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Date : 19980611


Dossier : IMM-2742-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JUIN 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE

             CHOU Shih-Chin, directeur général,

             résidant et domicilié au no 6, Alley 3,

             Lane 60, Section 3, Minchuan E. Road,

             Taipei, Taïwan,

demandeur,


et

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

             L'IMMIGRATION, a/s sous-procureur général

             du Canada, ministère de la Justice,

             complexe Guy Favreau,

             200, ouest boulevard René-Lévesque, tour est,

             5 e étage, Montréal (Québec),

défendeur.

     O R D O N N A N C E

     Conformément aux motifs d'ordonnance ci-joints, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour qu'il convoque le demandeur à une nouvelle entrevue afin de déterminer si celui-ci remplit les conditions énoncées dans la Loi sur l'immigration pour devenir résident permanent du Canada à titre d'" entrepreneur ".

                             " Max M. Teitelbaum "

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980611


Dossier : IMM-2742-97

ENTRE

             CHOU Shih-Chin, directeur général,

             résidant et domicilié au no 6, Alley 3,

             Lane 60, Section 3, Minchuan E. Road,

             Taipei, Taïwan,

demandeur,


et

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

             L'IMMIGRATION, a/s sous-procureur général

             du Canada, ministère de la Justice,

             complexe Guy Favreau,

             200, ouest boulevard René-Lévesque, tour est,

             5 e étage, Montréal (Québec),

défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle Sharon Cochrane a rejeté, le 27 mai 1997, la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée à titre d'" entrepreneur ".

LES FAITS

[2]      Le demandeur, qui est un citoyen coréen, est ingénieur civil; il a travaillé dans l'industrie de la construction à titre de superviseur de chantier de 1976 à 1978 et à titre de directeur responsable de l'administration de projet jusqu'en 1987.

[3]      À l'entrevue, le demandeur a déclaré qu'en mars 1987, il avait créé avec un groupe d'associés la Jia Pao Construction Company, dans laquelle il détenait 30 p. 100 des actions et agissait comme directeur général responsable de la promotion des ventes et de l'administration interne. Les actionnaires ne pouvaient pas s'entendre sur la direction des activités et la compagnie a été dissoute de gré à gré en 1990. Toutefois, la carte d'assurance-emploi du demandeur indique qu'entre le 20 avril 1988 et le 30 décembre 1989, celui-ci travaillait pour Yo Ming Construction Company. Selon la carte d'assurance-emploi, le demandeur avait uniquement travaillé pour Jia Pao Construction Company du 9 janvier au 3 mai 1990.

[4]      En 1990, le demandeur et d'autres associés ont constitué Jia Tai Construction Company à Taipei. Le demandeur et sa femme possédaient 20 p. 100 des actions de la compagnie et le demandeur agissait à titre de directeur général. La compagnie a généré des bénéfices de 700 000 $ CAN et de 450 000 $ CAN en 1992 et 1993 respectivement, mais en 1994, elle n'a pas généré de bénéfices. La carte d'assurance-emploi du demandeur le confirme largement car elle montre que le demandeur travaillait pour Jia Tai Construction Company depuis le 6 juin 1990.

[5]      En décembre 1995, M. Chou a présenté une demande en vue de résider en permanence au Canada à titre d'" entrepreneur ". Il a l'intention d'établir à Richmond (Colombie-Britannique) une entreprise dans le cadre de laquelle il exportera en Asie des matériaux de construction fabriqués au Canada.

[6]      Le 10 juillet 1996, le demandeur s'est présenté à l'entrevue de sélection tenue par Mme Cochrane. À la suite de l'entrevue, il a envoyé ses relevés de cotisations d'assurance-emploi, qui indiquaient les montants versés par Jia Tai Construction, ainsi que sa propre carte d'assurance-emploi.

[7]      Le 27 mai 1997, environ dix mois après l'entrevue, le demandeur a été informé que sa demande avait été rejetée pour le motif qu'il n'était pas en mesure de " participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise au Canada ".

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[8]      Le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), impose à l'immigrant la charge de démontrer que le fait d'être admis au Canada ne contrevient pas à la Loi ou au Règlement de 1978 sur l'immigration, DORS/78-172 (le Règlement) :

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

[9]      En vertu de l'alinéa 19(2)d) de la Loi, l'immigrant n'est pas admis au Canada s'il ne peut pas se conformer aux conditions prévues par la Loi :

19. (2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

(d) persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations.

19. (2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui:

d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

[10]      L'article 2 du Règlement définit le mot " entrepreneur " comme suit :

"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;

"entrepreneur" désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

[11]      L'article 8 du Règlement prévoit que l'agent des visas doit apprécier l'entrepreneur suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 :

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

(c) in the case of an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factors set out in items 4 and 5 thereof.

(2) A visa officer shall award to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in Column I of Schedule I the appropriate number of units of assessment for each factor in accordance with the criteria set out in Column II thereof opposite that factor, but he shall not award for any factor more units of assessment than the maximum number set out in Column III thereof opposite that factor.

(3) [Repealed, SOR/85-1038, s. 3]

(4) Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.

8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

c) dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 de cette annexe;

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.

(3) [Abrogé, DORS/85-1038, art. 3]

(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

ARGUMENTS

1. Arguments du demandeur

[12]      Le demandeur soutient que l'agent des visas ne l'a pas apprécié à titre d'entrepreneur conformément à la Loi et au Règlement. Il affirme en outre que cette obligation est analogue à l'obligation qui incombe à l'agent des visas d'apprécier l'expérience du demandeur indépendant à l'égard de la profession envisagée.

[13]      Le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur en interprétant la loi puisqu'elle l'a apprécié d'une façon inadéquate et puisqu'elle n'a pas tenu compte de la preuve relative à son expérience professionnelle tout en se fondant indûment sur des considérations non pertinentes. Le demandeur ajoute que l'agent des visas ne s'est pas acquittée de l'obligation qu'elle avait de l'apprécier pleinement par rapport à sa catégorie. Il soutient qu'il ressort d'une façon évidente de l'affidavit de l'agent des visas, de ses notes CAIPS et de ses notes manuscrites, qu'elle a effectué une appréciation minimale et qu'elle n'a pas tenté de vérifier les points qui la préoccupaient.

[14]      En outre, le demandeur soutient que la conclusion de l'agent des visas selon laquelle [TRADUCTION] " Jia Tai n'était pas rentable " est contraire aux renseignements figurant dans la lettre du 20 décembre 1995 qui était jointe à la demande de résidence permanente.

[15]      Le demandeur ajoute que l'affidavit de l'agent des visas est vague en ce qui concerne le fondement de son appréciation défavorable et qu'aucune précision n'y est donnée au sujet des faits sous-jacents. Il souligne que l'agent des visas allègue qu'il ne connaissait pas les pratiques et responsabilités en matière de gestion, mais qu'elle ne donne pas de fondement factuel ou d'exemples à l'appui de sa conclusion.

[16]      Le demandeur soutient en outre que l'agent des visas a omis de tenir compte d'éléments de preuve figurant dans son dossier au sujet de son expérience. Il affirme également que l'agent des visas s'est indûment fondée sur sa situation d'actionnaire minoritaire des compagnies de construction Jia Pao et Jia Tai. Il affirme que sa situation d'actionnaire minoritaire n'a rien à voir avec la question de savoir s'il est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise ou d'un commerce.

[17]      Le deuxième argument important invoqué par le demandeur est que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité en omettant de l'informer de ses préoccupations et de lui donner la possibilité d'y répondre avant de prendre sa décision. Le demandeur déclare que l'agent des visas s'est fortement fondée sur la contradiction existant entre sa carte d'assurance-emploi et les documents fournis à l'appui de la demande en ce qui concerne la durée de son emploi auprès de Jia Pao Construction. Il soutient que l'agent des visas a automatiquement présumé qu'il était de mauvaise foi et qu'elle a tiré une conclusion défavorable. Il déclare que le fait que l'agent se préoccupait de cette contradiction aurait dû être porté à son attention (voir Dhesi v. Canada, [1997] A.C.F. no 59 (QL) (C.F. 1re inst.)).

2. Les arguments du défendeur

[18]      À titre préliminaire, le défendeur déclare qu'il ne faudrait pas tenir compte des pièces F et G de l'affidavit que le demandeur a présenté à l'appui de la demande de contrôle judiciaire parce que l'agent des visas ne les avait pas à sa disposition. La pièce F renferme un document intitulé : [TRADUCTION] " Certificat " daté du 14 juin 1997 de la First Commercial Bank, succursale Sung-Chiang, attestant que la cote de crédit de Jia Tai Construction Company était bonne et que sur le plan des épargnes la situation de la compagnie était excellente. La pièce G renferme un bilan daté du 31 décembre 1995 de Jia Tai Construction Company ainsi qu'un document intitulé : [TRADUCTION] " Propriété commerciale - Sommaire du rendement ". Le défendeur cite le jugement Lemeicha v. Canada (M.E.I.) (1993), 72 F.T.R. 49, et soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte de ce renseignement dans le cadre d'un contrôle. Toutefois, le défendeur soutient que si elle décide d'en tenir compte, le fait que cet élément de preuve n'a pas été inclus dans les documents présentés à l'agent des visas n'a pas causé de préjudice au demandeur.

[19]      En ce qui concerne la norme de contrôle, le défendeur cite les décisions Hajariwala c. Canada (MEI), [1989] 2 F.C. 79 (C.F. 1re inst.) et To c. Canada (MEI), [1996] A.C.F. no 696 (QL) (C.A.F.), à l'appui de la thèse selon laquelle la Cour ne devrait pas intervenir simplement parce qu'elle aurait peut-être tiré une conclusion différente. Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas intervenir si l'agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire en toute bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle, et s'il ne s'est pas fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères.

[20]      En ce qui concerne le premier argument du demandeur, le défendeur déclare que l'agent des visas a suivi correctement les critères énoncés dans le Règlement. Il soutient que la demande a été rejetée parce que le demandeur ne remplissait pas les conditions énoncées à l'alinéa b) de la définition du mot " entrepreneur " figurant à l'article 2 du Règlement . Il fait remarquer que, dans sa décision, l'agent des visas a conclu que le demandeur " n'était pas en mesure " de participer activement et régulièrement à la gestion de l'entreprise ou du commerce même s'il avait l'intention de le faire. Il affirme que le demandeur ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait de prouver à la satisfaction de l'agent des visas qu'il était en mesure de le faire.

[21]      Le défendeur soutient qu'en tirant cette conclusion, l'agent des visas a tenu compte des facteurs suivants : 1) le demandeur avait de l'expérience comme superviseur de chantier et non comme gestionnaire exerçant des fonctions de contrôle et de gestion importantes; 2) le demandeur a reconnu que les décisions relatives à Jia Tai Construction étaient prises par le président de la compagnie; 3) Jia Tai Construction n'était pas rentable; et 4) le demandeur n'a pas pu corroborer la valeur des actions de Jia Tai Construction. Le défendeur soutient que l'agent des visas a légitimement pris ces facteurs en considération pour déterminer si le demandeur participait régulièrement et activement à la gestion.

[22]      Le défendeur conteste l'allégation selon laquelle l'agent des visas n'a pas tenu compte de la preuve relative à l'expérience professionnelle du demandeur. Il affirme que l'agent des visas a tenu compte de l'expérience professionnelle du demandeur, mais qu'elle a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une véritable expérience en matière de gestion.

[23]      Le défendeur conteste également l'argument selon lequel la conclusion que l'agent des visas a tirée, à savoir que Jia Tai Construction n'était pas rentable, démontre que l'agent n'a pas tenu compte de la lettre du 20 décembre 1995 qui était jointe à la demande de résidence permanente. Il affirme que l'agent des visas a de toute évidence tenu compte de cette lettre étant donné qu'il y était déclaré qu'en 1994, Jia Tai Construction n'avait pas réalisé de revenu. Il cite le jugement Hui c. Canada (MCI), [1997] A.C.F. no 60 (QL) (C.F. 1re inst.) et soutient que la rentabilité de l'entreprise du demandeur est un facteur dont l'agent des visas peut tenir compte pour déterminer si le demandeur est en mesure de gérer efficacement une entreprise.

[24]      Le défendeur affirme donc que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en appréciant le demandeur à titre d'" entrepreneur ".

[25]      Quant au second argument du demandeur, à savoir que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité en omettant de l'informer de ses préoccupations, le défendeur soutient que l'obligation d'équité n'exige pas que l'agent des visas fasse part au demandeur de ses impressions défavorables. Le défendeur affirme que l'agent des visas doit plutôt donner au demandeur la possibilité de fournir tous les renseignements pertinents susceptibles d'étayer sa demande. Étant donné que le demandeur a la charge de la preuve, il sait qu'il doit démontrer à la satisfaction de l'agent des visas qu'il satisfait aux critères pertinents énoncés dans le Règlement.

[26]      Le défendeur cite plusieurs décisions et soutient qu'il est conclu que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité s'il ne fait pas part au demandeur d'un élément de preuve extrinsèque ou s'il ne donne pas au demandeur la possibilité de présenter tous les faits pertinents. Le défendeur déclare que l'obligation d'équité exige que l'agent des visas étudie la demande sous tous ses aspects et donne au demandeur la possibilité d'éclaircir ou de préciser les renseignements fournis dans la demande. Le défendeur soutient qu'étant donné que le demandeur a la charge de la preuve, l'obligation d'équité n'exige pas que l'agent des visas informe toujours le demandeur de ses préoccupations.

[27]      En l'espèce, le défendeur soutient que l'agent des visas a donné au demandeur la possibilité de fournir tous les documents pertinents et qu'il l'a interrogé au sujet de son expérience professionnelle. Le demandeur était au courant des critères auxquels il devait satisfaire compte tenu de la définition du mot " entrepreneur " figurant dans le Règlement . En outre, le défendeur soutient que même si l'agent des visas devait faire part au demandeur de ses préoccupations au sujet de la contradiction existant entre sa carte d'assurance-emploi et les déclarations qu'il faisait à l'entrevue, cela n'a pas été un facteur important lorsqu'il s'est agi pour l'agent des visas de décider que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères applicables à l'entrepreneur. Le défendeur affirme que l'agent des visas se préoccupait davantage des quatre facteurs susmentionnés. Il étaye cette allégation en faisant remarquer que l'agent des visas a dit que [TRADUCTION] " la capacité d'exercer des fonctions de gestion est loin d'être certaine " dans les notes CAIPS qu'elle a rédigées avant de recevoir la carte d'assurance-emploi. Le défendeur fait également remarquer que l'agent des visas n'a pas mentionné cette contradiction dans la lettre de rejet qu'elle a envoyée au demandeur.

[28]      Le défendeur soutient donc que la Cour ne devrait donc pas intervenir parce que le demandeur n'a pas démontré que l'omission de l'agent des visas de porter cette contradiction à son attention lui a causé préjudice. Le défendeur cite les arrêts Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 et Yassine v. Canada (M.E.I.) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.), dans lesquels la Cour a dit qu'il n'est pas nécessaire de renvoyer une affaire au tribunal administratif en raison de la violation des principes de justice naturelle si le résultat est inévitable.

[29]      Enfin, le défendeur rejette l'argument du demandeur selon lequel l'agent des visas aurait dû lui donner la possibilité de soumettre des éléments de preuve supplémentaires au sujet des actions du président ou de la santé financière de la compagnie. Le défendeur fait remarquer que, selon l'affidavit de l'agent des visas, le demandeur a déclaré à l'entrevue que [TRADUCTION] " les décisions relatives à la compagnie étaient prises par le président et que la compagnie n'était pas rentable [...] ". Le défendeur soutient que même si l'agent des visas devait informer le demandeur de ses préoccupations, le demandeur n'a pas démontré qu'il avait subi un préjudice. Dans son affidavit, l'agent des visas déclare qu'elle a lu les pièces F et G de l'affidavit du demandeur aux fins du présent contrôle judiciaire et que ces pièces, si elle les avaient eues à sa disposition au moment où elle a pris sa décision, n'auraient pas influé sur la conclusion qu'elle a tirée. Le défendeur soutient donc que le demandeur n'aurait donc pas subi de préjudice s'il avait été au courant des préoccupations de l'agent des visas.

ANALYSE

[30]      Avant d'examiner les principaux motifs invoqués par le demandeur aux fins du contrôle, je suis convaincu que la Cour ne peut pas tenir compte des pièces F et G de son affidavit dans le cadre d'un contrôle parce que l'agent des visas n'avait pas ces documents à sa disposition. C'est ce qu'a conclu la Cour dans plusieurs jugements, à part la décision Lemeicha, supra, que le défendeur a cités à l'appui (voir par exemple Dance v. Canada (M.C.I.) (1995), 101 F.T.R. 9 (C.F. 1re inst.)).

[31]      Le premier motif de contrôle invoqué par le demandeur est que l'agent des visas a conclu à tort que celui-ci n'était pas visé par la définition de l'" entrepreneur " figurant à l'article 2 du Règlement . Le demandeur soutient que l'agent des visas a tiré cette conclusion en omettant de tenir compte de la preuve ou en tirant des conclusions inexactes à l'aide des éléments de preuve dont elle disposait.

[32]      Il ressort clairement de la décision que l'agent des visas a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions énoncées à l'alinéa b) de la définition de l'" entrepreneur " figurant à l'article 2 du Règlement . L'agent des visas a conclu que le demandeur n'était pas en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de l'entreprise ou du commerce. Cette conclusion était fondée sur plusieurs facteurs, dont le défendeur a fait mention dans ses arguments. Voici les facteurs que l'agent des visas a jugés pertinents : 1) le demandeur a de l'expérience à titre de superviseur de chantier de construction et non à titre de gestionnaire exerçant des fonctions de contrôle et de gestion importantes au sein de la compagnie; 2) le demandeur a reconnu que les décisions relatives à Jia Tai Construction étaient prises par le président de la compagnie; 3) Jia Tai Construction n'était pas rentable; et 4) le demandeur ne pouvait pas corroborer la valeur des actions de Jia Tai Construction.

[33]      Je suis convaincu que les trois premiers facteurs sont les plus pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si le demandeur était en mesure de participer à la gestion. Je conclus que le quatrième facteur a une importance minimale. Essentiellement, l'agent des visas a conclu que le demandeur supervisait les travaux de construction plutôt que d'avoir son mot à dire dans la gestion d'une compagnie. En outre, le fait que le demandeur a déclaré que la compagnie n'était pas rentable constituerait certainement un autre facteur que l'agent des visas prendrait en considération puisque ce facteur permettait de prédire le succès futur du demandeur au Canada. Toutefois, je suis convaincu que les conclusions tirées par l'agent des visas montrent, comme l'a déclaré l'avocat du demandeur, qu'elle ne comprenait pas ce que le demandeur disait.

[34]      Dans son affidavit du 5 août 1997, voici ce que déclare l'agent des visas :

         [TRADUCTION]                 
         3. En prenant ma décision, j'ai tenu compte des documents commerciaux et financiers soumis par le demandeur ainsi que des renseignements que sa femme et lui ont fourni à l'entrevue, ces renseignements étant consignés au complet dans les notes CAIPS que j'ai prises à la suite de l'entrevue, et j'ai également tenu compte de la carte d'assurance-emploi que le demandeur a fournie par la suite. Je produis sous la cote " B " une copie des notes CAIPS et sous la cote " C " la carte d'assurance-emploi du demandeur.
         5. À l'entrevue, le demandeur a déclaré que, de 1987 à 1990, il détenait 30 p. 100 des actions d'une compagnie appelée Jia Pao Construction. Il a déclaré que cette compagnie avait de nombreux actionnaires et qu'il s'est départi de ses actions parce qu'il n'exerçait aucun contrôle sur l'entreprise. Il a déclaré que le président de Jia Pao Construction était l'actionnaire majoritaire.                 
         6. La carte d'assurance-emploi du demandeur (pièce " C ") qui avait été demandée à l'entrevue et une lettre subséquente datée du 10 juillet 1996 ont été reçues par la Section des visas le 8 août 1996. L'examen de ce document montre que le demandeur a travaillé pour Yo Ming Construction Company jusqu'au 30 décembre 1989 et pour Jia Pao Construction du 9 janvier au 3 mai 1990. Cela contredit les renseignements que le demandeur a fournis à l'entrevue et dans la demande de résidence permanente qu'il a présentée sous serment (pièce " A ").                 
         7. Le demandeur a en outre déclaré que, de 1990 jusqu'à ce jour, il a travaillé pour Jia Tai Construction Company. Il a déclaré qu'il détenait 20 p. 100 des actions de la compagnie et qu'il était l'un des quinze actionnaires.                 
         8. La liste des actionnaires renferme quatorze noms et montre que le demandeur détient 5 p. 100 des actions. Les autres actionnaires minoritaires sont notamment : le frère du demandeur, Chou Shih Yuan, 5 p. 100; sa soeur, Chou Shih Chin, 3 p. 100; son frère, Chou Shih Kung, 3 p. 100; son frère, Chou Shih Lin, 2 p. 100. Cinq autres actionnaires détiennent chacun entre 10 et 17 p. 100 des actions, soit beaucoup plus que le demandeur. Je produis sous la cote " D " cette liste d'actionnaires.                 
         9. En réponse à ma demande, le demandeur a décrit ses tâches. Il a déclaré qu'il était directeur général de Jia Tai et qu'il travaillait dans le bureau et sur les chantiers de construction. Les responsabilités qu'il déclare avoir assumées sont énumérées ci-après :                 
             - il vérifiait s'il y avait des documents dont il devait s'occuper;                         
             - il lisait les rapports sur le prix des terrains;                         
             - il supervisait les chantiers de construction;
             - il communiquait avec les clients et négociait les prix;                         
             - il communiquait avec l'architecte et les fournisseurs;                         
             - il négociait le prix des fournitures;                         
             - il signalait tout problème au président.                         
         12. En réponse à ma question, le demandeur a déclaré que les actions qu'il détenait dans Jia Tai et China San Chen Construction Company valaient 1 273 945 $ CAN.                 
         13. En réponse à la question de savoir s'il pouvait prouver la valeur des actions, le demandeur a répondu par la négative.                 
         14. Le demandeur a ensuite reconnu que Jia Tai n'était pas rentable.                 
         17. À la suite de l'entrevue, j'ai estimé que le demandeur avait exagéré et embelli les fonctions de gestion qu'il exerçait et l'expérience qu'il possédait dans les affaires . Il ne connaissait pas les pratiques et responsabilités qui existent en matière de gestion, comme le montre sa description de tâches. Il a reconnu que les décisions relatives à la compagnie étaient prises par le président et que la compagnie n'était pas rentable. Il a également reconnu qu'il ne pouvait pas corroborer la valeur alléguée des actions.                 
         19. Les antécédents professionnels allégués du demandeur, l'allégation selon laquelle il assumait des responsabilités en matière de gestion et le fait qu'il n'a pas pu corroborer cette allégation à l'entrevue ainsi que sa carte d'assurance-emploi de Taïwan (pièce " C ") montrent qu'il y avait des contradictions, le demandeur ayant tendance à faire des déclarations inexactes et à exagérer.                 
         20. Compte tenu des éléments susmentionnés, j'ai donc conclu que le demandeur ne remplit pas les conditions énoncées dans la définition de l'" entrepreneur " en ce sens qu'il ne semble pas être en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise ou d'un commerce.                 
         24. J'ai tardé à prendre ma décision à cause d'une charge de travail de plus en plus lourde ainsi que des effets de la réorganisation du ministère et de la réduction des effectifs.                 

[35]      Je suis convaincu que l'agent des visas a commis une erreur, comme l'a déclaré l'avocat du demandeur, dans son interprétation de la loi, puisqu'elle a omis de tenir compte de l'expérience professionnelle du demandeur.

[36]      Comme l'a déclaré le demandeur dans son affidavit du 28 juin 1997 :

         [TRADUCTION]                 
         15. La lettre de rejet dit que " [c]ette conclusion (défavorable) a été tirée lorsqu'il a été question des tâches et responsabilités liées au poste que vous occupez actuellement et aux postes que vous avez occupés par le passé, et il a été déterminé d'une façon concluante que vos antécédents et vos connaissances se rapportent à la supervision de travaux de construction, à l'estimation des coûts et aux commandes de matériaux, et non à des fonctions de contrôle et de gestion importantes au sein de la compagnie ".                 
         La demande, les documents à l'appui, la lettre d'envoi de l'avocat et les réponses que j'ai données aux questions qui m'ont été posées à l'entrevue ne permettent pas de tirer pareille conclusion. Plus précisément, à l'entrevue, j'ai expliqué que la compagnie s'occupe de promotion immobilière et que j'avais été actionnaire et directeur général de la compagnie depuis sa constitution, en 1990. J'ai fait remarquer que j'étais responsable d'une façon générale de la promotion des ventes et de l'administration interne et que j'assumais notamment les tâches ci-après énoncées :                 
         - j'embauchais, je formais et je supervisais les huit employés à plein temps de la compagnie;                 
         - j'effectuais des études et des analyses de marché en vue de trouver des emplacements appropriés aux fins de l'aménagement;                 
         - je négociais avec les propriétaires fonciers en vue de l'achat de leurs propriétés;                 
         - je veillais à ce que les permis appropriés soient obtenus des organismes gouvernementaux locaux;                 
         - je coordonnais tous les contrats avec un avocat indépendant;                 
         - j'avais un rôle actif au stade de la planification et de la conception et j'étais chargé de calculer les prix de vente éventuels des propriétés aménagées;                 
         - je contrôlais les sommes versées à l'entrepreneur général;                 
         - je supervisais l'avancement des travaux et la qualité de l'aménagement des propriétés.                 
         16. La lettre de rejet dit ceci : " [V]ous reconnaissez que c'est le président qui est chargé de prendre les décisions finales et qui est responsable des finances, que vous n'assumez aucune responsabilité à l'égard de l'exploitation ou du contrôle de la compagnie et que vous ne participez pas à la gestion quotidienne de la compagnie. "                 
         Cette déclaration est clairement inexacte. À l'entrevue, j'ai expliqué en détail les activités que j'effectuais au cours d'une journée de travail normale et ces activités font partie intégrante de la gestion quotidienne de la compagnie. L'agent des visas ne m'a nullement informé qu'elle doutait des déclarations que je faisais à cet égard et, si elle m'avait fait part de ses préoccupations, j'aurais demandé la possibilité de fournir des documents additionnels qui, à mon avis, auraient pu dissiper ses doutes. Plus précisément, j'aurais soumis une déclaration de la banque de la compagnie et des chèques de la compagnie qui auraient démontré que ma signature devait figurer, en plus de celles du président et du contrôleur de la compagnie, sur tous les instruments financiers de ce genre, comme le montre plus pleinement une copie d'un formulaire de certificat de la First Commercial Bank ainsi que les copies de deux chèques de la compagnie qui sont joints aux présentes sous la cote F.                 
         17. La lettre de rejet dit ceci : " Vous avez également déclaré que la compagnie n'est pas rentable et que vous ne pouvez pas corroborer la valeur alléguée des actions que vous détenez dans cette compagnie. "                 
         Non seulement cette déclaration est-elle inexacte, mais aussi, en fait, à l'entrevue, on ne m'a pas posé de questions au sujet de la rentabilité de la compagnie ou de la valeur des actions que je détenais dans la compagnie. Le document qui a été soumis avant l'entrevue ou qui était disponible à l'entrevue démontrait que la compagnie était rentable. La compagnie a généré des revenus de 2,3 millions de dollars canadiens en 1992 et de 3,9 millions de dollars canadiens en 1993, sur lesquels des bénéfices s'élevant à 700 000 $ CAN et à 450 000 $ CAN respectivement ont été réalisés. Il est vrai qu'en 1994, la compagnie a subi une perte d'environ 500 000 $ CAN, mais la chose était uniquement attribuable au fait qu'en 1994, la compagnie était en train de réaliser un gros projet de construction et que selon les règlements fiscaux de Taïwan, le revenu est uniquement enregistré à la fin des travaux. Ma conjointe et moi-même possédons 20 p. 100 des actions de la compagnie. Le bilan de la compagnie au 31 décembre 1995 indiquait une valeur comptable d'environ 2 millions de dollars canadiens et, par conséquent, au minimum j'évaluerais à 400 000 $ CAN notre participation dans la compagnie, plus une prime en sus de la valeur comptable. Je joins à l'annexe G des copies du sommaire du rendement de la propriété commerciale et le bilan.                 

[37]      Compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne puis comprendre sur quelle base l'agent des visas a conclu que Jia Tai Construction Company n'était pas rentable. Le fait qu'une compagnie, dans une année, en 1994, ne réalise pas de bénéfice ne veut pas pour autant dire qu'elle n'est pas rentable. Cette même compagnie a réalisé un bénéfice de 700 000 $ CAN en 1992 et de 450 000 $ CAN en 1993.

[38]      Au paragraphe 12 de son affidavit, l'agent des visas déclare que le demandeur affirme que les actions qu'il détenait dans Jia Tai Construction Company et dans China San Chen Construction Company valaient 1 273 945 $ CAN, mais il semble qu'elle n'ait pas retenu cette valeur parce que le demandeur ne pouvait pas la " prouver ".

[39]      L'agent des visas ne dit nulle part qu'elle a demandé des états financiers ou quelque autre document de façon à permettre au demandeur de prouver la valeur des actions. À coup sûr, si la valeur des actions la préoccupait en ce sens qu'elle ne pouvait pas retenir la valeur déclarée par le demandeur, elle aurait dû demander des éléments de preuve établissant la valeur déclarée.

[40]      Je comprends qu'il incombe au demandeur de prouver ses déclarations, mais l'agent des visas doit lui dire, après lui avoir demandé d'établir la valeur de ses actions, qu'elle ne le croit pas. De plus, je ne puis constater l'existence d'aucun élément de preuve permettant à l'agent de ne pas croire le demandeur.

[41]      Il m'est également fort difficile de comprendre comment l'agent des visas a conclu que le demandeur n'était pas " en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de l'entreprise ou du commerce " qu'il voulait établir au Canada.

[42]      L'interprétation que je donne à l'affidavit de l'agent des visas montre qu'elle remettait en question la capacité du demandeur en se fondant sur le fait qu'il n'était qu'un actionnaire minoritaire des compagnies dont il s'occupait et qu'il n'exerçait donc aucun contrôle. De plus, toutes les décisions finales devaient être prises par le président de la compagnie.

[43]      Avec égards, le fait pour une personne d'être un actionnaire minoritaire ne montre pas qu'elle n'est pas en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise.

[44]      La preuve dont disposait l'agent des visas montre que le demandeur avait de l'expérience dans le domaine (voir le paragraphe 15 de l'affidavit du demandeur).

[45]      La question de l'obligation d'équité a été soulevée par l'avocat du demandeur. J'ai examiné les conditions relatives à l'obligation d'équité dans une décision récente (Ali c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 468 (QL) (C.F. 1re inst.)), où j'ai dit ceci :

                 Selon l'arrêt Muliadi c. Canada (M.E.I.), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.)), un agent des visas est tenu, en vertu de l'obligation d'équité qui lui incombe, de porter à la connaissance du requérant les préoccupations que la demande lui inspire et d'offrir à ce dernier l'occasion d'y répondre. Cependant, dans l'affaire Yu c. Canada (M.E.I.) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 176 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a estimé, à la page 187 :                 
                      À mon avis, il n'y a pas lieu d'invoquer l'iniquité dans le traitement de la demande simplement parce que l'agent des visas, au moment de l'entrevue de la requérante, n'a pas fait état de toutes ses préoccupations qui découlent directement de la Loi et du Règlement sur l'immigration, qu'il doit suivre scrupuleusement dans l'évaluation d'une demande. Ces documents sont à la disposition des requérants, qui doivent prouver à l'agent des visas qu'ils satisfont aux critères qui y sont définis et que leur admission au Canada y serait conforme.                 
                 Le juge MacKay a repris cette opinion dans l'affaire Parmar c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 1532 (C.F. 1re inst.).         
                 À cet égard, le juge Muldoon a relevé, dans l'affaire Asghar c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 1091 (C.F. 1re inst.), que :         
                      On ne sait pas encore trop dans quelles circonstances l'équité procédurale exige que l'agent des visas informe le requérant de ses préoccupations. [...] Il est possible de conclure, compte tenu des arrêts précités, que cette obligation ne prend pas simplement naissance du fait qu'après avoir sous-pesé la preuve, l'agent des visas n'est toujours pas convaincu du bien-fondé de la demande.                 
                 Je suis convaincu que l'obligation de l'agent des visas d'informer le requérant de ses préoccupations est limitée. Étant donné qu'il doit établir, pour être admis au Canada, qu'il répond à certains critères, le requérant peut supposer que les préoccupations de l'agent des visas découleront directement de la Loi ou du Règlement. Cela ne veut pas dire que l'agent des visas doit garder le silence pendant l'entrevue alors que le requérant présente sa demande. L'agent des visas doit diriger l'entrevue et tenter d'obtenir les renseignements pertinents en ce qui concerne la demande. Cela veut dire, par exemple, que si le demandeur de visa de visiteur a présenté une preuve non concluante au soutien de sa prétention selon laquelle il entretient avec son pays d'origine des liens suffisamment forts pour garantir qu'il y retournera, l'agent des visas n'a pas à s'en ouvrir à lui. Une telle préoccupation découle directement de la Loi et du Règlement. Il serait peut-être souhaitable que l'agent des visas en fasse part au requérant mais, en ne le faisant pas, il n'enfreint aucunement l'obligation d'équité qui lui incombe.         
                 Par ailleurs, le meilleur exemple d'un cas où l'agent des visas doit informer le requérant de ses préoccupations est lorsque l'agent des visas dispose d'éléments de preuve extrinsèques. En pareille circonstance, le requérant devrait avoir la possibilité de désabuser l'agent des préoccupations que pourraient susciter chez lui de tels éléments de preuve.         
                 Bref, lorsqu'il convient d'interviewer un requérant pour évaluer sa demande, l'équité exige que l'agent des visas interroge le requérant de manière exhaustive sur les facteurs pertinents de la demande, et qu'il donne au requérant l'occasion de répondre aux allégations ou aux hypothèses dont il ne saurait, raisonnablement, avoir connaissance.         

[46]      En l'espèce, je suis convaincu que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en ne demandant pas au demandeur, après avoir reçu les " cartes d'assurance ", d'expliquer ce qui, selon elle, était une contradiction au sujet de ses antécédents professionnels.

[47]      Il me semble que le demandeur s'est vu refuser le droit d'" expliquer " la contradiction alléguée.

[48]      Pour les motifs susmentionnés, il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et la décision que l'agent des visas Sharon Cochrane a rendue le 27 mai 1997 est par les présentes infirmée.

[49]      L'affaire est renvoyée à un agent des visas, autre que Sharon Cochrane, pour qu'il convoque le demandeur à une nouvelle entrevue afin de déterminer si celui-ci remplit les conditions énoncées dans la Loi pour devenir résident permanent du Canada à titre d'entrepreneur.

[50]      J'ai déjà dit que l'agent des visas a pris sa décision et l'a transmise au demandeur environ dix mois après l'entrevue.

[51]      Dans son affidavit, l'agent des visas explique pourquoi il lui a fallu dix mois pour prendre sa décision et la transmettre :

         24. J'ai tardé à prendre ma décision à cause d'une charge de travail de plus en plus lourde ainsi que des effets de la réorganisation du ministère et de la réduction des effectifs.                 

[52]      Je comprends parfaitement bien que la charge de travail de l'agent des visas était de plus en plus lourde et que la réorganisation du ministère et la réduction des effectifs pouvaient occasionner un certain retard. Cependant, j'estime que cela ne justifie pour autant le fait d'attendre dix mois pour prendre une décision à l'égard de la demande de résidence permanente qu'une personne présente à titre d'entrepreneur.

[53]      Compte tenu des circonstances de l'espèce, je suis convaincu que le demandeur a subi un préjudice du fait qu'il a dû attendre dix mois pour se faire dire que sa demande de résidence permanente était rejetée.

[54]      Si l'on avait informé le demandeur peu de temps après l'entrevue que sa demande avait été rejetée, il aurait pu demander à son avocat de présenter immédiatement une demande de contrôle judiciaire sans être obligé d'attendre encore plusieurs mois.

[55]      Les parties ont fait savoir qu'elles n'ont pas de question à faire certifier.

                     " Max M. Teitelbaum "

                         J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 juin 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2742-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHOU SHIH-CHIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 25 MAI 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM EN DATE DU 11 JUIN 1998.

ONT COMPARU :

JULIUS H. GREY              POUR LE DEMANDEUR
CAROLINE DOYON          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GREY CASGRAIN              POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

GEORGE THOMSON          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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