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Date: 19980630


Dossier: IMM-3239-97

Entre :

     Abdelouahed KHCHINAT, exerçant la profession

     d'Agent Technique d'Exploitation, résidant

     et domicilié à l'adresse suivante: Bloc, 15,

     No. 9, Bâtiment Erac El Oulfa,

     Casablanca, Maroc,

     Partie requérante,

     - et -

     Le MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     DU CANADA, aux bureaux de JUSTICE CANADA,

     autorisé à recevoir signification pour le Ministère

     de la citoyenneté et de l'Immigration du Canada

     et pour le Procureur Général du Canada,

     au 200 René Lévesque Ouest, 5e étage,

     Montréal, Province de Québec,

     Partie intimée.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      Par la voie de ce contrôle judiciaire, le requérant attaque une décision rendue le 14 avril 1997 par un agent des visas à l'Ambassade du Canada à Paris lui refusant sa demande de résidence permanente.

     1. Faits et décision de l'agent des visas

[2]      Le requérant a présenté une demande de résidence permanente le 14 novembre 1996. Le 14 janvier 1997, l'agent d'immigration désigné à Paris, Mark Parant, a effectué une étude préalable de la demande écrite du requérant en tant que "Régulateur de transport aérien" et a considéré qu'une entrevue de sélection était nécessaire. Un autre agent des visas, Mark Floyd, a donc rencontré le requérant à Rabat, au Maroc, le 9 avril 1997.

[3]      Suite à l'entrevue, l'agent Floyd n'a attribué que 49 points d'appréciation alors que le total requis est de 70 points. Il est important de reproduire les passages suivants de la lettre de l'agent Mark Parant écrite à Paris le 14 avril 1997:

                         
     Conformément au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'Immigration de 1978, le cas des requérants indépendants, catégorie pour laquelle vous avez déposé une demande, est évalué en fonction des facteurs ci-après énumérés. Votre demande a été étudiée selon les exigences relatives à la profession suivante: Assistant de transport aérien (ccdp 9113130). Vous trouverez ci-après la ventilation des points obtenus au regard de chaque facteur. Veuillez noter que l'Agent a déterminé avec vous et au cours de l'entrevue que vous n'aviez pas l'expérience d'un régulateur aérien, mais plutôt celui d'un assistant:         
     Âge                  10         
     Demande dans la profession      00         
     Préparation professionnelle      05         
     Expérience              04         
     Emploi réservé ou désigné          s/o         
     Facteur démographique canadien      08         
     Degré d'instruction          10         
     Connaissance de l'anglais          00         
     Connaissance du français          09         
     Qualités personnelles          03         
         Total:              49         
     Vous n'avez pas obtenu un nombre suffisant de points d'appréciation pour être autorisé à immigrer au Canada puisque le total requis est de 70 points.                             
     En conséquence, vous faites partie d'une catégorie de personnes non admissibles décrite à l'aliéna 19(2)d) de la Loi sur l'Immigration et votre demande est donc rejetée.                             
     (mon soulignement)         
     2. Questions en litige         

[4]      Le requérant soulève les motifs suivants:

1- Erreur de l'agent des visas basée sur la dévaluation de la profession du requérant;

2- Erreur dans l'évaluation du facteur de la "Préparation professionnelle spécifique du requérant";

3- Absence d'équité procédurale lors de l'évaluation sur papier du dossier du requérant par Mark Parent et absence d'équité procédurale lors de l'entrevue de sélection effectuée par Mark Floyd;

4- Erreur dans l'évaluation du facteur des qualités personnelles du requérant.

     3. Analyse

1. La dévaluation de la profession du requérant

[5]      Le "facteur professionnel" est le facteur numéro 4 de la grille de sélection de l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 19781 ("le Règlement"). Le paragraphe 4(1) du Règlement indique que des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession relativement aux trois conditions suivantes:

             a)      à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le Canada, établies dans la Classification nationale des professions;             
             b)      pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions, dont les fonctions essentielles;             
             c)      que le requérant est prêt à exercer au Canada.             

[6]      Le requérant soumet qu'il travaille à titre d'agent technique d'exploitation au service de la Royal Air Maroc, la compagnie aérienne nationale de ce pays. Il souligne que le poste d'agent technique d'exploitation est une appellation internationale et que les tâches et les fonctions impliquées sont identiques au poste décrit dans la classification canadienne descriptive des professions sous le nom de "Régulateur de transport aérien". Par contre, l'agent a déterminé que les compétences et l'expérience du requérant ne correspondaient pas à celle d'un "Régulateur de transport aérien" mais plutôt à celles d'un commis de la circulation aérienne. Le requérant soumet que l'agent n'a considéré ni le diplôme octroyé par la Royal Air Maroc ni les cours suivis par le requérant.

[7]      Bien qu'il apparaisse à la lumière de la preuve documentaire que le requérant est un "Régulateur de transport aérien", l'agent a indiqué dans son affidavit suite à l'entrevue qu'en dépit des appellations, que "c'était plutôt son patron qui faisait le travail d'un régulateur de transport aérien. Le requérant s'est montré d'accord avec cette conclusion". En effet, l'on remarque au facteur 4 du Règlement, que même si le facteur 1(a) prévoit l'exigence théorique d'une profession, le facteur 1(b) comporte une exigence pratique de la profession. L'agent en a conclu que même si le requérant répondait à l'exigence théorique, il ne répondait pas à l'exigence pratique.

[8]      Le rôle d'un agent n'est pas limité à la considération du titre d'un poste mais surtout à la nature des fonctions devant être effectuées. À cet égard, il a conclu que le requérant remplissait plutôt les tâches d'un commis et que c'était son patron qui remplissait le rôle d'un "Régulateur de transport aérien".

[9]      Il n'y a pas lieu de déterminer que cette conclusion de l'agent est déraisonnable.

2. La préparation professionnelle spécifique du requérant

[10]      Il appert de l'affidavit de l'agent que selon l'édition de 1986 de la CCDP (Classification canadienne descriptive des professions) la profession de "Régulateur de transport aérien" exige un niveau de préparation professionnelle de plus de quatre ans. Or, le requérant n'a suivi un stage de formation que d'un an. Le requérant soumet que l'agent n'a pas tenu compte d'autres facteurs, tels son baccalauréat en science ou encore son stage de documentaliste au service de la Royal Air Maroc. À mon avis, l'agent n'a sûrement pas erré en concluant que les études en science ou le stage de documentaliste répondent aux critères de préparation professionnelle spécifique de quatre ans.

3. Absence d'équité procédurale

[11]      Le requérant soulève une multitude d'allégations à l'effet que les deux agents ont fait preuve de partialité. Ces allégations se résument comme suit:

- Le fait que Mark Parant, l'agent des visas responsable de la sélection sur papier du dossier du requérant ait indiqué d'avance la façon de justifier le refus du requérant, avant même que ce dernier ne subisse son entrevue.

- Le fait que Mark Parant ait fixé l'anglais comme une condition éliminatoire à la demande du requérant.

- Le fait que Mark Floyd, agent des visas lors de l'entrevue, évalue en premier lieu l'anglais du requérant, sans lui indiquer que cela n'avait que très peu d'importance, alors que le requérant avait indiqué ne pas avoir la connaissance de l'anglais.

- Le fait que le requérant ait été mis dans une situation de stress anormale dès le départ de son entrevue.

- Le fait que le requérant ait été placé en situation de défensive l'a privé d'une entrevue juste et équitable.

[12]      Par ailleurs, les affidavits des agents dressent un portrait tout à fait différent de la situation. Dans son affidavit Mark Parant indique que la seule décision qu'il a prise dans ce dossier concernait la pré-sélection dont le but principal est de déterminer si l'entrevue doit être tenue. Les notes inscrites par lui dans le système de traitement informatisé des dossiers sont à titre indicatif et ne lient aucunement l'agent Mark Floyd puisque ce dernier a toute latitude en la matière. C'est ce dernier qui a réalisé l'entrevue et a pris la décision. Le bureau régional de Paris est chargé de rédiger et d'envoyer les lettres de refus aux requérants alors que c'est l'agent sur les lieux, en l'occurrence Mark Floyd, qui a pris la décision.

[13]      L'agent Mark Floyd a rencontré le requérant à l'ambassade du Canada à Rabat. Le but de l'entretien était de savoir s'il était à même de s'établir avec succès au Canada. Il a commencé l'entrevue dans la première langue officielle du requérant, soit la langue française. Il indique que l'entrevue s'est déroulée dans une atmosphère plutôt détendue et sereine. Il a vérifié les connaissances de l'anglais du requérant et ne lui a accordé aucun point d'appréciation pour cette deuxième langue officielle puisqu'il la parlait, l'écrivait et la lisait avec difficulté. Par contre, il a attribué neuf points d'appréciation pour sa connaissance du français.

[14]      En questionnant le requérant sur la nature de son travail, l'agent apprit que ce dernier n'approuvait aucun départ aérien et que l'approbation venait toujours de son chef. Il a également admis qu'il ne pouvait pas analyser les renseignements météorologiques et était également incapable de faire le calcul de la quantité de carburant nécessaire pour un vol.

[15]      L'agent a donc conclu que le requérant n'avait ni la formation, ni l'expérience, ni les compétences requises pour travailler au Canada en tant que "Régulateur de transport aérien". Il a trouvé également que le requérant ne connaît pas le Canada, n'a pas suivi de cours d'anglais et n'a rien fait pour se préparer à un départ éventuel vers le Canada. Finalement, il nie formellement que l'entrevue avec le requérant se soit déroulée dans un climat de confrontation.

4. Qualités personnelles du requérant

[16]      Au paragraphe 47 de son affidavit le requérant allègue que sa profession a été mal évaluée et que les trois points sur dix qu'il a reçus pour ses qualités personnelles "est la conséquence de mon choix de m'établir dans une zone anglophone et du différend que nous avons eu sur ma profession". En réplique, l'agent des visas a indiqué qu'il n'a pas pris en considération, dans l'évaluation du facteur de personnalité, le fait qu'il n'avait pas l'expérience d'un "Régulateur de transport aérien", mais a plutôt retenu que le requérant n'avait rien fait pour préparer son immigration éventuelle au Canada et qu'il semblait manquer d'initiative et de motivation.

     4. Conclusions

[17]      Ce n'est pas le rôle de cette Cour d'imposer sa propre appréciation de la qualification et des compétences d'une personne qui demande la résidence permanente au Canada. Seule une conclusion arbitraire et déraisonnable de la part d'un agent de visas permet l'intervention de cette Cour. En l'espèce, il m'apparaît que l'évaluation de l'agent est tout à fait raisonnable et s'appuie sur la preuve que lui a présentée le requérant.

[18]      La procureure du requérant a tenté de déposer un document qui n'a pas été produit devant les agents de visas. Il s'agit d'une lettre en date du 12 mai 1997 du Commissaire de la navigation aérienne de la Délégation du Canada auprès de l'Organisation de l'aviation civile internationale. Cette lettre est à l'effet "que les fonctions décrites dans la Classification Nationale des Professions sous le titre de régulateur de transport aérien, sont les mêmes que celles d'agent technique d'exploitation et de régulateur de vol décrites respectivement par l'OACI et le législateur canadien". La procureure du requérant a voulu se servir de cette lettre et d'un extrait de l'annexe I du Règlement sur l'aviation canadienne (attaché à la lettre) pour attaquer les connaissances et la crédibilité de l'agent. La jurisprudence a clairement établi que l'on ne peut ajouter en contrôle judiciaire une nouvelle preuve non déposée devant un tribunal pour attaquer sa décision2.

[19]      En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. À mon avis, il n'y a pas de question d'importance générale à certifier.

OTTAWA, Ontario

le 30 juin 1998

    

     Juge

__________________

1      SOR/78-172.

2      Voir Farhadi v. Canada, [1998] F.C.J. No. 381.

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