ont été entendus en même temps. Les appels feront donc l'objet d'une seule décision.

[2] Les avis de la demande dans ces deux dossiers ont été déposés le 11 août 1999. En conséquence, les Règles de la Cour fédérale (1998) s'appliquent à ces demandes.

LES FAITS

[3] Les demandeurs et leurs deux enfants sont arrivés au Canada en provenance de Hong Kong le 21 janvier 1995, et ils ont été admis en tant que résidents permanents. Le 9 avril 1998 (un peu moins de trois ans et trois mois après leur arrivée), les demandeurs ont présenté des demandes de citoyenneté. Dans leurs demandes respectives, M. Chiang et Mme Lam ont mentionné qu'ils avaient été absents du Canada au cours des périodes suivantes :

1. du 3 février 1995 au 20 juillet 1995 [167 jours] ;

2. du 1er août 1995 au 21 décembre 1995 [142 jours] ;

3. du 1er janvier 1996 au 21 décembre 1996 [355 jours] ;

4. du 2 janvier 1997 au 13 décembre 1997 [345 jours] ;

5. du 2 janvier 1998 au 23 janvier 1998 [21 jours] ;

6. du 3 février 1998 au 7 avril 1998 [63 jours].

[4] Monsieur Chiang a mentionné dans son formulaire de demande qu'il s'était absenté du Canada pour terminer ses études de doctorat en pathologie. Dans son affidavit, M. Chiang a déclaré qu'il [TRADUCTION] " était si avancé dans ses études qu'il lui aurait été impossible de les poursuivre dans une université canadienne ". Il a, semble-t-il, terminé ses études de doctorat le 1er décembre 1998, mais il devait, aux termes de sa bourse et en raison de son emploi, demeurer à Hong Kong jusqu'en mai 2000. Madame Lam a déclaré pour sa part qu'elle s'était absentée du Canada pour accompagner son époux et par affaires.

[5] En fait, M. Chiang n'a pas obtenu un diplôme de docteur en pathologie mais bien un diplôme de médecine, et il est maintenant admissible à obtenir un doctorat.

[6] Pour étayer sa demande, Mme Lam a déposé des copies des documents suivants : une carte d'assurance sociale, une carte de santé de la C.-B., un permis de conduire de la C.-B., des cartes de crédit, une carte de membre du Western Indoor Tennis Club, une carte de club vidéo et une carte de membre de Price/Costco. Elle a également produit des copies de permis de retour pour résident permanent. Monsieur Chiang a lui aussi présenté des documents similaires. Les deux demandeurs ont produit des déclarations de revenus pour les années 1995, 1996 et 1997. En fait, la famille se trouvait toujours à Hong Kong en date de l'audition du présent appel.

[7] Le 1er mai 1995, S.E.A. Investments Inc. a offert à Mme Lam un poste de vice-présidente et directrice pour la région est du Canada, poste que cette dernière a accepté. Madame Lam soutient qu'elle devait se rendre à Hong Kong dans le cadre de son travail. Le 13 juin 1995, les demandeurs ont acheté une copropriété à Vancouver. La famille se trouvait alors à Hong Kong. Elle s'y trouvait également à la date où les demandeurs ont déposé leurs demandes de citoyenneté.

[8] Dans leurs demandes, M. Chiang et Mme Lam ont mentionné une adresse à Markham, et non leur adresse à Vancouver, en tant qu'adresse postale. À l'audition devant le juge de la citoyenneté, les demandeurs ont mentionné que cette adresse à Markham n'était qu'une adresse postale.

[9] Le juge de la citoyenneté a conclu que les demandeurs avaient été présents au Canada pendant 76 jours au total, de sorte qu'il leur manquait 1 019 jours pour satisfaire à l'exigence de 1 095 jours. Le juge a conclu que les [TRADUCTION] " indices de présence au Canada " n'étaient que [TRADUCTION] " de simples artifices pour étayer vos prétentions en matière de résidence, qui devraient être crédibles d'elles-mêmes ". De plus, il a conclu que les demandeurs ne menaient [TRADUCTION] " aucune activité permettant de conclure à leur participation sur les plans personnel, social et organisationnel, à la vie canadienne ". Il a refusé de leur accorder la citoyenneté.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[10] Les demandeurs soutiennent que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait et de droit lorsqu'il a utilisé le modèle de lettre de refus en renvoyant très peu, voire pas du tout, aux [TRADUCTION] " faits personnels importants " suivants :

M. Chiang : le montant d'impôt sur le revenu qu'il a payé, le fait qu'il avait dû s'absenter en raison de ses études, et le fait qu'il avait obtenu des permis de retour pour résident permanent pendant ses absences.

Mme Lam : la présence de ses parents au Canada, le fait que son employeur soit canadien, et le fait qu'elle avait obtenu des permis de retour pour résident permanent pendant ses absences.

L'ANALYSE

La norme de contrôle

[11] Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lok, le juge Denault a conclu que depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), les avocats doivent, dans les appels en matière de citoyenneté, soulever une " nouvelle question ", celle de la " norme applicable en matière de contrôle ". Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Lutfy (tel était alors son titre) a conclu que la norme appropriée est " une

norme qui est proche de la décision correcte " et qu'il faut " faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté... ". En vertu de la norme qu'il convient d'appliquer, je dois " vérifier si le juge a fait référence à l'un ou l'autre de ces groupes de décisions ressortant de la jurisprudence, et que s'il l'a fait, de vérifier s'il a correctement appliqué le critère approprié aux faits de l'affaire ". Lorsque le critère a été correctement appliqué, la cour de révision ne doit pas intervenir.

[12] Je suis convaincu que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle qui a été énoncée dans la décision Lam, précitée.

L'application du cadre de Thurlow

[13] Le juge a écrit, sur un certain nombre de documents, le " Thurlow ", pour indiquer qu'il appliquait le critère de la " résidence par interprétation " énoncé par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans Re Papadogiorgakis :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [traduction] " essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question ".

[14] Appliquant ce critère, le juge de la citoyenneté devait donc accorder moins d'importance au nombre de jours de présence physique au pays et mettre davantage l'accent sur la qualité du lien avec le Canada. En particulier, le juge de la citoyenneté devait déterminer si la demanderesse avait "centralisé son mode de vie " au Canada.

[15] Dans Cheung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Evans a suivi les prescriptions de Re Koo en matière d'examen des conclusions du juge de la citoyenneté. Dans cette dernière décision, le juge Reed avait articulé six questions susceptibles d'aider la Cour à déterminer si l'intéressé avait ou non " centralisé son mode de vie " au Canada :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[16] À mon avis, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur dans l'un et l'autre cas en examinant ces six questions.

[17] Le cas de M. Chiang est très similaire à celui de l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Rahman. Dans cette affaire, le juge Simpson a fait la remarque suivante :

La décision Papadogiorgakis montre que la Cour peut considérer un étudiant comme un résident, malgré des périodes d'absence physique considérables, si cet étudiant a établi sa résidence au Canada et l'y a maintenue en centralisant son mode de vie au Canada, alors qu''il était à l'étranger seulement temporairement en raison de ses études et qu''il revenait souvent au Canada.

Mais, l'arrêt Papadogiorgakis ne fait pas autorité quant à la proposition qu'un étudiant puisse venir au Canada pendant une courte période de temps, ne pas établir de résidence, pour ensuite passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur cette base, s'attendre à satisfaire à l'exigence de résidence relative à l'octroi de la citoyenneté canadienne.

Je me dois de faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels associés à un résident (carte santé, carte d'assurance sociale, carte de banque, déclaration de revenus, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). Selon moi, un certain effort pour s'intégrer à la société canadienne est aussi nécessaire. Cela peut se faire dans le milieu de travail, au sein d'un groupe de bénévoles ou d'un groupe social ou religieux, pour ne mentionner que quelques possibilités.

[18] Même si l'on appliquait l'interprétation libérale de la " résidence par interprétation ", je serais d'avis que cette famille est loin d'avoir centralisé son mode de vie au Canada. Les membres de cette famille vivent et travaillent à Hong Kong. Les deux enfants fréquentent des écoles à Hong Kong. Les liens de cette famille avec le Canada pourraient être considérés comme ténus, et ils sont, à mon avis, très douteux. Ces demandes de citoyenneté étaient prématurées. Il ressort clairement du texte des décisions que le juge de la citoyenneté a tenu compte de la preuve au dossier et qu'il a convenablement appliqué les facteurs décrits dans la décision Koo, précitée.

[19] Le présent appel est rejeté.

" Max M. Teitelbaum "

J.C.F.C.

CALGARY (ALBERTA)

Le 26 juin 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NOS DU GREFFE : T-1465-99 et T-1464-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : KWOK SHING CHIANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

YAN ANITA LAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 31 MAI 2000

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU : VENDREDI 26 JUIN 2000

ONT COMPARU :

M. SHELDON ROBINS POUR LE DEMANDEUR

MME ANDREA HORTON POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. SHELDON M. ROBINS POUR LE DEMANDEUR

MARKHAM (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

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