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     IMM-4477-96

OTTAWA (ONTARIO), le 24 octobre 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

     FATMA CICEK,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

         La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié a statué, le 25 octobre 1996, que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention est rejetée.

                                         YVON PINARD

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme :                 

                                         François Blais, LL.L.

     IMM-4477-96

ENTRE :

     FATMA CICEK,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

         La requérante demande le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration du statut de réfugié a statué, le 25 octobre 1996, qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention par application de la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

         La Commission a rendu sa décision le 25 octobre 1996, après avoir tenu des audiences le 1er août 1995, le 22 septembre 1995, le 6 novembre 1995 et le 17 janvier 1996.

         La décision du tribunal se fonde, semble-t-il, tout simplement sur la conclusion que la requérante n'était pas crédible. La Commission, soulignant des incohérences et des éléments non plausibles dans le témoignage de la requérante, a précisé que chacun de ces éléments incohérents ou non plausibles a été signalé à la requérante et qu'elle n'a été en mesure de fournir une explication satisfaisante relativement à aucun de ces éléments. La Commission a alors conclu que la preuve ne l'avait pas persuadée, selon la prépondérance des probabilités, que les événements en cause s'étaient effectivement produits. Selon la Commission, les inexactitudes du témoignage de la requérante ont entraîné le rejet de son témoignage [Traduction] "quant au bien-fondé de la crainte qu'elle prétend éprouver".

         La soeur de la requérante a également témoigné en son nom, mais son témoignage a également été rejeté parce qu'il n'était pas crédible ni digne de foi. De l'avis de la Commission, son comportement lors de son témoignage n'était pas satisfaisant et elle a refusé de répondre à des questions raisonnables qui lui ont été posées.

         De plus, la Commission a jugé qu'en attendant six mois avant de revendiquer le statut de réfugié, la requérante avait agi de façon incompatible avec sa prétention de crainte bien fondée d'être persécutée.

     * * * * * * * * * * * * *

         La requérante soutient, essentiellement, que le tribunal a rendu sa décision sans tenir dûment compte de la preuve de ses faiblesses intellectuelles et de ses troubles émotifs.

         La personne qui enquête directement sur les faits a l'occasion d'évaluer le comportement, les réactions et les réponses du revendicateur aux questions qui lui sont posées. Monsieur le juge Décary a statué, dans l'arrêt Aguebor v. Canada (M.C.I.) (1993), 160 N.R. 351, à la page 316, que le tribunal est le mieux placé pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.1                 

         Les tribunaux ont aussi statué qu'une conclusion défavorable concernant la crédibilité peut être étendue à toute la preuve pertinente tirée du témoignage (voir Sheikh v. Canada (M.E.I.) (1990) 11 Imm. L.R. (2d) 81 (C.A.F.)).

         En l'absence de preuve médicale versée au dossier, je suis d'avis que notre Cour ne doit pas modifier la conclusion du tribunal concernant la crédibilité en l'espèce. Le tribunal disposait d'une preuve abondante à partir de laquelle tirer sa conclusion, compte tenu des incohérences, contradictions et éléments non plausibles relevés. Il ressort de la décision du tribunal et de la transcription de l'audience, qu'on a donné à la requérante la possibilité réelle de répondre aux questions que le tribunal se posait sur sa crédibilité. Or, elle n'a pas réussi à donner d'explication satisfaisante relativement à l'une ou l'autre des contradictions qui ont été portées à son attention. Dans les circonstances, la requérante n'ayant pas démontré que le tribunal a tiré une conclusion erronée quelconque, je dois conclure qu'elle ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir que les conclusions du tribunal étaient déraisonnables.

         La requérante se plaint en outre de ne pas avoir reçu les rubans d'enregistrement des audiences tenues devant le tribunal, bien qu'elle en ait fait la demande. Il convient de souligner que la requérante n'a jamais demandé à notre Cour de rendre une ordonnance enjoignant au tribunal de lui remettre ces rubans. Étant donné que les transcriptions des audiences étaient accessibles et que la requérante n'a pas pu relever un seul cas dans lequel la traduction n'était effectivement pas fidèle, rien n'étaye selon moi la prétention de la requérante selon laquelle elle a été traitée de façon inéquitable parce qu'elle n'a pas reçu l'enregistrement complet et exact des audiences.

         La Cour suprême du Canada a examiné récemment les principes à appliquer concernant l'absence d'un enregistrement fidèle. Le juge L'Heureux-Dubé a fait la remarque suivante, au nom de la Cour dans la décision Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, aux pages 839 et 840 :

             En l'absence de toute exigence de la loi, l'exigence traditionnelle de la common law quant à la constitution d'un dossier des délibérations d'un tribunal administratif comprend la pièce de procédure ayant initié l'instance et le document contenant la décision du tribunal. Ni les motifs de la décision ni la preuve déposée au cours de l'audition n'ont été considérés comme des éléments indispensables du dossier à présenter au tribunal d'instance supérieure siégeant en appel ou en révision. De plus, les organismes administratifs ne sont pas normalement tenus de produire des compte rendus textuels de leurs délibérations: voir D. Jones and A. de Villars, Principles of Administrative Law (2e éd. 1994), aux pp. 375 et 376.                 
             Il ressort clairement de leur jurisprudence que les tribunaux d'instance inférieure ont pris leurs distances face à cette interprétation traditionnelle. Plus particulièrement, dans l'arrêt Tung c. Minister of Employment and Immigration (1991), 124 N.R. 388, la Cour d'appel fédérale a conclu que, étant donné que l'absence d'une transcription de l'audition devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié nuisait à l'appelant quant à sa capacité d'interjeter appel contre la décision en question, cette absence constituait un déni de justice naturelle. Cependant, la Cour d'appel fédérale a expressément montré son désaccord avec cet arrêt dans des affaires subséquentes: Kandiah c. Minister of Employment and Immigration (1992), 141 N.R. 232, dont le principe a été suivi dans l'arrêt Rhéaume c. Canada (1992), 153 N.R. 270. Dans l'arrêt Kandiah, la Cour d'appel fédérale a reconnu la préoccupation sous-tendant l'arrêt Tung, à savoir qu'un requérant puisse être dépouillé de ses moyens de révision ou d'appel dans le cas où il n'existe pas de transcription des délibérations de l'audition en litige. Cependant, la cour a statué que si la décision que la cour devait rendre pouvait être rendue sur la foi d'autres éléments de preuve, les principes de justice naturelle ne seraient pas enfreints. La cour siégeant en révision devrait s'abstenir d'annuler l'ordonnance administrative dans ces cas-là. La doctrine considère cet arrêt comme faisant autorité sur la question: R. W. Macaulay et J. L. H. Sprague, Hearings Before Administrative Tribunals (1995), à la p. 12-98.                 

Elle a ajouté, aux pages 841 et 842 :

             À mon avis, les arrêts Kandiah et Hayes, précités, fournissent un excellent énoncé des principes de justice naturelle applicables à l'enregistrement des délibérations d'un tribunal administratif. Dans le cas où l'enregistrement est incomplet, le déni de justice découlerait de l'insuffisance de l'information sur laquelle la cour siégeant en révision peut fonder sa décision. Par conséquent, l'appelant peut se voir nier ses moyens d'appel ou de révision. Les règles énoncées dans ces arrêts empêchent que ce résultat malheureux ne se produise. Elles écartent aussi le fardeau inutile des délibérations administratives et de la répétition superflue d'un examen des faits qui serait entrepris longtemps après que les événements en question sont survenus.                 
             En l'absence d'un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. Si c'est le cas, l'absence d'une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d'une transcription. Étant donné que cet enregistrement n'a pas à être parfait pour garantir l'équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une "possibilité sérieuse" de négation d'un moyen d'appel ou de révision. Ces principes garantissent l'équité du processus administratif de prise de décision et s'accommodent d'une application souple dans le contexte administratif.                 

                             (non souligné dans l'original)

         Compte tenu de cette déclaration récente de la Cour suprême, j'estime devoir trancher uniquement la question de savoir si la Cour dispose d'un dossier qui lui permet de statuer convenablement sur la demande. Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis que les transcriptions et la preuve documentaire dont la Cour dispose le lui permettent en l'occurrence. Les incohérences et les contradictions relevées par le tribunal apparaissent dans le dossier et suffisent pour justifier sa conclusion que la requérante n'était pas crédible.

         Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (Ontario)

24 octobre 1997

                                         YVON PINARD

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme :                 

                                         François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-4477-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          FATMA CICEK c. MCI
LIEU DE L'AUDITION :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDITION :          22 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DE L'ORDONNANCE :          24 octobre 1997

ONT COMPARU :

Me Pheroze Jeejeebhoy                  POUR LA REQUÉRANTE
Me Kevin Lunney                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Frank Bernhardt                      POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Voir aussi Rajaratnam v. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

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