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Date : 19980420


Dossier : T-860-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C.(1985), ch. C-29

ET


un appel contre une décision

     d'un juge de la Cour de la citoyenneté

     ET

     QIMING GE,

                                         appelant.

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le Juge GIBSON :

[1]      L'appelant interjette appel contre une décision datée du 14 mars 1997 par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé de lui attribuer la citoyenneté pour le motif qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1) (c) de la Loi sur la citoyenneté. La lettre qui a informé l'appelant de la décision ne fournissait aucune explication valable.

[2]      Voici le résumé des faits dans la présente affaire. Né à Beijing en Chine, l'appelant est citoyen de la République populaire de Chine. Il était âgé de 42 ans le jour où l'audience a été tenue devant moi. L'appelant est arrivé au Canada pour la première fois en 1988. À ce moment, il travaillait pour une agence gouvernementale chinoise intéressée à établir des relations, commerciales entre autres, avec le Canada. Il est demeuré au Canada environ trois ans, période durant laquelle son épouse et son fils sont venus le retrouver.

[3]      M. Ge et sa famille sont retournés en Chine. Après avoir quitté son emploi, l'appelant a pris des mesures pour revenir au Canada grâce à un permis de travail. Arrivé au Canada en septembre 1992, il a accepté de travailler pour Targa International Corporation, une société de placement dont le siège social est situé à Toronto qui négocie divers projets d'investissement dans les secteurs des ressources naturelles, de la fabrication, de l'immobilier et du transfert de technologie. Son épouse et son fils sont de nouveau venus le rejoindre au Canada.

[4]      Peu de temps après avoir fait l'acquisition d'une propriété, l'appelant et sa famille l'ont vendue pour redevenir locataires comme au début.

[5]      M. Ge possède bon nombre de biens qui sont des indices habituels de résidence au Canada, y compris un compte en banque, des cartes de crédit, un permis de conduire, un régime d'épargne-retraite et une assurance-vie. Il a payé des impôts au Canada pendant une certaine période.

[6]      En 1995, Targa, son employeur, a acheté des intérêts substantiels dans World Wide Minerals, une société établie au Canada dont les actions sont cotées en bourse et dont les activités sont la prospection et la valorisation de matières premières minérales à l'échelle mondiale. À la vice-présidence de World Wide Minerals, M. Ge est devenu le responsable des activités de la société en Chine qui semblent assez importantes. À l'automne 1995, il est reparti en Chine ouvrir un bureau et y gérer les activités. Son épouse et son fils l'ont rejoint en Chine où ils sont demeurés tous les trois. Il n'aurait pas été locataire ou propriétaire d'un domicile au Canada depuis le printemps 1996. Il ne possède pas non plus de domicile en Chine ou ailleurs. Ses meubles sont entreposés au Canada. Il a une boîte postale au Canada et une boîte à lettres vocale qu'il écoute chaque jour.

[7]      M. Ge a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 15 avril 1996. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada en mars 1994. Il s'est absenté assez souvent du Canada pendant de courtes périodes, apparemment toujours par affaires, durant les quatre années qui ont précédé la présentation de sa demande de citoyenneté canadienne. La situation a changé en octobre 1995. Bien qu'il vive encore à l'extérieur du Canada avec son épouse et son fils, il est assez confiant que les affaires en Chine se stabiliseront de façon à lui permettre de revenir avec sa famille au Canada, comme il le souhaiterait, avant la fin de l'année 1998. En attendant, les vacances de la famille sont prises à l'extérieur du Canada.

[8]      L'avocat de M. Ge a reconnu que, pour un appel comme celui-ci, rien ne m'empêche de tenir compte des événements depuis la date de la demande de citoyenneté de M. Ge.

[9]      Dans Re Hajjar,1 Le Juge Lutfy a écrit :

                 En l'absence d'une définition légale, les tribunaux ont interprété le sens de l'expression "pendant au moins trois ans en tout" figurant à l'alinéa 5(1)c ) de la Loi. Dans l'affaire Papadogiorgakis, le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a dit que les mots "résidence" et "résident" employés à l'alinéa 5(1)c ) ne sont pas limités à la présence effective au Canada.                 
                 Une quinzaine d'années plus tard, Madame le juge Reed a examiné la jurisprudence que cette Cour avait établie depuis que la décision Papadogiorgakis, qui faisait autorité, avait été rendue. Dans l'affaire Koo, Madame le juge Reed a conclu que le critère qu'il convient d'appliquer est celui de savoir si le Canada est le lieu où la personne en cause "vit régulièrement, normalement ou habituellement" ou encore le pays où elle a centralisé son mode d'existence. Aux fins de pareille décision, il faut notamment tenir compte de la durée des séjours de la personne en cause au Canada, de la question de savoir où résident la famille immédiate et la famille étendue de cette personne, de l'étendue des absences et des motifs y afférents, de la qualité des attaches de la personne avec le Canada par rapport à celles qui existent avec un autre pays et de la question de savoir si le temps passé au Canada dénote que la personne en cause revient dans son pays, par opposition à une simple visite.                 
                 Dans l'affaire Ng, mon collège le juge Cullen, après avoir examiné les décisions rendues dans les affaires Papadogiorgakis et Koo, a de nouveau énoncé certains de ces critères en des termes plus précis. Il a parlé du fait que la personne en cause a établi et maintenu son lieu de résidence au Canada ou, autrement dit, qu'elle a "établi une résidence au Canada, maintenu un pied-à-terre au Canada et [a] eu l'intention de résider au Canada". Le juge a également fait remarquer que la jurisprudence parlait du [TRADUCTION] "critère de résidence" et de la [TRADUCTION] "qualité des attaches" et que le critère le plus strict, soit celui de la qualité des attaches, prend de plus en plus d'importance.                 
                 Dans un certain nombre de décisions, cette Cour a accueilli des appels en matière de citoyenneté lorsque les absences de l'appelant étaient aussi longues que celles du présent appelant. D'autres décisions récentes sont plus restrictives. Le législateur n'a pas modifié la définition des mots "résident" et "résidence" figurant à l'alinéa 5(1)c ) au cours des vingt années qui se sont écoulées depuis que la décision Papadogiorgakis a été rendue et, au cours de ces vingt années, plusieurs juges de cette Cour ont interprété ces dispositions d'une façon qui, dans certaines circonstances, permet de longues absences.                 
                                      [citations omises]                 

[10] Dans Re Leung2 et dans Re Chang, 3 j'ai cité et approuvé le passage suivant du Juge Dubé dans Re Lui-Tsun James Yun : 4

                 Comme j'ai eu l'occasion de me prononcer dans l'affaire Siu Chung Hung, qui ressemble beaucoup à l'espèce, "le lieu où réside une personne n'est pas celui où elle travaille, mais celui où elle retourne après avoir travaillé ". Lorsqu'un candidat à la citoyenneté a clairement et indubitablement établi un foyer au Canada, avec l'intention apparente de maintenir des racines permanentes dans ce pays, on ne devrait pas le priver de la citoyenneté simplement parce qu'il doit gagner sa vie et celle de sa famille en faisant affaires à l'étranger. Certains résidents canadiens peuvent travailler à partir de leur propre maison, d'autres retournent à la maison après le travail quotidien, d'autres y retournent chaque semaine et d'autres après de longues périodes à l'étranger. L'indice le plus éloquent de résidence est l'établissement d'une personne et de sa famille dans le pays, associé avec une manifeste intention de faire de l'établissement leur foyer permanent.                 

[11] La jurisprudence précitée m'amène à conclure, en tenant compte non seulement de ses absences du Canada avant sa demande de citoyenneté canadienne, mais aussi de son comportement depuis cette date, que le requérant ne remplit pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1) (c) de la Loi. Je ne suis pas convaincu qu'il ait jamais établi " de façon évidente et définitive " un foyer au Canada ou qu'il ait, à ce jour, démontré une " intention manifeste " de maintenir des racines permanentes dans ce pays. Il ne possède plus de domicile au pays depuis quelque temps. Il vit en Chine avec son épouse et son fils. Son fils va à l'école en Chine. Il prend ses vacances à l'extérieur du Canada. D'autre part, le centre d'opération de son employeur se situe au Canada malgré l'existence d'un établissement en Chine géré par l'appelant. Ses paies sont déposées dans un compte en banque au Canada. Il se sert de cartes de crédit canadiennes pour payer ses frais de subsistance. Il n'a aucun domicile en Chine ou ailleurs. Ses meubles sont entreposés au Canada. Il a une boîte postale au pays. Il a un numéro de téléphone et une boîte vocale au Canada dont il écoute les messages tous les jours. Il possède un permis de conduire, un RÉR, une assurance-vie et d'autres biens qui constituent des indices de son passé et de son avenir au Canada.

[12] Le Canada n'est pas le lieu où M. Ge retourne après son travail même si, en toute impartialité, aucun endroit ne l'est en ce moment. M. Ge ne s'est pas, du moins jusqu'ici, établi avec sa famille au Canada. En l'absence d'un tel établissement, l'intention qu'il exprime d'avoir un jour une résidence permanente au Canada représente simplement un souhait.

[13] Pour ces motifs , j'ai dû rejeter avec regret le présent appel. Je suis convaincu que M. Ge est sincère lorsqu'il exprime son désir d'établir un foyer au Canada. Le permis de retour pour résident permanent qu'il continue de détenir prouve bien son intention. Je suis convaincu que si un jour son souhait se réalise, il deviendra un excellent citoyen canadien.

                         FREDERICK E. GIBSON
                         -------------------------------------------------
                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                          T-860-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              La Loi sur la citoyenneté et Qiming Ge
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 8 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS

À L'AUDIENCE PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                      20 avril 1998

COMPARUTIONS :

Mme Barbara Jo Carus                  pour l'appelant
M. Peter K. Large                      amicus curiae

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Smith Lyons                          pour l'appelant

Toronto (Ontario)

M. Peter K. Large                      amicus curiae

Barrister & Solicitor

Toronto (Ontario)


Date : 19980420


Dossier : T-860-97

Toronto (Ontario), le mercredi 8 avril 1998

EN PRÉSENCE de M. le juge Gibson

         AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
         L.R.C.(1985), ch. C-29
         ET
         un appel contre une décision
         d'un juge de la Cour de la citoyenneté
         ET
         QIMING GE,

                                         appelant.

     JUGEMENT

Le présent appel est rejeté. Motifs à suivre.

                         " Frederick E. Gibson "
                         -------------------------------------------------
                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.



__________________

     1      Le 5 février 1998, dossier : T-1115-95 (C.F. 1re inst.), inédit.

     2      Le 22 janvier 1998, dossier : T-241-97 (C.F. 1re inst.)(inédit)

     3      [1997] A.C.F. no 1507

     4      10 octobre 1997, dossier : T-2066-96, (C.F. 1re inst.), inédit.

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