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     Date: 20000531

     Dossier: IMM-573-99


Ottawa (Ontario), le 31 mai 2000

DEVANT : MADAME LE JUGE E. HENEGHAN


ENTRE :


DANIEL GNANAPRAGASAM

     demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur



ORDONNANCE ET MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE HENEGHAN

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision que la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 29 décembre 1998. Dans sa décision, la Commission a conclu que Daniel Gnanaprasagam (le demandeur) n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est citoyen sri-lankais. Il revendique le statut de réfugié en se fondant sur les opinions politiques qu"on lui impute, sur sa race et sur son appartenance à un groupe social. Le demandeur est un Tamoul du nord de Sri Lanka.

[3]      Dans sa décision, la Commission a conclu que l"intéressé était généralement crédible et qu"il était Tamoul. Néanmoins, la Commission a conclu qu"il n"avait pas raison de craindre d"être persécuté à Sri Lanka pour un motif prévu par la Convention.

[4]      La Commission a examiné la preuve documentaire; elle estimait que l"intéressé pouvait retourner dans le nord de Sri Lanka. Elle a en outre conclu qu"à cause de son âge, le demandeur ne fait pas partie du groupe de Tamouls qui sont le plus en danger. La Commission a conclu qu"en général, l"armée ne s"en prend pas aux personnes de l"âge du demandeur.

[5]      Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280 (1re inst.), Madame le juge Tremblay-Lamer a utilisé l"" approche pragmatique et fonctionnelle " pour déterminer la norme de contrôle qui s"applique aux décisions de la section du statut de réfugié. Madame le juge Tremblay-Lamer a conclu que la norme de contrôle appropriée était encore celle de la " décision manifestement déraisonnable " :

         Prenant en compte tous ces facteurs, comme l'exige l'approche pragmatique et fonctionnelle, et après un examen minutieux des arrêts de la Cour suprême dans Pushpanathan et Baker, je suis d'avis que la norme de contrôle appropriée lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en cas de renvoi en Inde est celle du caractère manifestement déraisonnable.
         Toutefois, l'adoption d'une approche mettant davantage l'accent sur la retenue judiciaire n'empêche pas la présente Cour d'intervenir s'il y a une erreur évidente, ou si la conclusion de la Commission ne s'appuie pas sur une interprétation raisonnable des faits.
         [...]
         En définitive, la Cour chargée du contrôle devra effectuer un examen approfondi de la décision afin d'évaluer si les motifs de la décision du tribunal sont fondés sur la preuve et de s'assurer qu'ils ne sont pas manifestement illogiques ou irrationnels.1

[6]      Dans ce contrôle judiciaire, le demandeur soutient principalement que la Commission n"a pas tenu compte de la preuve documentaire en arrivant à sa décision. La preuve dont la Commission aurait omis de tenir compte est composée de l"affidavit de Rudramoorthy Cheran. Le demandeur a soumis cet affidavit à la suite de l"audience tenue par la Commission.

[7]      À l"appui de son argument, le demandeur affirme que, dans sa décision, la Commission n"a pas fait de remarques au sujet de l"affidavit de M. Cheran. Le demandeur soutient également que la Commission n"a pas tenu compte de l"affidavit du mois de novembre 1998 de M. Cheran et qu"elle a fondé sa décision sur des renseignements datant du mois de janvier 1998, selon lesquels [TRADUCTION] " la vie reprend son cours normal " et [TRADUCTION] " les forces gouvernementales contrôlent Jaffna ". Le demandeur affirme que les renseignements du mois de janvier 1998 ne permettent pas de conclure qu"il n"est pas en danger, compte tenu de la preuve documentaire fournie par M. Cheran, en date du mois de novembre 1998.

[8]      Aux paragraphes 28 à 35 de l"affidavit de Rudhramoorthy Cheran figure un compte rendu de la situation à Jaffna, au mois de novembre 1998 :

         [TRADUCTION]
         Le Service administratif de l"Eelam Tamoul, qui est le service administratif des LTTE, a envoyé un avis écrit à tous les magistrats des secteurs de Jaffna qui sont sous le contrôle de l"armée sri-lankaise, leur ordonnant de ne pas se présenter au travail. Ces avis ont été remis par messager étant donné que les LTTE peuvent facilement envoyer leurs partisans ici et là dans le territoire contrôlé par l"armée. Les magistrats ne se présentent pas au travail car ils craignent d"être tués s"ils désobéissent aux LTTE. Les cours de magistrat, à Jaffna, Point Pedro, Chavakachcheri, Kayts et Mallakam ne siègent donc pas. Des avertissements similaires ont été renvoyés aux avocats, aux directeurs d"écoles, aux enseignants et aux transporteurs publics. Cela a créé le chaos dans l"administration civile. Des affiches ont également été apposées à Jaffna, dans lesquelles on demandait l"évacuation de toutes les résidences civiles situées à proximité des camps militaires et des points de contrôle.
         29. La campagne d"avertissement a commencé après l"assassinat du maire Jaffna, Ponnudurai Sivapalan, le deuxième maire de Jaffna à être récemment assassiné par les LTTE. M. Sivapalan a été tué le 11 septembre 1998. C"était un de mes amis, de sorte qu"après son décès, je suis allé voir sa conjointe pendant que j"étais à Colombo, Sri Lanka.
         30. Les LTTE ont également continué à proférer des menaces contre les membres de tous les organismes gouvernementaux locaux pour qu"ils démissionnent. De nombreux membres ont démissionné, mais ceux qui ont résisté aux sommations des LTTE ont été assassinés. Le 6 octobre 1998, un membre de l"EPDP du conseil local du secteur de Karaveddy, Kanagasabai Rasathurai, a été tué d"un coup de fusil.
         31. Les disparitions et les autres abus commis en matière de droits de la personne vont en augmentant. Le 5 novembre 1998, les personnes ci-après désignées ont disparu après avoir été arrêtées par l"armée à Jaffna :
             Selvaraj Lavanaraj (12), élève de septième année au collège hindou de Jaffna;
             Rasiah Thavarasa (32), de Kopay;
             Poopalasingam Uthayakumar (23), de Kokuvil;
             Manikkam Nageswaran (26), de Point Pedro;
             Arumugam Chandramohan (25), de Karanavai;
             Iyathurai Baskaran (20), de Kudatahnai.
         32. Le 16 octobre 1998, le grand prêtre du temple hindou de Selvachannithy, à Jaffna, a disparu. On croyait qu"il avait été arrêté par l"armée, mais il n"a pas été possible d"obtenir des renseignements. Ce n"est que le 29 octobre 1998, après que de multiples plaintes eurent été déposées que les représentants de la Commission des droits de la personne, à Jaffna, l"ont trouvé dans un camp de l"armée.
         33. Le nombre de disparitions signalées était particulièrement élevé en 1996, après que les militaires eurent repris Jaffna, mais la disparition de civils tamouls continue à poser un grave problème. Je crois que le nombre de disparitions a baissé depuis la campagne de 1996, mais je crois également que les disparitions sont loin d"être toutes signalées.
         34. Jusqu"au mois d"août 1998, la censure relevait d"un bureau qui faisait partie de l"administration civile du gouvernement sri-lankais. Depuis le mois d"août, elle relève directement des militaires, et elle s"applique maintenant partout à Sri Lanka de sorte qu"il est de plus en plus difficile de signaler les abus commis à Jaffna en matière de droits de la personne.
         35. Je crois que le taux de disparitions était plus élevé à la fin de l"année 1995 et en 1996 parce que l"armée tentait de s"assurer le plein contrôle de la région. Je crois que la diminution constatée par la suite n"était pas attribuable à un changement d"attitude de la part de l"armée, mais au fait que l"on avait planifié une augmentation subite des disparitions à cette fin à ce moment-là. L"armée continue à " faire disparaître "des individus lorsqu"elle le souhaite.

[9]      En réponse aux prétentions du demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le défendeur) soutient que la Commission n"a pas pu avoir omis de tenir compte de la preuve étant donné qu"elle fait expressément mention de l"affidavit de M. Cheran à la première page de sa décision. Le défendeur maintient également qu"il incombe à la Commission d"apprécier la preuve et de déterminer l"importance à accorder à chaque élément de preuve. En outre, le défendeur soutient que la Commission n"est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve.

[10]      Il est bien établi que la Commission n"a pas à mentionner chaque élément de preuve qui lui est soumis. Dans l"arrêt Florea c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)2, le juge Hugessen a dit ce qui suit :

         Le fait que la section n"a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n"est pas un indice qu"elle n"en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu"à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l"appel est rejeté.3

[11]      De même, dans l"arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d"oeuvre et de l"Immigration)4, le juge Laskin a fait la remarque suivante :

         Je ne puis conclure que la Commission a méconnu ce témoignage et a ainsi commis une erreur de droit que cette Cour doit corriger. Le fait qu"il n"est pas mentionné dans les motifs de la Commission n"entache pas sa décision de nullité. Il figurait au dossier; sa crédibilité et sa force probante pouvaient être appréciées avec les autres témoignages en l"espèce et la Commission avait la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi.5

[12]      En outre, je tiens à faire remarquer que la Commission a en fait mentionné l"affidavit de M. Cheran en résumant la preuve produite à l"audience et après l"audience.

[13]      Dans son affidavit, M. Cheran décrit une triste situation à Jaffna. Il raconte que le maire de Jaffna a été assassiné par les LTTE et que ceux-ci continuent à proférer des menaces à l"endroit des membres des gouvernements locaux. M. Cheran fait également remarquer qu"un certain nombre d"individus ont disparu, mais qu"ils sont en général beaucoup plus jeunes que le demandeur. Toutefois, compte tenu du contenu de l"affidavit Cheran, il ne semble pas que la Commission ait agi d"une façon manifestement déraisonnable en se fondant sur d"autres éléments de preuve documentaire qui avaient été soumis. Lorsque des éléments de la preuve documentaire se contredisent, la Commission peut à bon droit choisir ceux qu"elle préfère. (Voir, par exemple, Ganiyu-Giwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1995] A.C.F. no 506, IMM-3526-94 (28 mars 1995) (C.F. 1re inst.)).

[14]      La décision de la Commission selon laquelle le demandeur ne serait pas en danger s"il retournait à Sri Lanka ne peut pas être considérée indépendamment de la conclusion de la Commission selon laquelle le profil du demandeur ne correspond pas à celui d"un individu à qui l"on s"en prendrait dans le nord de Sri Lanka. Cette conclusion est étayée par la preuve documentaire.

[15]      Compte tenu de la preuve dont je dispose et des arguments que les avocats ont présentés à l"audience, je ne puis conclure que la Commission a omis de tenir compte de la preuve ou qu"elle a commis une erreur susceptible de révision.

[16]      Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17]      Les avocats des parties disposeront d"un délai de sept jours à compter de la réception des présents motifs pour demander la certification d"une question.


ORDONNANCE

[18]      IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.


                             " E. Heneghan "

                                     J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario),

le 31 mai 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-573-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Daniel Gnanapragasam c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 12 janvier 2000

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Heneghan en date du 31 mai 2000


ONT COMPARU :

David P. Yerzy          pour le demandeur

Ian Hicks          pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David P. Yerzy          pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1 Ibid. aux par. 15-17.

2 [1993] A.C.F. no 598, A-1307-91 (11 juin 1993) (C.A.).

3 Ibid. au par. 1.

4 [1973] R.C.S. 102.

5 Ibid.

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