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Date : 20020313

Dossier : T-2078-00

OTTAWA ( ONTARIO), MERCREDI LE 13 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                            BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY et

                                           BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                 - et-

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                                   

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, l'appel est rejeté avec dépens quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                                      « François Lemieux »    

                                                                                                                                                                                                                          

                                                                                                                                                           J U G E          

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20020313

Dossier : T-2078-00

Référence neutre : 2002 CFPI 278

ENTRE :

                                            BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY et

                                           BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                 - et-

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                                   

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

CONTEXTE


[1]         Apotex Inc. (Apotex) cherche à faire infirmer la décision rendue le 7 février 2002 par Madame la protonotaire Aronovitch qui a accueilli en partie la requête des demanderesses visant à modifier l'ordonnance de non-divulgation existante rendue le 2 mars 2001 dans la présente instance de contrefaçon de brevet dans laquelle Bristol-Myers Squibb Company et Bristol-Myers Squibb Canada Inc. (BMS) prétendent qu'Apotex vend un composé, en l'espèce du nefazodone hydrochloride (le produit), en utilisant des procédés que BMS a aussi revendiqués dans le brevet en litige.

[2]         BMS a demandé, mais s'est vu refuser, une modification de l'ordonnance de non-divulgation restreignant aux avocats l'accès aux renseignements.

[3]         Les modifications autorisées par Madame la protonotaire Aronovitch ont créé une « catégorie de renseignements confidentiels - pour avocat et expert seulement » par rapport aux renseignements confidentiels ou à des renseignements financiers exclusifs, qu'ils soient personnels ou liés à des activités commerciales, c'est-à-dire qui sont commercialement sensibles ou des renseignements commerciaux concurrentiels (la nouvelle catégorie).

[4]         La nouvelle catégorie est composée des éléments suivants :

a)         un avocat de l'extérieur pour les demanderesses et la défenderesse;

b)         un nombre maximum de deux personnes employées par une partie prenant part à l'instance qui agissent comme avocats internes, comptables agréés internes ou vérificateurs pour le compte de cette partie;

c)          un nombre maximum de cinq personnes qui ne sont pas employées par une partie ou l'autre ni par un compétiteur direct de l'une des parties au litige et dont les services sont retenus par une partie ou l'autre comme experts externes;

d)         toutes autres personnes, selon ce que les parties auront convenu par écrit ou selon ce que la Cour aura ordonné.


[5]         Les modifications autorisées comprennent un nouveau paragraphe 18A qui permet à l'avocat interne, au comptable agréé interne ou au contrôleur de :

[traduction]

[...] révéler aux dirigeants de la partie la nature générale des renseignements mais ne peut pas révéler les détails précis contenus dans ces renseignements.

Il est précisé qu'il n'y a rien dans l'ordonnance de non-divulgation modifiée qui empêcherait ces personnes de révéler à la partie leur évaluation du montant total des dommages subis par les demanderesses ou des profits réalisés par la défenderesse, et ce, dans le but d'informer l'avocat.

[6] Apotex, dans son appel, prétend que Madame la protonotaire Aronovitch :

(1)        a restreint son pouvoir discrétionnaire ou a jugé d'avance la question du droit de BMS à une forme plus exigeante d'ordonnance de non-divulgation. Elle dit que sa seule préoccupation a été de décider qui faisait partie de la nouvelle catégorie;

(2)        a commis une erreur en ne tenant pas compte d'une preuve convaincante selon laquelle la nouvelle catégorie devrait inclure M. Sherman.

[7] En s'opposant à la requête de BMS pour modifier l'ordonnance de non-divulgation, Apotex a déposé un affidavit signé par Sherman qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 9 :


[traduction]

(9) J'ai aussi la responsabilité générale de garantir que les produits vendus par Apotex occupent une part du marché et qu'ils la conservent. À cet égard, je suis le seul à qui incombe la responsabilité de donner des directives à l'avocat et, par conséquent, je suis impliqué et je dois être impliqué dans toute instance judiciaire dans laquelle Apotex est partie, y compris la présente instance. Apotex n'est pas dotée d'un contentieux ni ne dispose d'avocats internes.

[8]         Il n'y a pas, dans la présente instance, d'ordonnance portant disjonction qui séparent les questions de responsabilité des questions de réparation (que ce soit la comptabilisation des profits ou des dommages).

[9]         En novembre 2001, Apotex a présenté une requête afin de, entre autres choses, forcer les demanderesses à faire une communication intégrale des documents liés à la question des dommages. Madame la protonotaire Aronovitch a ordonné à BMS de produire ses documents financiers y compris les documents ayant trait aux ventes, aux revenus, aux coûts, à la part de marché, à la perte de part de marché, à l'étendue du marché, aux dépenses de marketing et aux prévisions des ventes du produit. On a aussi demandé de produire les documents ayant trait aux efforts déployés par BMS afin de limiter ses dommages y compris les documents ayant trait aux ententes conclues par une demanderesse ou par les deux avec Linson Pharma Inc. (Linson) relativement au marketing d'une autre version du nefazodone hydrochloride au Canada et aux revenus auxquels les demanderesses ont droit à la suite de ces ententes.


[10]       C'est la portée de la divulgation exigée qui a poussé BMS à chercher à obtenir une ordonnance de non-divulgation modifiée qui a donné naissance au présent appel.

[11]       Jim Watkins, le vice-président aux finances et au système d'information de BMS, a déposé un affidavit confidentiel au soutien des modifications demandées. Celui-ci déclare que BMS considère que ses états financiers consolidés, ses rapports de ventes, les documents révélant ses coûts, les enquêtes d'étude clinique et sa structure de force de vente sont des renseignements commerciaux confidentiels qui ne devraient pas se retrouver entre les mains d'un compétiteur. M. Watkins affirme que les documents dont on exige la production révèlent les revenus gagnés par BMS à partir de la vente du produit et les coûts encourus par les demanderesses afin de générer ces ventes de même que la répartition entière des frais généraux des demanderesses y compris les marges bénéficiaires. Il est très préoccupé par le fait qu'Apotex puisse éventuellement se servir de ces documents, même par inadvertance.

[12]       Sherman a conclu son affidavit en déclarant ce qui suit :

[traduction]

19. Ce qui est en jeu ici, c'est la capacité d'Apotex à participer pleinement au présent litige. La forme d'ordonnance que les demanderesses recherchent est telle qu'elle prive effectivement l'avocat d'Apotex de demander et de recevoir des directives dans la présente affaire. Comme nous l'avons dit précédemment, je suis la seule personne qui donne des directives à l'avocat dans les affaires litigieuses, y compris celle-ci. Apotex ne dispose pas d'un avocat interne comme les demanderesses le laissent entendre. De plus, à la lumière de mon expérience dans l'industrie pharmaceutique, c'est moi qui suis le mieux placé pour examiner les documents financiers des demanderesses et souligner les points litigieux et les omissions possibles dans ces documents.


ANALYSE

[13]       La norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires a été établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, p. 463 :

[...] Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

   a)          l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou

   b)          l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause.

[14]       Lorsque l'on prouve l'existence de l'un de ces deux éléments, le juge exerce de nouveau son pouvoir discrétionnaire.

[15]       Je suis d'accord avec l'avocat de BMS en m'appuyant sur la décision rendue par le juge Reed dans l'affaire James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. et al. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157 à savoir que l'ordonnance de Madame la protonotaire ne doit pas être classée comme une question ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause mais plutôt comme une question impliquant la gestion des procédures préparatoires à l'instruction.


[16]       La Cour d'appel fédérale a décidé dans Novopharm Ltd. c. Glaxo Group Ltd. et al. (1998), 81 C.P.R. (3d)185 qu'une ordonnance de non-divulgation (restreignant aux avocats l'accès aux renseignements dans ce cas) constituait une ordonnance discrétionnaire que la Cour ne serait justifiée de modifier que si une erreur de principe avait été commise.

[17]       La question reste donc de savoir si Madame la protonotaire Aronovitch a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. Bien au contraire, je suis convaincu que celle-ci a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en pondérant les intérêts pertinents.

[18]       Celle-ci a été saisie de nombreux éléments de preuve qui lui ont permis de conclure que l'on devait avoirs recours à un niveau de protection plus élevé en restreignant l'accès aux renseignements financiers très confidentiels concernant les ventes, les revenus, les coûts et les marges bénéficiaires d'un produit pharmaceutique particulier vendu sur un marché compétitif où non seulement BMS et Apotex sont présents mais aussi Linson qui vend un générique du nefazodone hydrochloride en compétition directe avec Apotex. Je comprends que Linson est liée à BMS.


[19]       D'un autre côté, le dossier indique que Madame la protonotaire Aronovitch a tenu compte du droit qu'a Apotex de pouvoir se défendre elle-même dans l'instance en ayant recours à l'assistance d'un avocat qui sera renseigné par un nombre maximum de cinq experts de même que par deux employés du service des finances d'Apotex et qui pourra communiquer avec Sherman relativement à la nature générale des renseignements de la nouvelle catégorie mais qui ne pourra pas révéler les détails particuliers contenus dans ces renseignements. Voilà pourquoi celle-ci a refusé la demande de BMS visant à restreindre aux avocats l'accès aux renseignements et qu'elle a créé le paragraphe 18A.

[20]       Pour ces motifs, le présent appel est rejeté avec dépens quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                         « François Lemieux »    

                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                              J U G E           

OTTAWA (ONTARIO)

LE 13 MARS 2002

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                            

DOSSIER :                                    T-2078-00

INTITULÉ :                                   Bristol-Myers Squibb Company et al. c. Apotex Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 28 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :              Le 13 mars 2002

COMPARUTIONS:

Anthony Creber                               POUR LES DEMANDERESSES

Jay Zakaïb

Nando De Luca                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henderson LLP    POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

Goodman's LLP                              POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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