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     Date: 19980122

     Dossier: T-1-97

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 1998.

LA PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

L.R.C. (1985), ch. C-29;

ET un appel de la décision

du juge de la citoyenneté;

ET :

     PING CHENG FENG,

     appelante.

     ORDONNANCE

     L'appel interjeté par l'appelante (dont le nom de famille est Shih) contre la décision par laquelle un juge de la citoyenneté, à Toronto, a refusé d'approuver, le 29 novembre 1996, la demande que celle-ci avait présentée pour le motif que les conditions prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi n'étaient pas remplies ayant été entendu à Toronto le 5 janvier 1998 en présence de l'appelante et de ses filles ainsi que de l'amicus curiae;

     La Cour ayant réservé son jugement;

     IL EST ORDONNÉ que l'appel soit rejeté; la décision du juge de la citoyenneté est confirmée.

         F.C. Muldoon

        

         Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date: 19980122

     Dossier: T-1-97

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

L.R.C. (1985), ch. C-29;

ET un appel de la décision

du juge de la citoyenneté;

ET :

     PING CHENG FENG,

     appelante.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MULDOON

[1]      L'appelante a comparu à Toronto le 5 janvier 1998 avec sa fille Tina Shih, qui la représentait devant cette cour, ainsi qu'avec sa fille Lucy Shih, qui agissait comme traductrice. Les dispositions susmentionnées ont donné lieu à de nombreuses réponses données en "comité" et à un "témoignage", censément présenté par l'appelante. Le nom de famille de l'appelante est Shih, comme il en a oralement été fait mention à différents moments pendant l'audience, tant avant qu'après le nom de PING CHENG FENG. Le ministre a désigné Peter K. Large à titre d'amicus curiae dans la présente instance.

[2]      L'appelante a été admise au Canada en vue d'y établir sa résidence permanente avec son mari et deux de ses quatre enfants, le 25 juillet 1992. L'enfant aîné de l'appelante (un fils) reste à Taïwan avec sa propre famille. L'appelante a également deux filles, qui étaient présentes à l'audience, et un fils plus jeune.

[3]      La représentante de l'appelante, Tina Shih, a présenté l'exposé préliminaire, qui était en partie ainsi libellé :

         [TRADUCTION]                 
             Ma mère [l'appelante] est atteinte d'arthrite à cause de son âge avancé et de deux chutes qu'elle a faites. Elle est retournée à Taïwan pour suivre une série de traitements médicaux, en particulier des traitements d'acupuncture, en août 1992 et en avril 1995. Elle est alors restée chez mon frère et sa famille, à Taïwan, et est revenue au Canada pour y faire des séjours prolongés entre les traitements. Elle est maintenant complètement rétablie et, depuis le mois de février 1996, elle est restée au Canada d'une façon continue sauf lorsqu'elle a pris des vacances, du 10 novembre 1996 au 15 février 1997.                 
             Si elle demandait la citoyenneté aujourd'hui, il lui manquerait 74 jours seulement sur les 1 095 jours nécessaires au cours des quatre années antérieures.                 
             Je suis citoyenne canadienne comme mon père, mon frère et ma soeur. Ma famille saurait bon gré à la Cour de juger approprié d'accueillir l'appel interjeté par ma mère de façon qu'elle puisse être comme nous une citoyenne canadienne.                 
             (transcription : pages 2 et 3)                 

[4]      L'appelante est de fait retournée à Taïwan pendant de longues périodes, notamment deux semaines après avoir obtenu le droit d'établissement. Le dossier renferme une note de service qu'un agent de la citoyenneté a adressée au juge présidant l'audience le 23 octobre 1995. La note révèle, et l'appelante admet (transcription : pages 11 à 14), que, sur les 1 095 jours nécessaires au cours des quatre années précédant la date de sa demande de citoyenneté, elle s'est absentée du Canada pendant 555 jours et elle y a été présente pendant 540 jours, soit moins de la moitié des 1 095 jours prescrits par le législateur à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. En réponse à une question posée par l'amicus curiae, l'appelante a affirmé qu'elle a droit à la citoyenneté (transcription : page 18) parce qu'elle est restée ici au Canada suffisamment longtemps (transcription : page 26).

[5]      L'appelante est retournée à Taïwan pour continuer à suivre des traitements d'acupuncture. Elle a témoigné qu'elle ne fait pas confiance aux acupuncteurs canadiens, mais elle ne semble pas s'être efforcée d'en trouver un (transcription : pages 14 et 15).

[6]      Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle ne parlait pas mieux l'anglais, voici ce que l'appelante a répondu par l'entremise de sa fille, l'interprète : [TRADUCTION] "Je veux m'inscrire au cours d'anglais, langue seconde, mais il n'y a plus de place. J'attends donc la prochaine session, et l'école s'installe trop loin de chez moi" (transcription : page 16). L'appelante a donné d'autres excuses pour expliquer pourquoi elle parlait mal l'anglais. Elle a dit qu'elle n'avait pas assisté aux cours [TRADUCTION] "parce qu'il neigeait, de sorte qu'[elle] n'y [était] pas allée" (transcription : page 23). Bien sûr, si elle était restée au Canada, elle aurait eu plus de temps pour aplanir ces difficultés. Cela démontre l'importance de l'exigence imposée par le législateur à l'égard d'une présence de 1 095 jours au cours des quatre années (1 460 jours) précédant la date de la demande de citoyenneté.

[7]      L'application judiciaire des conditions de résidence fixées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, fait l'objet d'un débat depuis au moins deux décennies. Pendant cette période, le législateur a maintenu d'une façon passablement constante le libellé de la disposition législative, qui même de nos jours se lit comme suit :


5.(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) [...]

(b) [...]

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

5.(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) [...]

b) [...]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

Ce texte législatif est l'un des plus clairs que le législateur ait édicté.

[8]      Les mots "résidence" et "résident" semblent avoir inspiré certains juges au fil des ans, mais ces termes sont également fort clairs. Ils ne visent pas l'absence, mais la présence. Les termes anglais veulent dire la même chose que les termes français. L'idée est la même.

[9]      Le Gage Canadian Dictionary, dans sa forme révisée et augmentée de 1988, donne les définitions suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         résidant adj. 1 restant, logeant en un lieu. Un propriétaire résidant habite dans sa propriété. 2 habitant en un lieu pendant qu'on y exerce des fonctions ou qu'on y travaille. 3 personne qui habite ou fait des affaires en un lieu afin de se conformer à certains règlements ou d'être admissible à certains droits ou privilèges.                 
         résidence n. 1 endroit où une personne habite; maison; demeure. 2 le fait de résider, d'habiter, de loger. 3 séjour en un lieu. 4 le fait d'habiter ou de faire des affaires en un lieu afin d'exercer certaines fonctions, de se conformer à certains règlements ou d'être admissible à certains droits et privilèges. Ils n'ont pas établi leur résidence depuis suffisamment longtemps pour pouvoir demander la citoyenneté. 5 immeuble dans lequel les étudiants, les infirmières, etc. habitent.                 
         en résidence, a habitant en un lieu : être en résidence à un endroit. b habiter dans un établissement pendant qu'on y est en service ou qu'on y travaille : un médecin en résidence.                 
         résident n. 1 personne qui n'est pas un visiteur habitant en un lieu. 2 médecin en résidence, en particulier médecin qui a terminé son internat. 3 agent envoyé à l'étranger pour représenter son pays. 4 anciennement, représentant du gouverneur général britannique de l'Inde auprès d'un tribunal indigène. 5 personne qui habite ou fait des affaires en un lieu afin de se conformer à certains règlements ou d'être admissible à certains droits ou privilèges.                 
         résider v. 1 habiter longtemps en un lieu; loger. 2 se trouver, exister (dans); son charme réside dans son sourire.                 
                         (p. 1247)                 

[10]      Le Oxford Dictionary of Current English de 1990 dit ceci :

         [TRADUCTION]                 
         résidant a. ayant des locaux en un lieu : en résidence;                 
         résidence n. résidant (établir sa résidence); lieu où un personne réside, logement d'une personne; maison, en particulier une maison luxueuse; en résidence, logeant en un lieu précis, en particulier pour exercer des fonctions ou travailler                 
         résident n. habitant permanent (d'un endroit);                 
         résider v. avoir sa demeure ou loger en permanence (en un lieu précis); pouvoir, droit, etc. qui appartient (à quelqu'un); qualité qui se trouve (en une personne), qui est inhérente (à un être, à une chose)                 
                         (p. 635)                 

[11]      Le Petit Robert - nouvelle édition mise à jour pour 1988, dit ceci :

         résidant, ante adj. (résident, 1283; n.m., "habitant", 1415; de résider). Qui réside (en un lieu). V. Habitant . Spécialt. (1846) Membre résidant d'une académie, d'une société savante (opposé à correspondant).                 
         résidence n.f. (1271; lat. résidentia). 1 Séjour effectif et obligatoire en un lieu; obligation de résider. Emploi, charge qui demande résidence. La résidence d'un magistrat, d'un évêque. - Par ext. Durée de ce séjour. Spécialt. Résidence forcée, surveillée (d'une personne astreinte par décision de justice à rester dans un lieu). 2 (1283). Le fait de demeurer habituellement en un lieu; ce lieu. V. Demeure, habitation, séjour. "Durant les cinq ans de ma résidence . . ." (Baudel). Avoir, établir, fixer sa résidence quelque part. Changer sa résidence. "Les maisons semblaient être de résidence bourgeoise" (Romains). Résidence virilocale. Dr. Lieu où une personne habite effectivement durant un certain temps (ou a un centre d'affaires, d'activités), sans y avoir nécessairement son domicile. Certificat de résidence. Résidence principale. Cour. (sens 3e) Résidence secondaire : maison de campagne, de vacances ou de week-end. 3 (1840). Lieu construit, généralement luxueux, où l'on réside. V. Demeure, logement, maison. "Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire" (Flaub). Une somptueuse résidence (V. Résidentiel ). "Il reçoit dans cette résidence princière le feuilletonniste d'un de nos grands journaux" (Balz.) (v. 1960) Groupe d'immeubles résidentiels assez luxueux. La Résidence X ... 4 Charge de résident; lieu (ville, bâtiments) où habite un résident, où se tiennent ses services. La Résidence de Rabat (à l'époque du protectorat).                 
                         (p. 1683)                 
         résider v. intr. (v. 1380); lat. residere). 1 Être établi d'une manière habituelle dans un lieu; y avoir sa résidence (surtout admin., dr. ou didact.) "Les ambassadeurs ... prennent les moeurs du pays où ils résident (Chateaub.). Les étrangers qui résidaient aux États-Unis. 2 Fig. Avoir son siège, exister habituellement, se trouver (dans tel lieu, en telle personne ou telle chose). "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation" (Déclar. Dr. Hom). "L'ordre idéal des peuples réside dans leur bonheur" (Camus). V. Consister . La difficulté réside en ceci.                 
                         (p. 1684)                 

[12]      Les dictionnaires susmentionnés montrent tous que les termes anglais et français ont une racine latine commune, et ils laissent tous entendre qu'une personne reste ou demeure en un certain lieu (ou dans un certain pays) en y habitant et en y étant présente, et non en étant absente.

[13]      Le législateur se montre-t-il strict ou insensible lorsqu'il fixe les conditions de résidence s'appliquant aux personnes qui demandent la citoyenneté? Il pourrait l'être s'il le voulait, mais il ne semble pas s'être montré cruel ou strict en édictant les dispositions précitées de l'article 5 de la Loi.

[14]      À mon avis, prévoir que celui qui demande la citoyenneté peut légitimement s'absenter du Canada une année sur quatre, ou un mois sur quatre, au cours des quatre années précédentes, ce n'est pas du tout se montrer strict ou insensible, et ce n'est certainement pas être trop strict ou insensible. On ne "détient" pas le citoyen éventuel au Canada. Cela veut dire que toute personne qui demande la citoyenneté doit être prête à résider au Canada pendant le nombre de jours nécessaire, et doit considérer sa demande d'une façon suffisamment sérieuse pour faire de petits sacrifices afin d'obtenir la citoyenneté.

[15]      Pourquoi fixer des conditions à l'égard de la résidence? Il me semble clair que le législateur refuse d'attribuer la citoyenneté canadienne aux étrangers, mais qu'il exige que le citoyen éventuel réside au Canada pendant trois ans au cours des quatre années précédant la date de sa demande afin de "se canadianiser". Certains réussiront peut-être à le faire plus rapidement, mais seul le législateur peut prescrire le nombre de jours de résidence; il n'appartient pas au demandeur ou à la magistrature de le faire.

[16]      Le but de l'alinéa 5(1)c) est clair, mais il est opportun de noter que le législateur ne parle pas de "se canadianiser" (si cela pouvait être un mot), mais parle plutôt d'années , composées de jours de résidence.

[17]      Depuis que la Charte canadienne des droits et libertés a été édictée en 1982, les juges sont autorisés, dans les circonstances appropriées, à annuler une disposition législative ou à l'interpréter d'une façon libérale ou stricte et, au besoin, ils peuvent presque la modifier. Cette notion d'omnipotence judiciaire se manifeste parfois dans les fonctions et les opinions courantes de certains juges.

[18]      Cette cour n'est pas un établissement de nature sociale, ni un institut de psychologie appliquée chargé de faire en sorte que tous les demandeurs se sentent bien. Lorsque les attentes d'un demandeur sont trop élevées, ou qu'elles ne sont pas conformes aux dispositions législatives édictées par le Parlement, il faut bien détruire ses espérances ou attentes illégitimes (sans pour autant que le juge tente de modifier la législation). La magistrature n'éprouve alors aucun sentiment de joie, mais la responsabilité y afférente doit peut-être incomber aux conseillers du demandeur et, bien sûr, au législateur lui-même. La Cour ne doit donc pas faire une entorse à la loi, ne serait-ce que pour aider le demandeur à se sentir bien, ou même pour lui épargner des frustrations, aussi justifiables soient-elles. Dans l'exercice de leurs fonctions, les juges ne sont pas non plus obligés d'"avoir bonne mine" ou d'avoir l'air généreux.

[19]      Le Canada déclare être un pays démocratique, mais la démocratie elle-même est mise en péril lorsque les juges usurpent le rôle des législateurs. C'est se moquer de la diligence et du soin dont font preuve les juges de la citoyenneté dans l'exercice de leurs fonctions.

[20]      Attribuer la citoyenneté à ceux qui ne prennent pas la peine de se conformer aux dispositions solennellement édictées par le législateur est non seulement un genre de lèse-majesté, mais cela discrédite aussi la citoyenneté canadienne. Les demandeurs sérieux et sincères doivent tout simplement observer la loi, comme toute autre personne, que cela leur plaise ou non. Quel message terrible cette cour adresse, lorsqu'elle annule la décision du juge de la citoyenneté en attribuant à quelqu'un la citoyenneté contrairement à la volonté du législateur! La Cour ne fait rien pour avoir bonne mine au moyen de ce genre de fausse munificence. Elle n'encourage par le respect de la loi.

[21]      Il semble clairement que toutes les remarques qui précèdent ne sont pas simplement des conjectures ou des babillages judiciaires. Le législateur a de temps en temps modifié la Loi sur la citoyenneté depuis que les lois révisées ont été promulguées. Il n'en a pas profité pour édicter quelque disposition que ce soit en matière de résidence, pour établir des exceptions ou pour prévoir que la peut être attribuée au requérant qui

- serait probablement un bon citoyen, mais ne remplit pas les conditions prévues à l'alinéa 5(1)c);

- a "axé" son "style de vie" sur le Canada pour une raison ou une autre, tout en étant absent;

- a envoyé ou déposé au Canada ses biens personnels (c'est-à-dire son compte bancaire, ses vêtements, sa voiture, etc.) tout en étant absent du Canada;

- s'est "canadianisé" en moins de temps que la période prescrite de trois années sur les quatre années précédant la date de la demande;

- doit s'absenter du Canada pour affaires ou pour une autre raison pendant plus d'un an au cours des quatre années précédant la date de la demande;

- a un conjoint, des enfants ou d'autres membres de la famille qui sont déjà citoyens.

[22]      Cette tendance à ne pas tenir compte de la loi telle que le législateur l'a libellée semble avoir commencé avec l'affaire Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208. Cette affaire a été tranchée par un éminent juge de l'époque, mais la décision n'est pas obligatoire, simplement parce que les jugements rendus en appel d'une décision du juge de la citoyenneté ne peuvent pas faire l'objet d'un appel. Ce facteur peut créer, et crée, une incertitude scandaleuse en droit. En fait, à la page 75 du même recueil de la Cour fédérale, il y a la décision Khoury, rendue par un juge tout aussi éminent qui est arrivé à une conclusion diamétralement opposée, et cette dichotomie existe encore de nos jours.

[23]      Comme il en a été fait mention, pendant tout ce temps, le législateur a modifié à maintes reprises la Loi, jusqu'à ce qu'il édicte le chapitre 22 des Lois du Canada de 1997, dont certaines parties sont entrées en vigueur le 20 mai 1997. La dernière modification qui a été apportée aux règles relatives à la résidence énoncées à l'article 5, laquelle indique la volonté du législateur, se trouve au chapitre 53 des Lois refondues de 1987, sanctionné en décembre 1987. La nouvelle disposition est ainsi libellée :


1. Section 5 of the Citizenship Act is amended by adding thereto, immediately after subsection (1) thereof, the following subsection :

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant's spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the public service or Canada or of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).

1. La Loi sur la citoyenneté est modifiée par insertion, après le paragraphe 5(1), de ce qui suit :

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l'application de l'alinéa (1)(c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l'auteur d'une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l'étranger, des forces armées canadiennes ou de l'administration publique fédérale ou de celle d'une province.

[24]      Au cas où les règles relatives à la résidence n'étaient pas suffisamment claires, le législateur (et non la magistrature) a jeté encore un peu plus de lumière sur ces règles en édictant la modification précitée. Cette disposition prévoit en fait que le requérant peut "se canadianiser" en habitant avec un conjoint canadien affecté à l'étranger et obtenir la résidence au jour le jour . Le requérant établit cette résidence et toute résidence prévue par la Loi, en étant présent un certain nombre de jours correspondant à trois années sur quatre, et non en étant absent. Lorsque le législateur songe à la période d'admissibilité ou à la durée de la résidence, il songe à la résidence acquise au jour le jour, et non à l'absence, mais à la présence; non à l'envoi de biens personnels, mais à la présence personnelle; non au fait que le requérant axe son style de vie sur le Canada, mais au fait qu'il habite au Canada tous les jours tant qu'il n'a pas accumulé le nombre nécessaire de jours conformément au paragraphe 5(1) ou (1.1). Le paragraphe (1.1) est l'unique exception permettant au requérant de se "canadianiser" tout en résidant à l'extérieur du Canada, mais avec un conjoint canadien, tous les jours .

[25]      Sans doute, le requérant qui ne réussit pas à obtenir la citoyenneté ne se sentira pas bien, mais cela ne concerne nullement cette cour. C'est l'affaire du législateur. Le législateur songe aux jours de présence, lorsqu'il s'agit d'établir la résidence.

[26]      La Cour n'est pas une assemblée législative. Elle peut façonner la common law et l'equity, mais les lois du Parlement sont immuables, tant que le Parlement ne les abroge pas ou qu'il ne les modifie pas (ou tant qu'il ne viole pas la Charte). La dernière fois que le Cabinet a tenté de légiférer sans que le Parlement soit en cause, cette cour a annulé cet effort illégal : Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General) (1994) 67 F.T.R. 98, par. 67, 68 et 69. Cette cour se doit de respecter les normes qu'elle établit.

[27]      Pour les motifs susmentionnés, et compte tenu du fait que le nombre de jours de résidence accumulé n'est pas suffisant, comme cette cour le conclut, l'appel est rejeté.

[28]      Toutefois, contrairement à ce que croyait initialement l'amicus curiae, le juge de la citoyenneté ne semble pas avoir été confus au sujet du sens et de l'application des paragraphes 5(3) et (4) (transcription : pages 30 et 31). Cette cour conclut que le juge de la citoyenneté a exercé son pouvoir discrétionnaire et, selon certains arrêts logiques, Re El-Nahoum (1992) 49 F.T.R. 75, par. [9], et Re Khat, 49 F.T.R. à la p. 252, par. [4] à [6], cette cour ne devrait pas intervenir.

                                 F.C. Muldoon

                                

                                         Juge

OTTAWA (Ontario),

le 22 janvier 1998.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :      T-1-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Affaire intéressant la LOI SUR LA
     CITOYENNETÉ
     et
     PING CHENG FENG

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 5 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT      du juge Muldoon

en date du      22 janvier 1998

ONT COMPARU :

Tina Shih      POUR L'APPELANTE

Peter K. Large      POUR L'AMICUS CURIAE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter K. Large      POUR L'AMICUS CURIAE

Toronto (Ontario)

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