Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041223

Dossiers : T-8-03

T-144-03

Référence : 2004 CF 1778

ENTRE :

                                                          LA VILLE D'OTTAWA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                      CANADA (COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE) et

                                                     FRANCINE DESORMEAUX

                                                                                                                                    défenderesses

ET :

                                                          LA VILLE D'OTTAWA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                      CANADA (COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE) et

                                                              ALAIN PARISIEN

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN


INTRODUCTION

[1]                La Ville d'Ottawa (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) qui faisaient suite aux licenciements de Mme Francine Desormeaux et de M. Alain Parisien. La décision relative à Mme Desormeaux a été rendue le 14 janvier 2003 et la demande de contrôle judiciaire la concernant a été déposée le 10 février 2003. La décision relative à M. Parisien a été rendue le 6 mars 2003 et la demande de contrôle judiciaire la concernant a été déposée le 4 avril 2003.

LES FAITS

i)           Les parties

[2]                La demanderesse a succédé à la Municipalité régionale d'Ottawa-Carleton, conformément à la Loi de 1999 sur la ville d'Ottawa, L.O. 1999, ch. 14, annexe E, et elle assume juridiquement les obligations de la Commission de transport d'Ottawa-Carleton (OC Transpo, ou l'employeur), qui dépendait auparavant de la Municipalité régionale d'Ottawa-Carleton.

[3]                OC Transpo exploitait un service d'autobus pour la Ville d'Ottawa. Le bon fonctionnement de ce service public requiert fiabilité et régularité de la part des employés, en particulier les chauffeurs d'autobus.

[4]                M. Ron Marcotte, un ancien directeur auprès d'OC Transpo, a donné certains renseignements généraux sur l'exploitation du service, notamment l'affectation des chauffeurs aux divers horaires et postes, ce que l'on appelle les « périodes d'inscription » . Il a aussi parlé du « groupe de réserve » , un groupe d'employés qui peuvent être appelés pour combler les absences épisodiques. Une personne qui fait partie du groupe de réserve remplacera par exemple un employé qui est malade et ne peut se présenter au travail.

[5]                L'absentéisme était un problème, surtout parmi les chauffeurs d'autobus. Jusqu'en 1988, il était traité comme partie du rendement et comme une question disciplinaire. Une distinction était faite entre l'absentéisme coupable (ou volontaire), c'est-à-dire dont la cause dépendait de la volonté de l'employé concerné, et l'absentéisme non coupable (ou involontaire), c'est-à-dire l'absentéisme résultant de causes qui échappaient à la volonté de l'employé. La réponse à l'absentéisme non coupable durant la décennie 1980 était un entretien avec l'employé, avec mention portée à son dossier, envoi d'une lettre et, dans certains cas, suspension.

[6]                L'employeur a entrepris de rédiger une politique de gestion des présences. Cette politique, appelée « Programme de gestion des présences » (le PGP), s'adressait à la Division des opérations du transport, c'est-à-dire les chauffeurs d'autobus et les répartiteurs. L'une des raisons de la mise en application du PGP était que l'employeur n'était pas en état de tolérer le niveau d'absentéisme qui sévissait quand le programme a été institué.

[7]                Le Syndicat uni du transport, Section locale 279 (le Syndicat), a lui aussi participé au développement du PGP.

[8]                M. Marcotte a dit aussi que le PGP s'adressait aux employés qui s'absentaient souvent. Il parlait de taux d'absentéisme se situant entre 10 p. 100 et 25 p. 100.

[9]                Il reconnaissait qu'une assiduité parfaite, bien que souhaitable, n'était pas un objectif réaliste. L'employeur voulait une assiduité régulière et fiable, qu'il définissait ainsi :

[traduction] Une assiduité régulière et fiable signifierait des absences ne déclenchant pas de mesures de notre part. Voilà selon moi la meilleure façon de la définir. C'est quelque chose que nous pouvons considérer dans le contexte global de l'entreprise et dont nous n'avons pas véritablement à nous préoccuper.

[10]            Mme Desormeaux et M. Parisien étaient des chauffeurs d'autobus à temps plein travaillant pour OC Transpo. Mme Desormeaux a été embauchée en mars 1989 et congédiée le 30 janvier 1998, pour cause d'absentéisme chronique non coupable. Entre son embauchage et son renvoi, elle a été absente du travail 365 jours complets et 24 jours partiels, pour une diversité de causes liées à sa santé, y compris pour une chirurgie. Toutefois, la raison principale de ses absences était la migraine, qui a expliqué 57 jours complets d'absence et 11 jours partiels d'absence.

[11]            M. Parisien a été embauché en novembre 1977. Il a été renvoyé le 15 février 1996. Son assiduité a été faible dès le début de son emploi et, pour cette raison, sa période de probation a été prolongée de quelques mois. Tout au long de son emploi, son absentéisme a été significatif.

[12]            Entre janvier 1984 et février 1996, il a été absent 1 664 jours complets et 33 jours partiels. Il avait connu plusieurs difficultés à partir de 1979, à la fois dans sa vie personnelle et au travail. En mai 1991, les médecins ont diagnostiqué chez lui le syndrome de stress post-traumatique (le SSPT). Périodiquement, il prenait un congé d'invalidité et recevait des prestations d'accidenté du travail. En mai 1994, son conseiller médical disait qu'il était prêt à retourner au travail, sous réserve d'une période d' « indulgence » ou d' « endurcissement » , et il est retourné au travail le 2 juin 1994. Cependant, en août 1994, il a dû être hospitalisé et a laissé son travail jusqu'au jour où il s'est présenté pour reprendre son poste, en février 1996.

[13]            Une version du PGP datée du 6 juin 1995 a été déposée comme preuve. Selon M. Marcotte, ce document rendait compte des principes applicables, en matière de gestion des présences, qui étaient en vigueur en février 1996 lors du renvoi de M. Parisien. M. Marcotte a reconnu que cette version du PGP avait été ultérieurement remaniée, mais les principes qui figuraient dans le document déposé étaient ceux qui, à la fin de 1995 et au début de 1996, servaient à gérer l'absentéisme non coupable. Il a décrit ainsi l'objet du PGP :


[TRADUCTION]

M. BIRD

Q.             Si vous deviez résumer en quelques mots l'intégralité du programme, quel était alors l'objet global du programme en ce qui a trait à l'assiduité des employés?

R.             Comme je l'ai dit auparavant, le programme visait à réduire l'absentéisme, à optimiser le temps de travail des employés et à gérer ce temps d'une manière équitable, en faisant en sorte que les surveillants des employés aient une compréhension précise des attentes et des conséquences.

[14]            M. Marcotte n'avait pas directement affaire à M. Parisien, mais il devait s'occuper de ses feuilles de présence. Il a dit que, selon les dossiers, M. Parisien bénéficiait d'aménagements pour ses nombreuses absences, puisqu'il était affecté à des heures modifiées et à des tâches modifiées, c'est-à-dire qu'il travaillait comme chauffeur de bus-navette. L'employeur comptait sur une amélioration de son assiduité, en se fondant sur les renseignements qui seraient communiqués par la Section de la santé au travail.

[15]            S'agissant de M. Parisien, M. Marcotte a qualifié ainsi son taux d'absentéisme : « tout à fait excessif, et même atroce, faudrait-il préciser, quand on constate les nombreuses périodes qui ont été perdues au fil du temps pour une foule de raisons » . À mon avis, le seul aménagement « qui aurait pu être envisagé était davantage d'absences » . Pour tenter de prédire l'assiduité future, l'employeur se fondait sur les renseignements reçus des services de santé et sur ses propres conclusions tirées de la chronologie des absences passées. Il a dit aussi que consentir des heures réduites à M. Parisien équivaudrait à tolérer davantage d'absences.

[16]            Après son renvoi le 30 janvier 1998, Mme Desormeaux a suivi la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective applicable. Ce grief a finalement conduit à un arbitrage accéléré, en application de la convention collective et du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, devant M. George W. Adams, c.r., le 27 juillet 1998. L'arbitre Adams a confirmé le congédiement au motif d'absentéisme non coupable et a rejeté le grief le 5 août 1998.

[17]            Le 24 février 1999, Mme Desormeaux déposait une plainte auprès de la Commission, affirmant qu'elle avait subi une discrimination dans son emploi, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi). Elle a formulé sa plainte de la manière suivante :

[traduction] La Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton a exercé contre moi une discrimination en mettant fin à mon emploi à cause de ma déficience (migraines, problème de vésicule biliaire, kystes aux ovaires, fracture de la cheville, calculs néphrétiques, bronchite, douleurs dorsales, virus, stress), ce qui est contraire à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[18]            En avril 2002, la plainte était renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), pour instruction.


[19]            Le 15 février 1996, M. Parisien était congédié. Il a déposé un grief contre son congédiement, selon la convention collective et le Code canadien du travail, grief qui a donné lieu à un arbitrage accéléré devant l'arbitre Adams. Dans une décision datée du 4 décembre 1998, le grief a été rejeté. Dans l'intervalle, le 20 septembre 1996, M. Parisien déposait une plainte à la Commission, dans laquelle il alléguait une discrimination contraire à l'article 7 de la Loi, et le fait que OC Transpo n'avait rien fait pour tenir compte de sa déficience.

[20]            La demanderesse a déposé une requête préliminaire devant la Commission, dans laquelle elle contestait son pouvoir de donner suite aux deux plaintes. La base de son argument était l'irrecevabilité pour question déjà tranchée, plus précisément le fait que les plaintes en matière de droits de la personne relevaient exclusivement de la compétence de l'arbitre, que le principe de l'autorité de la chose jugée empêchait le Tribunal de se saisir des plaintes, et finalement que le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action était applicable. Par des décisions datées du 15 juillet 2002 et du 19 juillet 2002, le Tribunal a rejeté les requêtes dans le cas de M. Parisien et celui de Mme Desormeaux respectivement.

[21]            L'instruction de la plainte de Mme Desormeaux a débuté le 2 octobre 2002. Cinq témoins ont été appelés, à savoir Mme Desormeaux, son médecin de famille le docteur Anne Meehan, M. Paul Macdonell, ancien président du Syndicat, Mme Lois Emburg, directrice des droits de la personne et de l'équité en matière d'emploi pour la Ville d'Ottawa, enfin M. Ron Marcotte, ancien directeur auprès d'OC Transpo.


[22]            Dans sa décision datée du 14 janvier 2003, le Tribunal a fait droit à la plainte au motif que Mme Desormeaux avait établi un commencement de preuve de discrimination fondée sur son invalidité, et que OC Transpo n'avait pas rempli la troisième condition de l'obligation d'accommodation définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (l'arrêt Meiorin).

[23]            Le Tribunal a ordonné à la demanderesse de réintégrer Mme Desormeaux comme chauffeur d'autobus, avec la sécurité et les avantages sociaux dont elle aurait bénéficié si elle n'avait pas été renvoyée, ainsi qu'avec une indemnité pour perte de salaire, sans réduction, ce à quoi s'ajoutaient une majoration au titre de toute obligation fiscale résultant de ce paiement, une indemnité spéciale de 4 000 $ et les intérêts sur toutes les sommes accordées.

[24]            L'instruction de la plainte de M. Parisien a débuté devant le Tribunal le 22 juillet 2002. Il a témoigné, ainsi que son psychiatre traitant, le docteur Hamilton Sequeira, son psychologue traitant, le docteur David Erickson, Mme Lois Emburg, M. Gerald Timlin, un ancien directeur des avantages sociaux et de la santé et de la sécurité au travail chez OC Transpo, et M. Ron Marcotte, un ancien directeur auprès d'OC Transpo.

[25]            Le Tribunal a estimé que M. Parisien souffrait d'une déficience, à savoir le SSPT, et que certaines de ses autres affections « pouvaient être liées au SSPT » . Selon lui, la décision de l'employeur de mettre fin à son emploi était motivée en partie par son état de santé, et l'effet de ces constatations était une discrimination en matière d'emploi, contraire à l'article 7 de la Loi.

[26]            Le Tribunal a jugé aussi que, M. Parisien ayant établi un commencement de preuve de discrimination, l'employeur n'avait pas satisfait au troisième volet du critère juridique de l'accommodation, un critère exposé dans l'arrêt Meiorin, précité. L'employeur n'avait pas prouvé qu'il lui était impossible, sans contrainte excessive pour lui-même, de consentir des aménagements spéciaux à M. Parisien en raison de son invalidité, et il avait dit que le fait d'excuser l'absentéisme pouvait être une « forme acceptable d'accommodation » .

[27]            Le Tribunal a ordonné la réintégration de M. Parisien comme chauffeur d'autobus, avec les privilèges d'ancienneté et avantages salariaux d'un emploi à temps plein, rétroactivement à la date du renvoi. Il a aussi ordonné le paiement de dommages-intérêts en compensation du salaire perdu, rajusté pour tenir compte des autres gains obtenus, des prélèvements réglementaires et de la majoration au titre de l'obligation fiscale résultant de ce paiement. Le Tribunal a aussi ordonné le paiement d'une somme de 3 500 $ à titre d'indemnité spéciale pour préjudice moral. Des intérêts sur ces sommes ont également été accordés.

CONCLUSIONS DE LA DEMANDERESSE

i)           Irrecevabilité pour question déjà tranchée


[28]            La demanderesse affirme que le Tribunal, dans chaque cas, a commis une erreur parce qu'il n'a pas appliqué le principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée et, dans le cas de Mme Desormeaux, parce qu'il a ignoré les conclusions de fait de l'arbitre Adams concernant le taux annuel prévu d'absentéisme. La demanderesse invoque plusieurs précédents : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission) c. Dural (2003), 234 D.L.R. (4th) 132 (C.A. N.-É.) (l'arrêt Kaiser), Randhawa c. Everest & Jennings Canadian Ltd. (1996), 22 C.C.E.L. (2d) 19 (C. Ont., Div. gén.), et Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267 (C.A. Ont.).

[29]            Les éléments de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée, exposés dans l'arrêt Danyluk, précité, à la page 477, sont les suivants :

Les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ont été énoncées par le juge Dickson dans l'arrêt Angle, précité, p. 254 :

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

[30]            Selon la demanderesse, le principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée fait douter du pouvoir du Tribunal d'instruire ces plaintes. Cet argument s'appuie sur la décision rendue par l'arbitre Adams dans les arbitrages abrégés se rapportant aux griefs déposés par Mme Desormeaux et M. Parisien.


[31]            La demanderesse soutient aussi que, dans le cas de Mme Desormeaux, le Tribunal a commis une erreur sujette à révision parce qu'il est arrivé à une conclusion de fait qui était différente de la conclusion de fait tirée par l'arbitre Adams, celle qui concerne la durée totale des absences de Mme Desormeaux durant l'année.

[32]            La demanderesse fait valoir que les conditions de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée sont établies. L'arbitre était saisi des mêmes faits, des mêmes points litigieux et du même recours. Il a décidé, se fondant sur les faits et les arguments soumis, que les deux plaignants avaient été validement congédiés au motif d'absentéisme non coupable. S'agissant de M. Parisien, il a estimé qu'il avait déjà bénéficié d'une foule d'aménagements spéciaux, mais que son assiduité ne s'était pas améliorée.

[33]            S'agissant de Mme Desormeaux, l'arbitre Adams a tiré la conclusion suivante sur la question des aménagements spéciaux :

[traduction] Je suis disposé à admettre que les migraines peuvent s'élever au niveau d'une incapacité permanente. Cependant, il y a insuffisance de preuve sur la question de savoir comment l'employeur pourrait valablement répondre au problème de la réclamante, et la preuve ne permet pas de dire non plus si des aménagements spéciaux auraient pour effet d'élever l'assiduité de la réclamante à un niveau acceptable.

[34]            L'arbitre, estimant que le congédiement était justifié, a refusé à M. Parisien et à Mme Desormeaux la réparation qu'ils demandaient et a rejeté leurs griefs. Aucun des deux plaignants n'a sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions, et chacun d'eux a déposé une plainte conformément à la Loi.


ii)          Commencement de preuve d'une discrimination

[35]            La demanderesse fait aussi valoir, subsidiairement, que, dans chaque cas, le Tribunal a commis une erreur de droit en disant qu'un commencement de preuve de discrimination avait été apporté. La demanderesse s'appuie ici sur deux précédents : Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, et Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] C.H.R.D. 11.

[36]            Selon la demanderesse, le fait qu'une personne souffre d'une déficience ne permet pas de dire qu'il y a un commencement de preuve de discrimination. L'article 7 parle de discrimination dans le milieu de travail. La demanderesse dit qu'il y a une différence entre le fait de congédier une personne qui se trouve à être invalide, et le fait de la congédier à cause de son invalidité; voir Berry c. Farm Meats Canada Ltd., [2001] 1 W.W.R. 670 (C.B.R. Alb.).

[37]            La demanderesse s'appuie aussi sur l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, dans lequel la Cour suprême du Canada faisait une distinction entre une différence de traitement fondée sur des caractéristiques personnelles, ce qui conduira généralement à un constat de discrimination, et une différence de traitement fondée sur le mérite et les capacités, ce qui aura rarement le même effet.

[38]            S'agissant de M. Parisien, la demanderesse a admis qu'il avait un handicap, c'est-à-dire le SSPT. Cependant, eu égard à l'ensemble de ses antécédents professionnels, y compris son taux élevé d'absentéisme, le problème n'était pas son handicap, mais plutôt son incapacité de se présenter régulièrement au travail. La demanderesse dit qu'il s'agit là d'un cas d' « absentéisme non coupable » , non d'un commencement de preuve de discrimination.

[39]            S'agissant de Mme Desormeaux, la demanderesse fait valoir qu'il faut d'abord se demander si elle souffrait d'une invalidité, et elle dit que rien ne permettait de conclure qu'elle souffrait de migraines et, si tel était le cas, que « ces migraines constituaient une déficience » . La demanderesse fait remarquer que, selon le Tribunal, les migraines conduisaient à des absences du travail inférieures à huit jours complets par année, et elle se demande comment un taux si faible d'absentéisme pourrait constituer une « déficience » aux fins de la Loi.

[40]            Selon la demanderesse, le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a accepté le témoignage du Dr Meehan comme preuve d'expert pour ce qui est du diagnostic des migraines, faisant observer qu'un neurologiste, le Dr H. Rabinovitch, n'avait qu'en 1990 diagnostiqué officieusement des migraines et qu'il n'avait pas été appelé à témoigner. La Commission avait la charge d'établir un commencement de preuve de discrimination et, sur ce point, elle devait d'abord prouver que Mme Desormeaux souffrait d'une déficience. Selon la demanderesse, elle ne l'a pas fait.

[41]            La demanderesse relève que, dans les deux cas, les médecins traitants de Mme Desormeaux et de M. Parisien ont produit des avis écrits selon lesquels leurs patients respectifs étaient tout à fait en mesure d'accomplir leurs tâches de chauffeurs d'autobus, sauf que, dans le cas de M. Parisien, il aurait besoin d'une période d' « endurcissement » . Cette réserve n'avait pas été faite dans le cas de Mme Desormeaux.

[42]            La demanderesse fait aussi valoir, à propos de M. Parisien, que le Tribunal s'est à tort fondé sur le témoignage du Dr Sequeira concernant le lien à faire entre les diverses affections de M. Parisien et le SSPT. Le Dr Sequeira avait dit que M. Parisien était apte à travailler comme chauffeur d'autobus, mais il n'a pas dit que l'on pouvait raisonnablement espérer une meilleure assiduité. Ni M. Parisien ni ses conseillers médicaux n'ont jamais dit qu'il devait exécuter d'autres tâches.

[43]            La demanderesse, invoquant l'arrêt Berry c. Farm Meats Canada Ltd., précité, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a établi un lien entre la mesure contestée, c'est-à-dire le congédiement, et la déficience. Elle dit que le Tribunal n'aurait pas dû conclure à une déficience, dans aucun des deux cas.


iii)          Accommodation

[44]            Subsidiairement, la demanderesse avance un autre argument sur la question de l'accommodation. Selon elle, le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a dit que la demanderesse n'avait pas consenti d'aménagements spéciaux à ses deux employés et que le fait de tolérer l'absentéisme était, eu égard aux circonstances de la demanderesse, une forme raisonnable d'accommodation. La demanderesse soutient qu'il s'agit là d'une erreur de droit et s'appuie sur deux précédents : Bonner c. Ontario (Ministère de la Santé) (1992), 16 C.H.R.R. D/485 (Commission d'enquête de l'Ontario), et Scheuneman c. Canada (Procureur général) (2000), 266 N.R. 154 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2001] C.S.C.R. n ° 9.

[45]            Selon la demanderesse, le fait d'excuser l'absentéisme est un aménagement spécial qui, au vu des circonstances de ces deux affaires, n'est pas raisonnablement nécessaire. Les faits montrent que les plaignants étaient de bons employés lorsqu'ils se présentaient au travail; la difficulté, c'était qu'ils ne se présentaient pas au travail avec une régularité raisonnable.


[46]            En ce qui concerne Mme Desormeaux, la demanderesse fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant que la demanderesse aurait dû obtenir une preuve médicale complémentaire pour venir à bout de son incapacité de se présenter au travail. Invoquant l'arrêt Oak Bay Marina Ltd. c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission) (2002), 217 D.L.R. (4th) 747 (C.A. C.-B.), la demanderesse dit qu'elle n'avait pas besoin d'autres renseignements médicaux, compte tenu de la lettre donnée par le Dr Meehan le 16 octobre 1997. Le Dr Meehan avait indiqué que Mme Desormeaux était pleinement capable d'accomplir les tâches de son poste, mais elle ne faisait aucune prévision sur l'amélioration de son assiduité. La demanderesse soutient qu'elle était fondée à s'en remettre aux renseignements dont elle disposait, notamment aux antécédents de la plaignante et à son évaluation médicale courante, ainsi qu'à ses propres observations.

CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

[47]            Selon la Commission, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte pour ce qui est des questions de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter pour les questions mixtes de droit et de fait et celle de la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait. Sur ce point, elle invoque la décision rendue dans l'affaire International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster, [2002] 2 C.F. 430 (1re inst.).

i)           Irrecevabilité pour question déjà tranchée


[48]            La Commission dit que le Tribunal a validement statué sur l'exception d'irrecevabilité pour question déjà tranchée, dans sa décision concernant la requête préliminaire déposée par la demanderesse. Le Tribunal a jugé que cette exception ne pouvait être alléguée parce que la procédure accélérée d'arbitrage conduite par l'arbitre Adams ne concernait ni la même question ni les mêmes parties. Le Tribunal a estimé que la sentence arbitrale était définitive, mais cela ne répondait qu'à l'une des trois conditions préalables énumérées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Danyluk, précité.

[49]            La Commission constate qu'un tribunal administratif est investi d'un pouvoir discrétionnaire même si les trois conditions sont remplies. En l'espèce, le Tribunal a jugé que seule une condition était remplie et que l'irrecevabilité pour question déjà tranchée, y compris l'irrecevabilité pour identité des causes d'action, ne pouvait être alléguée. La Commission dit que cette décision doit subsister.

ii)          Commencement de preuve de discrimination

[50]            Selon la Commission, la charge qui lui incombe d'apporter un commencement de preuve de discrimination fait intervenir une question mixte de droit et de fait, pour laquelle la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter. Elle invoque sur ce point l'arrêt O'Malley, précité, à la page 558. Selon la Commission, ce dont il est question dans la Loi, c'est du commencement de preuve d'un « acte discriminatoire » , décrit aux articles 3 et 7, plutôt que d'une « discrimination » au sens de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte).


[51]            Invoquant l'arrêt Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (Tribunal de révision), à la page D/15, la Commission affirme qu'il n'est pas impératif que la discrimination soit l'unique facteur pour qu'une plainte soit admise. Il suffit que la déficience du plaignant soit l'un des facteurs de la décision qui a conduit à son congédiement.

[52]            La Commission fait valoir que M. Parisien et Mme Desormeaux ont subi une différence de traitement, c'est-à-dire la perte de leur emploi, pour cause de déficience.

[53]            Dans le cas de M. Parisien, la Commission dit que le Tribunal n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu que le groupe de référence à retenir pour la preuve d'un traitement discriminatoire était composé des employés dont l'assiduité était acceptable. La Commission considère d'une manière distincte le critère du commencement de preuve, tel qu'il est exposé dans l'arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665 (l'arrêt Ville de Montréal), un arrêt invoqué par la demanderesse. Pour la Commission en effet, cet arrêt concernait la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12.


[54]            La Commission affirme que la plupart des absences de M. Parisien à son travail étaient attribuables à sa déficience, « laquelle comprenait un syndrome de stress post-traumatique et une dépression majeure » . La Commission affirme aussi qu'aucune comparaison n'est requise puisque M. Parisien a été congédié pour cause d'absentéisme et que cet absentéisme résultait directement de sa déficience.

[55]            Pour le cas où un groupe de référence devrait être défini, alors la Commission dit que le groupe de référence devrait être les employés non invalides.

[56]            La Commission soutient que le Tribunal n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a dit que l'employeur avait agi d'une manière discriminatoire compte tenu des états de service de M. Parisien et de l'historique de ses absences.

[57]            La Commission fait aussi valoir que le Tribunal n'a pas commis d'erreur quand il s'est fondé sur la preuve d'expert concernant l'interdépendance des maladies de M. Parisien alors que cette information n'entrait pas dans les connaissances du témoin ni dans sa spécialisation reconnue.

iii)          Accommodation


[58]            Finalement, la Commission dit que le Tribunal n'a pas commis d'erreur dans sa manière de considérer le devoir d'accommodation. Elle soutient que le Tribunal n'a pas considéré l'acceptation de l'absentéisme comme l'unique forme d'accommodation. Le Tribunal a aussi jugé que l'employeur n'avait pas envisagé une autre occupation pour M. Parisien et qu'il avait donc manqué à son devoir d'accommodation. S'agissant de Mme Desormeaux, le Tribunal a estimé ses absences futures en se fondant uniquement sur les absences qui seraient imputables à ses migraines. Il est arrivé à la conclusion que telles absences tomberaient au-dessous du nombre de jours nécessaires pour rendre son assiduité sujette au PGP. Par conséquent, un tel niveau ne constituerait pas une contrainte excessive pour l'employeur.

CONCLUSIONS DES PLAIGNANTS

[59]            M. Parisien a exposé de brefs arguments, comme il avait le droit de le faire. D'abord, il a fait valoir que le sens du mot « accommodation » dans les cas qui se rapportent à l'absentéisme non coupable est très différent du sens qu'il faut lui donner dans les affaires qui relèvent de la Loi.

[60]            Par conséquent, le Tribunal a jugé avec raison que l'irrecevabilité pour question déjà tranchée ne pouvait être alléguée puisque l'accommodation pour absentéisme non coupable vu comme une déficience diffère radicalement de l'accommodation imposée par la législation sur les droits de la personne, et en particulier par la Loi.

[61]            Mme Desormeaux n'a pas présenté de conclusions indépendantes.


EXAMEN

[62]            Ces demandes de contrôle judiciaire se rapportent aux interdictions énoncées dans la Loi à l'encontre de la discrimination préjudiciable en matière d'emploi. Les articles 3, 7 et 25 de la Loi sont applicables. En voici le texte :


3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

(2) Where the ground of discrimination is pregnancy or child-birth, the discrimination shall be deemed to be on the ground of sex.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

enfants;

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« déficience » Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

...

25. In this Act,

...

"disability" means any previous or existing mental or physical disability and includes disfigurement and previous or existing dependence on alcohol or a drug;

...


[63]            Les décisions du Tribunal qui sont ici contestées soulèvent la question de l'applicabilité du principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée, ainsi que le point de savoir si un commencement de preuve de discrimination a été établi et le point de savoir si la demanderesse s'est acquittée de son obligation d'accommodation.

[64]            Les deux parties ont présenté des conclusions sur la norme de contrôle devant être appliquée à ces différents aspects. Les normes applicables aux décisions prises en vertu de la Loi sont exposées par le juge Gibson dans le jugement Oster, précité, à la page 445 :

En me fondant sur les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l'arrêt Pushpanathan et, plus récemment, dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [Voir Note 9 ci-dessous], je suis convaincu que la norme d'examen relative aux décisions du tribunal en l'espèce est la norme de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas des questions mixtes de droit et de fait et la norme de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne « l'appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne » . Compte tenu des faits mis en preuve en l'espèce, j'estime que la norme d'examen applicable aux questions de droit et aux questions portant sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne n'a pas été modifiée par les récents jugements de la Cour suprême du Canada ou de la Section de première instance de la Cour fédérale au sujet de l'analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme en question.

i)           Irrecevabilité pour question déjà tranchée

[65]            L'applicabilité du principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée est une question de droit, et la norme de contrôle dans ce cas est donc celle de la décision correcte.

[66]            La demanderesse fait valoir que le Tribunal a eu tort de dire que le principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée ne s'appliquait pas à l'instruction de ces deux plaintes, compte tenu des décisions rendues par l'arbitre Adams à l'issue des procédures d'arbitrage conduites devant lui. Dans sa demande de contrôle judiciaire se rapportant à Mme Desormeaux, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire des deux décisions, comme il suit :


[traduction]

1.              La demanderesse, la Ville d'Ottawa, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) en date du 14 janvier 2003, et de la décision du 19 juillet 2002 relative à une requête préliminaire.

[67]            Cette demande me cause des difficultés. En général, une seule décision peut être l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications. Une telle demande doit aussi être déposée dans un délai de trente jours après qu'est rendue la décision en cause. Le paragraphe 18.1(2) prévoit ce qui suit :


18.1 ...

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1 ...

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.


[68]            La Loi sur les Cours fédérales ne dit pas qu'une demande de contrôle judiciaire n'est possible que pour les décisions définitives, mais c'est la règle générale. Sur ce point, je me réfère à la décision Cannon c. Canada (Commissaire adjoint, GRC), [1998] 2 C.F. 104 (1re inst.). Cependant, lorsqu'une décision interlocutoire est susceptible de disposer de l'affaire, la demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent la décision; voir Citizens' Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) et autres (1999), 163 F.T.R. 36 (1re inst.).

[69]            En l'espèce, la décision relative à l'exception d'irrecevabilité a été rendue en juillet 2002, et la demanderesse n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais a laissé se poursuivre l'instruction des plaintes sur le fond. La demanderesse soutient aujourd'hui que le principe de l'irrecevabilité pour question déjà tranchée devrait s'appliquer et, de fait, elle sollicite le contrôle de la décision rendue par le Tribunal sur la requête préliminaire. À mon avis, il est trop tard maintenant pour contester cette décision, et je n'examinerai pas les arguments avancés.

ii)          Commencement de preuve de discrimination

[70]            S'agissant des normes de contrôle applicables aux décisions du Tribunal rendues selon la Loi, normes exposées par le juge Gibson dans la décision Oster, précitée, je suis d'avis que l'aspect du commencement de preuve de discrimination est une question mixte de droit et de fait, dont la révision doit se faire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[71]            Le sens précis de cette norme a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, à la page 270 :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est soutenable en ce sens qu'il est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (voir l'arrêt Southam, au paragraphe 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir l'arrêt Southam, au paragraphe 79).

[72]            Selon la demanderesse, le Tribunal a commis une erreur, dans chaque cas, lorsqu'il a dit qu'un commencement de preuve de discrimination avait été établi. L'arrêt O'Malley, précité, à la page 558, donne des indications sur ce que doit faire un plaignant pour établir un commencement de preuve de discrimination :

... Dans les instances devant un Tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé...

[73]            Plus récemment, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Ville de Montréal, précité, à la page 701, précisait ce en quoi consistait la charge du plaignant d'établir un commencement de preuve de discrimination :

... il incombera généralement à la partie demanderesse de prouver (1) l'existence d'une distinction, exclusion ou préférence, (2) que la distinction, exclusion ou préférence est fondée sur un motif énuméré à l'article 10 de la Charte, et (3) que la distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou compromettre le droit à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne...

[74]            Pour savoir s'il y a commencement de preuve de discrimination, il faut donc d'abord se demander s'il existe une différence de traitement. Par conséquent, le point de savoir si les congédiements constituaient une différence de traitement requiert de définir le groupe de référence; voir l'arrêt Andrews, précité, à la page 164.


[75]            Selon moi, le groupe de référence défini par le Tribunal pose des difficultés. Dans chaque cas, le Tribunal a considéré que le groupe de référence se composait de l'ensemble des employés. De l'avis du Tribunal, les employés peu assidus devaient être comparés avec les employés assidus.

[76]            La demanderesse reconnaît que le groupe de référence devrait comprendre les employés, valides comme invalides, qui sont passibles du PGP parce que leur assiduité laisse à désirer.

[77]            Sur ce point, M. Parisien a présenté des conclusions indépendantes et prétendu que le groupe de référence ne devrait comprendre que les employés qui ont des déficiences et dont l'assiduité laisse à désirer.

[78]            S'agissant de Mme Desormeaux, la demanderesse et la Commission ont adopté les positions susmentionnées.

[79]            À mon avis, le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a dit que le groupe de référence devait être la catégorie des employés considérés comme assidus. Si l'assiduité est l'enjeu et que l'absentéisme lui-même n'a pas été défini comme une déficience, alors le groupe de référence devrait se composer de personnes dans la même situation. Selon moi, le Tribunal a commis une erreur en disant que le groupe de référence se composait de l'ensemble des employés. Ce n'était pas là un choix raisonnable. À l'évidence, les seules personnes concernées par un programme de surveillance de l'assiduité sont les personnes dont l'assiduité laisse à désirer. Un tel programme serait hors de propos pour les employés dont l'assiduité ne pose pas de difficultés.


[80]            À mon avis, choisir l'ensemble des personnes invalides sujettes au PGP est tout aussi inadéquat. Cela supposerait qu'une norme différente est appliquée aux personnes invalides à seule fin de surveiller leur assiduité. Cela équivaudrait à considérer séparément un groupe tout entier pour cause de déficience.

[81]            Je reconnais avec la demanderesse que le Tribunal n'a pas défini le bon groupe de référence, qui aurait dû se composer des employés peu assidus, valides ou invalides. C'est là un facteur impersonnel et, selon le Tribunal, l'obligation d'assiduité constitue un volet légitime et rationnel de la politique d'emploi adoptée par l'employeur.

[82]            Cependant, eu égard à la norme de contrôle applicable, c'est-à-dire celle de la décision raisonnable simpliciter, je ne suis pas persuadée que ce point requiert une intervention judiciaire. Je me demanderai maintenant si une telle différence de traitement, à savoir le congédiement de M. Parisien et de Mme Desormeaux, était fondée sur un motif énuméré, c'est-à-dire la déficience.

[83]            S'agissant de Mme Desormeaux, la demanderesse dit que le Tribunal a commis une erreur en affirmant, sans pouvoir s'appuyer sur les dires d'un témoin qualifié, qu'elle souffrait de migraines, et elle dit aussi que Mme Desormeaux n'avait pas prouvé que l'employeur savait ou aurait dû savoir qu'elle souffrait d'une déficience qui nécessitait des aménagements spéciaux.

[84]            S'agissant de M. Parisien, l'argument de la demanderesse est que le Tribunal a commis une erreur en acceptant le témoignage du Dr Sequeira en tant que preuve d'expert sur la question de l'interdépendance du SSPT diagnostiqué chez le plaignant et des autres affections dont avait souffert M. Parisien au fil des ans.

[85]            Je souscris aux conclusions de la demanderesse se rapportant à Mme Desormeaux. Le Tribunal a considéré que le témoignage du Dr Meehan permettait d'affirmer qu'elle souffrait de migraines et que ces migraines constituaient une déficience. Le Dr Meehan, un médecin de famille, avait qualité d'expert à seule fin de s'exprimer sur l'état de santé de Mme Desormeaux. Selon le procès-verbal des procédures conduites devant le Tribunal, le Dr Meehan a d'abord été présentée comme le médecin traitant de Mme Desormeaux, mais après le témoignage du Dr Meehan devant le Tribunal, la question s'est posée de savoir si elle devrait avoir la qualité de témoin expert. Par consentement, la qualité d'expert en médecine familiale a été reconnue au Dr Meehan, étant entendu qu'elle n'est pas neurologiste.

[86]            La preuve révèle que Mme Desormeaux avait consulté un neurologiste au début des années 1990, et le Dr Rabinovitch avait officieusement diagnostiqué des migraines. Cependant, il n'était pas témoin et son rapport, daté du 1990, ne confirme pas les avis exprimés par le Dr Meehan. Selon moi, il est déraisonnable de dire que l'opinion du Dr Meehan aurait plus de poids que celle d'un médecin spécialiste, c'est-à-dire un neurologiste.

[87]            Par ailleurs, Mme Desormeaux a témoigné que, bien qu'elle ait subi des tests lorsqu'elle avait consulté le Dr Rabinovitch, elle n'avait pas obtenu de lui la confirmation qu'elle souffrait de migraines.

[88]            Je relève aussi que l'arbitre Adams a estimé que les migraines de Mme Desormeaux ne représentaient que 18 p. 100 des jours complets d'absence et 46 p. 100 des jours partiels d'absence.

[89]            Dans le cas de M. Parisien, le Dr Sequeira, un psychiatre qui l'avait traité depuis 1991, avait qualité de témoin expert pour une fin limitée, comme on peut le voir dans les propos suivants :

[traduction]

M. BIRD : C'est ce que nous avons accepté, mais aussi ce que OC Transpo acceptera en ce qui a trait aux qualités du Dr Sequeira : Nous sommes disposés à admettre que le Dr Sequeira peut présenter un témoignage d'opinion, compte tenu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada, La Reine c. Mohan, puisqu'il était le médecin traitant et puisqu'il a acquis des connaissances spécialisées ou particulières, par l'étude, par l'enseignement et par sa connaissance de M. Parisien.

LE PRÉSIDENT : Par l'étude...?

M. BIRD : ... par l'enseignement et par sa connaissance de M. Parisien.

LE PRÉSIDENT : Oui.

M. BIRD : Et il peut donc aider le Tribunal en raison de sa connaissance de M. Parisien et de la psychiatrie en général.


[90]            Il a été interrogé sur un possible lien entre le SSPT et les autres affections dont souffrait M. Parisien. L'avocat de la demanderesse s'est opposé à la question de l'avocat de la Commission au motif qu'elle élargissait le fondement sur lequel le Dr Sequeira était qualifié pour présenter un témoignage d'opinion. L'échange suivant figure dans le procès-verbal :

[traduction]

M. BIRD : Nous étions convenus que le Dr Sequeira pouvait présenter un témoignage d'opinion, dans la mesure où son témoignage se rapporterait à la psychiatrie générale et à sa connaissance de M. Parisien.

Il nous fait maintenant un exposé sur le lien entre tous les types de troubles physiologiques et le syndrome de stress post-traumatique. Cela va bien au-delà des qualités sur lesquelles nous nous sommes entendus en ce qui concerne sa capacité de produire un témoignage d'opinion.

Je crois que cette série de questions est totalement inopportune de la part de la Commission. Je suis plutôt surpris de voir que l'instruction prend cette tournure.

LE PRÉSIDENT : M. O'Rourke...

M. O'ROURKE : Ces questions ne sauraient entrer davantage dans ses compétences. Elles ne pourraient être plus pertinentes, surtout si l'on considère les questions qui ont été posées à M. Parisien l'autre jour, et l'idée que les affections dont il souffrait étaient sans rapport avec le SSPT.

La question se rapporte clairement au SSPT, qui est une affection psychique. La psychiatrie intéresse la biologie. Si vous avez besoin de ces éclaircissements, je les demanderai au Dr Sequeira, mais le Dr Erickson nous a déjà dit que...

M. BIRD : Sauf le respect que je dois à M. O'Rourke, j'ai l'impression d'avoir été embobiné dans tout cela. Je n'aurais jamais consenti à qualifier le Dr Sequeira pour un témoignage d'opinion sans avoir d'abord passé en revue ses titres et compétences d'une manière très détaillée, si j'avais su que des témoignages de cette nature allaient être produits.

[91]            Nonobstant le calendrier suivi sur les paramètres du témoignage du Dr Sequeira, le Tribunal a jugé qu'il existait, entre les maladies de M. Parisien et son SSPT, un lien qui équivalait à une déficience selon la Loi.

[92]            Je reconnais avec la demanderesse que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a accepté le témoignage faisant état du lien entre le SSPT et les absences de M. Parisien résultant d'autres affections, alors que le Dr Sequeira n'était pas qualifié pour produire ce témoignage. Cependant, compte tenu de l'article 25 de la Loi, selon lequel une maladie préexistante constitue aux fins de la Loi une déficience, il reste que M. Parisien souffre d'une déficience, c'est-à-dire du SSPT. J'hésite à dire, compte tenu du texte de l'article 25 de la Loi, que cette erreur de droit influe de quelque manière sur la question de l'existence du commencement de preuve de discrimination.

[93]            Il faut se rappeler que la Loi vise à prévenir la discrimination fondée sur la déficience. La déficience en tant que telle n'appelle pas la protection de la Loi.

[94]            Dans l'arrêt Andrews, précité, aux pages 174-175, la Cour suprême examinait le sens du mot discrimination, en la définissant comme une distinction fondée sur les caractéristiques personnelles attribuées à une personne :

... la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

[95]            En l'espèce, l'interrogation ne porte pas sur des caractéristiques personnelles, mais sur la capacité des plaignants de se présenter au travail régulièrement. L'arrêt Andrews faisait intervenir une analyse de la discrimination dans le contexte de la Charte, mais l'analyse est utile ici pour évaluer la discrimination alléguée par les plaignants et par la Commission.

[96]            L'origine des plaintes est la discrimination en matière d'emploi fondée sur la déficience. La demanderesse dit qu'il appartient aux plaignants de prouver, au stade préliminaire de l'établissement d'un commencement de preuve, qu'ils savaient ou auraient dû savoir qu'ils avaient besoin d'aménagements spéciaux. Sur ce point, la demanderesse invoque la décision National Steel Car Ltd. and United Steelworkers of America, Local 7135 (grief Demedeiros), [1999] O.L.A.A. No. 182 (Conseil d'arbitrage de l'Ontario) (QL), au paragraphe 31 :

[traduction] ... Il appartient à l'employé handicapé de faire connaître ses besoins et de désigner les aménagements spéciaux qu'il requiert. L'employeur doit répondre favorablement à une demande raisonnable d'aménagements spéciaux. Je ne crois pas que l'employeur soit, comme on le voudrait ici, tenu de maintenir à lui seul une relation non fonctionnelle d'emploi simplement parce qu'il sait qu'un employé souffre d'un handicap. Avant qu'un employeur ne soit tenu de produire la preuve d'une contrainte excessive, il doit savoir exactement ce qui lui est demandé. Quels aménagements spéciaux sont requis? Pour combien de temps? À quel coût pour l'employeur? Quelles sont les chances de reprise d'une relation régulière employeur-employé? Ce n'est que lorsque l'employeur a les réponses à ces questions qu'il peut alors évaluer le niveau de contrainte que supposent les aménagements spéciaux requis.

[97]            Dans le cas de Mme Desormeaux, il est établi qu'elle avait déjà, à une reprise, demandé et obtenu des aménagements spéciaux pour une douleur au cou.

[98]            De même, M. Parisien n'a pas soulevé la question des aménagements spéciaux lorsque son conseiller médical a écrit à l'employeur le 31 janvier 1996. Cette lettre, selon la preuve qu'avait devant lui le Tribunal, contenait notamment le passage suivant :

[traduction] Durant cette période, la santé d'Alain sera mieux préservée s'il commence par des tâches à temps partiel pour progresser peu à peu vers des tâches à temps plein. Durant la période initiale de réadaptation, les heures extrêmes sont contre-indiquées parce qu'elles pourraient entraîner des troubles du sommeil. Nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir nous consulter lorsqu'on envisagera d'accroître le champ des tâches d'Alain, car comme on l'a déjà vu dans son cas il est possible que l'on fasse trop et trop tôt.

[99]            M. Parisien n'a pas demandé d'être affecté à un poste différent en 1996. Il a demandé une réadaptation professionnelle. L'employeur était disposé à lui offrir une période d'endurcissement, c'est-à-dire une reprise graduelle de ses tâches à temps plein, mais pas de réadaptation professionnelle.

[100]        Il n'y a aucune indication ici d'une limite à sa capacité d'accomplir son travail, exception faite d'une période d'endurcissement. Cette condition n'a jamais été un problème pour l'employeur; elle n'allait pas être un problème en 1996. Au stade de l'établissement d'un commencement de preuve de discrimination, M. Parisien avait la charge de prouver qu'il savait ou aurait dû savoir qu'il souffrait d'une déficience nécessitant des aménagements spéciaux. M. Parisien avait connaissance de son SSPT depuis 1991, et son état avait été porté auparavant à l'attention des services de santé de l'employeur. À l'époque pertinente, c'est-à-dire février 1996, ni M. Parisien ni ses médecins n'ont signalé la nécessité d'aménagements spéciaux à ce titre.

[101]        Dans le cas de Mme Desormeaux, je suis d'avis que la conclusion du Tribunal selon laquelle elle souffrait d'une déficience était déraisonnable, eu égard à la preuve. Le Dr Meehan avait les compétences d'un spécialiste de la médecine familiale, non celles d'un neurologiste. Par conséquent, je crois que le Tribunal a eu tort de s'en remettre à son témoignage, dans la mesure où ce témoignage dépassait les fins légitimes qui conditionnaient sa recevabilité : voir R. c. Reid (2003), 65 O.R. (3d) 723, à la page 736. Je suis d'avis que l'employeur n'a pas à réfuter un commencement de preuve car je ne suis pas persuadée qu'il existe une preuve véritablement recevable permettant de conclure à l'existence d'une déficience. La demande de contrôle judiciaire sera accordée en ce qui concerne Mme Desormeaux.

[102]        S'agissant de M. Parisien, je suis d'avis que, pour ce qui est d'établir un commencement de preuve, il n'a pas prouvé qu'il avait demandé des aménagements spéciaux à l'employeur quand il a su qu'il avait une déficience pouvant nécessiter des aménagements spéciaux. Le dossier révèle que M. Parisien souffrait d'une déficience, le SSPT, et que cette maladie expliquait certaines de ses absences, mais pas toutes. L'employeur l'a congédié en alléguant un absentéisme non coupable. Dans la mesure où le SSPT expliquait en partie ces absences, et eu égard à l'article 25 de la Loi, je ne suis pas disposée à dire qu'il n'a pas rempli le critère du commencement de preuve de discrimination, c'est-à-dire une différence de traitement fondée sur la déficience.

[103]        Au stade de l'établissement d'un commencement de preuve, la charge de la preuve incombe au plaignant et à la Commission. Selon l'arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd. (2004), 322 N.R. 50 (C.A.F.), le niveau de preuve requis est la prépondérance des probabilités.

[104]        M. Parisien et la Commission disent que la différence préjudiciable de traitement qui lui a été appliquée a été le congédiement. Ils qualifient cette mesure de discriminatoire parce que ses absences étaient dues à sa déficience, c'est-à-dire au SSPT. La demanderesse rejette cette manière de voir en s'appuyant sur l'arrêt Berry c. Farm Meats Canada Ltd., précité, aux pages 679 et suivantes :

[traduction]

Je dois d'abord dire que la conclusion tirée par les commissaires a pu produire un certain malentendu. Cette conclusion est la suivante : « Il a été congédié sans avertissement alors qu'il se remettait d'une crise cardiaque, et les commissaires statuent donc en sa faveur » . Cette phrase ne permet pas à elle seule de conclure à une discrimination. On pourrait dire que, pour conclure à un acte discriminatoire, il suffit que l'on soit congédié alors qu'on est physiquement invalide. Pour qu'il y ait discrimination, il faut qu'il y ait congédiement pour cause de handicap physique. L'embauchage de M. Berry, sa crise cardiaque, la date proposée de son retour au travail, son offre de travailler à domicile, tous ces éléments considérés ensemble constituent une preuve suffisante pour qu'il appartienne maintenant à Farm Meats de prouver que le congédiement ne résultait pas de l'état de santé de M. Berry. Farm Meats a offert plusieurs explications, à savoir :

_               problèmes de rendement

_               réorganisation

_               réduction des effectifs à cause d'une baisse des ventes

_               incapacité de M. Berry de conduire.

Cependant, aucune de ces explications n'est étayée par la preuve. En fait, la preuve va à l'encontre de telles affirmations.

[105]        Je suis d'avis que l'argument de la demanderesse est persuasif, d'autant qu'il appert clairement du dossier que M. Parisien a affiché un absentéisme ahurissant avant qu'on ne diagnostique le SSPT en 1991, année où le Dr Sequeira a estimé que la maladie avait probablement débuté en 1989, mais je ne suis pas persuadée, selon la norme applicable de contrôle, c'est-à-dire la norme de la décision raisonnable simpliciter, qu'une intervention judiciaire soit justifiée. Il était raisonnable pour le Tribunal de conclure à un commencement de preuve de discrimination en ce qui concerne M. Parisien.

iii)          Accommodation

[106]        La question de l'accommodation en ce qui concerne M. Parisien est une question mixte de droit et de fait, à laquelle s'applique la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[107]        Après qu'un plaignant a apporté un commencement de preuve de discrimination, c'est à l'employeur qu'il appartient de justifier l'apparence de discrimination en répondant au triple critère suivant à propos de l'accommodation, critère exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Meiorin, précité, à la page 32 :

Après avoir examiné les diverses possibilités qui s'offrent, je propose d'adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L'employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1) qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;

(2) qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;


(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

[108]        Le Tribunal a jugé que l'employeur avait répondu aux deux premiers volets du critère, mais qu'il n'avait pas prouvé que le fait d'excuser l'absentéisme de M. Parisien constituerait une contrainte excessive. Le Tribunal a appliqué le critère de la contrainte excessive qui est exposé dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520-521 :

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu'il faut entendre par contrainte excessive, mais j'estime qu'il peut être utile d'énumérer certains facteurs permettant de l'apprécier. J'adopte d'abord à cette fin les facteurs identifiés par la commission d'enquête en l'espèce -- le coût financier, l'atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l'interchangeabilité des effectifs et des installations. L'importance de l'exploitation de l'employeur peut jouer sur l'évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s'adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.

[109]        C'était là le critère applicable puisque la présente affaire est née avant les modifications apportées à la Loi en 1998, qui ajoutaient une définition de l'expression « contrainte excessive » .

[110]        Dans ses motifs, le Tribunal s'est exprimé ainsi sur la question de la contrainte excessive en ce qui a trait à M. Parisien :


Malheureusement, je ne puis accepter cette conclusion. Comme l'arbitre l'indique dans la décision rendue dans Air B.C., l'examen des congédiements pour absentéisme involontaire comporte deux volets. Le premier est régi par le droit du travail et le deuxième par la législation sur les droits de la personne. Je ne vois pas comment on peut présumer qu'une fois qu'il a conclu à juste titre que le pronostic d'assiduité de l'employé est mauvais, l'employeur s'est acquitté de l'obligation d'accommodation que lui impose la législation sur les droits de la personne. L'examen de la décision arbitrale rendue à l'égard du grief du plaignant confirme ce point. La décision d'OC Transpo de congédier le plaignant a été considérée comme justifiée, même si l'arbitre n'a pas examiné la question de savoir si l'employeur avait composé avec l'employé jusqu'à la contrainte excessive, conformément aux principes relatifs aux droits de la personne mentionnés ci-dessus. Les observations de l'arbitre à cet égard se sont limitées à une déclaration générale selon laquelle le plaignant avait [traduction] « amplement fait l'objet de mesures d'adaptation par le passé sans que cela ne donne de résultat » et qu'il ne s'agissait pas, par conséquent, [traduction] « d'un cas où l'employeur n'avait pas composé avec la déficience » . La notion de « contrainte excessive » n'a même jamais été abordée.

[111]        Compte tenu de la preuve se rapportant au PGP de l'employeur et à l'historique des absences de M. Parisien, la preuve révèle que l'employeur lui a consenti des aménagements dans le passé, avant le diagnostic de SSPT, et le fait de l'autoriser à conserver son emploi n'était pas le moindre de ces aménagements. Après que le SSPT fut diagnostiqué, l'employeur lui a consenti des heures modifiées et des tâches modifiées, c'est-à-dire qu'il a laissé M. Parisien conduire le bus-navette pour les autres employés du service. La demanderesse s'appuie sur la décision rendue par la Commission d'enquête de l'Ontario dans l'affaire Bonner, précitée, à la page D/497, où l'on peut lire ce qui suit :

[traduction] ... L'idée semble être que, tandis qu'une personne qui est incapable d'exécuter un travail pour une raison autre qu'un handicap peut se voir refuser un emploi ou être congédiée, une personne qui n'est pas en mesure d'exécuter ce travail en raison d'un handicap au sens du Code ne peut pas se voir refuser un emploi ni ne peut être congédiée, si l'employeur est en mesure de composer avec cette incapacité, c'est-à-dire (apparemment) de la supporter. Ce postulat semble tout à fait erroné. À coup sûr, ce qui doit être l'objet d'aménagements, si cela est raisonnablement possible, c'est le handicap, non l'incapacité. ... Si l'employeur peut sans contrainte excessive adapter les conditions du lieu de travail d'une manière satisfaisante tout en étant sujet aux effets de ce handicap, alors il doit le faire. Mais rien n'oblige un employeur à embaucher ou à conserver des travailleurs qui, à cause d'un handicap, sont en réalité incapables de faire le travail, simplement parce que l'employeur a les moyens de tolérer un travail en réalité défectueux.

[112]        En l'espèce, l'employeur a congédié M. Parisien pour cause d'absentéisme chronique involontaire. Il avait conclu que, au vu des renseignements médicaux disponibles, de la lettre catégorique de son médecin en date du 31 janvier 1996, enfin de ses antécédents, il ne pouvait pas raisonnablement espérer une amélioration de son assiduité. Aux yeux de l'employeur, consentir à M. Parisien des heures de travail réduites équivaudrait à consentir à un absentéisme accru.

[113]        Le Tribunal a jugé que l'employeur n'avait pas prouvé que le fait d'excuser les absences n'était pas une accommodation raisonnable, selon ce que requiert l'arrêt Meiorin. Il s'agit de savoir si cette conclusion répond à la norme de contrôle applicable, celle de la décision raisonnable simpliciter. À mon avis, la réponse est négative.

[114]        Le contexte factuel ici est la relation d'emploi. Cette relation est subordonnée à la Loi, mais il reste que la nature de l'entente conclue entre les parties est que l'employé se présentera au travail régulièrement et que l'employeur lui versera une rémunération. Un absentéisme involontaire excessif risque d'invalider cette relation, ainsi que le notait la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Scheuneman, précité.


[115]        Dans l'arrêt Scheuneman, une affaire où il s'agissait d'une contestation fondée sur l'article 15 de la Charte, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'idée selon laquelle un employeur devrait tolérer, comme une forme d'accommodation, un absentéisme constant. Elle s'est exprimée ainsi, à la page 157 :

Selon moi, ces faits n'établissent pas qu'il y a eu manquement à l'article 15. L'appelant a été congédié parce qu'il n'était capable d'accomplir aucun travail et qu'il était improbable qu'il puisse travailler dans un avenir prévisible. L'un des éléments fondamentaux de la relation employeur-employé est que l'employé soit capable d'accomplir un travail pour l'employeur ou de recommencer à travailler dans un délai raisonnable, s'il est temporairement invalide pour une cause médicale. Le congédiement d'une personne qui ne remplit pas cette condition ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience physique au sens de la Constitution.

[116]        Ce précédent concernait une contestation fondée sur l'article 15 de la Charte, mais c'est un précédent intéressant parce qu'il montre qu'il y a un point où l'employeur peut légitimement dire que l'entente conclue n'est pas totalement apte à être exécutée.

[117]        Le dossier de la présente affaire révèle d'innombrables absences dès que M. Parisien a commencé de travailler pour l'employeur. L'absentéisme représenté par 1 644 jours complets et 33 jours partiels n'est qu'une partie de l'absentéisme total, c'est-à-dire de 1984 à février 1996. Cela semble donner un taux qui dépasse 30 p. 100. Il n'est pas raisonnable à mon avis d'obliger l'employeur à tolérer un tel absentéisme.

[118]        Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est accordée, avec dépens en faveur de la demanderesse.

[119]        Les présents motifs seront versés dans le dossier T-8-03 et un exemplaire sera versé dans le dossier T-144-03.

                                                                                   _ E. Heneghan _               

                                                                                                     Juge                          

OTTAWA (ONTARIO)

le 23 décembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :              T-8-03 et T-144-03

INTITULÉS :            Ville d'Ottawa c. Canada (Commission des droits de la personne) et Francine Desormeaux

et

Ville d'Ottawa c. Canada (Commission des droits de la personne) et Alain Parisien

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :            LE 21 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                   LE 23 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stephen Bird                                     POUR LA DEMANDERESSE

Carolyn Richard

Patrick O'Rourke                              POUR LA DÉFENDERESSE, la Commission

Peter Annis                                        POUR LE DÉFENDEUR, Alain Parisien

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bird McCuaig Russell                        POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR LA DÉFENDERESSE, la Commission

Vincent Dagenais Gibson LLP

Ottawa (Ontario)                               POUR LE DÉFENDEUR, Alain Parisien


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.