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Date : 19981001


Dossier : IMM-2494-97

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 1998.

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :

     GUILLERMO TORRES ARENAS,

     NELDA DEL CARMEN MUNOZ OJEDA,

     NELDY LORENA TORRES MUNOZ et

     PAULA SOLEDAD TORRES MUNOZ,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

         VU la demande présentée par les demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance annulant la décision de la SSR (dossiers T96-03867, T95-07937, T95-07938 et T95-07939) et l'audience tenue à Toronto, en présence des avocats des deux parties, par la présente,

LA COUR ORDONNE que la demande soit, et elle est donc, rejetée, sans dépens, et, de plus, sans qu'aucune question ne soit certifiée.

                                     F.C. Muldoon

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.



Date : 19981001


Dossier : IMM-2494-97

ENTRE :

     GUILLERMO TORRES ARENAS,

     NELDA DEL CARMEN MUNOZ OJEDA,

     NELDY LORENA TORRES MUNOZ et

     PAULA SOLEDAD TORRES MUNOZ,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a statué, en date du 23 mai 1997, à Toronto, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. (Dossiers de la SSR T96-03867, T95-07937, T95-07938 et T95-07939.)

[2]      Les éléments de preuve dont disposait la SSR dans la présente affaire se composaient principalement, si ce n'est entièrement, du témoignage du premier demandeur (l'avocat n'en a pas fait comparaître d'autre), du Formulaire de renseignements personnels (FRP) de ce dernier, des documents présentés par l'avocat des demandeurs et des documents présentant une preuve provenant de source externe, habituellement digne de foi, des conditions du pays d'origine, en l'espèce, le Chili.

Les faits

[3]      La SSR a fait les observations suivantes sous la rubrique, Résumé des faits allégués :

                 [TRADUCTION] Le récit, figurant dans le FRP [pièce C-2] du revendicateur principal, Guillermo Arenas, a été reçu comme s'il avait été fait oralement et est joint aux présents motifs comme supplément " A ". Outre les renseignements figurant dans son FRP, le revendicateur principal, dans son témoignage, a fourni d'autres détails concernant ses expériences au Chili et a répondu à des questions. D'autres renseignements pertinents que le revendicateur a donnés pendant son témoignage seront mentionnés dans l'analyse qui suit. Les réponses circonstanciées des trois autres revendicateurs reposent sur la réponse du revendicateur principal. L'avocat a choisi de ne faire comparaître aucun des trois autres revendicateurs, bien que le tribunal ait posé quelques questions à Neldy Lorena Torres Munoz, l'une des filles du revendicateur principal qui fréquentent le collège.                 

[4]      La SSR a également fait les remarques suivantes sous la rubrique Analyse :

                 [TRADUCTION]      Les questions litigieuses abordées à l'audience portaient sur la crédibilité du témoignage du revendicateur principal, le lien entre les revendications et la définition de réfugié et la protection de l'État compte tenu de leurs craintes fondées relativement à une persécution éventuelle, s'ils retournent au Chili.                 

La SSR a exposé les principes lui permettant d'évaluer les éléments de preuve, en faisant référence au paragraphe 68(3) de la Loi et à la jurisprudence. Elle a ainsi évalué la crédibilité des éléments de preuve, en indiquant et en analysant brièvement les arrêts suivants : Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. page 302, à la page 305; Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.); et Adu, Petr c. M.E.I., A-194-92, 24 janvier 1995 (C.A.F.).

[5]      L'avocat des demandeurs donne, dans le dossier des demandeurs (DDEM), la version des faits de ces derniers dans un récit très détaillé. Le défendeur, de façon plus concise dans le dossier du défendeur (DDÉF), en accepte les éléments principaux. L'audition de la présente affaire n'a donné lieu à aucune surprise à cet égard.

[6]      Le demandeur principal, qui est arrivé au Canada le 20 avril 1995, y a attendu les trois demanderesses (son épouse et ses filles), qui sont arrivées le 31 décembre 1995. Ces dernières ont présenté leur revendication du statut de réfugié dès leur arrivée et le demandeur principal l'a, quant à lui, présentée le 1er janvier 1996. Le tribunal de la SSR a mentionné que le retard à présenter une revendication du statut de réfugié ne constitue pas un empêchement absolu d'obtenir ce statut, mais ce retard fait plutôt perdre de la valeur à la composante nécessaire à la crainte fondée, si ce n'est qu'il ne la lui enlève toute. Le tribunal a fait preuve d'une meilleure compréhension du principe que de l'arithmétique en écrivant :

                 [TRADUCTION]      Le revendicateur principal attendait que les membres de sa famille arrivent pour présenter sa revendication et, même alors, il ne l'a présentée que dix [sic] jours après que les membres de sa famille eurent présenté la leur, en se fondant essentiellement sur sa crainte d'être persécuté.                 
                      (DDEM, à la page 9)                 

[7]      La SSR a fait part de son appréciation des faits de la façon suivante :

                 [TRADUCTION] [...] l'élément le plus important de son témoignage est que, quand il travaillait, en 1993-1994, comme garde du corps du maire de la ville de Vina del Mar, Rodrigo Gonzalez, il a été assigné à la tâche de gardien de sécurité à l'hôtel O'Higgins, comme membre de l'entreprise de sécurité Delta Force, d'août 1993 à juin 1994, date à laquelle ses problèmes ont commencé.                 
                      Il a eu connaissance des activités de blanchiment d'argent d'un groupe de six personnes, qu'il avait reçu l'ordre depuis le début de protéger. Il a fait part de cet incident au directeur de l'hôtel et, en conséquence, il a été congédié, puis persécuté par le maire Gonzalez et ses hommes. De juillet 1994 à mars 1995, il a travaillé à son compte comme réparateur de téléviseurs et de magnétoscopes à vidéocassette. Le 24 février 1995, trois hommes l'ont battu, interrogé et détenu pendant toute la nuit. Il a également été averti des répercussions de son " bavardage " sur les membres de sa famille et, le 3 mars 1995, sa femme a été menacée de la même façon.                 
                      Le revendicateur principal a témoigné qu'il n'a pas rapporté l'incident à la police, parce que la police, l'armée et les politiciens du Chili sont tous liés au trafic de stupéfiants et à des activités de blanchiment d'argent semblables. À son avis, le maire Gonzalez l'était certainement. Quand on a fait valoir au revendicateur qu'avant qu'il quitte le pays M. Gonzalez n'était plus maire et qu'il aurait dû se plaindre au nouveau maire, il a dit qu'il ne l'avait pas fait parce qu'il ignorait si le nouveau maire se livrait aussi au trafic de stupéfiants et au blanchiment d'argent, comme M. Gonzalez le faisait. Quand on lui a également souligné, en citant la preuve documentaire, qu'au Chili " les institutions démocratiques sont mieux établies que dans tout autre pays latino-américain, en dehors du Costa Rica " et que de nombreux agents de police sont traduits en justice au Chili pour leurs violations passées des droits de la personne [pièce R-1], le revendicateur a répété son témoignage, affirmant que malgré l'apparence de démocratie, les sénateurs et les politiciens " fument de la marijuana " et que la magistrature est également associée aux méfaits de la police et des fonctionnaires.                 
                      Le tribunal n'est pas convaincu par cette sorte de témoignage vague et non corroboré.                 
                      D'ailleurs, le tribunal ne croit pas qu'il y ait un lien entre les allégations du revendicateur et la définition de réfugié au sens de la Convention. Le revendicateur a peu de tendances ou d'appartenances politiques; il n'appartient à aucun groupe social particulier, de façon individuelle ou par l'intermédiaire de sa famille; il n'entre pas non plus dans les autres définitions de réfugié au sens de la Convention.                 
                      Il a peut-être été mêlé aux réactions de colère d'un groupe de personnes, engagées dans des activités criminelles, qu'il a protégées sciemment ou non pendant un certain temps. Si ce groupe était notoire, comme le revendicateur principal le décrit, le tribunal ne croit pas qu'il aurait seulement harcelé et menacé de façon intermittente le revendicateur et sa famille. Un tel groupe notoire, confronté à un témoin sur lequel il ne peut se fier, n'hésiterait pas à l'éliminer dès que possible.                 
                      Les membres du tribunal ont soigneusement étudié les éléments de preuve présentés à l'audience. Ils sont d'avis qu'il n'existe pas de fondement objectif à la crainte de persécution que le revendicateur allègue, compte tenu non seulement du témoignage généralement non crédible de ses expériences, mais également de la preuve documentaire quant aux institutions et aux politiques démocratiques qui assurent une protection adéquate de la loi aux citoyens ordinaires du Chili. En fait, en 1994, le HCNUR a annoncé la mise en application de la clause de cessation pour les réfugiés chiliens, affirmant ainsi que le besoin de trouver asile dans les autres pays n'existait plus [pièce R-1]. Cette annonce reconnaissait que des changements fondamentaux et positifs étaient survenus au Chili.                 
                      Eu égard à ce qui précède, la Section du statut de réfugié considère que Guillermo Torres Arenas n'est pas un réfugié au sens de la Convention.                 

[8]      À la relecture des conclusions d'invraisemblance et de manque de crédibilité qui précèdent, on s'attend à ce que le tribunal, dans son raisonnement, énonce l'invraisemblance flagrante, implicite et inhérente, mais sur laquelle il glisse, affirmant simplement : " Il a fait part de cet incident au directeur de l'hôtel et, en conséquence, il a été congédié ".

[9]      L'affirmation première du demandeur principal était que presque tous dans la police, l'armée, les gouvernements municipal et national étaient corrompus et de connivence avec le quelconque groupe ou organisation qui à ses dires le persécutait. Or, pourquoi a-t-il été congédié, d'après lui? Selon le paragraphe 6 de son affidavit, déclaré sous serment le 16 juillet 1997 (DDEM, page 10), de même que son FRP (DDEM, page 13), quand le demandeur a signalé ce qu'il croyait être du blanchiment d'argent (ce qui en était sans aucun doute) au directeur de l'hôtel, ce dernier lui a ordonné de ne rien dire à ce sujet et le demandeur, quant à lui, a fait clairement savoir qu'il n'acceptait pas de se taire. À présent, compte tenu de sa peur relativement à l'étendue de la corruption, n'est-il pas invraisemblable qu'il ait irrité à ce point son patron? À qui allait-il vendre la mèche si, selon ses dires, il n'avait personne à qui s'adresser? S'il avait été le moindrement insolent ou téméraire, il aurait certainement fait en sorte que ce soit clair pour la SSR. Au contraire, il appert plutôt qu'il ne s'est pas rendu compte de cette invraisemblance dans son récit. C'est la raison pour laquelle " en conséquence, il a été congédié, puis persécuté par le maire Gonzalez et ses hommes ". Le demandeur principal peut avoir été négligent en " mettant au point " son histoire, mais, d'autre part, il ne semble pas sot au point d'avoir été assez imprudent pour dire à son patron qu'il ne se tairait pas, si le climat qu'il a décrit était aussi dangereux qu'il le prétend.

[10]      L'avocat du défendeur fait un récit analogue à celui de la SSR, mais ne dit pas non plus ce qui ressort implicitement des conclusions de la SSR :

                 [TRADUCTION] 5.      Le demandeur principal a prétendu que, quand il travaillait, en 1993-1994, comme garde du corps du maire de la ville de Vina del Mar, Rodrigo Gonzalez, il était gardien de sécurité à l'hôtel O'Higgins. C'est pendant qu'il occupait cette fonction que le demandeur principal soutient avoir observé les activités de blanchiment d'argent d'un groupe de six personnes. Il a signalé ces activités au directeur de l'hôtel, ce qui a entraîné son congédiement. Il affirme que le maire et ses hommes l'ont persécuté par la suite.                 
                 6.      Le demandeur principal a soutenu qu'il n'avait pas signalé cet incident à la police, parce que celle-ci, l'armée et les politiciens du Chili sont tous associés au trafic de stupéfiants et au blanchiment d'argent. Même si le maire Gonzalez n'était plus au pouvoir quand le demandeur principal a quitté le pays, celui-ci a affirmé qu'il ne s'était pas plaint au nouveau maire parce que ce dernier pouvait, lui aussi, être engagé dans les mêmes activités.                 
                      (DDÉF, à la page 2)                 

Selon la version même du demandeur principal, il a été congédié parce qu'il n'acceptait pas de se taire. C'est ce qui est tout à fait invraisemblable, car, de toute façon, selon lui, il était trop dangereux de dire aux autorités ce qu'il avait vu.

[11]      Le défendeur soutient :

                 [TRADUCTION] 12.      Le demandeur accuse le tribunal de partialité et de fabrication de preuve. Ce sont des allégations graves qui sont sans fondement. Le demandeur fait cette affirmation haut et clair, mais sans mentionner aucun élément de preuve au soutien de sa position, affirmant simplement que les conclusions de crédibilité du tribunal étaient déraisonnables compte tenu de la preuve de trafic de stupéfiants et de corruption au Chili. Or, la simple existence de ces activités ne trouble pas la conclusion du tribunal et elle est encore moins l'indication d'une partialité ou de la fabrication de preuve de la part du tribunal.                 

Ainsi soit-il. Les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que les conclusions de la SSR étaient déraisonnables. (Aguebor c. M.E.I., (1993) 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317.) Le juge Dubé, dans une conclusion appropriée en l'espèce, a affirmé dans la décision Vijayapackialuxmy Kanesanathan, (IMM-3965-97), 24 septembre 1998 :

                 [5]      Malgré l'excellente plaidoirie de l'avocat de la demanderesse, je ne peux conclure que la décision de la Commission était déraisonnable. En matière de crédibilité, il n'incombe pas à la Cour d'annuler les conclusions de la Commission et d'imposer sa propre appréciation.                 
                 [...]                 
                      (à la page 3)                 

[12]      À l'audience, les deux avocats ont convenu qu'il n'y avait pas de question de portée générale à certifier en l'espèce et la Cour est d'accord.

[13]      La demande présentée par le demandeur en vue de faire annuler la décision ou les décisions de la SSR est rejetée, sans dépens.

                                 F.C. Muldoon

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2494-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          GUILLERMO TORRES ARENAS et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 30 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :                  1 ER OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :

M. Thomas McIver                          POUR LE DEMANDEUR

M. Toby Hoffman                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McIver & McIver

Toronto (Ontario)                          POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

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