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     IMM-2786-96

ENTRE

     Lidia BOYANSQI,

     Boris BOYANSKY,

     Dmitry OPALENIK,

     Angelika BOYANSKY,

     Partie requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

         La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 16 juillet 1996 par la Section du statut de réfugié statuant que les requérants, Madame Lidia Boyansqi, son époux Boris Boyansky, la fille de ce dernier Angelika Boyansky et le fils de cette dernière, Dmitry Opalenik, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les requérants sont des ressortissants d'Israël qui fondent leur revendication sur des motifs de religion, de nationalité et d'appartenance à un groupe social particulier.

         La Section du statut a conclu que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, et ce, pour les motifs suivants:

         . . . Les revendicateurs se présentent comme des victimes de la malveillance et de l'hostilité des voisins et de la société israélienne en général parce qu'ils n'étaient pas tous ethniquement juifs et que, de plus, ils adhéraient à la chrétienté. Même s'il se fut agi de persécution au sens de la Convention, aucune preuve valable et crédible n'a été apportée de l'absence ou du refus de protection de la part des autorités israéliennes qui, d'après la volumineuse preuve documentaire qui a été produite et les sources auxquelles elle réfère, accordent à leurs citoyens une protection adéquate. Les allégations d'absence de protection en faveur des ressortissants de l'ex URSS aux prises avec le harcèlement des Juifs orthodoxes ne trouvent pas d'échos dans la presse internationale spécialisée dans la surveillance du respect des droits de l'homme. Les documents déposés par l'agent chargé de la revendication (ACR), qui avaient été communiqués au procureur des demandeurs avant l'audience, décrivent Israël comme un État démocratique doté d'un système judiciaire indépendant et accessible, gouverné par les règles de la justice naturelle. Les agissements de la police, de sokhnout, du ministère de l'Absorption, tels que décrits par les demandeurs, n'infirment d'ailleurs pas ces observations non plus que la présomption qui s'en dégage. L'éxagération [sic] des demandeurs est apparue évidente. À l'onglet 5.4 du cartable concernant la situation en Israël, la société civile est décrite comme étant accueillante au point que la majorité des familles israéliennes (80%) se sont portées volontaires pour assister les nouveaux immigrants de l'ex Union soviétique et faciliter leur intégration. Il existe en ce pays de nombreuses associations d'aide juridique et de protection des libertés, qui interviennent activement pour intégrer les immigrants, les assister dans les difficultés qu'ils rencontrent et les aider à obtenir redressement aux torts qui leurs sont causés, généralement de nature administrative.                 
             Il existe de plus, au sein du ministère de la Justice, un bureau d'enquête qui reçoit les plaintes concernant la conduite de la police, qui ne réagit d'ailleurs pas habituellement en fonction des caractéristiques ethniques ou religieuses des plaignants non plus que des suspects. Elle n'agit évidemment que lorsqu'elle est en mesure de loger des plaintes devant les tribunaux.                 
             La preuve des revendicateurs n'a aucunement entamé l'intégrité et la véracité de la preuve documentaire déposée et des sources citées et, conséquemment, le tribunal est d'avis que leurs témoignages sont exagérés et que les inférences et imputations qu'ils contiennent ne sont pas justifiées. Il n'a pas été prouvé à la satisfaction du tribunal que les autorités israéliennes ont failli dans leur tâche de protéger les demandeurs et de les assister dans l'exercice de leurs droits et recours.                 
                             (C'est moi qui souligne.)                 

         La Section du statut a donc indiqué clairement qu'aux témoignages des requérants, elle préférait la preuve documentaire indiquant que l'État d'Israël est un État démocratique capable de protéger ses citoyens. À la lumière de cette preuve documentaire, le tribunal a conclu que "[L]'éxagération [sic] des demandeurs est apparue évidente".

         Il est habituellement loisible à la Section du statut d'accorder plus de poids à la preuve documentaire soumise par l'agent d'audience qu'au témoignage d'un requérant. Monsieur le juge Linden, pour la Cour d'appel fédérale, s'est prononcé sur ce sujet dans l'affaire M.E.I. c. Zhou (18 juillet 1994), A-492-91. Il a écrit ce qui suit:

             We are not persuaded that the Refugee Division made any error that would warrant our interference. The material relied on by the Board was properly adduced as evidence. The Board is entitled to rely on documentary evidence in preference to that of the claimant. There is no general obligation on the Board to point out specifically any and all items of documentary evidence on which it might rely. The other matters raised are also without merit. The appeal will be dismissed.                 

         Dans l'affaire Victorov c. M.C.I. (14 juin 1995), IMM-5170-94, Monsieur le juge Noël a noté ce qui suit, à la page 4:

             Je rejette aussi la prétention des requérants qui reprochent au tribunal de ne pas les avoir confrontés avec la preuve documentaire qui a servi à atténuer leur crédibilité. Les documents retenus par le tribunal étaient inclus parmi ceux qui furent soumis par l'agent d'audition au début de l'audition et étaient énumérés dans l'index du cartable sur l'État d'Israël reçu par le requérants avant l'audition. Les requérants ont présenté leur propre preuve documentaire. Le tribunal était en droit de puiser à même cette preuve celle qui, à son point de vue, se conjuguait le mieux avec la réalité. C'est ce qu'il a fait.                 
                             (C'est moi qui souligne.)                 

         Depuis l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, il est établi que pour satisfaire à la définition de "réfugié au sens de la Convention", un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer, par une preuve claire et convaincante, que l'État dont il est le ressortissant est incapable de le protéger. Dans Ward, le juge La Forest écrivait ce qui suit, à la page 726:

             Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet "ne veut" ou sous le volet "ne peut" de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténuée par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. . . .                 

         Subséquemment, dans l'arrêt M.C.I. c. Kadenko et al. (15 octobre 1996), A-388-95,1 concernant précisément l'État d'Israël, Monsieur le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a exprimé ce qui suit, à la page 2:

             Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui2.                 
                         
         2      voir Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725.                 

         En l'espèce, les requérants ont décrit plusieurs événements où la protection de la police ne se serait pas concrétisée. Le tribunal a conclu que les allégations des requérants à cet égard étaient exagérées, parce que incompatibles avec la preuve documentaire voulant que l'État d'Israël soit un État démocratique capable de protéger ses citoyens.

         Vu la preuve au dossier, je suis d'avis que la Section du statut pouvait raisonnablement conclure que les requérants n'avaient pas renversé la présomption que l'État d'Israël était capable de les protéger. Je considère en outre que les requérants ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer que les inférences tirées par ce tribunal spécialisé ne pouvaient pas raisonnablement l'être. On sait qu'en matière de crédibilité et d'appréciation des faits, il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à semblable tribunal lorsque, comme dans le présent cas, les requérants font défaut d'établir que ce dernier a rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition.

         En conséquence, les requérants ne m'ayant pas convaincu que la Section du statut a, par ailleurs, commis quelque erreur pouvant justifier l'intervention de cette Cour, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

         À l'instar des procureurs des parties, je considère qu'il n'y a pas ici matière à certification.

OTTAWA (Ontario)

Le 30 juin 1997

                                

                                         JUGE

__________________

1      Demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada, no 25689, rejetée le 8 mai 1997.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: IMM-2786-96

INTITULÉ : LIDIA BOYANSQI, BORIS BOYANSKY, DMITRY OPALENIK, ANGELIKA BOYANSKY

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE: 12 JUIN 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 30 JUIN 1997

COMPARUTIONS

JACQUES BEAUCHEMIN POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

MICHÈLE JOUBERT POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ALARIE, LEGAULT, BEAUCHEMIN, POUR LA PARTIE REQUÉRANTE PAQUIN, JOBIN & BRISSON

MONTRÉAL

M. GEORGE THOMSON POUR LA PARTIE INTIMÉE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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