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Date : 20051007

Dossier : IMM-1036-05

Référence : 2005 CF 1369

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                         MARTHA ALCADIA GONZALEZ AVILES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la loi), qui vise le rejet par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada, daté du 26 janvier 2005, de la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse et fondée sur des motifs d'ordre humanitaire parce que celle-ci était interdite de territoire au Canada en qualité de personne visée par l'alinéa 36(2)b) de la LIPR.

[2]                La demanderesse, Martha Alcadia Gonzalez Aviles, est une citoyenne mexicaine qui réside au Canada avec ses deux enfants depuis le 20 octobre 2000.

[3]                La demanderesse a vu sa demande d'asile rejetée et a déposé une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. Dans sa demande, elle a omis de mentionner une déclaration de culpabilité pour vol de biens, infraction prévue par l'article 484 du California Penal Code, prononcée en 1995 à Van Nuys, en Californie. Elle a reçu une peine avec sursis, a été placée en probation pendant 24 mois et condamnée à verser 100 $US dans le fonds de restitution de l'État. Elle a également effectué 40 heures de service communautaire.

[4]                L'agent d'immigration a jugé que la déclaration de culpabilité prononcée aux États-Unis était assimilable à une déclaration de culpabilité pour vol au Canada, aux termes du paragraphe 322(1) du Code criminel. L'infraction de vol de moins de 5 000 $ est punissable aux termes de l'alinéa 334b) par voie d'acte d'accusation ou de procédure sommaire. L'agent a décidé qu'en raison de cette condamnation, la demanderesse était visée par l'alinéa 36(2)b) de la LIPR, qui se lit ainsi :



36. [...]

[...]

Criminalité

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

[...]

(b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

36. [¼]

[¼]

Criminality

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

[¼]

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;


[5]                La demanderesse n'a pas mentionné sa déclaration de culpabilité dans sa demande fondée sur des considérations humanitaires. L'agent a estimé que, malgré le fait qu'elle répondait aux conditions d'obtention de la résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, la demanderesse était interdite de territoire au Canada à titre de personne visée par l'alinéa 36(2)b) de la LIPR. La demanderesse conteste dans la présente demande la décision de l'agent.

[6]                La décision a été communiquée à la demanderesse dans deux lettres. La première lettre, datée du 8 novembre 2004, énonce en partie :

[TRADUCTION] Cela fait référence à votre demande de résidence permanente présentée au Canada et fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Le processus décisionnel comporte deux étapes.

Le 10 mars 2003, un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a approuvé votre demande de dispense à l'égard de certaines prescriptions de la loi pour le traitement de votre demande. Cette décision ne vous dispense toutefois pas de franchir la deuxième étape du processus, à savoir de vous conformer à toutes les autres exigences prévues par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, comme celles qui touchent la santé, la sécurité, les questions liées au passeport et les mesures prises pour subvenir à vos besoins.


Il semble que vous soyez interdite de territoire au Canada. Plus précisément, vous avez été déclarée coupable de vol de biens personnels en Californie (É.-U.) en 1995. Cette infraction semble assimilable à celle du paragraphe 322(1) du Code criminel canadien, qui est punissable, aux termes de l'alinéa 334b) (moins de 5 000 $) par voie d'acte d'accusation ou de procédure sommaire. Par conséquent, vous semblez être une personne visée par l'alinéa 32(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et votre demande de résidence permanente risque d'être rejetée.

[7]                La seconde lettre, datée du 26 janvier 2005, qui rejetait la demande, énonce en partie :

[TRADUCTION] Une décision distincte a été rendue au sujet de votre capacité à répondre aux autres exigences prévues par la loi et il semble que vous soyez interdite de territoire au Canada. Plus précisément, vous avez été déclarée coupable, le 17 juillet 1995, de vol de biens personnels en Californie, aux É.-U. Cette infraction semble assimilable à celle du paragraphe 322(1) du Code criminel canadien (Vol), qui est punissable, aux termes de l'alinéa 334b) (moins de 5 000 $) par voie d'acte d'accusation ou de procédure sommaire. Par conséquent, vous semblez être une personne visée par l'alinéa 32(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Par conséquent, votre demande de résidence permanente est rejetée et la dispense qui vous a été accordée devient sans effet.

Vous vous trouvez à l'heure actuelle au Canada sans aucun statut, vous êtes visée par une mesure de renvoi exécutoire. Je vais transmettre votre dossier à l'Agence des services frontaliers du Canada pour qu'elle prenne les mesures qui s'imposent.

[8]                La présente demande conteste la décision selon laquelle la demanderesse est interdite de territoire au Canada aux termes de l'alinéa 36(2)b) de la LIPR.

[9]                La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la décision relative à l'interdiction de territoire est déraisonnable et appelle l'intervention de la Cour.


[10]            La demanderesse soutient que sa déclaration de culpabilité remonte à dix ans et concerne un seul fait de vol à l'étalage. Elle soutient que l'agent aurait dû tenir compte de l'ancienneté de la déclaration de culpabilité, de la nature relativement mineure de l'infraction ainsi que des autres facteurs qui militaient en faveur de l'octroi d'une dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Elle soutient également qu'elle devrait être autorisée à demander que sa réadaptation soit reconnue aux termes de l'alinéa 36(3)c) de la LIPR. L'avocat de Mme Aviles mentionne également les facteurs énumérés dans le guide d'immigration IP5 qui autorisent l'agent à tenir compte des facteurs suivants dans le cas d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, lorsque la décision porte sur l'interdiction de territoire : le type de déclaration de culpabilité, le délai écoulé depuis la déclaration de culpabilité, la peine imposée et la nature de l'infraction (incident isolé ou récidive) et il soutient que tous ces facteurs militent en faveur de la demanderesse, compte tenu des circonstances de l'affaire.

[11]            La demanderesse soutient également que l'agent a omis de tenir compte de l'intérêt supérieur de ses deux enfants. Elle ne prétend pas que l'intérêt des enfants devrait l'emporter sur tous les autres facteurs, mais simplement que l'intérêt supérieur des enfants doit être pris en considération aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR et conformément à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (CSC).

[12]            Le défendeur soutient que la demanderesse a omis de mentionner la déclaration de culpabilité dans sa demande, note qu'elle n'a pas encore présenté de demande de reconnaissance de sa réadaptation et soutient que l'agent a pris une décision raisonnable dans le dossier de la demanderesse.


[13]            Le défendeur soutient que la demande présentée à l'agent n'était pas une demande fondée sur des considérations humanitaires mais plutôt une demande de résidence permanente. Le défendeur affirme que l'agent n'a pas examiné une dispense fondée sur des considérations humanitaires mais plutôt une demande de résidence permanente que la demanderesse a été autorisée à présenter au Canada. Le demanderesse soutient que les sections du guide intitulé Traitement des demandes au Canada auquel la demanderesse fait référence dans ses observations portent sur les décisions concernant les considérations humanitaires, et non pas sur celles concernant le bien-fondé d'une demande de résidence permanente.

[14]            De plus, le défendeur note que la demanderesse n'a pas eu une attitude irréprochable, puisqu'elle a omis de mentionner sa déclaration de culpabilité lorsqu'elle a présenté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[15]            Il n'est pas contesté ici que la demanderesse est une personne visée par l'alinéa 36(2)b) de la Loi. Cependant, l'agent a commis dans cette affaire une erreur manifeste et dominante dans l'application de cette disposition qui est régie par l'alinéa 36(3)c). Cet article se lit ainsi :


36. (3) Les dispositions suivantes régissent l'application des paragraphes (1) et (2) :

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui, à l'expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

36. (3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

(c) The matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated.



[16]            Dans l'arrêt Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1945, la Cour d'appel fédérale a fait remarquer que la politique du Canada en matière d'immigration, telle qu'exposée à l'article 3 de la Loi sur l'immigration, a pour objectif de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international. Cet objectif s'accompagne de la nécessité, notamment, de protéger la santé et de garantir la sécurité des Canadiens, d'assurer l'ordre dans la société canadienne ainsi que de promouvoir l'ordre et la justice sur le plan international en refusant l'accès au territoire canadien aux personnes qui sont susceptibles de se livrer à des activités criminelles.


[17]            En ce qui concerne l'interdiction de territoire pour des motifs de criminalité, la Loi classe les infractions en fonction de leur gravité et de la peine qui serait prononcée si l'infraction avait été commise au Canada. La question de savoir si un demandeur peut contester son interdiction de territoire pour ce motif dépend de la gravité de l'infraction. Par exemple, les personnes qui ont commis des infractions mineures peuvent faire partie de la catégorie réglementaire des personnes présumées réadaptées, telles que définies à l'article 18 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Il suffit que ces personnes attendent l'expiration du délai prévu pour pouvoir demander leur admission au Canada sans craindre d'être déclarées interdites de territoire pour motif de criminalité. Par contre, l'alinéa 35(1)a) de la Loi prévoit une interdiction absolue d'admettre des résidents permanents ou des étrangers lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. La Loi ne contient aucune disposition qui permette la réadaptation dans des affaires de ce genre.

[18]            Il y a ensuite les personnes qui, comme la demanderesse, ont été déclarées coupables ou ont commis une infraction décrite aux alinéas 36(1)b) et c) et (2)b) et c), mais qui ne font pas partie de la catégorie réglementaire des personnes réputées réadaptées. Conformément à l'alinéa 36(3)c) de la Loi, ces infractions n'entraînent pas l'interdiction de territoire lorsque la personne concernée peut convaincre le ministre de sa réadaptation. Cette disposition a pour but de permettre au ministre de tenir compte des facteurs particuliers à chaque affaire et d'examiner si l'ensemble de la situation indique que la personne en question est réadaptée. La nature de l'infraction, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le temps écoulé depuis l'infraction, les infractions antérieures ou postérieures, sont tous des éléments qui jouent un rôle important dans cette décision. Compte tenu du fait que le libellé de l'alinéa 36(3)c) impose à la demanderesse le fardeau de convaincre le ministre de sa réadaptation, il en découle qu'elle doit se voir accorder la possibilité de s'acquitter de ce fardeau en présentant des observations concernant les éléments de sa situation qui militent en faveur d'une telle conclusion.


[19]            La défendeur soutient qu'il incombait à la demanderesse de demander que soit reconnue sa réadaptation et qu'elle a omis de le faire alors qu'elle était représentée par un avocat et qu'elle a eu largement le temps de le faire entre le 26 mai 2004 et le 26 janvier 2005. Je ne peux souscrire à cette observation pour deux raisons. Premièrement, la lettre de l'avocat de la demanderesse, datée du 13 décembre 2004, énonce tous les facteurs qui, d'après lui, établissent que la demanderesse est réadaptée. La lettre mentionne, par exemple, que l'infraction en question était un vol mineur de biens personnels de moins de 5 000 $, qu'il n'y avait pas eu de violence, que c'était sa seule infraction et qu'il s'était écoulé près de dix ans depuis la date de l'infraction. La lettre se lit ainsi :

[TRADUCTION] À l'époque de l'infraction, Mme Gonzalez vivait avec sa conjointe de fait, Silvia Ascencio, une alcoolique chronique qui agressait physiquement et affectivement Mme Gonzalez. Mme Ascencio était une des deux amies mentionnées par Mme Gonzalez dans sa lettre d'explications envoyée à Saron Nestor en date du 3 juin 2004. Mme Gonzalez ne savait pas qu'elles avaient projeté de voler quoi que ce soit avant que Mme Ascencio ne s'empare du lecteur de disque, le place dans un sac à dos qui leur appartenait à toutes deux et demande à Mme Gonzalez de le porter. Mme Gonzalez est alors sortie du magasin, sans payer le lecteur de disque qu'elle savait se trouver dans son sac à dos.

Mme Gonzalez est la seule à avoir été inculpée de cette infraction. Mme Gonzalez a assumé la pleine responsabilité de ses actes et a plaidé coupable à l'infraction. Elle regrette avoir fait ce que Mme Ascencio lui a demandé de faire et reconnaît qu'elle a mal agi. À l'époque, Mme Gonzalez subissait l'ascendant de Mme Ascencio et n'avait pas le courage de lui résister. Je vous demande de tenir compte de ces faits et de prendre note du fait que l'infraction commise est un vol mineur de biens personnels, sans violence, et qu'elle s'est produite il y a presque dix ans.


[20]            J'ai du mal à comprendre pourquoi cette lettre n'a pas été considérée comme une demande de réadaptation, étant donné qu'elle porte clairement sur cette question. Le défendeur n'a jamais fait savoir que les observations présentées par l'avocat de la demanderesse dans cette lettre avaient été prises en considération pour décider si l'infraction dont elle avait été déclarée coupable constituait un obstacle absolu à son admission au Canada. De toute façon, si la lettre ne constitue pas une demande de réadaptation aux termes de l'alinéa 36(3)c), il n'existe aucun motif d'empêcher la demanderesse de le faire aujourd'hui. Le défendeur soutient que la demanderesse a eu tout le temps pour le faire mais qu'elle ne l'a pas fait. Je signale cependant que ni la Loi ni le Règlement ne prévoient un délai précis dans lequel il faut présenter une demande de ce genre. Il serait contraire à l'économie générale de la Loi, et à l'alinéa 36(3)c) en particulier, ainsi qu'aux principes de justice naturelle et d'équité, de refuser à la demanderesse la possibilité de convaincre le ministre de sa réadaptation.

[21]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision datée du 26 janvier 2005 est annulée. Il est ordonné au défendeur d'autoriser la demanderesse à présenter une demande de réadaptation conformément à l'alinéa 36(3)c) de la Loi.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

                                                                                                                          « Paul U.C. Rouleau »                       

                                                                                                                                                     Juge                                     

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-1036-05

INTITULÉ :                                                          MARTHA ALCADIA GONZALEZ AVILES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 15 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                         LE 7 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Robert Hughes                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Caroline Christiaens                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smith/Hughes                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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