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     Date : 19990217

     Dossier : IMM-1694-98

ENTRE

     ZABEEDA RAMPERSAUD et ANIL RAMPERSAUD,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      Les demandeurs ont contesté au moyen d'un contrôle judiciaire la décision par laquelle une agente d'immigration avait refusé de faire droit à la demande d'établissement qu'ils avaient présentée au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée (la Loi).

LES FAITS

[2]      En février 1996, les demandeurs ont demandé l'autorisation de faire traiter la demande d'établissement qu'ils avaient présentée au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire, la demandeure ayant allégué que pendant de nombreuses années, son mari, en Guyane, s'était livré à de graves actes de violence envers son fils, le demandeur, et elle. La demande a été refusée. En juillet 1997, la Cour a accueilli une demande de contrôle judiciaire de cette décision et a ordonné que la demande soit réexaminée par un agent d'immigration différent.

[3]      Le 21 novembre 1997, l'avocate des demandeurs a envoyé des observations supplémentaires écrites pour qu'il en soit tenu compte au moment où la demande serait réexaminée. Dans ces observations, l'avocate a fait remarquer, entre autres choses, que les allégations de violence n'avaient jamais été contestées dans le cadre d'un contre-interrogatoire ou qu'elles n'avaient aucunement été remises en question. Elle a également fait remarquer qu'il était difficile de corroborer les actes de violence commis envers la conjointe et l'enfant.

[4]      Le 25 novembre 1997, les demandeurs et leur avocate se sont présentés à une entrevue avec l'agente d'immigration.

[5]      Le 3 décembre 1997, l'agente d'immigration a préparé un document intitulé [TRADUCTION] " Demande de réexamen fondée sur le paragraphe 114(2) ". Dans la section [TRADUCTION] " Recommandations, décision et motifs ", l'agente a conclu qu'il n'existait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour justifier un réexamen en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi . À la dernière page de ce document, sous sa signature, l'agente d'immigration a inscrit à la main les remarques suivantes    :

                 [TRADUCTION]                 
                 03-12-97                 
                 - Décision prise en vertu du paragraphe 114(2)                 
                 - Dossier remis à Gord Eckertt, gestionnaire intérimaire, pour approbation, compte tenu de la complexité du cas.                 
                 - Avant de souscrire à ma décision, M. Eckertt m'a demandé d'envoyer un message par courrier électronique au [bureau des visas] pour qu'on détermine s'il est possible de vérifier les déclarations de la demandeure, étant donné que nous ne disposons que du témoignage oral qu'elle a présenté, alors qu'elle affirme avoir été victime de violence pendant de nombreuses années.                 
                 - Le message a été envoyé par courrier électronique au [bureau des visas].                 
                 - Nous attendons une réponse.                 

[6]      Étant donné que le gestionnaire intérimaire lui avait demandé d'essayer d'obtenir des renseignements confirmant les actes de violence allégués, l'agente d'immigration a envoyé un message par courrier électronique au bureau des visas en Guyane, le 9 décembre 1997, pour demander de l'aide. Aucune réponse n'a été reçue. Le 12 mars 1998, l'agente d'immigration a envoyé au bureau des visas un deuxième message par courrier électronique et a demandé que des entrevues soient tenues avec les gens de l'endroit en vue de déterminer si le mari de la demandeure avait maltraité sa famille pendant plusieurs années, comme l'alléguaient les demandeurs.

[7]      Par une lettre datée du 9 février 1998, l'avocate des demandeurs a demandé à l'agente d'immigration de prendre une décision au sujet de ses clients.

[8]      Le 12 février 1998, à la suite de la demande de l'avocate, une spécialiste des programmes au Centre d'Immigration du Canada a examiné le dossier et a conclu qu'une décision défavorable avait été inscrite au dossier, mais elle a remarqué qu'aucune lettre de refus n'avait été envoyée aux demandeurs. La spécialiste des programmes a envoyé une note à l'agente d'immigration qui a confirmé par écrit que, même si elle avait inscrit une décision au dossier, aucune lettre de refus n'avait été envoyée. L'agente d'immigration a en outre fait savoir que le gestionnaire intérimaire voulait obtenir du bureau des visas [TRADUCTION] " tout renseignement ou toute aide " nécessaires avant que la [TRADUCTION] " décision définitive " soit communiquée aux demandeurs. Enfin, elle a demandé à la spécialiste des programmes d'informer l'avocate que la décision était [TRADUCTION] " en suspens ".

[9]      Le 17 février 1998, la spécialiste des programmes a envoyé à l'avocate des demandeurs une télécopie dans laquelle elle disait ceci    : [TRADUCTION] " La demande est encore à l'étude. Nous vous informerons en temps et lieu de la décision. "

[10]      Le 20 mars 1998, un fonctionnaire du bureau des visas, en Guyane, a répondu à l'agente d'immigration par courrier électronique; il a fourni certains [TRADUCTION] " renseignements généraux " au sujet du mari de la demandeure, dont la demande de visa à titre de visiteur était alors à l'étude à cet endroit. Le fonctionnaire disait que, selon les renseignements figurant dans les dossiers du bureau des visas, le mari de la demandeure, qui était un homme d'affaires bien connu, avait été [TRADUCTION] " raisonnable et honnête " lorsqu'il avait traité avec le bureau. Toutefois, le fonctionnaire a fait les commentaires défavorables suivants au sujet des demandeurs :

                 [TRADUCTION]                 
                 M. Rampersaud a été raisonnable et honnête.                 
                 Nous ne pouvons pas en dire autant en ce qui concerne Zabeeda Rampersaud et son fils, Anil. Selon une lettre que Banks DIH Ltd. nous a envoyée, Zabeeda a abandonné son emploi sans préavis. Après qu'elle eut omis de se présenter au travail six jours de suite après la date prévue de retour au travail, le 22 novembre 1994, Banks DIH a envoyé à Mme Rampersaud un avis de cessation d'emploi le 28 novembre 1994.                 
                 Le 18 novembre 1994, Anil a écrit à l'Université de la Guyane afin de demander un congé pour l'année scolaire 1994-1995 sous le prétexte qu'il devait suivre un traitement médical à l'étranger. À notre connaissance, cela était tout à fait faux.                 

[11]      Le 24 mars 1998, le gestionnaire intérimaire a pris connaissance du message que l'agent des visas avait envoyé par courrier électronique; il a ensuite noté sur le document que l'agente d'immigration avait préparé le 3 décembre 1997 qu'il souscrivait à la décision. En particulier, il a dit ceci    : [TRADUCTION] " [C]ompte tenu des renseignements obtenus du bureau des visas le 12 [sic] mars 1998, je souscris à la décision. "

[12]      Par une lettre datée du 25 mars 1998, le chef de secteur au Centre d'Immigration du Canada a informé les demandeurs du rejet de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qu'ils avaient présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi. L'agente d'immigration a signé la lettre au nom du chef de secteur.

[13]      Les demandeurs n'ont jamais été informés du message que le bureau des visas avait envoyé par courrier électronique et ils n'ont pas eu la possibilité de répondre aux renseignements figurant dans ce document.

[14]      Dans l'affidavit qu'elle a produit dans l'instance, l'agente des visas a déclaré qu'elle avait pris sa décision le 3 décembre 1997 et qu'elle [TRADUCTION] " [...] n'a[vait] pas tenu compte du message [...] " que le bureau des visas lui avait envoyé par courrier électronique.

LA QUESTION EN LITIGE

[15]      Il s'agit principalement de savoir si l'agente d'immigration a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de répondre à des éléments de preuve extrinsèques.

ANALYSE

[16]      L'avocate des demandeurs a soutenu, entre autres choses, que l'agente d'immigration avait violé l'obligation d'équité qui lui incombait en tenant compte des éléments de preuve extrinsèques que le bureau des visas lui avait transmis sans donner aux demandeurs la possibilité d'y répondre. En réponse, l'avocate du défendeur a soutenu, entre autres choses, que la décision définitive avait été prise le 3 décembre 1997 et que l'agente d'immigration n'avait pas tenu compte des éléments de preuve extrinsèques dans sa décision.

[17]      L'examen de la preuve versée au dossier montre que l'agente d'immigration a décidé de refuser la demande le 3 décembre 1997. Toutefois, avant de faire connaître sa décision, l'agente d'immigration a parlé de l'affaire au gestionnaire intérimaire, qui lui a recommandé de demander au bureau des visas de déterminer si les allégations de violence que les demandeurs avaient faites pouvaient être [TRADUCTION] " vérifiées ". Après avoir reçu ces instructions de son superviseur, l'agente d'immigration a envoyé au bureau des visas deux messages par courrier électronique pour demander qu'on rencontre les gens de la région en vue de déterminer si les allégations de violence pouvaient être vérifiées. Elle a également informé par écrit un collègue que le gestionnaire intérimaire voulait obtenir du bureau des visas [TRADUCTION] " tout renseignement ou toute aide " nécessaires avant d'informer les demandeurs de sa [TRADUCTION] " décision définitive ". En outre, l'agente d'immigration a demandé à la spécialiste des programmes d'informer l'avocate que la décision était [TRADUCTION] " en suspens ". Enfin, l'avocate des demandeurs a été informée par écrit que la demande était encore [TRADUCTION] " à l'étude ".



[18]      Je n'hésite pas à conclure, compte tenu de la preuve claire et accablante versée au dossier, que la décision préparée par l'agente d'immigration le 3 décembre 1997 n'est devenue définitive qu'au moment où le gestionnaire intérimaire a examiné les renseignements obtenus du bureau des visas et a souscrit à la décision. De fait, la décision définitive a été envoyée aux demandeurs cinq jours après que les renseignements donnés par le bureau des visas eurent été envoyés à l'agente d'immigration, et uniquement après que le gestionnaire intérimaire eut confirmé par écrit qu'il avait examiné les renseignements obtenus du bureau des visas et qu'il [TRADUCTION] " souscrivait " à la décision de l'agente d'immigration.

[19]      Je n'hésite pas non plus à conclure que l'agente d'immigration et le gestionnaire intérimaire ont violé d'une façon flagrante l'obligation minimale d'équité qu'ils avaient envers les demandeurs en tenant compte des renseignements obtenus du bureau des visas, lesquels semblaient porter fortement atteinte à la crédibilité des demandeurs, sans donner à ceux-ci la possibilité de présenter des observations au sujet de la crédibilité et de la pertinence de ces renseignements. [Voir Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238, 239 (C.A.F.)].

DÉCISION

[20]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que l'agente d'immigration a prise le 25 mars 1998 est annulée et l'affaire est renvoyée à un agent d'immigration différent pour nouvel examen. L'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

     " D. McGillis "

     Juge

Toronto (Ontario)

Le 17 février 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1694-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ZABEEDA RAMPERSAUD et ANIL RAMPERSAUD

                     et
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :      LE 16 FÉVRIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT du juge McGILLIS en date du 17 février 1999

ONT COMPARU :

                     Arlene Tinkler
                                 pour les demandeurs
                     Sudabeh Mashkuri
                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Arlene Tinkler
                     Avocate

                     393, avenue University

                     Bureau 2000

                     Toronto (Ontario)

                     M5G 1E6

                                 pour les demandeurs

                     Morris Rosenberg

                     Sous"procureur général

                     du Canada

                                 pour le défendeur


                                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                          Date : 19990217
                                                          Dossier : IMM-1694-98
                                                                          Entre
                                                                          ZABEEDA RAMPERSAUD et ANIL RAMPERSAUD,
                                                          demandeurs,
                                                     et
                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                                          défendeur.
                                                    
                                                          MOTIFS DU JUGEMENT
                                                    

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