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     Date: 19990708

     Dossier: T-104-91

Ottawa (Ontario), ce 8e jour de juillet 1999

En présence de l'honorable juge Pinard

     Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Demanderesse,

     - et -

     ANDRÉ COTÉ,

     Défendeur.

     JUGEMENT

     L'appel de la demanderesse est maintenu. La décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 19 septembre 1990, est cassée, et la nouvelle cotisation du 9 octobre 1987, établie à l'égard du défendeur pour l'année d'imposition 1986, est rétablie.

                            

                             JUGE

     Date: 19990708

     Dossier: T-104-91

     Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Demanderesse,

     - et -

     ANDRÉ COTÉ,

     Défendeur.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD :

[1]      Il s'agit d'un appel, de nature de novo, d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 19 septembre 1990, accordant l'appel du défendeur à l'encontre de la nouvelle cotisation qui avait été établie par le ministre du Revenu national pour son année d'imposition 1986. La Cour canadienne de l'impôt a notamment jugé qu'un montant de 3 461 $ reçu par le défendeur ne devait pas être inclus dans le calcul de son revenu en application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu1 (la Loi).

[2]      L'alinéa 6(1)b) en question prescrit ce qui suit:

6. (1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable:

[. . .]

(b) all amounts received by the taxpayer in the year as an allowance for personal or living expenses or as an allowance for any other purpose, . . .


6. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

[. . .]

b) les sommes qu'il a reçues au cours de l'année à titre d'allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d'allocations à toute autre fin, . . .


[3]      Au procès, les parties ont expressément admis les faits suivants:

-      le défendeur est un cadre supérieur du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche du gouvernement du Québec;
-      le défendeur a été déplacé de Québec à Montréal par ce ministère au cours de l'année 1986;
-      le défendeur a déménagé en 1986 de Cap Rouge près de Québec, lieu de son ancienne résidence, à St-Bruno près de Montréal, lieu de sa nouvelle résidence;
-      l'article 144 de la Directive concernant l'ensemble des conditions de travail des cadres supérieurs du gouvernement du Québec, à laquelle le défendeur est soumis, prévoit ce qui suit:
         144. Un cadre supérieur déplacé a droit, à titre de dédommagement pour les frais concomitants reliés à son déménagement, à une allocation équivalente à quatre (4) semaines de traitement à moins que des facilités complètes soient mises à sa disposition à son nouveau lieu de travail.                 
-      en application de cet article, l'employeur du défendeur a versé à celui-ci, en 1986, un montant de 3 461 $ correspondant à quatre semaines de traitement, à titre de dédommagement pour les frais concomitants reliés au déménagement de Cap Rouge à St-Bruno;
-      le défendeur a par ailleurs soumis des pièces concernant des dépenses totalisant 4 008,35 $ pour décorer la maison de St-Bruno (rideaux, tapisserie, sablage et finition de plancher, peinture et accessoires divers);
-      en plus du montant de 3 461 $ ci-dessus, le défendeur s'est vu rembourser par son employeur les frais prévus aux articles 135 et 141 de la Directive concernant l'ensemble des conditions de travail des cadres supérieurs du gouvernement du Québec, lesquelles se lisent comme suit:
         135. Lors de la recherche d'un domicile au nouveau lieu de travail, l'employeur rembourse les frais de transport et de séjour d'un cadre supérieur et de son conjoint pour la durée de la période d'absences rémunérées accordée à cette fin.                 
         141. L'employeur rembourse, sur production de pièces justificatives, les frais encourus pour le transport des meubles meublants et effets personnels d'un cadre supérieur, y compris l'emballage, le déballage, et le coût de la prime d'assurance ou les frais de remorquage d'une maison mobile à la condition qu'il fournisse à l'avance au moins deux (2) estimations détaillées des frais à prévoir.                 

[4]      Du témoignage du défendeur, il ressort en outre que:

-      son affectation à Montréal en était une à caractère obligé, et non volontaire;
-      bien qu'il ait soumis des pièces concernant des dépenses totalisant 4 008,35 $, le total des frais concomitants reliés à son déménagement a atteint 6 389,81 $, excédant substantiellement le montant qui lui a été versé en vertu de l'article 144 de la Directive concernant ses conditions de travail;
-      il n'était pas tenu, par ailleurs, de soumettre quelque pièce que ce soit concernant ces dépenses concomitantes reliées à son déménagement de Cap Rouge à St-Bruno.

[5]      La seule question en litige est celle de savoir si la somme de 3 461 $ reçue par le défendeur de son employeur, à titre de dédommagement pour les frais concomitants reliés à son déménagement, est une allocation qui doit être incluse dans le calcul du revenu du défendeur au sens de l'alinéa 6(1)b) de la Loi.

[6]      Dans l'arrêt Ransom c. M.N.R. (1967), 67 DTC 5235, la Cour de l'Échiquier du Canada a déterminé comme suit le sens à donner à une allocation, par opposition à un remboursement, dans le contexte d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu, aux pages 5243 et 5244:

         . . . Furthermore, and this is really the answer to the respondent's case, a reimbursement of an expense actually incurred in the course of the employment or of a loss actually incurred in the course of the employment is not an "allowance" within the meaning of the word in section 5(1)(b) as an allowance implies an amount paid in respect of some possible expense without any obligation to account.                 
             [. . .]                 
             An allowance is quite a different thing from reimbursement. It is, as already mentioned, an arbitrary amount usually paid in lieu of reimbursement. It is paid to the employee to use as he wishes without being required to account for its expenditure. . . .                 

[7]      Subséquemment, dans La Reine c. Pascoe, [1976] 1 C.F. 372, la Cour d'appel fédérale a défini une "allocation" comme suit, à la page 374:

         . . . Selon nous, une allocation est une somme d'argent limitée et déterminée à l'avance, versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à l'avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne. Un versement effectué pour satisfaire à une obligation d'indemniser ou de rembourser quelqu'un ou de le défrayer de dépenses réellement engagées n'est pas une allocation; il ne s'agit pas en effet d'une somme susceptible d'être affectée par celui qui la touche, à sa discrétion, à certains types de dépenses.                 

[8]      Dans Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264, aux pages 272 et 273, la Cour suprême du Canada a précisé comme suit la définition donnée au mot "allocation" dans l'affaire Pascoe, supra:

             Selon la définition de l'arrêt Pascoe, il faut, pour que l'on puisse qualifier une somme d'argent d'"allocation", qu'elle satisfasse à trois conditions: (1) la somme doit être limitée et déterminée à l'avance; (2) la somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses; (3) cette somme doit être à l'entière disposition de celui qui la touche sans qu'il ait de comptes à rendre à personne.                 
             On s'explique les deux premières conditions qui s'infèrent de l'al. 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La somme doit être limitée et déterminée à l'avance en conformité de l'arrêt, de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord écrit qui la fixe. La somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses savoir, les dépenses encourues pour subvenir aux besoins du bénéficiaire.                 
             Mais pour quelle raison la définition de l'arrêt Pascoe impose-t-elle la troisième condition qui, elle, ne s'infère clairement pas de l'al. 60b)?                 
             [. . .]                 
             Il importe de préciser ce que l'on veut dire lorsque l'on exige que, pour constituer une allocation, une somme soit "à l'entière disposition du bénéficiaire".                 
             Selon l'arrêt Pascoe, cette condition signifie que le bénéficiaire doit pouvoir affecter cette somme à certains types de dépenses mais à sa discrétion et sans avoir à en rendre compte.                 
             Cependant, cette condition peut aussi signifier que le bénéficiaire doit pouvoir disposer complètement de cette somme et que, pour autant qu'il en profite, il n'est pas pertinent qu'il ait à en rendre compte et qu'il ne puisse l'affecter à certains types de dépenses à son entière discrétion.                 
             Il me paraît, soit dit avec égards, que c'est la deuxième interprétation qui est la bonne, selon la jurisprudence que l'arrêt Pascoe semble avoir erronément interprétée.                 
             Ce qui importe, ce n'est pas la manière dont un contribuable peut disposer ou être obligé de disposer des sommes qu'il reçoit mais bien plutôt le fait qu'il puisse en disposer ou non.                 
                         (C'est moi qui souligne.)                 

[9]      Plus tard, dans Procureur général du Canada c. Roland M. MacDonald (23 mars 1994), A-1523-92, monsieur le juge Linden pour la Cour d'appel fédérale, référant à Ransom, Pascoe et Gagnon, supra, a énoncé comme suit le principe général qui permet de définir "allocation" pour l'application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi:

             Néanmoins, il découle des décisions Ransom, Pascoe et Gagnon que le principe général qui permet de définir l'"allocation" pour l'application de l'alinéa 6(1)b) comporte trois éléments. En premier lieu, une allocation est une somme arbitraire, c'est-à-dire une somme déterminée à l'avance sans tenir expressément compte d'une dépense ou d'un coût réel. Cependant, ainsi que je l'ai déjà signalé, le montant de l'allocation peut être établi en fonction d'une prévision ou d'une moyenne des dépenses ou des coûts. En deuxième lieu, l'alinéa 6(1)b) englobe les allocations pour frais personnels ou de subsistance ou pour toute autre fin, de sorte que l'allocation vise habituellement une fin déterminée. En troisième lieu, le bénéficiaire de l'allocation peut en disposer à sa guise, en ce sens qu'il n'est pas tenu de démontrer que l'argent a servi à une dépense ou à un coût réels.                 

[10]      L'arrêt subséquent de la Cour d'appel fédérale, dans J.Robert Verdun c. Sa Majesté La Reine (6 février 1998), A-293-97, toujours sous la plume du juge Linden, réitère comme suit les mêmes principes:

             Une allocation est habituellement une somme d'argent qui sert à couvrir des dépenses personnelles, tandis qu'un avantage est normalement, mais pas exclusivement, un avantage non pécuniaire. En l'espèce, l'argent reçu par le requérant visait à le défrayer de ses frais de repas lorsqu'il travaillait à son bureau d'Elmira, situé à une vingtaine de milles de sa résidence de Wellesly, quatre soirs par semaine. Quoique le requérant affirme que les montants payés étaient raisonnables, la Loi de l'impôt sur le revenu, dans sa rédaction actuelle, ne lui permet pas de demeurer non assujetti à l'impôt sur ces rentrées, si raisonnables qu'elles puissent lui sembler.                 
             Conformément aux principes exposés par la présente Cour dans l'arrêt Procureur général du Canada c. MacDonald, [1994] A.C.F. no 378 : 1) il s'agissait de montants fixes ou arbitraires qui avaient été calculés à l'avance (même s'ils étaient fondés sur une estimation de coût éventuel); 2) ces montants ont été versés pour couvrir des dépenses personnelles en lieu et place d'un remboursement; et 3) il n'était pas obligatoire de les comptabiliser. En tant que tels, ces paiements étaient une allocation et étaient imposables comme un revenu parce que le requérant pouvait, s'il le voulait, utiliser l'argent comme bon lui semblait sans avoir à présenter des reçus. Même lorsque ces montants ne sont pas utilisés dans un but inapproprié, et même lorsqu'ils représentent des estimations raisonnables des coûts, la loi les traite comme une rémunération supplémentaire et non comme un remboursement de dépenses, ce qui nécessite la présentation de reçus détaillés. . . .                 

[11]      Appliquant au présent cas les principes définis et précisés au fil des ans par la jurisprudence ci-dessus, il est clair que la somme de 3 461 $ payée au défendeur par son employeur, à titre de dédommagement pour les frais concomitants reliés au dédommagement du premier, constitue une allocation qui doit être incluse dans le calcul du revenu du défendeur au sens de l'alinéa 6(1)b) de la Loi. Non seulement ce montant est-il défini comme une "allocation" dans la disposition particulière des conditions de travail du défendeur en vertu de laquelle il a été payé, mais 1) il s'agit d'un montant fixe qui a été calculé à l'avance; 2) ce montant a été versé pour couvrir des dépenses personnelles en lieu et place d'un remboursement; et 3) il n'était pas obligatoire de le comptabiliser. La preuve de ces trois derniers éléments suffit pour entraîner l'application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi à l'encontre d'un contribuable, peu importe si le montant reçu est inférieur aux dépenses personnelles réellement encourues et peu importe si le contribuable a unilatéralement choisi de produire des pièces attestant de ces dépenses. Dans les circonstances, je ne peux que faire miens les propos suivants de monsieur le juge Linden dans l'affaire Morris c. M.E.I. (2 septembre 1997), A-281-96:

             Bien que la Cour éprouve une certaine sympathie pour le requérant et les autres personnes dans la même situation, malheureusement la Loi de l'impôt sur le revenu et les décisions rendues sous son régime exigent qu'un paiement comme celui-ci soit considéré comme une allocation en vertu de l'alinéa 6(1)b). . . .                 

[12]      En conséquence, l'appel de la demanderesse est maintenu, la décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 19 septembre 1990, est cassée, et la nouvelle cotisation du 9 octobre 1987, établie à l'égard du défendeur pour l'année d'imposition 1986, est rétablie.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 juillet 1999


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     1      L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1, telle que modifiée.

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