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Date : 20040129

Dossier : IMM-724-03

Référence : 2004 CF 138

OTTAWA (Ontario), le 29 janvier 2004.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                              PARAMESWARY NEETHINESAN et

NEEROJA NEETHINESAN,

PUVISAN NEETHINESAN et

NIRUJAN NEETHINESAN,

représentés par leur tutrice à l'instance,

PARAMESWARY NEETHINESAN

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 7 janvier 2003, par laquelle la Commission décidait que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


LES FAITS

[2]                La demanderesse principale, Parameswary Neethinesan (la demanderesse), est une Sri-lankaise âgée de 27 ans. Les demandeurs mineurs sont ses trois enfants, âgés de huit, six et quatre ans au moment de l'audience. Les trois enfants sont tous nés en Suisse, mais affirment être des ressortissants du Sri Lanka; les enfants se fondent sur la revendication de leur mère et n'ont pas présenté d'exposés circonstanciés qui leur soient propres. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 23 octobre 2000 et ont tout de suite revendiqué le statut de réfugié. Ils affirment craindre la persécution au Sri Lanka, aux mains des forces de sécurité sri-lankaises et des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les LTTE), parce qu'ils sont Tamouls originaires du nord du Sri Lanka.

[3]                Le 22 décembre 2000, la demanderesse présentait un FRP renfermant les affirmations fausses suivantes : elle s'était mariée en 1993 et vivait avec son mari à Jaffna; en 1994, elle avait soudoyé les LTTE pour qu'ils exemptent son mari d'un recrutement forcé; en 1996, l'armée sri-lankaise avait arrêté son mari et l'avait battu, parce qu'elle le soupçonnait d'être un sympathisant des LTTE, mais elle l'avait remis en liberté après que la demanderesse eut payé un pot-de-vin de 30 000 roupies; en décembre 1999, son mari avait été emmené au camp des LTTE à Kokuvil, puis forcé de subir un entraînement aux armes durant deux semaines; elle et sa famille avaient fui le Sri Lanka pour le Canada, via Singapour, mais son mari n'avait pas été emmené par l'agent et était resté à Singapour. Elle a produit de faux documents au soutien de ces revendications.


[4]                Les autorités canadiennes ont découvert que les documents de la demanderesse étaient des faux. Le 17 mai 2002, la demanderesse a donc produit un FRP modifié dans lequel elle reconnaissait qu'elle avait déformé les renseignements apparaissant dans son FRP. Dans le FRP modifié, elle affirmait ce qui suit : les LTTE avaient tenté de la recruter de force lorsqu'elle avait 14 ans; elle avait été emmenée dans le camp des LTTE où elle fut contrainte de regarder l'entraînement aux armes et de faire divers travaux; elle avait quitté le Sri Lanka pour la Suisse lorsqu'elle avait 15 ans, avec l'aide d'un agent retenu par ses frères qui habitaient la Suisse; trois ans plus tard, son frère avait pris des dispositions pour qu'elle épouse un certain M. Tharmalingham Neethinesan en Suisse, lequel se mit à la maltraiter, elle et leurs enfants; lui était alcoolique et devenait de plus en plus grossier et violent. La demanderesse affirme qu'elle s'est enfuie de la Suisse parce que son mari était devenu dangereux et que ses comportements étaient sadiques et terribles à décrire.

[5]                La Commission a motivé son refus de la façon suivante, à partir de la page 12 :

Je tiens compte du principe établi par la Cour d'appel fédérale (C.A.F.) dans l'arrêt Dan-Ash, selon lequel de telles présomptions de véracité peuvent être réfutées par l'existence de contradictions dans la preuve qui a été présentée par le demandeur d'asile et selon lequel il y a un fondement valide justifiant une conclusion de manque de crédibilité... je considère aussi que les incohérences et les omissions importantes dans le témoignage de la demandeure d'asile sont pertinentes pour déterminer la crédibilité de celle-ci.

S'agissant des fausses preuves produites, la Commission s'est exprimée ainsi, à la page 8 de ses motifs :


La seule explication que la requérante d'asile a fournie pour justifier pourquoi elle avait fourni une fausse indication sur les faits et pourquoi elle avait présenté des documents frauduleux à la Section de la protection des réfugiés (SPR) était qu'elle avait suivi les conseils d'un agent, en Suisse, et qu'elle avait aussi tenu compte de l'opinion d'une personne nommée Rajah, à Toronto. [...] J'estime que le fait d'avoir été mal conseillée ou mal informée par un agent ne libère pas la requérante d'asile de son obligation de dire la vérité lors de la présentation de sa demande d'asile. Les requérants d'asile ont été aidés par un avocat d'expérience dans la rédaction de leurs FRP ainsi que dans la poursuite de leurs demandes d'asile pendant plusieurs mois auprès de la SPR [...] La présentation de documents frauduleux et de faux éléments de preuve à l'appui de demandes d'asile visant à obtenir le statut de réfugié est une question très grave. Ces gestes minent l'intégrité de l'ensemble de la preuve des requérants d'asile, présentée à l'appui de leurs demandes d'asile. Compte tenu de la série de dissimulations et de fausses indications sur des faits importants, de même que de leur tentative d'induire la SPR en erreur, et de l'absence d'explications raisonnables pour justifier pourquoi ils avaient agi de la sorte, je tire une inférence défavorable quant à la crédibilité de la requérante d'asile principale en tant que témoin crédible.

S'agissant des accusations de violence familiale, la Commission s'est exprimée ainsi, à la page 11 de ses motifs :

J'estime que, selon la prépondérance des probabilités, pour ce qui est de la violence familiale, le récit de la requérante d'asile n'est pas plausible. De plus, l'allégation de la requérante d'asile, selon laquelle elle avait été victime de violence familiale, n'a été mentionnée pour la première fois que dans la version révisée du FRP de cette dernière. Si cette allégation de violence familiale était vraie, il serait raisonnable de s'attendre à ce que la requérante d'asile en ait parlé avant que la SPR découvre que les certificats de naissance qu'elle avait présentés pour ses trois enfants étaient frauduleux; en conséquence, le fait qu'elle n'avait pas vécu au Sri Lanka entre 1990 et 2000, c'est-à-dire pendant la période au cours de laquelle elle aurait été victime de persécution dans ce pays, aurait dû être révélé. Par conséquent, je tire une inférence défavorable quant à la crédibilité, compte tenu d'une modification aussi importante apportée au FRP de la requérante d'asile. [Non souligné dans l'original.]

ANALYSE

[6]                La demanderesse soulève les points suivants :


(i)          la Commission a-t-elle commis une erreur parce qu'elle aurait ignoré ou mal interprété la preuve lorsqu'elle a évalué la crédibilité de la demanderesse?

(ii)         la Commission a-t-elle ignoré des preuves pertinentes lorsqu'elle a dit que les demandeurs ne correspondent pas au profil des personnes que recherchent les LTTE ou les forces de sécurité? et

(iii)        la Commission a-t-elle commis une erreur parce qu'elle n'a pas évalué les revendications des demandeurs mineurs séparément de la revendication de la demanderesse?

[7]                Selon la demanderesse, la Commission ne l'a pas bien évaluée en tant que membre d'un groupe social défini par des caractéristiques innées ou immuables, à savoir le fait d'être une Tamoule originaire du nord du Sri Lanka. La demanderesse prétend que, même si la Commission ne la croyait pas, la Commission était tenue de dire si elle avait une crainte objectivement fondée de persécution. Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en ignorant la preuve documentaire et en n'exposant pas de motifs précis pour rejeter les revendications des demandeurs mineurs.


[8]                Selon le défendeur, la Commission pouvait parfaitement dire que la demanderesse n'était pas crédible. Selon lui, la Commission a jugé, à juste titre, que la demanderesse n'avait aucune raison objective de craindre la persécution. Il dit que la demanderesse ne peut plus aujourd'hui prétendre que les revendications de ses enfants devaient être étudiées séparément, puisqu'elle n'a pas produit de preuves additionnelles ou autonomes justifiant pour eux un examen différent du sien.

Crédibilité et identité

[9]                Il m'est impossible d'accepter les arguments de la demanderesse. L'issue de l'audience en question sur la revendication de la demanderesse reposait largement sur la crédibilité de la demanderesse. S'agissant de la conclusion de la Commission à propos de la crédibilité de la demanderesse, il est bien établi que la Cour ne peut intervenir à moins qu'une telle conclusion ne soit manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) et l'arrêt De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.).

[10]            La tentative délibérée de la demanderesse de tromper la Commission en lui présentant des informations fausses et des documents frauduleux a nui à sa crédibilité dans la mesure où l'unique fait que la Commission était disposée à accepter est qu'elle est de nationalité sri-lankaise. La Commission a reconnu qu'elle était Sri-lankaise, mais elle ne disposait d'aucune preuve digne de foi attestant son identité de Tamoule originaire du Nord.


Le profil de la revendicatrice, en tant que personne recherchée par les LTTE ou les forces de sécurité

[11]            Je ne crois pas que la Commission a ignoré la preuve pertinente lorsqu'elle a dit que la demanderesse ne correspondait pas au profil des personnes recherchées par les LTTE ou par les forces de sécurité. La Commission écrivait, à la page 15 de ses motifs :

Selon la preuve documentaire disponible, en tant que femme mariée âgée de 27 ans et en tant que mère de trois jeunes enfants, la requérante d'asile ne correspond pas au profil d'une personne ciblée par les LTTE, en conséquence, elle ne courrait pas un risque grave d'être persécutée par les LTTE ou par les forces de sécurité sri-lankaises. [...] Plus particulièrement, compte tenu des progrès substantiels actuellement réalisés dans le processus de paix au Sri Lanka et compte tenu du profil de la requérante d'asile, je ne crois pas que cette dernière ou ses enfants présentent quelque intérêt pour les LTTE ou les forces de sécurité sri-lankaises.

[12]            La Commission montre qu'elle a bel et bien consulté la preuve documentaire. Il n'appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, d'évaluer de nouveau la preuve. Par ailleurs, l'examen qu'a fait la Commission du profil de la demanderesse prouve qu'elle a évalué objectivement la persécution qu'elle prétendait craindre, puisque cet examen offre une comparaison avec des personnes se trouvant dans la même situation. La revendicatrice a quitté le Sri Lanka il y a 12 ans lorsqu'elle n'avait que 15 ans, et il n'est pas raisonnable d'imaginer que les LTTE s'intéresseraient à elle.


Les revendications des demandeurs mineurs

[13]            S'agissant des revendications des demandeurs mineurs, la demanderesse n'a pas produit une preuve additionnelle ou autonome qui ferait que leurs revendications devraient être examinées séparément de la sienne; les revendications des demandeurs mineurs s'en rapportaient plutôt intégralement à la revendication de la demanderesse principale. À la page 17, la Commission explique brièvement, mais clairement, pourquoi les revendications des demandeurs mineurs n'étaient pas recevables :

Comme la demande d'asile de la revendicatrice principale a été rejetée et comme il n'y a aucun élément de preuve pertinent permettant d'établir une distinction quant à leurs demandes d'asile, les trois demandeurs d'asile mineurs doivent aussi voir leurs demandes d'asile rejetées.

[14]            La Commission s'est bien demandé si les enfants pouvaient intéresser les LTTE ou les forces de sécurité du Sri Lanka. Elle écrivait, à la page 16 de ses motifs :

[...] je ne crois pas que cette dernière ou ses enfants présentent quelque intérêt pour les LTTE ou les forces de sécurité sri-lankaises.

Le témoignage de vive voix de la revendicatrice avant l'audience, à la page 27 de la transcription, était le suivant :

L'avocat : Je voudrais vous interroger sur vos enfants. Vos enfants sont-ils en sécurité au Sri Lanka?

Revendicatrice n ° 1 : Non.

L'avocat : Et pourquoi ne le sont-ils pas?

Revendicatrice n ° 1 : J'ai un fils, le plus âgé, qui a huit ans, et il est normal chez les Tigres de recruter des enfants lorsqu'ils ont 19 ans.


Ce témoignage de la revendicatrice s'accorde avec certains éléments de la preuve documentaire selon laquelle les enfants âgés de 19 ans sont enrôlés. À l'époque de cette audience, les enfants étaient âgés de huit ans et moins, de telle sorte que, lorsque la Commission a dit que les enfants ne correspondaient pas au profil d'enfants à risque, ce n'était pas là une conclusion manifestement déraisonnable. La Commission a une spécialisation et elle sait que des jeunes enfants âgés de huit, six et quatre ans ne sont pas susceptibles d'être enrôlés par les LTTE.

DISPOSITIF

[15]            La Commission a tiré des conclusions de fait et des conclusions qui touchent la crédibilité de la demanderesse. La Cour ne peut s'interposer que si de telles conclusions sont manifestement déraisonnables. En l'espèce, la revendicatrice a été démasquée dans ses mensonges, elle a quitté le Sri Lanka il y a 12 ans et elle n'a pas convaincu la Commission que sa revendication du statut de réfugié et celles de ses enfants étaient fondées ou crédibles. S'agissant des enfants mineurs, la Commission a brièvement considéré leur situation par rapport à la preuve objective, et elle a estimé qu'ils ne sont pas exposés à des risques, et cela en raison de leur jeune âge.

[16]            La Cour et les parties reconnaissent que la présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale susceptible d'être certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

              « Michael A. Kelen »                                                                                                       _______________________________

              Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             IMM-724-03

INTITULÉ :                                            PARAMESWARY NEETHINESAN ET AUTRES

                                                                                                                                 DEMANDEURS

- ET -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                     DÉFENDEUR

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 22 JANVIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                           LE 29 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Kristina Kostandinov                                                                POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Waldman et Associés

Toronto (Ontario)

M4P 1L3                                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR


                                                          Date : 20040129

                                                 Dossier : IMM-724-03

ENTRE :

PARAMESWARY NEETHINESAN et

NEEROJA NEETHINESAN,

PUVISAN NEETHINESAN et

NIRUJAN NEETHINESAN,

représentés par leur tutrice à l'instance,

PARAMESWARY NEETHINESAN

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                


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