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Date : 20040210

Dossier : IMM-4991-02

Référence : 2004 CF 215

Ottawa (Ontario), le 10 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN                             

ENTRE :

                                    MIHAJLOVICS GABOR, GOJKOVICS TUNDE

et MIHAJLOVICS GABOR

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et qu'ils n'avaient pas la qualité de personne à protéger.

[2]                La présente affaire concerne principalement le comportement des commissaires de la formation de la CISR et la question de savoir s'ils ont montré de la partialité ou s'ils ont suscité une crainte raisonnable de partialité.

Les faits

[3]                Les demandeurs sont des citoyens roms de Hongrie. Le « demandeur principal » Gabor Mihajlovics prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de son origine rom.

[4]                Tunde Gojkovics, sa conjointe de fait, et leur enfant (qui porte le même nom que le demandeur principal) fondent leurs revendications sur celle du demandeur principal.

[5]                Le demandeur principal a prétendu que, en tant que Rom, il a subi de la discrimination à l'école, au travail et dans la société en Hongrie. Il a en outre prétendu avoir été agressé par des skinheads et avoir été maltraité par les policiers.

[6]                Les demandeurs ont quitté la Hongrie, puis sont entrés au Canada le 21 avril 2000 où ils ont présenté des revendications du statut de réfugié.


[7]                La CISR, dans sa décision datée du 6 août 2002, a statué que les demandeurs n'avaient pas réussi à s'acquitter du fardeau de preuve applicable consistant à démontrer l'existence d'une crainte bien fondée de persécution parce qu'ils n'avaient pas fourni des éléments de preuve dignes de foi.

[8]                La CISR a résumé ses conclusions de la façon suivante :

Nous en venons à la conclusion que l'absence de crédibilité du revendicateur a annulé sa crainte subjective. Nous sommes également d'avis que la protection de l'État pourrait être raisonnablement assurée aux revendicateurs s'ils la demandaient à l'avenir et qu'ils peuvent retourner en Hongrie, où il n'existe guère plus qu'une simple possibilité qu'ils soient persécutés pour un motif prévu à la Convention. Les revendications de la revendicatrice et du mineur étaient totalement dépendantes de la preuve et du témoignage du revendicateur. Étant donné cette dépendance, il faut également rejeter leurs revendications, car nous n'avons aucune preuve fiable indiquant qu'ils courent plus de risques.

[9]                La CISR a accepté la prétention du demandeur principal à l'égard de la discrimination subie à l'école, au travail et dans sa vie sociale parce que la preuve documentaire confirmait que les Roms sont exposés à une telle discrimination. Cependant, elle a conclu que ces incidents de discrimination ne constituaient pas de la persécution.

Les questions en litige

[10]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.          Les commissaires de la formation ont-ils montré de la partialité, qui aurait entraîné des conclusions défavorables quant à la crédibilité, ou ont-ils suscité une crainte raisonnable de partialité suffisante pour porter atteinte à leurs conclusions quant à la crédibilité?


2.          La CISR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la discrimination par                rapport à la persécution?

3.          La CISR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l'État?

Les motifs

[11]            Il est bien établi en droit qu'à l'égard des conclusions de fait tirées par la CISR la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Cependant, la question de la partialité ou de la crainte raisonnable de partialité est une question pour laquelle il existe peu de retenue envers la CISR et la norme de contrôle est la décision correcte. La question de la persécution et de la discrimination est une question mixte de droit et de fait pour laquelle la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

La partialité

[12]            Les demandeurs prétendent qu'ils ont subi de l'hostilité, des sarcasmes et de l'antagonisme de la part de la CISR, notamment de la part du commissaire W. L. Bertie Wilson.

[13]            Le critère à l'égard de la partialité a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, de la façon suivante :


La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [...] [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[14]            La prétention du demandeur à l'égard de la partialité comporte deux éléments. Le premier est que la CISR a fait des interruptions, qu'elle s'est interposée et qu'elle a fait des commentaires fâcheux à leur avocat d'alors et à son sujet. Le deuxième élément est que le demandeur principal a subi des commentaires défavorables et non fondés et qu'il a été interrogé d'une manière hostile.

[15]            Afin de tirer une conclusion appropriée sur cette question, il n'est pas suffisant d'examiner les mots pour lesquels les demandeurs se plaignent. Il faut également les mettre dans le contexte de l'instance dans son ensemble, tant avant qu'après les commentaires et le comportement offensants.

[16]            J'ai examiné les deux principaux incidents faisant l'objet de la première prétention, soit l'hostilité à l'endroit de l'avocat, qui sont quelque peu troublants.

[17]            Le premier incident est mentionné à la page 8 du dossier du tribunal :

À ce moment-là, l'audience a pris une tournure plutôt bizarre. Voici une série de questions posées par l'avocat, avec les réponses du revendicateur [...] [les questions suivaient].

[...]


Le tribunal utilise le terme « tournure bizarre » pour indiquer le fait que l'avocat a soudainement posé une série de questions n'ayant aucun lien, de telle sorte qu'on pouvait penser qu'elles avaient été écrites et répétées à l'avance pour entraîner un résultat particulier, c'est-à-dire pour préparer le terrain afin d'affirmer que le revendicateur avait des problèmes de mémoire.

[18]            L'hypothèse selon laquelle l'avocat a participé à une certaine tentative de tromper la CISR n'est aucunement fondée.

[19]            À la page 14 du dossier, la CISR fait une fois de plus des commentaires défavorables à l'égard du comportement de l'avocat :

De plus, l'avocat se comporte d'une manière hypocrite quand d'une part il prétend que l'État hongrois n'a pas réussi à protéger les Roms, puis déclare dans une autre partie de ses arguments que l'élection du jeune parti démocratique (FIDESZ) en 1998 a transformé l'oppression dont étaient victimes les Roms, et se demande ensuite si le changement de gouvernement en avril 2002 en faveur des communistes socialistes, lesquels avaient gouverné jusqu'en 1998, n'aboutira pas à une oppression plus grande. [...] [Non souligné dans l'original.]

[20]            Prétendre que l'avocat se comporte d'une manière hypocrite équivaut à prétendre qu'il agit de mauvaise foi et de façon malhonnête. Cela a pu être un malheureux choix de mots pour décrire ce que la CISR voyait comme un argument incohérent.

[21]            Cependant, après avoir examiné l'ensemble de la transcription, y compris les portions dans lesquelles la CISR était bien disposée à l'endroit de l'avocat qui avait un client des plus difficiles, je ne peux pas conclure que, après avoir « [étudié] la question en profondeur » comme l'exige la Cour suprême, la CISR ait montré de la partialité ou ait suscité une crainte raisonnable de partialité à l'endroit de l'avocat des demandeurs.


[22]            Le demandeur principal prétend en outre qu'il a fait l'objet d'hostilité et de sarcasmes. Il faut que les portions de la transcription soient examinées en prenant en compte le fait qu'il ne s'agissait pas d'une affaire facile ni d'un témoin facile.

[23]            Que ce soit en raison d'un manque de compréhension, de problèmes de traduction ou de façon délibérée, le demandeur principal ne pouvait pas ou ne voulait pas répondre volontairement aux questions.

[24]            Le témoignage du demandeur sur des questions importantes, comme les agressions subies par lui et sa famille, était incohérent quant à la date, aux nombres de ces agressions et aux détails. Il a en outre été établi que le demandeur n'avait pas fait ce que la CISR lui avait ordonné, comme obtenir une note du médecin pour justifier un ajournement de l'audience et pour confirmer que son état de santé lui permettait d'assister à son audience après qu'il eut prétendu souffrir de douleurs à la poitrine.

[25]            L'échange à l'égard de [TRADUCTION] « sa date chanceuse » et d'autres commentaires ont été faits dans le contexte selon lequel il aurait été justifié pour la CISR de juger que le demandeur, compte tenu de son omission d'avoir pris les mesures appropriées pour donner suite à sa demande et à celle des membres de sa famille, avait abandonné sa demande.

[26]            D'autres commentaires, comme [TRADUCTION] « cela ne datait pas de si loin » , ont été faits après que le demandeur eut été incapable de se rappeler les points comme les dates des agressions subies de la part des skinheads, un point important dans sa demande d'asile, ou de se rappeler s'il avait été dans l'armée ou l'endroit où il avait commencé à faire vie commune avec son amie.

[27]            Les commentaires, lorsqu'ils sont examinés dans ce contexte, ne montrent pas de partialité pas plus qu'ils suscitent une crainte raisonnable de partialité. Ces commentaires se rapportaient tous à la crédibilité et au manque d'objectivité (voir l'arrêt Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 240).

[28]            Aucun des commentaires faits ou des gestes posés par la CISR, que ces commentaires ou ces gestes soient examinés individuellement ou collectivement, n'atteint le même niveau que celui atteint dans des affaires comme la décision Reginald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 523.

La discrimination par rapport à la persécution

[29]            Il a été statué que la question de savoir si la façon selon laquelle une personne est traitée constitue de la discrimination ou de la persécution est une question pour laquelle la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter (voir la décision Mohacsi c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 35).


[30]            Rien ne permet de supposer que la CISR a omis de prendre en compte les incidents de discrimination survenus à l'école, au travail ou en société. La CISR a accepté que ces incidents étaient survenus, mais elle a conclu qu'ils n'avaient pas atteint un niveau qui constituait de la persécution. Il n'y a rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[31]            La CISR avait rejeté le témoignage à l'égard des incidents avec les skinheads et les policiers parce que le demandeur principal n'était pas digne de foi. Rien ne permet d'annuler cette conclusion. Le témoignage du demandeur principal sur ces questions était tout sauf clair ou convaincant.

La protection de l'État

[32]            Il n'est pas nécessaire de traiter longuement de cette question. Les demandeurs, pour avoir gain de cause, doivent démontrer une crainte subjective et objective de persécution. La CISR a conclu, en se fondant sur ses conclusions quant à la crédibilité, que les demandeurs n'avaient pas la composante subjective de la crainte de persécution.

[33]            Même si la protection de l'État était une question en litige, je conclus que rien n'était déraisonnable dans la conclusion tirée par la Commission selon laquelle la protection de l'État était offerte.

[34]            Comme les parties ont également convenu, il n'y a aucune question aux fins de la certification.

                                        ORDONNANCE

[35]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 février 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-4991-02

INTITULÉ :               MIHAJLOVICS GABOR, GOJKOVICS TUNDE et

MIHAJLOVICS GABOR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 28 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE MARDI 10 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Elizabeth Jaszi                                                    POUR LES DEMANDEURS

Marcel Larouche                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elizabeth Jaszi

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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