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Date : 19990914

Dossier : IMM-3822-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 SEPTEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CULLEN

ENTRE :

RUP CHAND,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

      VU la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée à l'égard de la décision, datée du 14 juillet 1998, dans laquelle l'agente des visas Nora Egan a rejeté la demande de résidence permanente qu'il avait déposée;

      LA COUR ORDONNE que la décision de l'agente des visas soit annulée et que l'affaire soit envoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue à son tour sur celle-ci en tenant soigneusement compte du fond et de la signification des présents motifs.

      LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que les questions suivantes soient certifiées, car elles ont une portée générale :

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a accordé cinq points au demandeur au titre de la personnalité?

La Cour a-t-elle la compétence pour déclarer qu'il est probable qu'un demandeur s'établisse avec succès au Canada, même s'il s'agit d'une question que l'agent des visas doit trancher?

La Cour a-t-elle la compétence pour ordonner qu'un nombre de points déterminé soient accordés à un demandeur au titre de la personnalité?

La Cour a-t-elle la compétence, en adjugeant des dépens, pour ordonner au défendeur de rembourser au demandeur des frais qu'il a payés mais qui ne sont pas liés au coût réel du litige? Dans l'affirmative, quelle est la portée de la compétence de la Cour?

                     B. Cullen                     

                                                                                                                        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990914

Dossier : IMM-3822-98

ENTRE :

RUP CHAND,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]         Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision, datée du 14 juillet 1998, dans laquelle l'agente des visas Nora Egan du Consulat général du Canada à Buffalo (New York) a rejeté la demande de résidence permanente qu'il avait déposée. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance en annulation de la décision et il demande que l'affaire soit envoyée à un autre agent des visas pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.

Le contexte

[2]         Le demandeur, Rup Chand, est un citoyen de l'Inde. Il s'est installé au Canada en mars 1990 après s'être vu offert un poste de chef au restaurant Motimahal, à Toronto. Le propriétaire de ce restaurant avait été incapable de trouver un chef convenable dans la région et il avait obtenu de Développement des ressources humaines Canada l'autorisation, sous la forme d'une validation d'une offre d'emploi temporaire, d'embaucher le demandeur, un étranger. Le demandeur, quant à lui, avait obtenu un permis de travail en s'adressant au Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde), qui lui permettait de travailler au restaurant de Toronto. En mai 1996, l'employeur du demandeur a obtenu une validation d'une offre d'emploi permanent.

[3]         Par la suite, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente le 28 juin 1996. Il a demandé que sa demande soit appréciée dans le cadre de la catégorie des travailleurs indépendants, en fonction de la profession de chef spécialisé dans la préparation de mets étrangers - plus précisément en tant que confiseur de sucreries indiennes. Le demandeur a demandé que le pouvoir discrétionnaire soit exercé en sa faveur sur le fondement qu'il avait établi, au cours des six années précédentes, qu'il pouvait s'établir avec succès au Canada. Le 12 février 1997, cependant, sa demande a été rejetée sur le fondement qu'il n'avait pas obtenu un nombre suffisant de points d'appréciation pour être admissible à immigrer au Canada.

[4]         Le demandeur a cherché à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision et, le 17 février 1998, M. le juge Muldoon a accueilli sa demande (IMM-972-97). La décision de l'agente des visas a été annulée et l'affaire, renvoyée pour qu'il soit de nouveau statué sur celle-ci.

[5]         Le demandeur a eu une deuxième entrevue au Consulat général du Canada à Buffalo, le 14 juillet 1998, et une deuxième lettre de refus a été écrite le même jour. Une fois de plus, il demande le contrôle judiciaire de la décision défavorable.

La décision faisant l'objet du présent contrôle

[6]         Le demandeur était un chef spécialisé dans la préparation de mets étrangers, une profession qui correspond au code CNP 6121-126 de la Classification nationale des professions (CNP). Il a reçu 64 points d'appréciation, soit le même nombre de points qu'il avait obtenus la première fois. Il a obtenu le nombre maximal de points d'appréciation pour le facteur « demande dans la profession » (10) et pour le facteur « emploi réservé » (10).

[7]         En contre-interrogatoire relativement à l'affidavit qu'elle avait signé le 28 septembre 1998, l'agente des visas a dit qu'en ce qui concerne le facteur de la personnalité, pour lequel elle avait accordé cinq points d'appréciation au demandeur, elle avait des réserves étant donné que ce dernier n'avait pas perfectionné ses aptitudes en vue d'améliorer ses chances d'obtenir un futur emploi (dossier de la demande du demandeur, onglet no 4, à la p. 77). Elle était également préoccupée du fait que l'employeur du demandeur avait fourni un logement à celui-ci, ce qui, selon elle, indiquait un manque de motivation de la part du demandeur pour ce qui est de son installation au pays (aux pp. 78 et 79).

[8]         L'agente des visas a également reconnu que le demandeur avait obtenu le nombre maximal de points d'appréciation, soit dix, pour le facteur « demande dans la profession » , ce qui signifie que la profession que ce dernier exerce est en demande à un point tel qu'elle figure au début de la liste des professions en demande.

[9]         Le demandeur a également reçu le nombre maximal de points d'appréciation pour le facteur « emploi réservé » , vu la validation d'une offre d'emploi permanent qu'il avait reçue. L'agente des visas a convenu qu'il était raisonnable de penser que l'emploi du demandeur serait maintenu (à la p. 75).

[10]       Cependant, malgré la forte demande en confiseurs de sucreries indiennes et la validation d'une offre d'emploi permanent au demandeur, l'agente des visas a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon favorable à ce dernier, vu qu'elle était d'avis qu'il ne s'était pas établi avec succès au Canada et qu'il était probable qu'il ne soit pas en mesure de le faire.

La position du demandeur

[11]       Le demandeur soutient que l'agente des visas ne s'est pas conformée à l'ordonnance de M. le juge Muldoon datée du 17 février 1998 et, qu'en fait, elle a commis les mêmes erreurs que celles qui ont été commises par la première agente des visas. Dans ses motifs de jugement, M. le juge Muldoon a conclu que l'agente des visas, qui avait elle aussi pris le demandeur en défaut pour avoir omis de perfectionner ses aptitudes et négligé de tenir compte des économies du demandeur s'élevant à 20 000 $, avait mal compris ses fonctions et appliqué une norme qui s'apparentait davantage à celle que devait appliquer un juge de la citoyenneté.

[12]       Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur en appréciant sa personnalité vu qu'elle a omis de considérer ou qu'elle a minimisé le fait qu'il occupe toujours le même emploi au Canada depuis mars 1990. Il a obtenu une validation d'une offre d'emploi permanent et il a d'importantes économies, qui s'élèvent à 20 000 $. Il fait valoir qu'il ne lui est nullement nécessaire de perfectionner ses aptitudes vu que sa profession est très en demande et qu'il a dix-huit ans d'expérience dans le domaine.

[13]       Le demandeur soutient que l'agente des visas a, à tort, attaché trop d'importance à des considérations non pertinentes. Elle s'inquiétait du fait que s'il perdait son emploi, il ne serait pas capable de s'en trouver un autre. Le demandeur fait valoir que cela contredit le fait que la profession qu'il exerce est en demande à un point tel qu'elle a été inscrite à la liste des professions en demande, ce qui fait en sorte que le nombre maximal de points d'appréciation au titre de la demande dans la profession doivent lui être accordés. Il avance également que les réserves de l'agente des visas quant à sa sécurité d'emploi ne sont pas fondées, vu que dix autres points d'appréciation lui avaient été accordés au titre de l' « emploi réservé » . En outre, l'agente des visas avait concédé en contre-interrogatoire qu'elle était d'avis que le demandeur avait de bonnes chances de se trouver un emploi au Canada.

[14]       Le défendeur soutient que le fait que le demandeur avait omis de perfectionner ses aptitudes était une considération pertinente dont l'agente des visas devait tenir compte en appréciant la personnalité du demandeur. Le défendeur fait également valoir que les points d'appréciation que le demandeur avait obtenus au titre de la demande dans la profession et de l'emploi réservé n'avaient aucune incidence sur les points qu'il obtiendrait au titre de la personnalité, alors que des facteurs tels l'éducation, la langue et les aptitudes professionnelles pouvaient être considérés dans la mesure où ils étaient liés à la capacité d'adaptation, à la motivation et à la débrouillardise du demandeur.

L'analyse

[15]       Il est tout à fait clair que la décision de l'agente des visas ne saurait être maintenue. L'agente des visas qui a pris la deuxième décision paraît avoir commis le même type d'erreurs que celles que, selon M. le juge Muldoon, la première agente des visas avait commises. Les remarques suivantes que M. le juge Muldoon a faites aux paragraphes 6 et 7 de cette décision sont révélatrices :

Il importe de noter que le présent requérant, M. Chand, a eu depuis le 6 mai 1996 un emploi permanent validé par Développement des ressources humaines Canada. Il a obtenu cette validation parce que son employeur avait réussi à convaincre DRHC que l'emploi permanent qu'il exerçait ne nuirait pas aux possibilités d'emploi offertes aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents. M. Chand travaille pour le même restaurant indien depuis 1990, et il dispose d'un « petit coussin » de 20 000 $. Dans une lettre qui a été jointe à l'affidavit du requérant sous la cote « E » , l'employeur dit qu'il continuera volontiers à avoir recours aux services de M. Roop Chand aussi longtemps que ce dernier voudra bien travailler pour lui; il affirme en outre que M. Chand est un travailleur acharné.

Le requérant affirme que l'agent des visas n'a pas tenu compte de l'importance des faits susmentionnés, ou qu'il a minimisé l'importance de ces faits; cette affirmation est vraisemblable. Comme il en a été fait mention, l'agent semblait assumer le rôle d'un juge de la citoyenneté au lieu de s'en tenir au rôle décrit par la Cour suprême dans l'arrêt Chen [c. Canada (MEI), [1995] 1 R.C.S. 725]. D'où, une erreur de droit.

[16]       Encore une fois, l'agente des visas paraît avoir minimisé, voir omis de considérer la situation du demandeur relativement à son emploi permanent validé, à la garantie écrite de son employeur qu'il continuerait à avoir recours à ses services, et au fait que la profession qu'il exerçait était grandement en demande.

[17]       La conclusion de l'agente des visas dans laquelle elle avait pris le demandeur en défaut parce qu'il avait omis de perfectionner ses aptitudes afin d'améliorer ses chances d'obtenir un emploi n'est pas raisonnable, compte tenu du fait qu'il a, depuis 1980, accumulé beaucoup d'expérience en tant que confiseur de sucreries indiennes et que la profession qu'il exerce est très en demande. Il n'a pas besoin de perfectionner ses aptitudes. Comme l'a fait remarquer M. le juge Muldoon, « Somme toute, le requérant n'a pas l'intention de subvenir aux besoins de sa famille en exerçant la profession de médecin, de comptable, d'avocat ou de professeur, mais simplement comme confiseur dans un restaurant indien » . Or, il a démontré qu'il était capable d'exercer ce métier, ayant occupé le même emploi depuis mars 1990.

[18]       En outre, l'avis de l'agente des visas selon lequel il se pourrait que le demandeur perde son emploi dans un avenir prochain n'est tout simplement pas fondé; il ne s'agit que d'une supposition non pertinente. Aucun élément du dossier ne permet d'étayer cette prétention; en fait, l'employeur du demandeur a produit une lettre de recommandation indiquant qu'il était satisfait du rendement du demandeur et garantissant qu'il avait l'intention d'avoir recours aux services de ce dernier aussi longtemps qu'il voudrait bien travailler pour lui.

[19]       Même si le demandeur perdait son emploi, la profession qu'il exerce est grandement en demande au Canada, ce qui justifie que le nombre maximal de points d'appréciation lui soient accordés au titre du facteur de la demande dans la profession.

[20]       Le demandeur a démontré qu'il s'était établi avec succès au Canada du point de vue économique. Il connaît bien son métier et il est expérimenté, le métier qu'il exerce est très en demande, il a fait des économies, il occupe le même emploi depuis mars 1990 et il a obtenu l'autorisation d'occuper un emploi permanent. Si cela ne pas suffit à établir la capacité de s'installer avec succès, j'ignore comment on peut faire une telle démonstration. La décision de l'agente des visas est abusive en ce qu'elle a été prise sans qu'il ait été tenu compte de cette preuve ou alors que cette preuve a été minimisée; en outre, elle est fondée principalement sur une supposition non étayée concernant la sécurité d'emploi du demandeur.

[21]       Malgré la demande de l'avocat du demandeur, je n'estime pas qu'il a été établi que le principe res judicata s'applique à la présente affaire.

Les dépens

[22]       Cette question a été soulevée à la dernière minute et les délais auxquels la présente affaire a donné lieu ont été très coûteux pour le demandeur, qui méritait mieux. Je n'adjugerai pas de dépens pour ce qui est des honoraires d'avocat et des débours vu que je ne dispose pas d'assez de détails pour former une opinion informée. Cependant, je crois que le demandeur et le défendeur conviennent qu'une certaine compensation doit être versée au demandeur afin de lui permettre de payer les voyages qui se sont avérés nécessaires pour obtenir des documents, lesquels sont à la longue devenus caducs. En conséquence, je demande aux parties de convenir d'un montant que le défendeur devra versé au demandeur.

[23]       La décision de l'agente des visas est donc annulée et l'affaire est envoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue à son tour sur celle-ci en tenant soigneusement compte du fond et de la signification des présents motifs. L'avocat du défendeur a demandé à la Cour de certifier les questions suivantes :

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a accordé cinq points au demandeur au titre de la personnalité?

La Cour a-t-elle la compétence pour déclarer qu'il est probable qu'un demandeur s'établisse avec succès au Canada, même s'il s'agit d'une question que l'agent des visas doit trancher?

La Cour a-t-elle la compétence pour ordonner qu'un nombre de points déterminé soient accordés à un demandeur au titre de la personnalité?

La Cour a-t-elle la compétence, en adjugeant des dépens, pour ordonner au défendeur de rembourser au demandeur des frais qu'il a payés mais qui ne sont pas liés au coût réel du litige? Dans l'affirmative, quelle est la portée de la compétence de la Cour?

[24]       J'accepte de certifier ces questions, car elles ont une portée générale.

                     B. Cullen                     

                                                                                                                        J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 14 septembre 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                           IMM-3822-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              RUP CHAND c. LE MINISTRE DE LA                                                                               CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 2 septembre 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR M. LE JUGE CULLEN

EN DATE DU :                                               13 septembre 1999

ONT COMPARU :

M. Steven W. Green et                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Shoshana T. Green

M. David Tyndale                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Steven W. Green et                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Shoshana T. Green

M. Morris Rosenberg                                                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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