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                                                             IMM-1339-96

 

 

OTTAWA, LE VENDREDI 18 AVRIL 1997

 

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

 

 

ENTRE :

 

                             KARIM BENAISSA,

 

                                                              requérant,

 

                                   et

 

           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                 intimé.

 

 

 

 

 

 

                           O R D O N N A N C E

 

 

      VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 mars 1996 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, vu les documents déposés, vu l’audition, tenue le 25 février 1997 à Toronto (Ontario), à laquelle ont pris part les avocats de toutes les parties, et par les motifs prononcés aujourd’hui,

 

      LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à une nouvelle formation de la Commission afin que celle-ci procède à une nouvelle audition de l’affaire et la réexamine conformément au droit et aux présents motifs.

 

 

     « James A. Jerome »    

                                                      Juge en chef adjoint

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                   __________________________

                                                Bernard Olivier, LL.B.


 

 

 

 

 

                                                                                                                         IMM-1339-96

 

 

 

ENTRE :

 

                                                      KARIM BENAISSA,

 

                                                                                                                              requérant,

 

                                                                       et

 

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

 

 

                                            MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

 

 

            La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 mars 1996 par la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été entendue à Toronto (Ontario), le 25 février 1997.  À la fin des plaidoiries, j’ai sursis au prononcé du jugement et indiqué que les présents motifs écrits suivraient.

 

            Le requérant, un citoyen de l’Algérie de nationalité berbère, est arrivé au Canada en mars 1995.  M. Benaissa a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, invoquant une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.  Une audition devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a eu lieu le 23 janvier 1996.

 

            Dans une décision rendue le 29 mars 1996, le tribunal a conclu que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention.  Le requérant cherche maintenant à faire annuler cette décision au motif que la Commission a commis une erreur de droit et de fait en rendant sa décision et qu’elle l’a prise en se fondant sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire.

 

            La Commission a énoncé ses conclusions de fait dans ses motifs.  Elle a dit que, depuis sa jeunesse, le requérant s’identifiait aux aspirations culturelles berbères et prenait part à des actions politiques liées à cette cause.  Au fur et à mesure que son voisinage s’islamisait, le requérant essuyait les critiques de ses amis d’enfance et connaissances, qui réprouvaient son mode de vie libéral et non religieux.  La Commission a souligné que deux des frères du requérant étaient policiers et que, pour cette raison, ses voisins musulmans le traitait de délateur.  En outre, les deux frères du requérant ont quitté l’Algérie en 1994 en raison du danger que les militants Islamistes posaient pour eux, du fait qu’ils étaient policiers.

 

            La Commission a décrit en détail les événements qui, aux dires du requérant, l’ont incité à quitter l’Algérie.  En septembre 1994, il a reçu une lettre, écrite en arabe, du « Groupe islamiste armé » (le GIA), une organisation terroriste islamique fondamentaliste.  La lettre le condamnait au motif qu’il était un ennemi de Dieu et de l’islam.  Dans son témoignage, le requérant a ajouté que la lettre disait que, pour cette raison, il serait leur prochaine victime.  Par la suite, le tribunal a dit, aux pages 3 et 4 de ses motifs :

 

 

Le demandeur a justifié ces explications ultérieures en disant que le français n'était pas sa langue maternelle et qu'il ne s'était pas exprimé correctement dans son FRP.  Or, le tribunal remarque que le demandeur n'a eu aucune difficulté à témoigner en français et qu'il n'a jamais demandé les services d'un interprète algérien.  Le tribunal estime que le demandeur a exagéré le contenu de la lettre pour avancer sa revendication.

 

 

            À la suite de cette menace, le frère du requérant a conseillé à ce dernier de ne pas fréquenter de gens à l’extérieur de leur maison et d’être prudent envers les étrangers qui montaient dans son taxi.  Le requérant a tenu compte de ce conseil, mais il a continué de vivre à la résidence familiale et de garer son taxi devant celle-ci.

 

            En décembre 1994, il a reçu une deuxième lettre du GIA.  Dans son formulaire de renseignements personnels, le requérant a déclaré que la lettre lui ordonnait d’inciter ses frères à se rendre aux militants.  Dans son témoignage, le requérant a ajouté que la lettre le traitait de démon et qu’elle sommait son père de livrer ses frères.  Aux pages 4 et 5 de ses motifs, le tribunal a dit :

 

 

Le tribunal constate que la deuxième version de la lettre, telle que décrite par le demandeur, ne semble pas véridique.  Par ailleurs, le tribunal estime qu'étant donné les différences des deux messages présentés par le demandeur, ce dernier a élaboré les contenus de la lettre juste pour exagérer l'importance que lui accordaient les Islamistes.  Vu le témoignage du demandeur au sujet de cette deuxième lettre dans son FRP, et vu son témoignage au sujet de la visite de deux Islamistes, décrite ci-après, le tribunal n'est pas persuadé que la prétendue lettre concernait le demandeur.  Étant donné la situation actuelle en Algérie et vu que les actions des Islamistes militants visent les membres de la force de sécurité, il est plausible que les frères policiers du demandeur aient été la cible de menaces d'Islamistes militants.  Les frères policiers du demandeur ont d'ailleurs pris certaines précautions.  Ils ne vivaient plus dans la maison familiale et restaient au poste de police mis exprès à leur disposition pour assurer leur sécurité.  À cet égard, le tribunal remarque aussi que Mohamed, le frère du demandeur, a tenu compte des menaces proférées contre lui, car il a quitté le pays peu de temps après avoir reçu la lette, l'autre frère policier, Abdel, ayant déjà quitté l'Algérie en mars 1994.  Rien n'indique que le demandeur ait, comme ses frères, réagi immédiatement aux menaces qu'il prétend auraient été proférées à son égard.  Il n'a alors quitté ni son domicile, ni le pays, comme ses frères l'avaient fait.  Le demandeur a quitté l'Algérie en février 1995.

 

 

            Après que son frère Mohamed a quitté l’Algérie en décembre 1994, deux musulmans se sont rendus à la résidence familiale pour demander où il se trouvait.  Dans son formulaire de renseignements personnels, le requérant a dit que ces personnes ont injurié les membres de sa famille, pointé leurs armes sur eux, et quitté en déclarant qu’ils reviendraient.  Dans son témoignage, le requérant a dit que les musulmans l’avaient identifié et lui avaient dit qu’ils le tueraient.  Le tribunal a dit qu’il trouvait peu crédible le témoignage du requérant sur cette question.

 

            Le requérant a décidé de quitter l’Algérie en janvier 1995.  Il a vendu son taxi à un ami pour financer son départ.  Trois jours plus tard, le taxi a explosé et son ami a été tué.  La police considérait que l’explosion était accidentelle.  Pour sa part, le requérant croyait qu’il s’agissait d’un attentat perpétré par les fondamentalistes islamiques et dirigé contre lui.

 

            La Commission s’est demandée si le requérant avait une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et du groupe social auquel il appartenait.  Elle a tiré les conclusions suivantes, aux pages 8 à 11 :

 

 

                À cause des conclusions que le tribunal a tirées au sujet des deux lettres et de la visite que le demandeur a décrite, le tribunal constate que les difficultés que le demandeur a connues étaient de nature locale, causées par d'anciens amis et connaissances islamistes qui voyaient d'un oeil critique son style de vie laïque.

 

                Le tribunal n'a pas suffisamment de preuves pour conclure que l'accident de voiture était plus qu'un accident, ni qu'il était dirigé contre le demandeur. [...]  De plus, dans un pays où les attaques au hasard contre les individus et la propriété semblent courantes, et sont considérées souvent par les autorités comme des actes perpétrés par les Islamistes militants, rien n'indique que la police ait soupçonné autre chose qu'un accident, comme l'indique le rapport qui a permis au demandeur de recevoir des indemnités d'assurance.

 

[...] le tribunal n'est pas persuadé que le demandeur ait une crainte bien fondée du fait de son lien familial.  Rien n'indique que, depuis la réception de la première lettre du GIA en septembre 1994 jusqu'au départ du demandeur en février 1995, le demandeur ou d'autres membres de la famille dans la maison familiale aient été les objets de la persécution.

 

                Dans le climat tendu qui règne actuellement en Algérie, le tribunal caractérise les anxiétés et les craintes du demandeur comme celles ressenties par tous les citoyens algériens. 

 

                Pour arriver à la décision selon laquelle la crainte de persécution du demandeur du fait de son ethnie berbère n'est pas bien fondée, le tribunal a tenu compte des éléments qui suivent.  Depuis 1981, le demandeur n'a participé qu'à des activités culturelles berbères.  Rien dans son témoignage ne montre qu'il ait été empêché, soit par les autorités, soit par les Islamistes militants, de participer à ces activités, ou de se rendre régulièrement au centre culturel berbère de son quartier.  Rien n'indique non plus qu'on lui ait fait du mal pour ces raisons-là.  Les insultes que lui auraient adressées des Islamistes du quartier étaient plus motivées par son lien familial avec ses frères et son style de vie laïque que par son appartenance à l'ethnie berbère.  Le tribunal note aussi que la famille du demandeur habite toujours dans un quartier à forte concentration islamiste et qu'elle n'éprouve aucune difficulté.

 

 

            À mon avis, la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle.  En effet, elle a commis une erreur en rejetant le témoignage du requérant, qui exposait plus en détail les renseignements que contenait son formulaire de renseignements personnels.  La langue maternelle du requérant est le berbère.  L’arabe et le français sont des langues secondes pour lui.  Son formulaire de renseignements personnels a été rempli dans un très mauvais français.  Ainsi, il n’était pas invraisemblable que son français écrit fût de moindre qualité que son français oral et que son témoignage fournît davantage de détails sur les événements qui, aux dires du requérant, se sont produits.  Comme le dit la Cour d’appel fédérale dans Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 221, à la page 237, lorsque la personne essaie de décrire des faits compliqués dans son formulaire de renseignements personnels « [t]oute ambiguïté perçue demande à tout le moins à être clarifiée ».

 

            Il semble également que la Commission ait tenu compte de la nationalité berbère du requérant indépendamment d’autres facteurs, comme par exemple sa conclusion voulant que la crainte du requérant était la même que celle de tous les Algériens, omettant ainsi de considérer la prétention de ce dernier selon laquelle le seul fait d’être Berbère est perçu comme étant anti-islamique.

 

            Enfin, la décision que madame le juge Tremblay-Lamer a rendue, à l’occasion de circonstances remarquablement semblables, dans Larbi Ayad c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (26 avril 1996) IMM-2820-95, est intéressante.  Dans cette affaire, la Cour a conclu que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte d’une preuve établissant que la famille du requérant était harcelée par des militants du GIA.  En l’espèce, la Commission a dit que la famille du requérant n’avait pas été harcelée de septembre à février 1994 bien que, du même souffle, elle a convenu que cette dernière avait subi des menaces armées de la part de militants du GIA.  Dans Ayad, madame le juge Tremblay-Lamer a conclu que la Commission avait tiré des conclusions non fondées selon lesquelles le requérant n’était pas vraiment perçu comme étant un informateur de police.  En l’espèce, bien qu’elle ait convenu que les voisins du requérant considéraient qu’il était un informateur de police, et qu’il risquait de devenir la cible du GIA du fait de ses relations avec la police et les militaires, la Commission a tout de même conclu qu’il n’était pas le type de personne susceptible d’être persécutée.  Dans Ayad, la Cour a conclu que la Commission, en déterminant que le GIA avait tué seulement des policiers amis du requérant, avait omis de tenir compte d’une preuve documentaire établissant que la grande majorité des personnes tuées en Algérie était des civils non armés.  De la même façon, dans la présente affaire, la Commission a supposé que le sort du requérant n’intéressait pas le GIA, même si la vie des frères du requérant était en danger.


            Par ces motifs, la demande est accueillie.  L’affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Commission, qui procédera à une nouvelle audition de celle-ci et la réexaminera en tenant compte du droit et des présents motifs.

 

O T T A W A

Le 18 avril 1997.                                                            « James A. Jerome »              

                                                                                        Juge en chef adjoint

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                __________________________

                                                                                                Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

                                                                       

 

NO DU GREFFE :            IMM-1339-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :           KARIM BENAISSA

- c. -

MCI

                                         

                                         

LIEU DE L’AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 25 février 1997

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT

 

 

EN DATE DU :18 avril 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Raoul Boulakia                                                                             POUR LE REQUÉRANT

 

 

David Tyndale                                                      POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Raoul Boulakia                                                                             POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

 

 

George Thomson                                                                           POUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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