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Date : 20051123

Dossier : T-632-05

Référence : 2005 CF 1582

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

ALPHA MARATHON TECHNOLOGIES INC.

demanderesse

et

DUAL SPIRAL SYSTEMS INC. et RAFAEL J. CASTILLO

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Requête présentée par le défendeur en vue de représenter la personne morale défenderesse

[1]         Il s'agit d'une action concernant une demande de brevet américain dans laquelle le défendeur, Rafael J. Castillo, a déposé et signifié une défense et demande reconventionnelle en son nom personnel et au nom de la défenderesse Dual Spiral Systems Inc., dont M. Castillo est l'unique actionnaire, dirigeant et administrateur. M. Castillo a introduit la présente requête en vertu de l'article 120 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d'obtenir l'autorisation d'agir à titre de représentant non juriste de Dual Spiral Systems Inc. La demanderesse, Alpha Marathon Technologies, s'oppose à la présente requête.

[2]        L'article 120 des Règles dispose :

120. Une personne morale, une société de personnes ou une association sans personnalité morale se fait représenter par un avocat dans toute instance, à moins que la Cour, à cause de circonstances particulières, ne l'autorise à se faire représenter par un de ses dirigeants, associés ou membres, selon le cas.

120. A corporation, partnership or unincorporated association shall be represented by a solicitor in all proceedings, unless the Court in special circumstances grants leave to it to be represented by an officer, partner or member, as the case may be.

[3]         Les parties sont d'accord pour dire que les facteurs dont la Cour doit tenir compte lorsqu'elle est saisie d'une requête présentée en vertu de l'article 120 des Règles sont ceux qui ont été posés dans le jugement Kobetek Systems Ltd. c. Canada, [1998] 1 C.T.C. 308, 98 G.T.C. 6041 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, à savoir :

  1. si l'entreprise peut s'offrir les services d'un avocat;

  1. si le représentant proposé sera tenu de comparaître comme porte-parole et comme témoin;

  1. si les questions de droit à trancher sont complexes (et, par conséquent, si le représentant semble être en mesure de débattre les questions de droit);

  1. si l'action peut se poursuivre de manière expéditive.

[4]         Ces facteurs constituent les « circonstances particulières » qui doivent exister pour que le tribunal puisse autoriser un non-juriste à représenter une personne morale.Bien que ces facteurs ne soient pas nécessairement déterminants ou exhaustifs (Chase Bryant Inc. c. Canada, [2002] A.C.I. no 663, (au paragraphe 6 (C.C.I.)), l'obligation imposée au demandeur de prouver l'existence de circonstances particulières constitue une lourde charge (Source Seville Corp. c. Source Personnel Inc. [1995] A.C.F. no 1658 (Q.L.) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 4). Le demandeur doit soumettre des « éléments de preuve clairs et non équivoques » établissant l'existence de circonstances particulières, c'est-à-dire de circonstances qui sont « inhabituelles, peu communes et exceptionnelles, et qui sont attribuables à des forces extérieures par opposition à des actes volontaires de la défenderesse » (Source Services, aux paragraphes 4 et 5).

Indigence

[5]         La capacité de Dual Systems Inc. de s'offrir les services d'un avocat constitue sans doute le facteur le plus important dont la Cour doit tenir compte. Dans le jugement Chase Bryant Inc., au paragraphe 7, la Cour canadienne de l'impôt explique, sous la plume du juge en chef adjoint Bowman que, lorsqu'une entreprise peut s'offrir les services d'un avocat, [traduction] « il est difficile d'imaginer des circonstances qui justifieraient un écart par rapport au principe exigeant qu'une personne morale soit représentée par un avocat » . La Cour d'appel fédérale a expliqué que « la Cour doit être convaincue que les personnes morales n'ont réellement pas les moyens de retenir les services d'un avocat » (S.A.R. Group Relocation Inc. c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 367, au paragraphe 2).

[6]         M. Castillo admet que Dual Systems Inc. a les moyens financiers de retenir les services d'un avocat et il explique que la présente requête n'a pas été présentée pour des raisons de manque de ressources. Ce facteur milite donc fortement contre le fait d'accueillir la requête.

M. Castillo agira-t-il comme témoin?

[7]         Le deuxième facteur à examiner est la probabilité que M. Castillo comparaisse comme témoin dans le cadre de l'action, advenant le cas où celle-ci serait instruite. Dans l'arrêt S.A.R. Group Relocation, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la possibilité qu'un représentant non juriste agisse comme témoin « incite la Cour à ne pas rendre une ordonnance en application de l'article 120 des Règles » (au paragraphe 2). Ce principe souffre quelques exceptions qui se justifient par le fait que le représentant non juriste n'est pas assujetti aux mêmes obligations qu'un officier de justice (voir, par exemple, l'arrêt Muszka c. La Reine, (1993) 94 DTC 6076 (QL) (C.A.F.)).

[8]         Dans le jugement RFA Natural Gas Inc. c. La Reine, [2000] A.C.I. no 327, la Cour canadienne de l'impôt a permis à une dirigeante de la société appelante de la représenter malgré le fait qu'elle serait appelée à témoigner (au paragraphe 7). Toutefois, contrairement à l'espèce, dans cette affaire, nul ne prétendait que la société appelante n'avait pas les moyens de retenir les services d'un avocat (au paragraphe 4) et que, si elle n'était pas représentée d'une manière ou d'une autre, l'action prendrait fin prématurément (au paragraphe 9).

[9]         À mon avis, M. Castillo sera fort vraisemblablement appelé à témoigner. Il s'agit en effet d'une action qui porte sur un brevet d'invention dont M. Castillo affirme être l'inventeur. De surcroît, M. Castillo est le seul propriétaire et l'âme dirigeante de la personne morale défenderesse, Dual Systems Inc. Il est difficile de concevoir comment la Cour pourrait instruire la présente action sans entendre son témoignage. Au cours de l'instruction de la présente requête, M. Castillo a précisé qu'il retiendrait les services d'un avocat lorsque l'affaire serait instruite ou qu'une requête en jugement sommaire serait présentée. Il affirme donc que cette situation ne risque pas de se présenter s'il agit à la fois comme avocat et comme témoin. Toutefois il ne tient pas compte de la possibilité que des requêtes soient présentées, ce qui l'obligerait à présenter son propre affidavit.

[10]       Ce facteur incite donc la Cour à refuser d'accorder à M. Castillo l'autorisation d'agir comme représentant de Dual Systems Inc.

Complexité des questions de droit et déroulement expéditif de l'action

[11]       Comme dans le cas du facteur précédent, certaines décisions de la Cour canadienne de l'impôt ont atténué l'importance du facteur de la complexité (voir RFA Natural Gas, au paragraphe 11, et T.J.'s Transportation & Lumber Ltd. c. Canada, [2003] A.C.I. no 493 (C.C.I.), au paragraphe 14). Dans le jugement T.J's Transportation, le juge Hershfield a expliqué que ce facteur [traduction] « protège de façon plutôt paternaliste l'appelante contre elle-même » . Il a également signalé par ailleurs que [traduction] « s'il empêche le déroulement expéditif de l'appel, ce facteur devient plus important » .

[12]       M. Castillo reconnaît que les questions en litige dans la présente action sont des questions de droit complexes. Force m'est de reconnaître qu'il a raison, surtout si l'on tient compte de la grande quantité de demandes reconventionnelles portant sur divers sujets - notamment la contrefaçon de brevet et de marque de commerce, la diffamation et l'inexécution de contrat - que les défendeurs ont présentées en réponse à la déclaration de la demanderesse.

[13]       Les réponses de M. Castillo, que l'on trouve dans la transcription de son contre-interrogatoire, sont particulièrement troublantes pour ce qui est de la possibilité que l'instance se déroule de façon expéditive. Son refus catégorique de répondre à la plupart des questions qui lui ont été posées par l'avocat de la demanderesse et dont un grand nombre avaient pourtant rapport à la présente requête, donne un aperçu de la façon dont l'instance risque de se dérouler, c'est-à-dire laborieusement, péniblement et de façon mouvementée.

[14]       De plus, le refus de M. Castillo de répondre à toute question qui pourrait avoir trait à sa compréhension des questions de droit substantiel se rapportant à la présente action et même à celles ayant trait aux demandes reconventionnelles qu'il a lui-même rédigées m'amène à douter qu'il possède les connaissances juridiques nécessaires pour être en mesure de représenter Dual Systems Inc., même à cette étape-ci de l'instance. Ces deux raisons militent contre l'octroi de l'autorisation qu'il sollicite.

Autres facteurs - Poursuite malveillante et futile

[15]       M. Castillo soumet à l'examen de la Cour un autre facteur. Il affirme que l'action intentée par la demanderesse est mal fondée, qu'elle ne repose sur aucun élément de preuve et qu'elle est futile et vexatoire. Bien que M. Castillo admette que le tribunal se prononce normalement sur le bien-fondé de ces prétentions à une autre étape de l'instance, notamment lorsqu'elle statue sur une requête en radiation ou au procès, il affirme qu'il serait injuste d'obliger Dual Systems Inc. à retenir les services d'un avocat uniquement pour se débarrasser d'une action dénuée de tout fondement.

[16]       À la lumière de mon analyse des facteurs posés dans le jugement Kobetek, j'estime que l'allégation suivant laquelle l'action de la demanderesse est mal fondée, allégation qui n'a pas encore été prouvée, ne saurait à elle seule constituer une « circonstance particulière » au sens de l'article 120 des Règles.

Dispositif

[17]       Après avoir examiné à tour de rôle chacun des facteurs pertinents à la lumière des éléments de preuve portés à ma connaissance, je conclus que M. Castillo n'a pas établi l'existence de « circonstances particulières » qui justifieraient un écart par rapport à l'obligation imposée par l'article 120 des Règles à toute personne morale de se faire représenter par un avocat. La requête sera donc rejetée.

Dépens

[18]       M. Castillo affirme que, comme la charge de la preuve lui incombe en l'espèce et que la demanderesse n'est pas tenue de répondre, la demanderesse devrait supporter ses propres dépens, y compris ceux afférents au contre-interrogatoire.

[19]       La demanderesse soutient pour sa part que les dépens de la présente requête devraient suivre l'issue de la cause. Toutefois, en ce qui concerne les dépens du contre-interrogatoire qu'elle a fait subir à M. Castillo au sujet de son affidavit, elle réclame un plein remboursement, compte tenu du refus injustifié de M. Castillo de répondre à bon nombre des questions posées. Ces dépens devraient, à son avis, être payables sur-le-champ.

[20]       La requête n'a pas été présentée dans un but irrégulier et elle n'était ni futile ni vexatoire. Il est vrai que M. Castillo a refusé de répondre à bon nombre des questions qui lui ont été posées au cours de son contre-interrogatoire, mais il a communiqué à la demanderesse suffisamment de renseignements pour permettre à cette dernière de répondre à la requête. Je ne suis toutefois pas d'accord pour dire que la demanderesse devrait effectivement être pénalisée pour avoir répondu à la présente requête. Les conséquences auraient pu être graves pour la demanderesse, qui avait affaire à un plaideur agissant pour son propre compte. Or, la demanderesse a fait preuve de prudence dans son opposition à la requête.

[21]       À tout prendre et en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré, j'adjuge les dépens à la demanderesse, indépendamment de l'état de la cause, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne 3 du tarif B des Règles des Cours fédérales.

Gestion de l'instance

[22]       À la clôture de l'audience, les deux parties ont expliqué qu'elles souhaitent que l'action se poursuive en tant qu'instance à gestion spéciale. Compte tenu de la nature du procès, je conviens que l'affectation d'un juge ou d'un protonotaire à titre de responsable de la gestion de l'instance pourrait faciliter grandement le bon déroulement de l'instance.

OrdONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

                        1.          La requête est rejetée et les dépens sont adjugés à la demanderesse, indépendamment de l'issue de la cause, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne 3 du tarif B des Règles des Cours fédérales;

                        2.          L'instance est poursuivie en tant qu'instance à gestion spéciale et un juge ou un protonotaire est désigné responsable de la gestion de l'instance par le juge en chef, conformément à l'article 383 des Règles.

   « Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-632-05

INTITULÉ :                                        ALPHA MARATHON TECHNOLOGIES INC. c.

                                                            DUAL SPIRAL SYSTEMS INC. et RAFAEL J. CASTILLO

LIEU DE L'AUDIENCE :                  PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE DEPUIS                 OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 NOVEMBRE 2005       

COMPARUTIONS:

Harjinder Mann

POUR LA DEMANDERESSE

Rafael J. Castillo

POUR SON PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DE LA DÉFENDERESSE DUAL SYSTEMS INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Anissimoff Professional Corp.

London (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Rafael J. Castillo

Hamilton (Ontario)

POUR SON PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DE LA DÉFENDERESSE DUAL SYSTEMS INC.

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