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Date : 20051109

Dossier : IMM-9214-04

Référence : 2005 CF 1522

ENTRE :

                                                     HARAKHJI ZAVER GILANI

                                                   MANSUR HARAKHJI GILANI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Les présents motifs font suite à l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision du 17 septembre 2004, par laquelle un agent d'immigration désigné (l'agent) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de Mansur Gilani à titre d'enfant à charge dans la demande parrainée par un de ses parents. Harakhji Zaver Gilani est le père de Mansur Harakhji Gilani.

[2]                Dans la lettre qui fait état de la décision visée par la demande de contrôle, l'agent explique très brièvement les raisons qui l'ont amené à rejeter la demande de Mansur :


[Traduction] Je ne suis pas convaincu que M. Mansur Gilani correspond à la définition d' « enfant à charge » au sens du sous-alinéa 2b)(iii) du Règlement [...] Par conséquent, il n'est pas admissible à un visa d'immigrant sur la base du parrainage.

[3]                Dans un affidavit déposé le 9 septembre 2005, l'agent a affirmé entre autres ce qui suit :

[Traduction]

15. J'ai examiné et apprécié tous les documents fournis par le demandeur principal et sa famille, mais conclu en définitive qu'aucun de ces documents n'était satisfaisant parce qu'ils ne prouvaient pas que Mansur souffrait de schizophrénie depuis qu'il avait atteint l'âge de vingt-deux ans.

16. Je n'ai pas expressément fait mention de la lettre du Dr Gul R. Samlani dans mes notes du STIDI, mais cette lettre figurait au dossier et j'en ai pris connaissance. J'ai toutefois estimé qu'elle ne prouvait pas de façon convaincante l'existence d'une relation de dépendance entre Mansur et sa famille en raison de sa maladie mentale, car elle indiquait que Mansur avait toujours vécu chez ses parents, ce qui contredisait l'information fournie par le répondant au cours de l'entrevue. Le répondant a dit très clairement à l'entrevue que Mansur et ses parents n'avaient pas toujours vécu ensemble et qu'en fait, il avait vécu séparé d'eux en Inde pendant qu'ils étaient aux États-Unis.

17. Ni le demandeur principal ni le répondant n'ont fourni une preuve documentaire à l'appui de leur affirmation selon laquelle Mansur n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de ses parents depuis qu'il a atteint l'âge de vingt-deux ans.

                                                                                                  [non souligné dans l'original]

En conséquence, selon mon interprétation, le rejet de la demande de Mansur tient à l'omission de prouver que celui-ci souffrait de schizophrénie depuis l'âge de vingt-deux ans, de prouver qu'il est socialement dépendant de ses parents depuis qu'il a cet âge, c'est-à-dire qu'il a vécu continuellement chez eux, et de prouver qu'il dépend, pour l'essentiel, du soutien financier de ses parents depuis qu'il a atteint cet âge.

[4]                Voici les passages pertinents de la définition d' « enfant à charge » , donnée à l'article 2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] :

« enfant à charge » L'enfant qui :

"dependent child", in respect of a parent, means

a child who

[...]

...

b) d'autre part, remplit l'une des conditions suivantes :

(b) is in one of the following situations of

dependency, namely,

...

[...]

...

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent

since before the age of 22 and is unable to be

financially self-supporting due to a physical or

mental condition.

[5]                À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu qu'il incombait aux parents de Mansur de prouver : que Mansur avait au moins vingt-deux ans durant toute la période visée; qu'il n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, de leur soutien financier à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans; et qu'il ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

[6]                Il ne semble pas contesté que Mansur a beaucoup plus que vingt-deux ans. Selon les documents produits, il est né le 19 décembre 1945, ce qui lui donne près de soixante ans.


[7]                Dans la jeune vingtaine, Mansur a fait des études postsecondaires. Il a obtenu un premier diplôme, mais pour une raison ou une autre, raison qui serait son état mental selon sa famille, il n'a pas décroché son deuxième diplôme. La preuve présentée à l'agent indique que, par la suite, il a occupé un emploi « protégé » dans l'usine de ses parents en Inde, en ce sens qu'il effectuait des tâches subalternes de façon irrégulière, uniquement lorsqu'il s'en sentait capable. En fait, la preuve soumise à l'agent révèle que son travail n'était pas productif, mais qu'il servait à lui donner une meilleure estime de lui-même. Elle indique que, lorsque l'emploi a pris fin, Mansur a fait du travail bénévole pendant quelques années. Il ne paraît pas avoir eu d'emploi depuis 1991. Je suis donc convaincu, était donné que la preuve est claire et non contredite, que Mansur dépend, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents depuis l'âge de vingt-deux ans. Bien que la preuve permettant de corroborer cette dépendance financière ne soit pas particulièrement solide, elle existe et elle étaye aussi la conclusion que Mansur, pendant tout le temps qu'il a vécu en Inde, habitait dans une maison qui appartenait à ses parents et que, pendant qu'ils étaient aux États-Unis dans les dernières années, il a habité chez sa soeur.

[8]                La dépendance sociale de Mansur à l'égard de ses parents, c'est-à-dire sa dépendance continue à l'égard du soutien parental, n'est pas pertinente.


[9]                Enfin, les passages pertinents de la définition d' « enfant à charge » n'obligent pas un demandeur à démontrer que l'état « physique ou mental » qui justifie sa dépendance financière n'a pas cessé d'exister depuis qu'il a vingt-deux ans et que la maladie a été diagnostiquée avant cet âge. Au vu des circonstances de cette affaire, il ne semble pas contesté que Mansur souffre de schizophrénie. Il ne semble pas non plus contesté que cette maladie a été diagnostiquée il y a de nombreuses années. La question de savoir si elle l'a été avant l'âge de vingt-deux ans n'est pas pertinente à mon avis. Une lecture attentive du sous-alinéa b)(iii) de la définition d' « enfant à charge » montre qu'un demandeur doit établir qu'[...] « il n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans » et qu'il « ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental » . Il ne semble pas contesté que Mansur souffre en ce moment, et assurément depuis la date de sa demande, d'une schizophrénie débilitante.

[10]            Dans la définition d' « enfant à charge » figurant à l'article 2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, il y a lieu de comparer la formulation anglaise du sous-alinéa b)(iii) avec celle du sous-alinéa b)(ii), que voici :


« enfant à charge » L'enfant qui :

[...]                                                          

b) d'autre part, remplit l'une des conditions suivantes :

[...]

(ii) il est un étudiant âgé qui n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

[...]

                                                         [je souligne ]


"dependent child", in respect of a parent,

means a child who

...

(b) is in one of the following situations of

dependency, namely,              

...

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 -- or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner -- and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

...



.

[emphasis added]


Dans la version française, par contre, la formulation du sous-alinéa b)(ii) paraît correspondre de plus près à celle du sous-alinéa b)(iii).

[11]            Dans la version anglaise de la disposition précitée, l'expression « has depended » implique nécessairement que la situation se poursuit depuis l'âge de vingt-deux ans tant pour le soutien financier que pour le statut d'étudiant. Cette formulation contraste nettement avec celle du sous-alinéa b)(iii), visé en l'espèce, où la condition relative au soutien financier est présentée dans les deux langues comme continue depuis l'âge de vingt-deux ans, mais où le verbe traduisant l'incapacité de subvenir aux besoins du fait de l'état physique ou mental est conjugué au présent, ce qui indique que cette dernière condition ne vaut qu'au moment où le critère est appliqué. Il ne fait aucun doute à mon avis que, si le gouverneur en conseil avait voulu que les deux dispositions soient interprétées de la même manière, elles auraient été formulées de manière analogue dans les versions française et anglaise.


[12]            Pourtant, l'avocat indique que ce n'est pas l'usage et que la disposition visée en l'occurrence est interprétée au sens où l'état physique ou mental qui empêche l'enfant de subvenir à ses besoins doit avoir été diagnostiqué avant que celui-ci atteigne l'âge de vingt-deux ans. Je suis persuadé que l'interprétation traditionnelle de la disposition visée en l'espèce constitue une erreur donnant lieu à révision suivant la norme selon laquelle l'interprétation législative est une question de droit et doit être bien fondée.

[13]            À la lumière de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision faisant l'objet du contrôle sera annulée et la demande parrainée de Mansur à titre d'enfant à charge sera renvoyée au défendeur pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire compte tenu des présents motifs.

[14]            À la clôture de l'audience, l'avocat a été informé de la décision de la Cour. L'avocat du défendeur ne semblait pas s'opposer vigoureusement à cette décision, mais il a demandé instamment qu'une question grave de portée générale soit soulevée concernant l'interprétation de la disposition en cause, qui fait l'objet d'une pratique relativement bien établie, et son incidence dans un bon nombre de situations. En conséquence, j'ai accepté de certifier une question, que j'ai décidé de formuler en ces termes à la suite de l'audience :

Aux fins de déterminer si une personne est un « enfant à charge » qui dépend de l'un ou l'autre de ses parents dans la situation décrite au sous-alinéa b)(iii) de la définition d' « enfant à charge » donnée à l'article 2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, faut-il prouver que l'enfant est incapable de subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental uniquement au moment où la dépendance est invoquée ou faut-il prouver que l'état en question existait et a été diagnostiqué avant que l'enfant atteigne l'âge de vingt-deux ans?

Je suis convaincu que la question qui précède est non seulement une question grave de portée générale, mais aussi une question dont la réponse permettrait de trancher un appel formé à l'encontre de la présente décision.


                                                                        « Frederick E. Gibson »                  

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Lucie Boisvenue, trad.a.


                                      COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-9214-04

INTITULÉ :              HARAKHJI ZAVER GILANI

MANSUR HARAKHJI GILANI

                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE GIBSON

                                                     

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Waldmon & Associates

Barristers and Solicitors, Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR




[1]DORS/2002-227.


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