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Date : 20040329

Dossier : IMM-3373-03

Référence : 2004 CF 480

Toronto (Ontario), le 29 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL                                   

ENTRE :

                                                     SYED-MOBUSHAR SHABBIR

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui demande l'asile en tant que chef religieux dans la communauté musulmane chiite, parce qu'il subit la persécution et est menacé de mort aux mains du Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), une organisation religieuse sunnite extrémiste. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) datée du 2 avril 2003. Dans cette décision, la CISR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au motif que, malgré qu'il ait été victime de persécution dans le passé, il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable s'il rentrait au Pakistan.


[2]                La CISR a admis l'aspect factuel des éléments de preuve offerts par le demandeur relativement à la persécution subie dans le passé. D'abord, la CISR a conclu que le récit suivant relatait fidèlement la situation du demandeur au Pakistan :

[...] Il a déclaré avoir vécu dans une petite ville de 2000 âmes, Gillanwala, province de Gujrat. Il se dit passionné par sa religion; en tant qu'aîné de la famille, il s'est chargé des responsabilités de la famille à la mosquée Imam Bargah. Dans le village où le demandeur et sa famille ont vécu, il n'y avait pas beaucoup de familles chiites, six, selon le demandeur, de sorte que le demandeur réunissait d'autres familles venant des environs et les invitait à fréquenter l'Imam Bargah. Durant le mois de Muharram, il y avait entre 60 et 70 chiites fréquentant l'Imam Bargah. À cause des activités du demandeur à la mosquée, les sunnites fanatiques de la région l'ont vite reconnu comme un organisateur chiite. Gul Nawz et Chaudry en particulier ont usé d'intimidation à lgard des chiites durant les majlis de la mosquée Imam Bargah, à Gillanwala. On croit même qu'ils sont responsables de la mort de l'un des oncles du demandeur. (Décision de la CISR à la page 1).

[3]                Deuxièmement, la CISR a admis les détails suivants relativement à la persécution subie dans le passé :

Le demandeur a perdu deux de ses oncles à la suite des violences sectaires à Gillanwala. L'un d'eux a été tué en mai 1999, l'autre en septembre 1999. On a identifié et dénoncé l'assassin, Chaudry, mais ce dernier a disparu : la police ne l'a pas arrêté alors et ne l'a pas encore fait. Chaque année durant Muharram, l'Imam Bargah a été assaillie par les sunnites : les chiites ont été injuriés [sic] alors qu'ils étaient à la mosquée pour le majli. Au début de septembre 2001, le demandeur a reçu le premier de deux appels qui l'avertissaient qu'il serait tué à cause de ses activités religieuses. Le 1er octobre 2001, des inconnus qu'on a cru être des membres du SSP, ont attaqué la demeure familiale du demandeur. Le père du demandeur a été blessé durant l'attaque, tandis que le demandeur a réussi à s'enfuir par une porte arrière, pourchassépar un tireur. Le père du demandeur a conseillé à son fils de quitter le pays. Le demandeur est allé de maison en maison, a vendu son commerce et a attendu qu'un agent lui organise son départ pour le Canada où il a fait une demande d'asile dès son arrivée le 18 novembre 2001. Le demandeur est arrivéau Canada en passant par les États-Unis où il a été logé dans une église pendant près de deux semaines en attendant les arrangements pour lui permettre de se rendre au Canada.(Décision de la CISR à la page 2).

[4]                La conclusion principale de la CISR concernant l'existence d'une possibilité de refuge intérieur viable est la suivante :

Selon la description qu'en a faite le demandeur, les événements qui le concernent semblent stre déroulés dans une très petite ville. Je reconnais que le demandeur puisse être une personne connue dans sa collectivité pour son travail à l'Imam Bargah, mais je ne conclus pas pour autant, à partir de son témoignage, que sa réputation le suivrait s'il devait quitter la région où il travaille. En fait, je conclus plutôt le contraire. Le demandeur a déclaré qu'il est photographe. Il avait un commerce àGillanwala, il l'a vendu avant de partir. (Décision de la CISR à la page 4).

La CISR a également tiré les conclusions suivantes :

Le demandeur a déclaré qu'il peut être identifié peu importe où il va parce que son nom est propre aux chiites; il existe pourtant des milliers de chiites qui vivent et travaillent au Pakistan et qui ne sont pas persécutés. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve démontrent que le gouvernement, bien qu'il éprouve des difficultés à cause de ses attitudes passées bien arrêtées concernant les minorités religieuses, fait tout en son pouvoir pour éradiquer le terrorisme et s'est engagé à protéger les droits des minorités au Pakistan. Il n'est pas nécessaire que la protection de ltat soit parfaite. Je suis convaincue que si le demandeur allait stablir à Lahore ou Islamabad, où vit une plus forte collectivité chiite capable de revendiquer le respect de ses droits, la protection qu'il recevrait alors au Pakistan serait efficace. (Décision de la CISR à la page 7).

Sur le fondement de cette preuve, l'avocat du défendeur plaide que la CISR avait là amplement d'éléments de preuve et de motifs pour rejeter la demande d'asile du demandeur.

[5]                Toutefois, l'avocat du demandeur n'est pas d'accord et dit qu'il existe d'autres éléments qui font une grande différence.

[6]                Le demandeur a affirmé devant la CISR qu'un certain rapport récent préparé par Amnistie Internationale fournit des preuves importantes que des personnes possédant un profil comme le sien sont la cible de persécution. Par conséquent, il est allégué que ce rapport, qui a été déposé en preuve devant la CISR, constitue une preuve selon laquelle, dans l'éventualité où le demandeur rentrait au Pakistan, il existerait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté.

[7]                Dans son témoignage, le demandeur a exprimé sa crainte subjective selon laquelle il figure sur une « liste des hommes de main » ; le demandeur prétend que le rapport d'Amnistie Internationale fournit des preuves objectives au soutien de cette crainte subjective. Plutôt que de conclure que le demandeur craint d'être une personne ciblée, la CISR a interprété la déclaration du demandeur de façon littérale et a mis beaucoup d'efforts dans sa décision pour minimiser sa crainte de la façon suivante :


[...] On lui a demandé pourquoi il ne pouvait pas déménager àIslamabad ou à Lahore et y établir son commerce, là où il reconnaît qu'il y a plus de chiites. Le demandeur a répondu que lorsqu'une personne fait partie de la liste des hommes de main, il n'y a pas moyen de s'en sortir. Le demandeur prétend que son nom est sur une telle liste. Il a déclaré qu'il ne lui aurait servi à rien de déménager puisqu'il aurait été découvert, peu importe où il se serait réfugié au Pakistan. J'estime que ces deux déclarations sont pures hypothèses de la part du demandeur. Ce qu'il dit de la liste des hommes de main relève uniquement de la simple croyance et essentiellement de la preuve empirique. Le demandeur a déclaré que d'autres personnes, dont les noms apparaissaient sur une telle liste, sont mortes, mais on n'a jamais vu une telle liste et aucun observateur objectif n'en a fait état. Aucun renseignement non plus ne vient corroborer l'argument selon lequel on continuerait de poursuivre une personne qui choisirait d'aller vivre ailleurs. Amnistie Internationale (AI) parle de la possibilité d'existence de telles listes. Les rapports d'AI sont en général basés sur ce que ses informateurs lui disent. Je conclus que cette organisation est un organisme de pression qui dépend des rapports qu'elle produit pour obtenir le soutien et le financement dont elle a besoin. J'estime qu'en général, les positions adoptées par l'organisation sont souvent biaisées parce qu'elle a un préjugé favorable envers les rapports verbaux des prétendues victimes. Ses prises de position sont définies par des militants engagés socialement, dont le point de vue est particulier et dont les documents frôlent, selon moi, le sensationnalisme. Les rapports de AI qui prétendent que la protection de ltat fait défaut contredisent d'autres documents que j'estime pour ma part plus fiables. J'accorde moins de poids aux groupes de promotion et de défense d'une cause, et je préfère me fier aux documents émanant du Home Office britannique et du Département dtat des États-Unis. (Décision de la CISR à la page 5).

[8]                L'avocat du demandeur considère abusive et arbitraire la conclusion de la CISR selon laquelle Amnistie Internationale est un organisme biaisé qui frôle le sensationnalisme. Au soutien de cet argument, le dossier contient un affidavit d'un représentant d'Amnistie Internationale qui réfute l'opinion de la CISR (affidavit de Gloria Nafzinger, en date du 22 décembre 2003). Puisque l'affidavit n'a pas été contesté au moyen d'un contre-interrogatoire, je conclus que son contenu n'est pas contesté et, conformément à l'argument du demandeur, je conclus que les conclusions de la CISR concernant Amnistie Internationale sont erronées. Par conséquent, je conclus que le rejet par la CISR du rapport d'Amnistie Internationale constitue une erreur manifeste.

[9]                Cette conclusion est importante parce que l'avocat du demandeur avance que, si le rapport d'Amnistie Internationale n'avait pas été rejeté, la CISR aurait été en mesure d'évaluer les éléments de preuve relatifs au risque de persécution qu'il contenait, et aurait très bien pu tirer la conclusion qu'il existait une PRI. Toutefois, si cela s'était produit, le bien-fondé du rapport aurait au moins été adéquatement évalué plutôt que rejeté sans fondement.

[10]            À mon avis, puisque le rapport d'Amnistie Internationale est au coeur de la cause du demandeur, son rejet rend la décision de la CISR manifestement déraisonnable.


                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la CISR, et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                      « Douglas R. Campbell »          

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       IMM-3373-03

INTITULÉ :                      SYED-MOBUSHAR SHABBIR

c.                                                               

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 MARS 2004

MOTIF DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :    LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :     LE 29 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Avi Sirlin                             POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avi Sirlin                             POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                             


             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20040329

Dossier : IMM-3373-03

ENTRE :

SYED-MOBUSHAR SHABBIR

                                                           

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


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