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Date : 20040316

Dossier : T-668-03

Référence : 2004 CF 389

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                        SANOFI-SYNTHELABO CANADA INC. et

SANOFI-SYNTHELABO

                                                                                                                                        requérantes

                                                                            et

                                    APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

REQUÊTE

[1]                La Cour est saisie d'une requête qui est présentée dans le cadre d'un appel et qui vise à obtenir les réparations suivantes :

1.          une ordonnance annulant l'ordonnance en date du 12 février 2004 par laquelle la protonotaire Tabib a rejeté notamment la requête présentée par les requérantes en vue d'obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit de M. Hans Schroeder;


2.          une ordonnance permettant aux requérantes de déposer et de signifier l'affidavit de M. Hans Schroeder dans les deux jours suivant la date de l'ordonnance;

3.          si l'autorisation de déposer l'affidavit de M. Hans Schroeder est accordée, une ordonnance portant que le contre-interrogatoire de M. Hans Schroeder doit être complété au plus tard le 26 mars 2004;

4.          les dépens de la présente requête des requérantes;

5.          toute autre réparation que la Cour jugera bon d'accorder.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]                Le 10 mars 2003, Apotex a signifié aux requérantes un avis d'allégation conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) relativement au brevet canadien no 1 336 777 (le brevet 777).

[3]                Dans son avis d'allégation, Apotex précisait qu'elle avait déposé auprès du ministre de la Santé (le ministre) une demande d'avis de conformité pour un comprimé administré par voie buccale composé de bisulfate de clopidogrel en concentration de 75 mg qui servait à inhiber l'agrégation plaquettaire.


[4]                Dans son avis d'allégation, Apotex affirmait que les revendications 6, 7, 8 et 9 du brevet 777 n'étaient pas utiles pour l'application du Règlement parce qu'elles ne contenaient pas de revendication pour le médicament lui-même ou pour l'utilisation du médicament. Apotex affirmait aussi qu'elle ne contreferait pas les revendications 2, 4 et 5 du brevet 777. Apotex ajoutait que les revendications 1, 3, 10 et 11 (ainsi que les revendications 2, 4 et 5 si leur contrefaçon était alléguée) du brevet 777 étaient invalides.

[5]                Au soutien de ses allégations d'invalidité, Apotex a déposé un dossier d'antériorité comprenant notamment le document no 5 d'Apotex, en vue de démontrer que les revendications 1, 3, 10 et 11 (ainsi que les revendications 2, 4 et 5 si leur contrefaçon était alléguée) étaient invalides pour cause d'évidence. Plus particulièrement, Apotex affirmait qu'en raison de l'état de la technique publiquement connu à la date d'antériorité du brevet 777, une personne ayant des compétences moyennes dans le domaine aurait été conduite directement et sans difficulté à l'invention revendiquée.

[6]                Par avis de demande daté du 28 avril 2003 (l'avis de demande), les requérantes ont réclamé en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement une ordonnance fondée sur divers moyens en vue de faire interdire au ministre, jusqu'à la date d'expiration du brevet 777, de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement aux comprimés de 75 mg à administrer par voie buccale composés de bisulfate de clopidogrel.


[7]                Bien qu'elles aient fait valoir divers moyens au soutien de la réparation qu'elles réclamaient, les requérantes n'ont pas expressément affirmé que les documents invoqués par Apotex n'étaient pas accessibles au public ou qu'une personne ayant des compétences moyennes dans le domaine n'aurait pas pu les obtenir.

[8]                Dans les observations écrites qu'elles ont déposées à l'appui de leur requête, les requérantes expliquent qu'en réponse à l'avis d'allégation, elles se sont fondées sur la présomption légale de validité prévue à l'article 43 de la Loi sur les brevets.

[9]                Le 12 juin 2003 ou vers cette date, les requérantes ont déposé leur preuve à l'appui de leur demande. Elles n'y affirment pas que les documents d'Apotex n'étaient pas accessibles au public à l'époque en cause ou qu'on ne pouvait raisonnablement les trouver et ce, malgré le fait qu'Apotex avait signifié son avis d'allégation trois mois plus tôt.

[10]            Le 1er août 2003, Apotex a signifié plusieurs affidavits aux requérantes, y compris l'affidavit souscrit par Samuel Tekie le 30 juillet 2003. M. Tekie a été contre-interrogé le 7 novembre 2003.

Avis d'examen de l'état de l'instance


[11]            Le 21 novembre 2003, la Cour a signifié un avis d'examen de l'état de l'instance enjoignant aux requérantes d'exposer, au moyen d'observations écrites, les raisons pour lesquelles l'instance ne devait pas être rejetée pour cause de retard. Par lettre datée du 5 décembre 2003, soit près d'un mois après le contre-interrogatoire de M. Tekie, les requérantes ont répondu à l'avis d'examen de l'état de l'instance.

[12]            Les requérantes ont proposé un échéancier en ce qui concerne les mesures interlocutoires préalables à l'audience. Elles n'ont pas mentionné leur intention de déposer d'autres éléments de preuve.

[13]            Par ordonnance datée du 21 janvier 2004, la protonotaire Tabib a ordonné que la présente instance soit poursuivie à titre d'instance à gestion spéciale et elle a entériné l'échéancier proposé par les requérantes dans leur lettre du 5 décembre 2003.

Ordonnance frappée d'appel de la protonotaire Tabib

[14]            Par avis de requête daté du 19 janvier 2004, les requérantes ont tenté de forcer M. Tekie à se présenter de nouveau pour être contre-interrogé et pour répondre aux questions auxquelles il se serait « engagé » à répondre. La requête soumise à la protonotaire Tabib partait du principe que M. Tekie avait déclaré dans son témoignage qu'il avait trouvé le document no 5 d'Apotex en lisant un brevet américain qui en faisait mention. Les requérantes ont précisé que, comme M. Tekie ne connaissait pas l'identité précise du brevet américain, elles ont cherché à obtenir de ce dernier qu'il s'engage à obtenir ce renseignement et à leur communiquer. Dans la même requête, les requérantes réclamaient l'autorisation de déposer l'affidavit de Schroeder.


[15]            Aux termes d'une ordonnance datée du 12 février 2004, la protonotaire Tabib a rejeté en entier la requête des requérantes. La protonotaire Tabib a conclu, après avoir attentivement examiné la transcription du contre-interrogatoire de M. Tekie, que les requérantes n'avaient pas demandé à M. Tekie de s'engager à préciser de quel brevet américain il était question dans le document no 5 et que M. Tekie n'avait pas pris cet engagement.

[16]            La protonotaire Tabib a ensuite abordé la question de la pertinence de l'affidavit proposé par les requérantes et elle a spécifiquement signalé que les éléments de preuve que les requérantes cherchaient à présenter ne portaient pas sur la façon dont avaient été effectuées les recherches visant à trouver le document no 5, mais simplement sur le fait qu'il en était fait mention dans un brevet américain à un moment précis.

[17]            Finalement, la protonotaire Tabib a estimé que les requérantes n'avaient pas réussi à démontrer qu'elles ne connaissaient pas avant le contre-interrogatoire les « nouveaux » renseignements qu'elles voulaient présenter. La protonotaire Tabib a expressément fait remarquer, à cet égard, que les requérantes savaient quelles bases de données avaient été consultées et quelles étaient les antériorités auxquelles elles étaient censées avoir eu alors accès.


L'appel

[18]            Dans le présent appel, les requérantes exhortent la Cour de reprendre l'affaire depuis le début au motif que la protonotaire Tabib s'est fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise compréhension des faits, et parce que le débat soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de l'affaire, le tout au sens du critère bien connu établi dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à la page 463 (C.A.).

[19]            Les requérantes soutiennent essentiellement que la protonotaire Tabib a manifestement eu tort de conclure que les éléments de preuve qu'elles cherchent à présenter dans leur affidavit en réponse auraient pu être découverts par une simple recherche au Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis à l'époque en cause. Les requérantes affirment également que la protonotaire Tabib a de toute évidence eu tort de conclure qu'en droit, l'affidavit en réponse ne devait pas être déposé parce que les éléments en question étaient disponibles avant la tenue du contre-interrogatoire. Conformément à la décision de notre Cour dans l'affaire Robert Mondavi c. Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Limited, (2001), 10 C.P.R. (4th) 331, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à permettre à une partie de déposer un affidavit contenant des éléments d'information qui étaient disponibles avant la tenue du contre-interrogatoire.


[20]            Finalement, les requérantes plaident que la question en litige dans le présent appel a une influence déterminante sur l'issue de l'affaire parce que, si le témoignage de M. Schroeder n'est pas admis, il est fort possible que la Cour estime que M. Tekie a bien mené ces recherches et que le document no 5 est admissible.

[21]            Après avoir examiné la décision de la protonotaire Tabib à la lumière des observations des requérantes, je conclus qu'il ne s'agit pas d'un cas dans lequel la Cour devrait reprendre l'affaire depuis le début. J'estime en effet que la protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit ou de fait manifeste et qu'elle a bien exercé son pouvoir discrétionnaire. J'estime également que le présent appel ne soulève pas de question qui aura une influence déterminante sur l'issue de l'affaire au sens où l'entend la jurisprudence (voir, par exemple, la décision récente rendue par le juge O'Keefe dans l'affaire AstraZeneca AB c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. no 54). Une question n'a une influence déterminante sur l'issue de l'affaire que lorsque la décision qui est rendue à son sujet a pour effet de trancher définitivement la question en litige. Ce n'est pas le cas en l'espèce.


[22]            Même si j'avais tort sur ce point et que je devais reprendre l'examen des observations des requérantes, le paragraphe 84(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) empêche le dépôt d'un affidavit après le contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit qui a été déposé dans le cadre d'une demande, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour. Avant d'accorder cette autorisation, la Cour doit tenir compte des divers facteurs énumérés dans les jugements Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc., (2000), 4 C.P.R. (4th), aux pages 496 à 498 (C.F. 1re inst.) et Robert Mondari Winery c. Spagnot's Wine & Beer Making Supplies Ltd., (2001), 14 C.P.R. (4th) 269 (C.F. 1re inst.). Ces facteurs sont, en règle générale, la pertinence de l'affidavit proposé, son utilité pour la Cour, sa disponibilité avant la tenue du contre-interrogatoire, le préjudice pouvant être causé à la partie adverse et l'intérêt général de la justice.

[23]            Vu l'ensemble des faits de la présente affaire, la pertinence est au mieux contestable lorsqu'on considère les moyens invoqués par les requérantes pour contester l'avis d'allégation. Je ne suis pas convaincu, sur la question de la pertinence, que l'affidavit de Schroeder aidera la Cour à juger l'affaire dont elle est saisie. Il ne me semble pas non plus que l'affidavit porte directement sur la question de la personne ayant des compétences moyennes dans le domaine ou sur celle des recherches diligentes. Les requérantes ne m'ont soumis aucun élément de preuve convaincant me permettant de penser qu'en faisant preuve de diligence raisonnable, on ne pouvait pas trouver les renseignements avant le contre-interrogatoire. Et, compte tenu de l'état actuel de l'instance, j'estime que la question du préjudice et celle de la justice favorisent davantage Apotex que les requérantes.

[24]            Ainsi, même si elle devait reprendre l'affaire depuis le début, la Cour en arrive à la même conclusion que la protonotaire Tabib.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête est rejetée.


2.          Apotex a droit aux dépens de la requête, qui devront lui être payés sur-le-champ indépendamment de l'issue de la cause.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-668-03

INTITULÉ :                                        SANOFI-SYNTHELABO CANADA INC. et SANOFI-SYNTHELABO c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 8 mars 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                        Le 16 mars 2004

COMPARUTIONS:                           

James E. Mills                                                             POUR LES REQUÉRANTES      

Cristin Wagner

Andrew Brodkin                                                          POUR L'INTIMÉE APOTEX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)                                                         POUR LES REQUÉRANTES

Goodmans s.r.l.                                                            POUR L'INTIMÉE APOTEX      

Toronto (Ontario)                                  

Morris Rosenberg                                                       POUR L'INTIMÉ

Toronto (Ontario)                                                         LE MINISTRE DE LA SANTÉ


                         COUR FÉDÉRALE

Date :

Dossier : DES-1-00

ENTRE :

SANOFI-SYNTHELABO CANADA INC. et

SANOFI-SYNTHELABO                                                                                      requérantes

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                 


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